Dynamiques territoriales de l’économie sociale et solidaire dans les Pays de la Loire. Quels enseignements pour la géographie ?

Résumé

Les initiatives d’économie Sociale et Solidaire sont pensées par leurs promoteurs comme une réponse locale à des besoins localisés, se différenciant de démarches imposant des modèles ou des directives conçus/pensés depuis l’extérieur. Comment alors considérer les rapports et les apports aux dynamiques des territoires des entreprises d’économie Sociale et Solidaire (ESS), celle-ci étant constituée en France des associations, coopératives, mutuelles et fondations ? Ce texte a pour objectif de rendre compte de l’intérêt d’une observation de l’ESS pour la compréhension des dynamiques des territoires, à partir de travaux conduits en Pays de la Loire ces dernières années.

Index

Mots-clés

économie Sociale et Solidaire, territoires, Pays de la Loire, proximité, ancrage, co-construction

Plan

Texte

Comment considérer les rapports et les apports aux dynamiques des territoires des entreprises d’Économie Sociale et Solidaire (ESS), constituée en France des associations, coopératives, mutuelles et fondations ? Hormis des études menées au Canada (Fontan, Klein et Lévesque, 2003 ; Comeau, 2009 ; Fleuret et Skinner, 2010), il existe peu de travaux d’envergure sur le sujet en géographie ou considérant les territoires de l’ESS (Demoustier, 2004). à notre connaissance, aucune étude n’a été menée à l’échelon national en France sur l’ESS en procédant d’une démarche géographique. Seul peut être recensé à ce jour un « Atlas commenté de l’économie sociale et solidaire »produit par l’Observatoire National de l’ESS (au sein du Comité National des Chambres Régionales d’ESS) en 2012.

Quelques analyses ont porté sur les territoires produits ou co-produits par l’ESS en Pays de la Loire : donnons pour exemples, le programme ESSTER (Économie Sociale et Solidaire et Territoires, 2007-2008) ou différents rapports issus du programme de recherche sur l’ESS dans les régions françaises de la DIIESES (2003-2005)1. Des travaux considérant des entrées sectorielles comme la finance solidaire (Glémain et Bioteau, 2010), l’ESS en santé (Fleuret, 2006), les coopératives agricoles (Pierre et Thareau, 2011) ont pu être conduits récemment. De même manière, des atlas régionaux existent aujourd’hui dont « l’Atlas de l’ESS en Pays de la Loire » (Bioteau et Fleuret, en collaboration avec Pierre, 2010, document en ligne).

De ces différentes études, il ressort que la dimension spatiale est essentielle en ESS. Pour ses promoteurs, l’ESS constitue l’une des clefs de voûte de l’organisation et de l’animation territoriale dans la mesure où elle produit des résultats objectifs, visibles et utiles, et où elle reflète également la capacité de mobilisation collective d’acteurs dans un projet de territoire. Des mêmes études, il ressort également que l’ESS, par les dynamiques de ses établissements et par ses choix de localisation, donne à voir des spécificités zonales. L’enjeu de la co-construction est ainsi essentiel, permettant de mieux comprendre les mécanismes de contribution de l’ESS aux dynamiques de développement local et la capacité d’ancrage de l’ESS dans les territoires.

Ce texte a pour objectif de rendre compte de l’intérêt d’une observation de l’ESS (de la diversité de ses formes, de son évolution et de ses rapports aux territoires) pour la compréhension des dynamiques des territoires. Nous nous appuierons sur différents travaux conduits ces dernières années (depuis 2007) en Pays de la Loire2.

1. Définir l’ESS : des groupements de personnes mus par des valeurs de solidarité ?

L’ESS est officiellement définie en France par le seul statut juridique de ses établissements3. L’aisance qui consisterait à s’arrêter à ce seul critère conduirait vers une impasse, réduisant à proposer une lecture par laquelle ce « tiers-secteur » (ni public, ni privé lucratif) ne fonderait qu’une filière économique parmi d’autres. On prête à l’ESS plusieurs vertus qui renvoient à des thèmes travaillés entre autres par la géographie : bonne gouvernance, développement local, rapports public-privé.

