Pourquoi et comment devient-on chercheure en géographie ?
« Malgré ce qu'écrit A. de Saint-Exupéry, " (…) je ne suis pas explorateur. (…) Le géographe est trop important pour flâner. Il ne quitte pas son bureau " (Chapitre XV, Le Petit Prince), le terrain constitue pour moi l’élément essentiel du géographe. Sans terrain, je ne serais pas devenue géographe car j’ai toujours voulu comprendre les choses, les formes qui m'entouraient. Dans mon cas, c'est donc la particularité des formes littorales, des alignements des côtes que je pratiquais, escaladais durant toutes mes vacances d'enfant en Finistère nord que j'ai voulu comprendre. Ce sont aussi des rencontres, comme les enseignants de l'Université de Bretagne Occidentale et plus particulièrement celui que j'ai toujours considéré comme le maître incontesté du terrain, le Sean Connery de la géographie - avec ses sous-pulls et ses vestes d'explorateur - Jean-Pierre Pinot. Ce sont aussi des soutiens de la part de mes collègues de l'Université du Littoral Côte d'Opale et puis à un moment c'est aussi une opportunité : être là au bon endroit et au bon moment ! »
Quelles sont les difficultés rencontrées dans le domaine de la recherche ?
« Le temps passé à ne pas faire de recherche ! Avec la réduction des financements de la recherche publique, nous passons beaucoup de temps à rédiger des projets de recherche, des budgets, à faire des rapports annuels, à comptabiliser mensuellement notre temps de recherche… Cette part très administrative tend malheureusement à augmenter depuis mon recrutement en 2012. »
Quel est le thème de ton dernier projet de recherche ?
« Il s'agit d'un projet (ANR-FRQ ARICO) qui vise à appréhender et à favoriser les capacités d’adaptation des sociétés littorales soumises aux risques côtiers dans un contexte de changements climatiques en co-construisant des scénarios. Dans ce cadre, j'ai travaillé avec mes collègues du Nord sur la création d'un jeu sérieux, Littopia. Le but de ce jeu est d'amener les acteurs d'un territoire littoral menacé par la submersion marine (résidents permanents ou secondaires, associatifs, acteurs économiques divers, élus territoriaux…) à imaginer leur territoire dans 30 ans. »
Quel est ton meilleur souvenir de chercheure ?
« Mon meilleur souvenir reste mon premier séjour dans l'île de Fongafale, atoll de Funafuti dans l'archipel de Tuvalu. Je suis restée trois mois dans ce territoire exigu, perdu dans le Pacifique où tous les codes que je connaissais jusque-là ont volé en éclat. Pas le même rapport au temps, aux gens, au quotidien. J'ai vécu avec la famille Iona qui est devenue ma famille en m'adoptant. Ce sont eux, " ma sœur Tiani ", " mon frère Niko " et " mon cousin Molimao ", qui m'ont accompagnée sur les côtes océaniques et lagonaires de Fongafale pour y faire des mesures, pour me traduire les récits des anciens, pour me permettre d'avancer en autonomie dans mon premier travail de chercheure. »
Pour terminer, une anecdote sur la recherche à l'IGARUN ?
« Cela ne fait que 4 mois que j'ai intégré l'IGARUN donc mon recul sur ma recherche est assez limité. Je dirais toutefois que j'ai particulièrement apprécié les 4 jours passées dans l'île de Bailleron avec deux collègues, Agnès Baltzer et Céline Chadenas, et la promo des littoralistes du M1. Comme cela fut mon cas lors de mes études à Brest, ces stages de terrain sont essentiels pour notre métier de géographe et restent gravés dans notre mémoire quelques décennies plus tard. Ce sont des moments très riches, hors du temps où nous pouvons mêler enseignement, recherche et convivialité. »
Caroline RUFIN-SOLER, Géographe, Maître de conférences, LETG-Nantes UMR 6554 CNRS, Nantes Université