Un périmètre de SCoT peut-il être cohérent ? L’exemple du Perche d’Eure-et-Loir

Résumé

L’élaboration du SCoT du Perche d’Eure-et-Loir est l’occasion de s’interroger sur la cohérence des périmètres de SCoT, dans le contexte d’une recomposition territoriale qui semble s’accélérer. La généralisation des PLU intercommunaux, notamment, induit une possible concurrence entre ces deux documents de planification, ce qui pose sous un jour nouveau la question de l’échelle à laquelle doivent s’élaborer les SCoT. L’étude des différents périmètres institutionnels – des SCoT eux-mêmes, mais également des multiples structures susceptibles de les porter – sera l’occasion de s’interroger sur la finalité des SCoT dans ce nouveau contexte.

Index

Mots-clés

Schéma de Cohérence Territoriale (SCoT), périmètre, cohérence, recomposition territoriale, planification

Plan

Texte

Cet article est issu d’un mémoire professionnel élaboré dans le cadre du Master 2 « Villes et Territoires » de l’Université de Nantes, en association avec le Pôle d’Équilibre Territorial et Rural (PETR) du Perche d’Eure-et-Loir (Thépault, 2016).

La recomposition des différentes entités supra communales, entamée en France à la fin des années 1990 et s’accélérant depuis 2010, entraîne, au niveau des territoires, des changements d’échelle qui sont diversement acceptés. La refonte actuelle incite fortement les communes à se regrouper, et les intercommunalités à augmenter leur périmètre, tout en dotant ces dernières de compétences toujours plus étendues. En parallèle, les réformes de la planification territoriale invitent également les territoires à envisager leur avenir sur des périmètres de plus en plus larges. Depuis leur mise en place en 2000, les documents d’urbanisme que sont les Plans Locaux d’Urbanisme (PLU) et les Schémas de Cohérence territoriale (SCoT), dont la vocation est d’encadrer et orienter le développement des territoires à moyen et long termes, ont vu leur importance progressivement renforcée : les PLU doivent désormais être intercommunaux, et les SCoT ont l’obligation de se généraliser sur l’ensemble du territoire national. Enfin, un nouveau type d’établissement public (censé remplacer à terme le « Pays » initié en 1995) a fait son apparition en 2014 : le Pôle d’Équilibre Territorial et Rural (PETR). Cet organisme, regroupant plusieurs établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, a pour but de structurer des territoires ruraux à une échelle élargie. Le SCoT du Perche d’Eure-et-Loir, élaboré par un tel organisme, le PETR du Perche d’Eure-et-Loir, est l’occasion d’étudier le positionnement des SCoT dans cette nouvelle architecture.

En effet, se pose une triple incertitude concernant les SCoT. La loi ne se prononce pas sur l’échelle idéale à laquelle ils doivent être élaborés, et ne se prononce pas davantage sur l’institution devant porter ces documents. Enfin, la concurrence avec les PLU intercommunaux (PLUI) invite à s’interroger sur la finalité, voire sur l’avenir, des SCoT eux-mêmes.

Les périmètres de SCoT : incertitudes quant aux critères territoriaux

« Le territoire est une appropriation à la fois économique, idéologique et politique (sociale, donc) de l’espace par des groupes qui se donnent une représentation particulière d’eux-mêmes, de leur histoire » (Di Méo, 1996).

Sur le plan théorique, le territoire « idéal », c’est celui qui aurait un périmètre cohérent d’un point de vue « rationnel », (c’est-à-dire au niveau de son organisation spatiale : bassins de vie, bassins d’emploi…), mais qui serait également cohérent sur le plan « affectif », grâce à une identité (culturelle, patrimoniale, historique, paysagère) reconnue, à la fois par ses habitants et la population extérieure.

Ce scénario idéal se retrouve rarement, et les territoires se constituent plus souvent sur une partie seulement de ces critères, voire sur aucun d’entre eux… Cela pose néanmoins une double question : comment évaluer la cohérence des périmètres de SCoT ? Et surtout, quelle semble être l’intention du législateur concernant la délimitation de ces périmètres ? Pour tenter d’y répondre, le Perche d’Eure-et-Loir nous servira d’exemple concret.

Quelle cohérence pour le Perche d’Eure-et-Loir ?