La gouvernance des établissements d’ESS, la nécessité d’un projet commun à l’origine de l’adhésion des personnes et l’attachement aux lieux de réalisation de ce projet, sont ce qui permet de qualifier l’ESS. Elle serait ainsi moins (aisément) délocalisable, et moins encline à procéder à des arbitrages allant au détriment de leurs territoires d’attachement (car ils sont également les territoires de leurs gouvernants) ou des personnels salariés ou des bénéficiaires de leurs actions : qui dans tous les cas restent des proches (amis, voisins, etc.).

Dans une enquête menée en 2012 dans le Pays d’Ancenis (44) et à l’échelle de l’agglomération d’Angers (Angers Loire Métropole), il est ainsi évoqué par des praticiens de l’ESS (têtes de réseaux, élus en commissions, responsables d’entreprise) : ce qui caractérise l’ESS, c’est « (…) Cet esprit de partager ensemble les idées et de construire ensemble » ; « C’est de transmettre les choses, de travailler, le travail en groupe, le travail d’équipe, salariés, agriculteurs, de partager, le partage. Tout ça, ça fait partie de cet esprit de coopération ». Ce secteur est ensuite défini par son ancrage territorial, le mot « proximité » ayant été cité dans la majeure partie des entretiens menés : « On n’est pas délocalisable ! » ; « C’est des formes d’organisation qui sont de plus en plus modernes parce qu’elles sont en plus à l’abri des délocalisations, des mouvements de capitaux » ; « Nous ce qui nous a préoccupé c’est de créer de l’emploi de proximité ». Le caractère d’utilité sociale, environnementale et/ou culturelle assigné aux organisations de l’ESS tient essentiellement au fait que ces organisations s’inscrivent dans une dimension territoriale et relationnelle particulière, à savoir une solidarité de proximité.

Les valeurs de solidarité ne sont toutefois pas l’apanage de l’ESS. Tout comme le double jeu entre des territoires « imposés par le haut » par les administrations (processus « top-down ») et les mécanismes sociaux de construction des territoires (processus « bottom-up »), n’est pas spécifique à l’ESS. L’enjeu que représente l’ESS pour les territoires naît des valeurs prônées par ses promoteurs. Ses établissements sont posés comme ancrés dans les territoires. De fait, leurs activités sont, dans la majeure partie des cas, réputées ne pas être déterritorialisables et pensées comme une réponse locale à des besoins localisés, se différenciant de démarches imposant des modèles ou des directives conçus/pensés depuis l’extérieur. Ainsi l’ESS supporterait en partie le développement local et contribuerait de façon significative à la dynamisation des territoires, à travers la construction d’initiatives et de stratégies d’entreprise collectives.

2. Ce que l’ESS révèle des caractéristiques socioéconomiques locales

Le contexte régional des Pays de la Loire est singulier pour qui veut comprendre les effets de l’ESS sur les territoires. La région des Pays de la Loire est avec la Bretagne, la région où la présence de l’ESS est la plus prégnante en France si l’on considère la part des établissements (fig. 1) et la part des emplois en ESS. L’ESS s’y rassemble dans des réseaux constitués à l’échelle des départements (APES 53 en Mayenne, IRESA en Maine-et-Loire) ou des principales agglomérations (Les Ecossolies à Nantes). La Chambre Régionale d’ESS s’est munie d’un observatoire permanent à destination des décideurs régionaux comme des réseaux d’ESS.

Figure 1 – Établissements employeurs de l’ESS en région

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Dans certains espaces (ruraux essentiellement), l’ESS apparaît peu représentée en nombre d’établissements (fig. 2). En poids relatif cependant, elle y occupe une place beaucoup plus importante, en lien avec la faiblesse du secteur public et de l’économie de marché capitaliste. Il en va de même de l’emploi salarié (fig. 3). Les établissements du secteur agricole se concentrent plus particulièrement dans le triangle du Choletais et Nord-Vendée, ainsi que dans l’ouest du département de Mayenne (fig. 4), espaces caractérisés par une agriculture d’élevage intensif à dominante bocagère. Dans ces espaces, l’ESS s’adjoint à l’économie de marché et à l’économie publique et contribue au maintien de l’activité globale du territoire.

