Portraits de chercheur.e.s

Thibault LE CORRE

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Crédit photo : T. Le Corre

Pourquoi et comment devient-on chercheur en géographie ?

« Dans mon cas, j'ai suivi une formation en géographie qui a soutenu le développement d'un savoir et d'un esprit critique dans le domaine des sciences sociales, ainsi que l'apprentissage de la méthode scientifique. À côté de l'exigence intellectuelle et de la rigueur nécessaire, ce travail suppose une curiosité triviale très séduisante : on se pose des questions sur l'espace et les sociétés et on essaye d'y répondre. En particulier, j'ai été fasciné par les explications apportées par la littérature académique anglophone sur le capitalisme, les marchés immobiliers et la séparation des populations dans l'espace urbain. C'est dans le cadre d'un doctorat à l'Université Paris 1 et au laboratoire Géographie-cités que j'ai embrassé les rouages du métier. Par la suite, j'ai effectué deux post-doctorats, un à Paris, un autre à Dijon (à l'UMR Cesaer). Je suis actuellement à mon troisième post-doctorat au laboratoire ESO à Nantes sur le projet Subwork. Mais après tout, le plus difficile n'est pas de devenir chercheur mais de continuer à faire de la recherche au regard du nombre de postes. »

Quelles sont les difficultés rencontrées dans le domaine de la recherche ?

« Il s'agit justement des orientations actuelles pour la recherche, des moyens alloués et des types de financement, décidés par les instances décisionnaires de l'enseignement supérieur et de la recherche, de l'échelle nationale à l'échelle des établissements. Il y a une dualisation pyramidale croissante du métier. On retrouve, d'un côté, une armée de précaires, et, d'un autre côté, une contraction du nombre de titulaires. Par ailleurs, le financement de la recherche quasi intégralement sur projets crée de fortes inégalités entre les établissements et une course effrénée à l'argent qui ne devrait pas être la condition de l'exercice du métier. Le pire est que cela est catastrophique pour la production scientifique qui nécessite une stabilité des moyens financiers et humains. L'ironie est qu'une part croissante de l'argent public subventionne directement les établissements privés à objectifs lucratifs, qui sont destinés à remplacer la mission des universités. En ce qui concerne spécifiquement les jeunes chercheu.ses.rs, la LPR a fait tomber l'épée de Damoclès. Sous couvert de donner un statut au post-doctorat, elle a instauré une grille salariale insultante et contraint le recrutement d'un post-doc au maximum trois ans après la thèse. Et je ne parle par des fameux « CDI de projets ». À une échelle locale, les conditions de travail sont désastreuses, voire en totale illégalité (les vacataires sont payés sous le smic, souvent des mois après). Cela a un énorme impact sur la santé mentale et physique du personnel de l'ESR. Je m'arrête là mais malheureusement la liste des difficultés qui affectent le métier est encore longue. »

Quelle est ta dernière mission ? Quel était le thème de recherche ?

« Avec ma collègue Antonine Ribardière, nous avons mené une recherche sur l'accession à la propriété de logements neufs vendus par les promoteurs dans les communes populaires en Île-de-France. Par l'intermédiare d'une analyse sur les transactions immobilières et d'une enquête auprès des ménages accédants dans des opérations immobilières de trois municipalités, nous montrons que le développement d'un marché promotionnel de l'accession dans ces contextes ne gomme pas les inégalités socio-spatiales. Celle-ci est notamment économique, lié au fort endettement et à la dévalorisation. On interroge également les parcours d'achat des ménages, entrainés par des discours entretenus sur l'accumulation et l'investissement immobilier, ainsi que par le biais des techniques marketing de commercialisation des promoteurs et de l'industrie du crédit. Cet article sera publié dans le prochain numéro de la revue Espaces et Sociétés. »

Quel est ton meilleur souvenir de chercheur ?

« J'aimerais mettre en avant certaines rencontres avec des gens formidables, notamment mes collègues de Géographie-cités. J'ai bénéficié d'un collectif et d'une solidarité qui a largement contribué à ma propre réussite. Être entouré de personnes d'un très haut niveau scientifique et qui mènent des recherches passionnantes est un stimulus incroyable sur le plan professionnel. Ceci renforce ma conviction que la concurrence individuelle est aberrante dans le domaine scientifique. »

 

Thibault LE CORRE, Post-doctorant, Nantes Université, ESO-Nantes UMR 6590-CNRS

thibault.lecorre@univ-nantes.fr, t.lecorre@parisgeo.cnrs.fr

Bibliographie

Thibault Le Corre, Antonine Ribardière, 2022. Production de logements et accession à la propriété dans les communes populaires franciliennes, Espaces et Sociétés (parution en décembre 2022).

Thibault Le Corre, 2021. Une base de données pour étudier vingt années de dynamiques du marché immobilier en Île-de-France », Cybergeo : European Journal of Geography. https://doi.org/10.4000/cybergeo.37430

Marie Bigorgne, Thibault Le Corre, 2021. Une tentative de financiarisation du logement en France. Le Fonds de logement intermédiaire de la CDC, Métropolitiques. https://metropolitiques.eu/Une-tentative-de-financiarisation-du-logement-en-France.html

Renaud Le Goix, Laure Casanova Enault, Loïc Bonneval, Thibault Le Corre, Eliza Benites-Gambirazio et al., 2020. Housing (In)Equity and the Spatial Dynamics of Homeownership in France : A Research Agenda Tijdschrift voor economische en sociale geografie, Wiley. https://doi.org/10.1111/tesg.12460

Illustrations

Crédit photo : T. Le Corre

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Référence électronique

« Thibault LE CORRE », Cahiers Nantais [En ligne],  | 2022, mis en ligne le 23 janvier 2023, consulté le 19 avril 2024. URL : http://cahiers-nantais.fr/index.php?id=1761