Situé sur la frange occidentale de l’Eure-et-Loir, au sein de la région Centre-Val de Loire, le Perche d’Eure-et-Loir est séparé de son homologue, le Perche Ornais, par la limite départementale (fig. 1). Espace rural (densité de 42 hab./km²), multi-polarisé, composé de 61 communes pour 42 234 habitants, ce territoire est structuré par le pôle urbain de Nogent-le-Rotrou (sous-préfecture) qui compte un peu moins de 12 000 habitants. En matière d’infrastructures, le territoire est globalement bien connecté aux agglomérations voisines : il est traversé au sud par un axe routier majeur (A11), qui relie Le Mans à Chartres et l’Île-de-France (Paris à 150 km), et par une ligne de train TER « Le Mans-Chartres-Paris » desservant Nogent-le-Rotrou et La Loupe.

Figure 1 - Localisation du SCoT du Perche d’Eure-et-Loir

Image

Du point de vue paysager, le Perche d’Eure-et-Loir, situé à l’extrémité du massif armoricain, se distingue par son relief, ses nombreuses rivières et vallées, ses haies bocagères, ses forêts, son habitat dispersé (PNR du Perche, 2003). Si les reliefs sont de moins en moins marqués à mesure qu’on s’avance vers l’est, où on retrouve les paysages plus caractéristiques de la Beauce (grandes plaines fertiles et agriculture plus productiviste), le territoire présente malgré tout une forte cohérence paysagère. Enfin, du point de vue de son identité (histoire, culture, patrimoine), le Perche d’Eure-et-Loir constitue indéniablement un ensemble cohérent : cette identité est largement reconnue hors du territoire, et les habitants eux-mêmes la revendiquent.

À l’aune des bassins de vie, qui correspondent selon l’INSEE au « plus petit territoire sur lequel ses habitants ont un accès aux principaux services et à l’emploi », le Perche Eurélien semble d’une cohérence plus discutable, car il ne se cale pas sur un seul et unique bassin de vie, mais est réparti sur 7 bassins (fig. 2). De plus, seulement 3 d’entre eux (regroupant 83 % de la population) ont leur centre situés dans son périmètre : Nogent-le-Rotrou, La Loupe et Senonches. Enfin, ces 3 bassins rayonnent au moins autant à l’extérieur qu’à l’intérieur du territoire.

Figure 2 - Les bassins de vie au sein du SCoT du Perche d’Eure-et-Loir

Image

Du point de vue des bassins d’emploi (ou « zones d’emploi »), définis par l’INSEE comme des « espaces géographiques à l’intérieur desquels la plupart des actifs résident et travaillent, et dans lesquels les établissements peuvent trouver l’essentiel de leur main d’œuvre », le territoire du Perche Eurélien apparaît d’une cohérence encore plus incertaine. Sur les 2 bassins principaux (fig. 3), un seul centre est situé en son sein, celui de Nogent-le-Rotrou (dominante industrielle et artisanale, couvrant 50 % de la population), tandis que la moitié des communes du territoire dépend d’un centre extérieur, Chartres (dominante tertiaire, couvrant 46 % de la population).

Figure 3 - Les zones d’emploi au sein du SCoT du Perche d’Eure-et-Loir

Image

Enfin, on constate que le bassin d’emploi de Nogent-le-Rotrou, à l’instar de son bassin de vie, dépasse largement les frontières du territoire, puisqu’il se situe pour moitié sur le Perche Ornais (DREAL Centre, 2013). Si, sur le plan « affectif » (identité, paysage), le Perche d’Eure-et-Loir semble un territoire homogène, le constat est à nuancer sur le plan « rationnel » : du point de vue de son organisation spatiale, il paraît d’une cohérence très relative, et ceci semble largement imputable à la frontière départementale.

Le périmètre d’un SCoT, une délimitation institutionnelle ou géographique ?