Figure 2 – Les établissements employeurs de l’ESS par EPCI, en Pays de la Loire en 2012

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Figure 3 – Les salariés employés de l’ESS par EPCI, en Pays de la Loire en 2012

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Les initiatives d’ESS ont accompagné les mutations des territoires. D’abord fortement territorialisées et/ou spécialisées, les principales coopératives sont dorénavant des fers de lance de l’agroalimentaire dans tous les domaines : produits laitiers, produits d’élevages, cultures et légumes, viticulture, du commerce (Terrena Gamm Vert...). à échelle plus locale, les Coopératives d’Utilisation du Matériel Agricole (CUMA) sont un facteur de résistance dans un milieu paysan encore fortement marqué par le bocage et par la polyculture-élevage. Parallèlement, des mouvements solidaires dédiés aux besoins immédiats ont très tôt émergé : les associations de l’Aide à Domicile en Milieu Rural (ADMR), le réseau Familles Rurales, et une myriade de micro-associations constituées à l’échelle villageoise, ou de la paroisse.

Cette influence de l’église catholique constitue un dernier pilier de l’ESS dans l’Ouest de la France en général, particulièrement prégnant en Pays de la Loire. Le monde agricole est toujours empreint de la Jeunesse Agricole Catholique (la JAC), à l’origine de diverses CUMA. Des clubs sportifs, associations culturelles, réseaux d’entraide, etc., se sont formés dans le giron des paroisses. L’enseignement, à majorité des Organismes de Gestion de l’Enseignement Catholique (OGEC), compte toujours pour plus de 12 % du total des associations employeurs.

Nous retiendrons que l’ESS révèle ainsi une première spécificité socioéconomique régionale. Ses établissement s’inscrivent dans une tradition de regroupements de personnes et de coopérations émanant du bas (un processus de construction « bottom-up »). L’ESS régionale se compose aujourd’hui de multiples entreprises et associations d’insertion proposant : appui aux travaux agricoles, assistance, aide à domicile…, ainsi que des réseaux de collecte et de valorisation des déchets constitués à partir des écocycleries (Trocantons à Pannecé dans le Pays d’Ancenis (44), l’Écocyclerie des Mauges à Saint-Quentin-en-Mauges (49), et bien d’autres encore), des Assocations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne (AMAP), ou des services à domicile dans lesquels l’ESS prédomine...

3. Entrées sectorielles : des comportements synchrones avec l’économie marchande

Les aires urbaines, auxquelles peut être associé le littoral, constituent des espaces dans lesquels se concentrent les activités financières et de santé. Le secteur des services à la personne, se révèle quant à lui plus important au sein des principales aires urbaines et des espaces périurbains, ainsi qu’à proximité des pôles économiques et de services en milieu rural (fig. 4).

Figure 4 – Les établissements par secteurs d’activité de l’ESS en Pays de la Loire

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La spécificité du secteur des services à la personne est de couvrir l’ensemble du territoire régional, mais avec beaucoup d’établissements sans salariés. Cette couverture n’est pas homogène. Loire-Atlantique et Vendée, plus densément peuplés, sont les deux départements dans lesquels ce secteur est le plus important. Plus on augmente le nombre de salariés considérés, plus la cartographie fait apparaître une concentration urbaine.

On est ici purement dans la logique d’économie résidentielle. Depuis que le gouvernement français a décidé la réduction des taxes sur les services à la personne (loi no 2005-841 du 26 juillet 2005 dite Borloo), ce secteur s’est rapidement développé au point d’être aujourd’hui le plus important de l’ESS régionale, devant l’agriculture, les établissements de santé et d’éducation et, dans une moindre mesure, les activités financières et assurances. Dans les aires urbaines et, moins fortement, sur la côte, la part des établissements d’aides aux personnes représente plus de la moitié du total des établissements relevant de l’ESS.

Les établissements d’ESS sont ainsi présents là où porte le marché. Comme les entreprises à capitaux, elles concentrent leurs sièges dans les principaux pôles urbains, et s’organisent suivant une logique centre-périphérie : du pôle donneur d’ordre aux périphéries intégrées de l’activité commerçante ou de service.

