Un moyen de vulgarisation de la géomorphologie : le triptyque explicatif des géomorphosites (application au pays de Guérande, Loire-Atlantique)

Texte

La géomorphologie est l’objet de multiples opérations de vulgarisation dans de nombreux pays, y compris en France. Ces opérations sont menées à l’initiative d’enseignants, d’associations, d’institutions territoriales ou d’autorités gestionnaires de parcs naturels. Elles s’inscrivent dans un processus de patrimonialisation des reliefs, au même titre que les autres éléments des patrimoines naturels ou culturels, et conduisent à la reconnaissance progressive d’un patrimoine géomorphologique. L’un des enjeux de ce processus concerne la transmission de savoirs géomorphologiques.

La vulgarisation géomorphologique, c’est-à-dire la diffusion d’informations sur un relief choisi auprès d’un public, implique deux démarches fondamentales. La première suppose une étude initiale des reliefs concernés, qui requiert une compétence scientifique sans laquelle il n’existe pas de propos vulgarisateur convenable. La seconde impose une adaptation des connaissances géomorphologiques à un public non-spécialiste par des moyens sans lesquels il n’y a pas de communication possible. La vulgarisation de la géomorphologie repose donc sur une pédagogie adaptée aux publics des objets géomorphologiques, qualifiés désormais couramment de géomorphosites (Panizza, 2001, 2003). Cette pédagogie se place dans une perspective touristique, le relief constituant l’un des principaux sujets de visite ou d’observation des voyageurs et l’un des plus anciens objets du tourisme, au sens étymologique du mot. Elle peut aussi s’envisager dans une perspective d’enseignement et s’inscrit, de toute façon, dans une optique d’éducation, qui concerne directement les universitaires (Sellier, 2007, 2009).

La vulgarisation s’effectue par l’intermédiaire de moyens oraux, écrits, iconographiques ordinaires, ou de moyens numériques, d’usage croissant. Elle peut recourir à des outils variés : exposés, livrets-guides, panneaux didactiques placés en un point d’observation de géomorphosites. Le dépliant triptyque est au nombre de ces outils. Il compte parmi les plus commodes à employer et à diffuser, mais aussi parmi les moins coûteux à mettre en oeuvre, puisque l’utilisation d’un simple support de format A4 suffit. Sa conception soulève toutefois plusieurs séries de problèmes les uns de fond, les autres de forme. Les premiers sont inhérents à toute vulgarisation scientifique. Ils concernent la sélection et l’articulation des connaissances à transmettre. Ils proviennent surtout du langage à employer, le problème récurrent étant de trouver un compromis entre une expression scientifiquement rigoureuse et une lecture attrayante pour un public profane. Les seconds sont propres à la mise en page, soumise aux contraintes du format, ainsi qu’à la présentation, déterminée par les moyens disponibles.

L’objectif demeure de décrire et d’expliquer le relief au public, de lui apprendre à voir les reliefs au lieu de regarder seulement des paysages, donc de lui fournir les moyens d’identifier les éléments d’un relief en le dotant des notions élémentaires de l’analyse géomorphologique, de parvenir finalement à vulgariser le terme de géomorphologie.

Bibliographie

PANIZZA M., 2001. Geomorphosites : concepts, methods and example of geomorphological survey, Chinese Science Bulletin, 46, pp. 2-6.

PANIZZA M., 2003. Géomorphologie et tourisme dans un paysage culturel intégré. In REYNARD et al., Géomorphologie et tourisme, Actes de la Réunion annuelle de la Société Suisse de géomorphologie, Institut de géographie, Université de Lausanne, pp. 11-18.

Annexe

Application au pays de Guérande, Loire-Atlantique

La géomorphologie est la branche de la géographie physique qui étudie les reliefs de la surface terrestre. La forme de ces reliefs résulte des influences contraires de la structure (nature et déformations des roches composant la lithosphère) et de l’érosion (processus mécaniques et chimiques principalement liés à l’air et à l’eau, donc à l’atmosphère).

Le Pays de Guérande (fig. 1) correspond à l’aire de rayonnement de la ville de Guérande, par son histoire. Il s’étend de la côte du Croisic à l’étier de Mesquer et aux abords de la Grande Brière, de la baie de la Vilaine à l’embouchure de la Loire, par sa géomorphologie. Il appartient au Sud-Est du Massif armoricain et présente un relief caractéristique d’un massif ancien. Ce relief résulte de trois étapes majeures et comprend quatre éléments principaux.