L’article L143-2 du Code de l’Urbanisme dispose que « le périmètre du SCoT délimite un territoire d’un seul tenant et sans enclave ». L’article 143-3 poursuit : « Le périmètre de SCoT permet de prendre en compte de façon cohérente les besoins de protection des espaces naturels et agricoles et les besoins et usages des habitants en matière d’équipements, de logements, d’espaces verts, de services et d’emplois ». Il tient compte des périmètres des documents d’urbanisme et structures administratives existantes. Enfin, il prend en compte les « déplacements urbains, notamment les déplacements entre le domicile et le lieu de travail et de la zone de chalandise des commerces, ainsi que les déplacements vers les équipements culturels, sportifs, sociaux et de loisirs ». Le Ministère de l’Égalité des Territoires et du Logement (2014) identifie dans l’article 143-3 la nécessité de « définir un périmètre d’un SCoT à l’échelle d’un large bassin de vie, d’emploi ou d’une aire urbaine ».

La définition légale du périmètre du SCoT laisse ainsi une grande marge d’appréciation aux élus locaux. Les seuls critères impératifs sont d’ordre institutionnel : territoire d’un seul tenant et sans enclave, intégration d’au moins un EPCI à fiscalité propre. Les critères d’ordre géographique sont en revanche peu directifs : il s’agit de « tenir compte »… On retiendra tout de même la référence, même implicite, aux bassins de vie et aux bassins d’emploi. Enfin, le choix du périmètre peut également être guidé par l’objet du SCoT, à savoir assurer la cohérence des différentes politiques sectorielles, notamment celles centrées sur les questions d’organisation de l’espace et d’urbanisme, d’habitat, de mobilité, d’aménagement commercial, d’environnement. Mais on retrouve, là encore, en filigrane, les notions de bassins de vie et de bassins d’emploi.

L’examen des situations réelles montre pourtant que les SCoT « rationnels », basés sur des bassins de vie ou d’emploi (afin notamment d’organiser au mieux les déplacements, et le développement urbain autour de centralités) côtoient nombre de configurations plus disparates : des logiques de « terroir » (de culture, de paysage, d’histoire… à l’exemple du SCoT du Perche d’Eure-et-Loir), de « vallées », d’agglomération, voire des logiques politiques ou de marketing territorial. On n’aboutit pas seulement à des périmètres de SCoT fondés sur des principes d’agrégation complètement différents, on obtient des territoires opérant à des échelles sans commune mesure : d’un côté, certains SCoT ruraux regroupent quelques milliers d’habitants ; de l’autre, le SCoT du Pôle Métropolitain Nantes - Saint-Nazaire, par exemple, avec ses 793 000 habitants, regroupe environ 60 % de la population départementale.

On sait que le périmètre d’un PLU est défini très simplement : autrefois calqué sur celui de la commune, il est aujourd’hui calqué sur celui d’un EPCI à fiscalité propre. À l’opposé, la grande latitude laissée aux acteurs locaux pour la détermination des périmètres de SCoT interroge sur l’échelle territoriale que le législateur a voulu leur assigner. À cela s’ajoute l’incertitude quant à l’institution devant porter les SCoT.

Les périmètres de SCoT : incertitudes quant aux institutions susceptibles de les porter

La tentation du « Perche historique »

Le Perche d’Eure-et-Loir s’insère dans un ensemble plus vaste, le Perche, une ancienne province qui fut longtemps au cœur de l’histoire de France avec une certaine prospérité. À la Révolution, la création d’un département percheron n’ayant pas été retenue, le Perche fut divisé et séparé entre quatre départements : l’Orne (Perche Ornais), l’Eure-et-Loir (Perche Eurélien), la Sarthe (Perche Sarthois) et le Loir-et-Cher (Perche Gouët et Perche Vendômois). Pour tenter de reformer en tout ou partie le Perche historique, de nombreuses initiatives ont vu le jour, à des échelles plus ou moins ambitieuses : Communautés de communes, associations, Groupements d’intérêt Public (GIP), PETR (successeurs des Pays) de chaque côté des frontières départementales, un Parc Naturel Régional (PNR) à cheval sur l’Orne et l’Eure-et-Loir, et, plus récemment, un projet à l’étude de « Conférence Territoriale de Développement local » porté par les Comités Économiques et Sociaux des régions Normandie, Pays de la Loire et Centre-Val de Loire (CESER, 2015).

Si la cohérence intrinsèque du Perche d’Eure-et-Loir, notamment du point de vue de son organisation spatiale, semble discutable, la cohérence d’ensemble serait-elle plus grande en changeant d’échelle territoriale et institutionnelle ?