Prenons l’exemple d’un acteur de la finance solidaire4. On pourrait croire que la finance est un objet de recherche « aspatial » tant la financiarisation contemporaine des économies a non seulement effacé les frontières au niveau international mais aussi remis en cause les relations au temps et à la distance. Mais quand elle est solidaire, cette finance porte une dimension sociale ancrée à un territoire. Au dessein initial d’innovation bancaire de la microfinance, portée pour grande part par des organisations d’ESS (associations en charge de l’accompagnement, organismes prêteurs), répond une diffusion inégale des produits, tels que les microcrédits, qui interroge les liens de proximités, le risque de production de nouvelles disparités spatiales (FIMOSOL, Glémain (dir.), 2012).

L’association de finances solidaires FONDES (France Active en Pays de la Loire) s’adresse à des publics aux marges du système bancaire : en difficulté de paiement, sans ressources propres suffisantes, aux parcours individuels jugés à risques par les analystes bancaires, etc. Elle siège à Nantes et dispose d’un bureau à Angers.

Si on regarde l’activité d’accompagnement et de suivi de projets de Très Petites Entreprises (TPE) par le FONDES, étudiée à l’échelle des Établissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI) (fig. 5), il s’en dégage une typologie originale des territoires dans lesquels œuvre le FONDES en région. à l’exception notoire de Nantes-Métropole, les EPCI régionales enregistrent peu d’expertises, et le poids total de ces expertises par EPCI va diminuant en fonction que l’on s’oriente du type 1 vers le type 3. Ainsi :

– Type 1. En milieux plutôt urbains les activités des TPE expertisées sont assez variées mais les activités commerciales (et assimilées) et les services aux personnes y dominent.

– Type 2. Dans les espaces que nous qualifierons de périurbains, nous notons une légère prédominance des activités de services aux personnes sur les activités commerciales ou l’artisanat, ainsi que le montre le profil de la Communauté d’Agglomération de Cholet (49). La palette des secteurs d’activités dans lesquels s’engagent les établissements expertisés est toutefois encore variée.

– Type 3. Les activités se resserrent autour des activités commerciales et assimilées et des services aux personnes. Le nombre total des établissements par EPCI est extrêmement réduit. Le choix dominant de statuts d’Entreprises Individuelles (EI) indique que les établissements nouvellement créés sont peu soumis à concurrence (peu de risques individuels). Mais peu de secteurs d’activités semblent pouvoir assurer la pérennité des investissements.

Figure 5 – Typologie des EPCI d’après les secteurs d’activités des entreprises expertisées par le FONDES

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Nous retenons de cette étude que l’objectif que se fixe le FONDES d’occuper les intervalles sociaux et spatiaux laissés vacants par les financeurs conventionnels n’est pas totalement atteint (pour l’activité d’accompagnement des TPE). Ces résultats entrent en contradiction avec les enjeux de développement local qui se posent dans les territoires en déprise.

On retrouve à l’intérieur des organisations d’ESS des établissements employeurs qui, agissant tel des entreprises, doivent s’appuyer sur un marché viable pour résister et pérenniser leurs projets dans un environnement concurrentiel aujourd’hui accru par la crise et par la diminution des subventions. Cela traduit le poids de l’économie résidentielle et confirme que dans de nombreux domaines, l’ESS ne se différencie guère de l’économie marchande.

Mais l’ESS, ce sont également des associations à but non lucratif dont les activités sont pensées en relation avec les territoires, en réponse aux besoins des sociaux et dans des logiques de solidarité plutôt que dans des rapports de production. Malheureusement les statistiques disponibles sur l’ESS, principalement produites par l’INSEE à partir de ses fichiers SIRENE (à l’appui de la NAF : Nomenclature d’Activités Française) ou établies par les principales fédérations de l’ESS, recensent prioritairement les établissements employeurs, aux comportements d’entreprises.

Considérer l’ensemble du champ des établissements d’ESS est un enjeu pour la géographie dans la mesure où les mouvements associatifs porteurs de solidarités, conçus en réponse à des besoins locaux, contribuent à différencier les territoires entre eux : entre des territoires à forte présence d’organisations d’ESS et des territoires faiblement touchés par l’ESS, mais également en fonction des secteurs d’activités de ces organisations.

