Portraits de chercheur.e.s

Laurent GODET

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Crédit photo : L. Godet

Pourquoi et comment devient-on chercheur en géographie ?

« Je suis devenu chercheur en biogéographie par la fascination que j'ai pu avoir lorsque j'ai vu sur le terrain ce qui était écrit dans mes livres. Les espèces ne se distribuent pas au hasard et la crise de la biodiversité est observable à notre porte.

Passionné par les animaux depuis mon enfance mais ayant grandi dans une tour HLM, j'ai d'abord assouvi ma passion dans les livres. La question de savoir où je pourrai un jour voir les espèces qui me faisaient le plus rêver a attiré mon œil sur toutes les cartes de distribution des oiseaux et toutes les descriptions de leurs habitats. Avec mes jumelles et un vélo, j'ai vite été fasciné de voir combien mes ouvrages disaient juste. Après avoir cherché pendant deux heures le Pic cendré dans les vieilles futaies décrites dans un livre, l'apparition de l'oiseau m'a émerveillé. Les vieux bouquins disaient vrai, ce qui me paraissait théorique prenait corps.

Plus tard, celui qui allait devenir mon directeur de thèse m'a emmené sur un estran rocheux pour me faire découvrir la zonation bathymétrique des invertébrés marins. Ce qui me semblait être quelques minutes plus tôt un immense fatras, était en fait très bien distribué selon la hauteur sur l'estran et donc la durée d'émersion par la marée. Chaque animal avait une place extrêmement bien définie. La théorie des niches écologiques était devant moi.

Plus tard encore, j'emmenais le premier étudiant que j'encadrais faire un tour des sites sur lesquels il voulait voir des oiseaux qu'il n'avait jamais vus. La haie où nichait la Fauvette grisette deux ans auparavant avait été arrachée, le pré où nichaient les Alouettes lulu l'année passée était devenu un parking de supermarché et les roseaux de la mare où s'époumonait une Gorgebleue à miroir avaient été fauchés. Une des causes majeures de disparition d'espèces était soudain tangible : les humains faisaient disparaître les habitats à grande vitesse. »

Quelles sont les difficultés rencontrées dans le domaine de la recherche ?

« La principale difficulté est l'accès à des postes : de nombreux jeunes docteurs avec plusieurs années d'expérience après la thèse ne sont pas recrutés. Une fois en poste, l'autre difficulté à mon sens est de réussir à financer et à administrer sa recherche en trouvant un juste équilibre entre des grands projets qui permettent d'accomplir de grandes choses mais nécessitent un temps de gestion important et des petits projets moins ambitieux mais qui permettent de se consacrer presque entièrement à la recherche. »

Quelle est ta dernière mission ? Quel était le thème de recherche ?

« Ma dernière mission était au Nunavik, dans le subarctique canadien. Il s'agit d'une région de transition entre la taïga et la toundra, où les effets du changement climatique se font ressentir de manière très forte. La forêt prend le pas sur la toundra et on y observe une remontée latitudinale des espèces forestières. J'y ai posé des pièges photographiques et des pièges audios pour enregistrer année après année les changements de communautés chez les mammifères et les oiseaux. »

Quel est ton meilleur souvenir de chercheur ?

« Il est difficile d'identifier un élément en particulier. Cela peut paraître anecdotique mais la sérendipité (pour le dire simplement, le fait de trouver des choses alors qu'on en cherchait d'autres) est extrêmement motivante. Cela appelle à l'émerveillement devant la nature mais aussi à une grande humilité devant l’abîme de notre méconnaissance du monde vivant. J'aime aussi particulièrement les moments d'encadrement d'étudiants où tout semble s'éclaircir pour eux, où les pièces d'un puzzle s'assemblent dans leur esprit. »

Pour terminer, une anecdote sur la recherche à l'IGARUN ?

« Douze ans auparavant, juste arrivé à l'IGARUN, lorsque j'ai dit à une collègue que j'allais travailler sur les oiseaux, elle m'a dit "Oh ! Mais quelle horreur ! ". J'ai alors pu saisir toute la diversité de ce champ disciplinaire qu'est la géographie. »

 

Laurent GODET, Directeur de recherche, Nantes Université, LETG Nantes UMR 6554 CNRS

laurent.godet@univ-nantes.fr

Bibliographie

Godet L., Dufour S., Rollet A.J., 2022. The baseline concept in biodiversity conservation. Being nostalgic or not in the Anthropocene era, ISTE, Wiley, 265 p.

Godet L., Devictor V., 2018. What conservation does, Trends in Ecology and Evolution, n° 33, pp. 720-730. https://doi.org/10.1016/j.tree.2018.07.004

Illustrations

Crédit photo : L. Godet

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Référence électronique

« Laurent GODET », Cahiers Nantais [En ligne],  | 2022, mis en ligne le 23 janvier 2023, consulté le 25 avril 2024. URL : http://cahiers-nantais.fr/index.php?id=1760