Sur le plan paysager, l’homogénéité du Perche dans son ensemble paraît très forte. Il en va de même sur le plan démographique, où le caractère rural est très affirmé, tant du côté ornais qu’eurélien. En témoignent une faible densité de population, une même surreprésentation des bourgs et villages – dont l’immense majorité n’atteint pas 500 habitants –, une population vieillissante, un phénomène important de périurbanisation depuis les années 1980, ainsi que des migrations résidentielles du nord-est vers le sud-ouest (de la région parisienne vers les Pays de la Loire). Concernant l’économie, en plus de partager le même pôle économique principal, celui de Nogent-le-Rotrou, Perche Ornais et Eurélien partagent une même dynamique : un poids important de l’agriculture, et dans une moindre mesure, de l’industrie, une faiblesse des services, une surreprésentation des petites voire très petites entreprises, une quasi absence d’établissements d’enseignement supérieur. Sur le plan agricole, le Perche est également assez homogène, la différence la plus notable tenant à ce que l’élevage est encore bien présent côté ornais, alors qu’il tend à disparaître côté eurélien, sous l’influence des grandes cultures céréalières de la Beauce. Enfin, Perche Ornais et Perche Eurélien connaissent des situations assez proches en matière de tourisme : une offre conséquente en « tourisme vert », un fort potentiel en matière de tourisme historique et patrimonial, mais des retombées économiques relativement modestes.

Si l’étude des bassins de vie et d’emploi plaide pour un changement d’échelle, les différents critères socio-économiques également. Si on y ajoute le fait que la cohérence historique, culturelle, patrimoniale du Perche d’Eure-et-Loir serait encore plus grande à l’échelle du Perche dans son ensemble (en témoigne la perception qu’en ont les touristes, pour qui la limite départementale n’a pas de raison d’être), et si on se base sur la forte volonté des acteurs locaux de faire revivre le Perche « historique », l’ensemble des critères milite pour un SCoT dont le périmètre engloberait le Perche dans son ensemble.

Le périmètre du Perche Eurélien apparaît dès lors comme un territoire « tronqué ». Mais il est le résultat des découpages administratifs, de l’histoire politique locale… et de l’inaction relative d’une structure pourtant située à la bonne échelle, le Parc Naturel Régional. Cette inaction a « contraint » des structures plus modestes à élaborer chacune leur SCoT (les PETR Ornais et Eurélien), enterrant de fait le projet d’un SCoT à l’échelle d’un Perche unifié, du moins à court terme. On peut toutefois essayer d’imaginer quel agencement institutionnel pourrait prendre un tel projet.

La nécessité d’une institution adaptée à un territoire élargi

Pour illustrer la complexité institutionnelle à laquelle aboutit parfois, sur le terrain, l’addition des différentes réformes territoriales, le Perche est presque un cas d’école : au-dessus de l’échelon communal, se superposent Communautés de communes, PETR, et PNR (fig. 4), trois organismes potentiellement candidats au portage d’un SCoT. Cela invite à s’interroger sur les définitions légales des périmètres de ces différentes structures. Cela sera également l’occasion de nous demander s’il existe une institution « naturelle » dont le périmètre serait le plus en phase avec le périmètre d’un SCoT, dans un cadre général, et dans le cas du Perche en particulier.

Figure 4 - Superposition des périmètres des communes, Communautés de communes, PETR et PNR sur le territoire du Perche

Image

Contrairement au PLU, la loi se révèle très peu prescriptive concernant l’institution devant porter un SCoT, ce qui a donné lieu à une grande diversité de structures porteuses : EPCI à fiscalité propre, Pays (pouvant eux-mêmes revêtir différentes formes juridiques : association, syndicat mixte, GIP), PETR, Pôles métropolitains, PNR, syndicats mixtes ad hoc. Au rang des contraintes, il faut préciser que les communes et les EPCI membres doivent avoir la compétence « SCoT », et que le SCoT doit respecter le périmètre des EPCI membres : il n’est pas possible de couper un EPCI en deux.

Des institutions dont la définition légale du périmètre est très proche : le périmètre, une notion maltraitée par le droit ?