4. L’inscription des établissements d’ESS dans les territoires : dynamiques de co-construction.

Des organisations d’ESS vont tenter de créer là où elles s’implantent une fonction de rassemblement dans un projet de territoire. Ainsi, si on ne peut pas toujours les considérer comme une initiative locale stricto sensu, elles n’en constituent pas moins un modèle localement ancré et résolument alternatif à la seule recherche du profit économique. Nous suivrons ici quelques exemples au sein de la Communauté de Communes du Pays d’Ancenis (COMPA) en Loire-Atlantique et de la Communauté de Communes de la Région de Chemillé (CCRC) en Maine-et-Loire.

Prenons l’exemple du centre social du Chemillois. Le centre social a d’abord été conçu à dimension cantonale. Son périmètre d’exercice a ensuite connu une évolution similaire à celle de la construction intercommunale. Enfin, du fait de l’agrément CAF alloué à l’association (Centre Social et Socio-culturel du Chemillois), le centre social est en prise directe avec les besoins du territoire intercommunal.

Car selon la Charte fédérale des centres sociaux et socio-culturels de France (FCSF, 2000)5, un Centre Social peut être porté par une association ou une institution publique, et est défini comme un « foyer d’initiatives porté par des habitants associés, appuyé par des professionnels capables de définir et de mettre en œuvre un projet de développement social local ». Le champ d’intervention très large du Centre Social peut être englobé dans les termes de « développement social et sociétal local ». Son rôle consiste « en fonction d’un diagnostic territorial permanent, à mettre en place des services répondant aux besoins locaux ». Il joue ainsi un « rôle d’interface entre les besoins du terrain et les politiques publiques ». Il opère pour ce faire selon deux modes : soit directement, en mobilisant ses propres services, soit indirectement, en apportant son aide (matérielle, financière, ingénierie) à un autre groupement de personnes, qui peut être amené à se créer. De la sorte, le centre social recouvre une fonction indirecte de promoteur de nouvelles associations : qu’il génère de lui-même ou qu’il accompagne dans leur structuration.

Pour résumer, cette organisation regroupe donc tout à la fois des services qui font l’objet d’une reconnaissance des pouvoirs publics par le bais d’une labellisation accompagnée d’un financement (Point Information Jeunesse, antenne Mission Locale, contrat Enfance-Jeunesse, etc.) et des services d’essence plus solidaires, innovants, financés sur ses propres deniers (transport de personnes âgées, journées d’animation pour les sortir de leur isolement, service à destination des couples avec enfants...). Toutefois, malgré l’influence considérable du centre social en matière d’animation territoriale du volet social, il « n’a pas, aux yeux des élus de la Communauté de communes, pour fonction de coordonner les politiques sociales du territoire » (entretien en 2007 avec le directeur du centre social). « Si dans la réalité, c’est un peu ce qui se passe, ne pas l’afficher fait partie du doigté professionnel » du centre social.

Suivons à présent l’exemple de l’entreprise d’insertion solidaire TroCantons au sein du Pays d’Ancenis. Il s’agit d’une écocylerie dont le but est de sensibiliser à la protection de l’environnement et de créer des emplois de proximité à travers la valorisation des déchets (collecte, tri, recyclage, reconditionnement, vente). Actuellement une partie de l’activité de TroCantons est liée à l’obtention d’un marché public de la COMPA. Cette structure a donc pris une place importante dans le fonctionnement même de la communauté de communes et des compétences de cette dernière. Par la suite, l’expérience s’est élargie, on le voit, à d’autres territoires, en direction notamment du Maine-et-Loire voisin. La dimension spatiale « locale » de l’innovation provient de la conjonction de différents facteurs :

− d’abord à Pannecé par le lien résidentiel d’une des personnes à l’origine de l’initiative, et la possibilité de réinvestir un ancien commerce CANA-Terrena.