Figure 1 – Localisation du Pays de Guérande

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1. Les trois étapes majeures de la formation du Pays de Guérande (fig. 2)

Figure 2 – Les trois étapes majeures de la formation du Pays de Guérande

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La structure du pays guérandais est initiée par la création d’une chaîne de montagnes qui déforme le socle armoricain au cours de la seconde moitié de l’ère primaire (plissements hercyniens). Son relief actuel résulte essentiellement de l’aplanissement des montagnes hercyniennes, de la fracturation de la surface d’aplanissement post-hercynienne et des actions différentielles de l’érosion littorale lors de la dernière transgression marine.

L’aplanissement des montagnes hercyniennes par l’érosion depuis la fin de l’ère primaire a conduit au façonnement de bas plateaux (fig. 2a).

La surface de ces plateaux constitue l’élément fondamental du paysage actuel. Elle recoupe le socle antérieur au Primaire (schistes briovériens et gneiss) et les granites contemporains des plissements hercyniens (granite de Guérande). Elle explique la variété des roches représentées sur les cartes géologiques.

La fragmentation de cette surface par des failles à l’ère tertiaire engendre un ensemble de blocs basculés vers le Nord-Est (fig. 2b).

Ces blocs forment l’armature du relief local. Ils sont bordés d’escarpements parallèles, regardant vers le Sud-Ouest. La côte rocheuse et rectiligne du Croisic-Batz-sur-mer est le plus court (11 km) et le plus bas (23 m) de ces escarpements. Elle longe un premier bloc basculé, qui s’incline sous les marais maritimes du Croisic. Le coteau de Guérande est plus long (25 km) et plus élevé (61 m). Il borde un deuxième bloc basculé, qui disparaît sous les marais du Mes et sous la grande Brière. Au loin, le coteau du Sillon de Bretagne, encore plus long (70  km) et plus élevé (91 m), borde le plateau du Temple (entre Nantes et Pontchâteau).

Les variations du niveau de la mer au cours de l’ère quaternaire, en fonction des fluctuations du climat, expliquent la configuration des côtes actuelles (fig. 2c).

Les processus d’érosion littorale entraînent l’attaque des côtes rocheuses les plus exposées et l’accumulation de sédiments sableux ou vaseux aux endroits les plus abrités. Lors de la dernière remontée du niveau de la mer (transgression flandrienne, principalement accomplie depuis une dizaine de milliers d’années), le coteau de Guérande fonctionne épisodiquement comme une falaise sur toute sa longueur, tandis que, plus au large, les sites du Croisic, de Batz et du Pouliguen constituent un alignement d’îles rocheuses. Ces îles protègent ainsi une baie à double ouverture. Par la suite, ces trois îles se trouvent raccordées au coteau de Guérande par des isthmes sableux (ou tombolos). Ces isthmes correspondent à la plage de La Baule à l’Est et à la flèche de Pen-Bron à l’Ouest. Ils déterminent alors une presqu’île à double tombolo. L’espace ainsi compris à l’intérieur de la presqu’île guérandaise (marais du Croisic-Batz) est colmaté par des alluvions provenant en partie du coteau de Guérande. Il demeure sous l’influence des marées (Grand Traict et Petit Traict). Il forme désormais un marais maritime.

2. Les quatre éléments principaux du relief du Pays de Guérande (fig. 3)

Figure 3 – Schéma géomorphologique du Pays de Guérande

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Le coteau de Guérande

C’est l’un des principaux reliefs de la Loire-Atlantique et l’élément dominant du Pays guérandais (61 m d’altitude à l’Est de Guérande). Il s’aligne sur une faille de direction nord ouest-sud est qui a rejoué au cours de l’ère tertiaire, à partir de vieilles fractures hercyniennes, sous l’effet de contraintes consécutives à l’ouverture de l’océan Atlantique et du golfe de Gascogne. Il présente un tracé rectiligne entre Piriac (pointe du Castelli) et Saint-Nazaire (pointe de Chemoulin). Il est constitué de granites hercyniens (granites de Guérande), de Piriac à Escoublac, et de gneiss associés à des granites, d’Escoublac à Saint-Nazaire (migmatites de Saint-Nazaire). Il délimite un bloc rectangulaire basculé vers le Mes et la Brière au Nord-Est. Il offre une vue d’ensemble sur la presqu’île guérandaise au Sud-Ouest, notamment depuis Clis et Saint-Armel. Il présente des profils convexes, jalonnés de rochers ruiniformes, caractéristiques des pays granitiques (rochers de Saint-Armel, de Colveux, de Clis, Tombeau d’Almanzor près du Castelli). Il est recoupé par des vallons courts et encaissés qui débouchent sur les marais du Croisic. Il continue de fonctionner en falaise à chacune de ses extrémités, de La Turballe à Piriac et de Pornichet à Chemoulin.