Établir un SCoT à l’échelle d’un EPCI à fiscalité propre présente l’avantage d’une adoption facilitée et d’une cohérence naturelle avec les autres politiques d’aménagement intercommunales (Programme Local de l’Habitat, Plan de Déplacement Urbain…). Le législateur reste toutefois peu précis concernant la définition du périmètre des EPCI : hormis l’obligation d’un territoire « d’un seul tenant et sans enclave », il incite surtout à une logique de mutualisation des équipements et des services administratifs (via le nouveau seuil des 15 000 habitants pour les communautés de communes, notamment). La question de la cohérence géographique n’est abordée que sous la forme d’une allusion aux bassins de vie et aux aires urbaines, sans donner semble-t-il à ces notions de caractère impératif1.

Un SCoT porté par un PETR induit également une certaine cohérence, puisque la finalité de l’institution et celle du document sont très semblables, tout comme leurs études préalables (GRIDAUH, 2009). Pour son prédécesseur, le Pays, la loi prévoyait en 1995 un « territoire présentant une «  cohésion "géographique, économique, culturelle ou sociale, à l’échelle d’un bassin de vie ou d’emploi ». S’agissant du PETR, la loi a perdu toute référence à la géographie et ne contient plus qu’un seul impératif : que son territoire soit d’un seul tenant et sans enclave, et englobe au moins deux EPCI à fiscalité propre. À terme, se posera toutefois la question de la pérennité des PETR en général. Composés nécessairement de plusieurs EPCI, la raison d’être des PETR est pleinement justifiée dès lors que ces EPCI ne fusionnent pas. Mais si la loi relève à nouveau les seuils des intercommunalités, ou bien si, par logique territoriale, les EPCI membres choisissent de fusionner pour n’en faire plus qu’un, la raison d’être des PETR disparaît. Les PETR apparaissent dès lors comme des échelons « temporaires » destinés à aider les regroupements d’EPCI, et à céder leur place une fois leur mission accomplie.

Contrairement aux autres structures, le territoire d’un PNR n’a pas à être d’un seul tenant et sans enclave. Il regroupe des collectivités territoriales et leurs groupements (communes, EPCI, département, région…) sous la forme d’un syndicat mixte. En revanche, il doit s’appuyer sur un « territoire remarquable2, dont il est souhaitable de protéger la qualité paysagère et le patrimoine naturel, historique ou culturel ». Le portage de SCoT par des PNR est relativement courant, y compris par des PNR interdépartementaux ou interrégionaux (PNR du Haut-Jura, par exemple). Au sein du PNR du Perche, il existe de nombreuses enclaves, ce qui ne milite pas, en l’état actuel, en sa faveur pour porter à l’avenir un SCoT « élargi » à l’échelle du « Grand Perche » (Ornais et Eurélien), mais c’est à vrai dire le seul obstacle.

Un « bassin de vie » omniprésent

On constate que les définitions légales de ces différents périmètres sont souvent peu précises, probablement dans le but de laisser le maximum de marges de manœuvre aux acteurs locaux. Peut-être aussi parce que le droit actuel est issu d’un empilement de lois ayant chacune leur logique, ce qui empêche d’aboutir à une vision d’ensemble sur ce que doivent être les différents périmètres. On constate tout de même une référence fréquente au « bassin de vie » : SCoT, EPCI à fiscalité propre, Pays… tous, sauf le PETR. Ce qui est assez logique puisqu’un PETR doit englober au minimum 2 EPCI, chacun calqué lui même idéalement sur un bassin de vie. Dès lors, si on s’en tient à ce seul critère, le Pays étant caduc, l’institution dont le périmètre est le plus en phase avec le SCoT, d’un point de vue théorique, est l’EPCI à fiscalité propre, puisque lui aussi calé sur la notion de « bassin de vie ». Pour porter un SCoT à l’échelle du Perche dans son ensemble, s’ajoute à cette option celle du PNR, lequel présente l’avantage, d’un point de vue « marketing territorial », d’être déjà largement reconnu et identifiable.

Les périmètres de SCoT : incertitudes quant à leur finalité

Quel avenir pour les SCoT avec la généralisation des PLUI ?