− par rebonds, à l’échelle du Pays d’Ancenis, de façon à couvrir l’ensemble du territoire. Le lien avec ce marché public dessine alors la carte de l’aire d’influence de TroCantons à partir de ses deux sites dans la COMPA (Pannecé et Belligné) qui définissent deux polarités à l’échelle du territoire (fig. 6). Les relations de clientèle s’inscrivent dans un rapport de proximité géographique – tenant aux distances à parcourir – somme toute réduites : au plus une quarantaine de kilomètres.

− enfin, son action étant à présent inscrite dans des initiatives territoriales d’aménagement (DTA Estuaire de la Loire) ou de gouvernance (contractualisation avec la COMPA), TroCantons s’impose comme un acteur majeur de son territoire : d’innovateur, il devient ressource.

Figure 6 – Aire d’influence de TroCantons

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(Glémain, 2009)

Les choix d’implantation tiennent également du constat de la nature du territoire, participant ainsi à un diagnostic des besoins de proximité. Ainsi TroCantons ne s’implante pas à Ancenis en raison de la présence sur place d’un centre de redistribution de l’association Saint-Vincent de Paul (Auzaneau et al., 2011). Le territoire de la COMPA constitue dès lors un périmètre de coopération à partir duquel se constituent partenariats et réseaux, inscrits dans une proximité relationnelle naissant d’interconnaissances (le choix d’implantation initiale à Belligné provient de cela, de même que la décision de rassembler trois initiatives à l’initiative de TroCantons : UNAI proposant du placement de personnes, une association proposant de l’accompagnement de personnes en difficultés et une association de solidarité internationale).

L’appui sur des partenariats d’activité avec des structures partageant parfois le même métier (Envie 44), institutionnels ou de formation (écoles) constitue un cadre relationnel spatialisé qui peut être résumé de la sorte (fig. 7).

Figure 7 – Schéma des collaborations des la SIAE TroCantons

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On retrouve dans ce cadre relationnel des partenariats hors territoire – pris au sens de la COMPA, mais dont nous voyons qu’il ne s’agit pas d’un périmètre exclusif pour une clientèle extérieure – qui renvoient principalement à l’inscription de TroCantons dans des réseaux de dimension régionale. Ainsi, le réseau régional des écocycleries illustre l’implication des acteurs de l’ESS dans des projets collectifs, au côté des autorités publiques. Ce réseau est né d’initiatives isolées, dont TroCantons aux côtés de l’Écocyclerie des Mauges ; il constitue à présent un collectif d’intérêts communs. Aujourd’hui, plus d’une dizaine de sites œuvrent dans ce réseau, chacun à l’échelle de son propre territoire, de façon à limiter les effets de concurrences.

L’observation de l’implantation dans la COMPA, de l’aire d’influence de l’initiative TroCantons et de la diffusion du « modèle » ainsi créé témoignent de la mobilisation des trois formes synthétiques de la proximité : spatiale ou géographique, nous dirons « locale » ici, relationnelle, institutionnelle. La dimension de proximité sociale tient au caractère d’action sociale de l’initiative : en fournissant à moindre coûts des ressources matérielles pour un public en difficulté, par l’agrément insertion permettant de salarier aujourd’hui une quinzaine de personnes (jusqu’à 25 voici une dizaine d’années), et par les actions de sensibilisation au respect de l’environnement, au tri et au recyclage.

Ainsi, l’ancrage des associations dans des territoires d’action « négociés », issus des besoins de territoires prédéfinis et construits en partenariat avec d’autres acteurs de ces territoires répondent à différentes motivations : remédier aux lacunes d’un service public local, expérimenter un nouveau service, impulser, expérimenter et coordonner des initiatives locales.

Ces exemples choisis révèlent que le champ de l’ESS s’il est territorialisé, apparaît aussi quelque peu atomisé. Un enjeu pour son développement réside dans sa visibilité. Il s’agit notamment de produire de la donnée à des échelons plus locaux et sur des initiatives intersectorielles. Ceci demande que soient développés de nouveaux outils de recension tel l’Observation Participative et partagée du Spectacle Vivant6 mise en oeuvre dans les Pays de la Loire dans le cadre de la Conférence régionale consultative de la culture, par l’association Le Pôle (pôle de coopération des acteurs pour les musiques actuelles en Pays de la Loire) (Bruneau et Parent, 2012).