La côte du Croisic-Batz-sur-Mer

C’est la réplique du relief précédent, en plus réduit et en plus bas (23 m). La côte du Croisic-Batz, ou Grande Côte, suit un escarpement de faille rectiligne, parallèle au coteau de Guérande, entre la pointe du Croisic et celle de Penchâteau. Elle est également constituée de granite de Guérande (à l’emplacement de l’ancienne île du Croisic) et de migmatites (à l’emplacement des anciennes îles de Batz et du Pouliguen). Ces anciennes îles sont reliées entre elles par des cordons sableux assortis de dunes (plage Valentin, baie de La Govelle). Elles sont dissymétriques et délimitent un nouveau bloc basculé, qui plonge sous les marais du Croisic, vers le coteau de Guérande. Elles jalonnent ainsi une échine rocheuse qui se prolonge par un alignement de récifs, au-delà de la pointe de Penchâteau, devant la baie de La Baule (les Evens, les Troves, Baguenaud, Pierre Percée, le grand Charpentier).

La Grande Côte, découpée dans le détail, comprend deux parties principales. Au Sud du Croisic, les granites de Guérande sont relativement homogènes ; ils produisent des falaises escarpées, à couloirs, parfois accores, dont le tracé et le profil sont influencés par de grandes fissures verticales (comme au rocher de l’Ours). Au Sud de Batz et du Pouliguen, les migmatites sont hétérogènes ; elles produisent des côtes rocheuses de tracé et de profils irréguliers, à criques et à grottes, souvent précédées de platiers rocheux et de plages (comme aux Pierres Plates, près du Pouliguen).

Les isthmes de Pen-Bron et de La Baule

Ce sont des flèches littorales, construites par la dérive de sables provenant de la plate-forme continentale, de l’estuaire de la Loire et de la baie de la Vilaine. Ces flèches sont ancrées le long de l’ancienne falaise de Guérande, à Pornichet (flèche de La Baule) et à La Turballe (flèche de Pen-Bron). Elles présentent des pointes libres, qui ménagent des entrées maritimes vers les marais du Croisic par le goulet du Croisic (au Sud de Pen-Bron) et par l’étier du Pouliguen (à l’Ouest de La Baule). Ces flèches comprennent de longues plages de sable, dont le remaniement par le vent a produit des cordons de dunes. Celui de Pen-Bron est improprement appelé Grande Falaise. Celui de La Baule a enseveli le site initial du bourg d’Escoublac.

Les marais du Croisic

La disposition des blocs basculés du Croisic-Batz et de Guérande ainsi que celle des isthmes de Pen-Bron et de La Baule ont créé les conditions propices à la formation d’un marais maritime, dont la superficie est de 3 000 ha et dont le colmatage, sableux et vaseux, s’approfondit vers la base du coteau de Guérande (où il dépasse une vingtaine de mètres d’épaisseur). Il comprend actuellement deux parties principales en raison de son aménagement précoce. À l’Est et au centre, il est occupé par des marais-salants, dont l’origine est vraisemblablement antérieure au IXe siècle. À l’Ouest (Grand et Petit Traicts), il demeure soumis aux influences des marées, qui y entretiennent des vasières d’estran (slikkes), dépourvues de végétation, et des prés-salés vaseux ou sableux (schorres), envahis par une flore halophile (salicornes, obiones).

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Référence électronique

Dominique SELLIER, « Un moyen de vulgarisation de la géomorphologie : le triptyque explicatif des géomorphosites (application au pays de Guérande, Loire-Atlantique) », Cahiers Nantais [En ligne], 1-2 | 2010, mis en ligne le 21 janvier 2021, consulté le 26 décembre 2024. URL : http://cahiers-nantais.fr/index.php?id=584

Auteur

Dominique SELLIER

Géographe, Université de Nantes, Géolittomer LETG-UMR 6554 CNRS

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