On constate une confusion grandissante sur les finalités respectives des PLU et des SCoT. Ainsi, la loi de juillet 2010 portant Engagement National sur l’Environnement a-t-elle introduit la possibilité pour un PLU de comporter les dispositions propres à un SCoT et ainsi d’en avoir les effets juridiques. Ces « PLU valant SCoT » brouillent la distinction entre les deux documents d’urbanisme, et viennent mettre à mal la distinction traditionnelle entre un SCoT censé planifier à grande échelle et un PLU censé décliner les orientations à une échelle plus restreinte. Cette confusion est renforcée par deux réformes récentes : la généralisation des PLU intercommunaux à partir de mars 2017 (quand le PLUI atteint le périmètre du SCoT, qu’advient-il du SCoT ?) et le revirement de la loi portant « Nouvelle Organisation Territoriale de la République » (NOTRe) de 2015. Alors que la loi ALUR, en 2014, avait voulu maintenir la distinction entre les échelles du SCoT et du PLUI en imposant qu’un SCoT couvre au minimum deux EPCI à fiscalité propre (et donc deux PLUI), la loi NOTRe a supprimé cette obligation. Les PLU étant désormais portés par des EPCI, il est donc désormais possible d’avoir à terme un SCoT et un PLUI portés par un même EPCI, sur un même territoire.

La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si ce revirement témoigne d’un véritable changement de philosophie de la part du législateur sur la question des rôles respectifs des SCoT et PLUI, ou bien s’il s’agit d’une simple « pause » dans la marche forcée aux regroupements intercommunaux, pause destinée à apaiser les acteurs locaux.

Il est possible que le législateur relance, à terme, sa politique de regroupements intercommunaux, et ajuste le périmètre du SCoT en conséquence, dans le sens d’une augmentation des échelles.

Si à l’inverse, on admet que le législateur ne s’oppose pas à la coexistence pérenne d’un SCoT et d’un PLUI sur un même périmètre, la question qui se pose est : une telle coexistence est-elle pertinente, sur le plan de l’efficacité, et du point de vue géographique ? Si l’on se base uniquement sur les périmètres « légaux » des documents d’urbanisme et de leurs structures porteuses, l’association SCoT / EPCI à fiscalité propre n’apparaît pas illogique. En effet, tous deux partagent la même référence à la notion de « bassin de vie ». Au demeurant, il faut rappeler qu’un nombre important de SCoT sont aujourd’hui portés par des EPCI.

Les SCoT avaient une vocation de dépassement de la logique communale, et justifiaient pleinement leur existence par le fait que les PLU étaient cantonnés à la commune. Maintenant que les PLU ont vocation, dans un avenir proche, à être tous à l’échelle des intercommunalités, les SCoT perdent une partie de leur raison d’être. On pourrait ainsi imaginer, à terme, la fusion généralisée SCoT / PLUI en un document de planification unique, permettant une mutualisation des études préalables ainsi qu’une élaboration simplifiée.

Existe-t-il une limite à l’augmentation des échelles ?

Si les premières étapes de la décentralisation dans les années 1980 ont consisté à transférer un nombre important de compétences étatiques jusqu’au niveau le plus bas –le niveau communal–, on constate depuis la fin des années 1990, et notamment les lois « Chevènement » de 1999 et SRU de 2000, une forte tendance à faire remonter la plupart des compétences à l’échelle supra communale.

Dès lors, augmenter à terme (via une future loi ?) l’échelle des territoires couverts par les SCoT peut sembler conforme au « sens de l’histoire », du moins l’histoire récente, qui consiste en une augmentation continue des échelles d’agrégation des communes, des intercommunalités, et des documents de planification. Mais, une fois certains seuils de population atteints – dans le but légitime de constituer des entités ayant véritablement les moyens de fonctionner (CGET, 2014) – l’augmentation des échelles a-t-elle toujours un sens ? Une « juste échelle » est à trouver, mais dans un certain nombre de cas, ne l’aurait-on pas déjà atteinte ?

Conclusion

Le territoire comme préalable à un SCoT, ou bien le SCoT comme moyen de créer un territoire ?

Pour « former » un territoire, les expériences montrent que les portes d’entrée diffèrent. Certains territoires naissent d’une crise (crise économique, services publics qui partent…) obligeant les acteurs locaux à coopérer, d’autres commencent à prendre conscience d’eux-mêmes lors de l’élaboration d’un document commun (une charte, un document d’urbanisme). Certains territoires s’institutionnalisent et s’organisent parce que certains élus locaux ont pris l’habitude de travailler ensemble. D’autres territoires, enfin, naissent de la contrainte : communes invitées à se regrouper dans une intercommunalité par un préfet appliquant son droit de rattachement, EPCI qui fusionnent suite au relèvement des seuils à 15 000 habitants prévus par la loi NOTRe de 2015.