Cette expérimentation d’une enquête co-produite par les acteurs du spectacle vivant en Pays de la Loire montre les apports d’une démarche plus qualitative pour à la fois connaître le poids d’un secteur (nombre d’établissements, emplois, produits) et montrer comment les acteurs de l’ESS conçoivent et perçoivent leurs rapports aux territoires. Ainsi, les questionnements relatifs aux apports mutuels des territoires et des établissements de l’ESS trouveront une plus forte explicitation dans une démarche d’analyse menée au plus proche des acteurs. Les témoignages d’acteurs sont ceux des praticiens, de celles et de ceux qui font l’ESS, qui décident des initiatives et qui orientent les actions. Ils rendent compte de manière fine des dynamiques d’établissements et des adaptations de ces derniers aux problématiques des territoires dans lesquels ils se déploient.

Conclusion : changer d’échelle, du régional au local pour lire les apports de l’ESS aux territoires

Le contexte de crise conduit à s’interroger sur la capacité de l’ESS et de ses entreprises à jouer un rôle amortisseur des crises vécues dans les territoires, ou bien encore à se positionner en vecteur de dynamisme dans ces mêmes territoires. L’ESS n’est pas la solution miracle aux difficultés du moment. Mais ses promoteurs voient en elle une économie à même d’innover tant techniquement que socialement, et à même de promouvoir de nouveaux modèles de développement.

Pour autant, il reste à vérifier que ces objectifs soient mis en œuvre dans les territoires. Les données statistiques produites sur l’ESS portent principalement sur les grands secteurs (au travers de leurs groupements). Les données intersectorielles sont généralement fournies à l’échelon national, bien que des déclinaisons régionales soient aujourd’hui accessibles via le réseau des observatoires régionaux des CRESS (au sein de l’Observatoire national du CN CRESS). Ces sources sont généralement assez peu satisfaisantes car elles ne rendent pas toujours bien compte des montages locaux de collaboration, réseaux, partenariats parfois assez peu formalisés. Comprendre les rapports de l’ESS aux territoires impose en effet de changer d’échelle. Aux échelons nationaux et régionaux, la démarche d’analyse géographique permet de connaître des tendances, de savoir quels sont les secteurs dans lesquels l’ESS est plus ou moins présente, et de comprendre d’éventuels besoins de soutien aux filières. Ces échelles permettent un panorama à l’instar de ce que propose l’atlas national produit par l’Observatoire national de l’ESS (2012).

Une approche aux échelons communal ou intercommunal, mais également au sein des quartiers, permet une lecture de l’ESS au travers des territoires connus et pratiqués des acteurs. C’est à ces échelles que se construisent les réponses aux besoins des territoires et de leurs habitants. L’entrée par les acteurs, par des enquêtes plus qualitatives, offre donc de comprendre ce que l’ESS apporte aux territoires, comment elle contribue à les animer et à les différencier. Ce texte se voulait une invitation aux géographes à emprunter cette entrée et à participer à la construction en cours d’un corpus de connaissances fines sur les rapports entre l’ESS et les territoires .

1 Qui associe parmi diverses équipes de recherche, des membres géographes d’ESO Le Mans (ex-GREGUM), du CERAMAC (Clermont-Ferrand), de MTG (Rouen). La

2 Les auteurs tiennent à remercier Gwladys Fauvel et Jérôme Prugneau. Des passages du texte s’appuient sur des travaux menés avec eux.

3 Une Charte de l’Économie Sociale et Solidaire est actuellement en débat en France, portée conjointement par les acteurs (représentants des CRESS, du

4 Ce passage a fait l’objet d’un traitement dans Bioteau, Glémain, 2010.

5 FCSF (Fédération des Centres Sociaux et Socio-culturels de France), 2000. Charte fédérale des centres sociaux et socio-culturels de France, Texte

6 BRUNEAU A., PARENT E., V. MARZIN (dir.), 2012. Observation Participative et partagée du Spectacle Vivant en Pays de la Loire, dans le cadre de la

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OBSERVATOIRE NATIONAL DE L’ESS, 2012 . Atlas commenté de l’économie sociale et solidaire, Dalloz, Juris Editions, Coll. Juris Associations Hors-Série.

PIERRE G., THAREAU B., 2011. Vers de nouveaux rapports du développement agricole au territoire, Agir ensemble pour devenir autonomes. Recma, revue internationale de l’économie sociale, no 320.

Notes

1 Qui associe parmi diverses équipes de recherche, des membres géographes d’ESO Le Mans (ex-GREGUM), du CERAMAC (Clermont-Ferrand), de MTG (Rouen). La liste peut ne pas être exhaustive. Ce programme de recherche sur l’ESS en régions donna lieu à la parution d’un ouvrage de synthèse analytique (Chopart, Neyret et Raults, dir., 2006, Les dynamiques de l’économie sociale et solidaire dans lequel aucun auteur géographe n’est recensé.

2 Les auteurs tiennent à remercier Gwladys Fauvel et Jérôme Prugneau. Des passages du texte s’appuient sur des travaux menés avec eux.

3 Une Charte de l’Économie Sociale et Solidaire est actuellement en débat en France, portée conjointement par les acteurs (représentants des CRESS, du mouvement coopératif, des principales fédérations associatives et des mutuelles) et l’État via le ministre délégué auprès du ministre de l’Économie et des Finances, chargé de l’Économie Sociale et Solidaire et de la Consommation.

4 Ce passage a fait l’objet d’un traitement dans Bioteau, Glémain, 2010.

5 FCSF (Fédération des Centres Sociaux et Socio-culturels de France), 2000. Charte fédérale des centres sociaux et socio-culturels de France, Texte adopté par l’Assemblée générale d’Angers (17-18 juin 2000). http://www.cnle.gouv.fr/IMG/pdf/Charte-des-centres-sociaux-et-socioculturels-de-France.pdf

6 BRUNEAU A., PARENT E., V. MARZIN (dir.), 2012. Observation Participative et partagée du Spectacle Vivant en Pays de la Loire, dans le cadre de la Conférence régionale consultative de la culture, Convention d’observation du spectacle vivant : Le Pôle, Conseil Régional et DRAC Pays de la Loire. http://www.lepole.asso.fr/fichiers/observation/OPP_Spectacle_vivant_2012.pdf

Illustrations

Figure 1 – Établissements employeurs de l’ESS en région

Figure 1 – Établissements employeurs de l’ESS en région

Figure 2 – Les établissements employeurs de l’ESS par EPCI, en Pays de la Loire en 2012

Figure 2 – Les établissements employeurs de l’ESS par EPCI, en Pays de la Loire en 2012

Figure 3 – Les salariés employés de l’ESS par EPCI, en Pays de la Loire en 2012

Figure 3 – Les salariés employés de l’ESS par EPCI, en Pays de la Loire en 2012

Figure 4 – Les établissements par secteurs d’activité de l’ESS en Pays de la Loire

Figure 4 – Les établissements par secteurs d’activité de l’ESS en Pays de la Loire

Figure 5 – Typologie des EPCI d’après les secteurs d’activités des entreprises expertisées par le FONDES

Figure 5 – Typologie des EPCI d’après les secteurs d’activités des entreprises expertisées par le FONDES

Figure 6 – Aire d’influence de TroCantons

Figure 6 – Aire d’influence de TroCantons

(Glémain, 2009)

Figure 7 – Schéma des collaborations des la SIAE TroCantons

Figure 7 – Schéma des collaborations des la SIAE TroCantons

Citer cet article

Référence électronique

Emmanuel Bioteau, Sébastien Fleuret et Pascal Glemain, « Dynamiques territoriales de l’économie sociale et solidaire dans les Pays de la Loire. Quels enseignements pour la géographie ? », Cahiers Nantais [En ligne], 2 | 2013, mis en ligne le 04 mars 2021, consulté le 19 avril 2024. URL : http://cahiers-nantais.fr/index.php?id=1231

Auteurs

Emmanuel Bioteau

Géographe, Université d’Angers, ESO Angers, UMR 6590 CNRS

Sébastien Fleuret

Géographe, HDR, CNRS, ESO Angers, UMR 6590 CNRS

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Pascal Glemain

Gestionnaire, HDR en économie, Université de Rennes 2, CIAPHS EA2241

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