Cela invite à relativiser la quête du « bon périmètre » : les territoires sont tantôt des préalables, tantôt des produits d’une gouvernance et d’un document de planification.

En tout état de cause, au vu des incertitudes qui pèsent sur la définition du périmètre des SCoT, sur l’institution la plus adaptée pour les porter, et sur la finalité même des SCoT dans un contexte de « concurrence » avec les PLUI, on peut se demander si le rôle historique des SCoT ne consiste pas avant tout à « créer » –le cas échéant, ex nihilo– des territoires, et ainsi préparer le terrain pour des EPCI élargis.

1 La cohérence doit être appréciée « au regard notamment du périmètre des unités urbaines au sens de l’INSEE, des bassins de vie et des schémas de

2 Article L333-1 du Code de l’Environnement.

Bibliographie

CESER Pays de la Loire, CESER Centre-Val de Loire, CESER Basse-Normandie, 2015. Le Perche en route vers un grand projet de territoire - Plaidoyer pour une Conférence Territoriale de Développement Local, CESER Centre-Val de Loire, 90 p.

CGET, 2014. Rapport sur les EPCI - La taille des EPCI, un levier d’action pour la politique d’égalité des territoires, CGET, 13 p.

DI MÉO G., 1996. Les territoires du quotidien, Paris, L’Harmattan, Collection Géographie Sociale, 208 p.

DREAL Centre, 2013. Étude de diagnostic territorial systémique de la région Centre, Ministère de l’Écologie, du Développement Durable et de l’Énergie, 238 p.

Groupement de Recherche Sur les Institutions et le Droit de L’Aménagement, de L’Urbanisme et de L’Habitat (GRIDAUH), 2009. Évaluation juridique des premiers schémas de cohérence territoriale, Les cahiers du GRIDAUH, n° 19, Série Droit de l’urbanisme, 255 p.

Ministère de l’Égalité des Territoires et du Logement, 2014. Loi ALUR - SCoT : périmètre et gouvernance, 3 p.

PNR du Perche, 2003. Atlas des paysages du Parc naturel régional du Perche, Paris, 234 p. 

THÉPAULT F., 2016. L’élaboration d’un SCoT dans un contexte de recomposition territoriale – L’exemple du Perche d’Eure-et-Loir, Master 2 Villes et Territoires, IGARUN, Université de Nantes.

Notes

1 La cohérence doit être appréciée « au regard notamment du périmètre des unités urbaines au sens de l’INSEE, des bassins de vie et des schémas de cohérence territoriale » (Art. L5210-1-1 du Code Général des Collectivités Territoriales).

2 Article L333-1 du Code de l’Environnement.

Illustrations

Figure 1 - Localisation du SCoT du Perche d’Eure-et-Loir

Figure 1 - Localisation du SCoT du Perche d’Eure-et-Loir

Figure 2 - Les bassins de vie au sein du SCoT du Perche d’Eure-et-Loir

Figure 2 - Les bassins de vie au sein du SCoT du Perche d’Eure-et-Loir

Figure 3 - Les zones d’emploi au sein du SCoT du Perche d’Eure-et-Loir

Figure 3 - Les zones d’emploi au sein du SCoT du Perche d’Eure-et-Loir

Figure 4 - Superposition des périmètres des communes, Communautés de communes, PETR et PNR sur le territoire du Perche

Figure 4 - Superposition des périmètres des communes, Communautés de communes, PETR et PNR sur le territoire du Perche

Citer cet article

Référence électronique

Frédéric Thépault, « Un périmètre de SCoT peut-il être cohérent ? L’exemple du Perche d’Eure-et-Loir », Cahiers Nantais [En ligne], 1 | 2017, mis en ligne le 16 février 2021, consulté le 21 novembre 2024. URL : http://cahiers-nantais.fr/index.php?id=1018

Auteur

Frédéric Thépault

Géographe, diplômé du Master 2 « Villes et Territoires » 2015-2016, IGARUN, Université de Nantes

Droits d'auteur

© Copyright