Les activités de transformation de l’argile : un matériau pour une vulgarisation de la géomorphologie. L’exemple de la Vendée

Résumé

L’apparente monotonie du relief de la Vendée, hormis les collines qui s’élèvent à l’est du département, en rend difficile la divulgation. L’utilisation des argiles, qui a donné lieu à une singularité paysagère et culturelle remarquable, et qui perdure sous des formes industrielles et artisanales variées, est une clé permettant d’introduire à la géomorphologie.

Index

Mots-clés

argile, massif ancien, Vendée, vulgarisation de la géomorphologie

Plan

Texte

Introduction

L’argument de l’utilisation des ressources du sous-sol dans les contrées exemptes de relief spectaculaire comme le massif armoricain et ses bordures, auxquelles appartient le département de la Vendée, permet d’introduire à la géomorphologie locale et régionale. L’utilisation des argiles en représente un cas exemplaire, dans la mesure où les activités présentes – ou bien les activités passées, historiquement attestées ou signalées par la toponymie – en font usage pour la production de tuiles et de briques, voire de poterie et de faïence. Les gisements d’argile ainsi identifiés représentent autant de jalons permettant de retracer les étapes du façonnement d’un relief vendéen peu différencié et à première vue monotone, qu’ils témoignent de paléo-altérations associées à la réalisation de surfaces d’aplanissement, trait majeur du massif ancien ; ou de transgressions marines qui ont périodiquement et partiellement submergé ce dernier, en déposant des argiles sédimentaires sur ses bordures occidentale et méridionale. Ainsi, à partir de centres d’intérêt directement perceptibles par les habitants des lieux, comme par les visiteurs, que sont les sites de production industrielle ou artisanale, ainsi que les paysages culturels liés à l’emploi de la tuile et de la brique à la teinte rouge caractéristique, se dessinent les contours d’une démarche culturelle et didactique qui introduit à la géomorphologie.

Les argiles et les activités qui leur sont associées : un biais pour introduire à la géomorphologie de la Vendée

Les activités tirant parti de l’argile sont des éléments susceptibles d’attirer l’attention de divers publics sur le relief qui les environne. En premier lieu, parmi ces publics, nombreux sont ceux qui sont curieux de l’emploi des roches dans la construction traditionnelle – nous l’avions expérimenté à l’occasion d’une exposition sur ce thème dans le Haut-Bocage vendéen (Comentale, 2012) ; si l’argile n’est pas une pierre à bâtir, elle permet d’obtenir des matériaux de construction, et relève donc du même cadre. En second lieu, ces activités sont un biais pour faire prendre conscience du relief, surtout là où il est peu perceptible du fait de sa faible énergie, comme dans les contrées de massif ancien, ainsi les Mauges (Comentale, 2011), et la Vendée voisine. Les affleurements d’argile y sont autant de formations corrélatives de l’évolution du massif ancien, et permettent d’introduire à la géomorphologie régionale.

À cet égard, la Vendée tient une place singulière pour deux raisons. La première tient à ce que les activités de tuilerie, de briqueterie, de poterie, de faïencerie y sont encore représentées, alors qu’elles ont disparu ou sont mises à mal dans une grande partie de l’Ouest de la France. La seconde est que le massif vendéen s’est magistralement prêté à la démonstration des concepts « classiques » de la géomorphologie, relatifs à « l’usure » du relief, tels qu’énoncés au XXe siècle au cours de la phase de structuration de la discipline. Ainsi, le massif vendéen, terminaison méridionale du massif armoricain en direction des marges sédimentaires aquitaines, se présente comme le vaste plan du Bas-Bocage incliné vers l’ouest et le sud, développé en contre-bas du bombement du Haut-Bocage qui porte quelques-uns des points culminants du massif armoricain (Mont Mercure, 290 m, fig. 1). Dans ce cadre, hormis précisément ces collines de l’est du département, rien n’incite à retenir comme « relief » cette vaste table où, sur une distance de 80 km d’est en ouest, l’on passe de 100 m d’altitude au niveau de la mer, et où la seule différenciation topographique notable provient de la dissection ultérieure par un réseau hydrographique nettement hiérarchisé.

Dans sa thèse, M. Ters (1961) a démontré le caractère diachronique de l’aplanissement fondamental qui façonne le Bas-Bocage, réalisé sur le temps long de l’histoire post-hercynienne, et à plusieurs reprises au gré des transgressions marines qui, sur un socle usé et de faible altitude, ont aisément progressé vers l’intérieur, en remaniant les formations superficielles qui recouvraient celui-ci. Dans ce contexte, les affleurements d’argile sont de deux ordres. Ce sont d’une part les altérites du socle, formées de manière préférentielle sous conditions chaudes et humides (altération tropicale aux dépens des micaschistes, dont les feldspaths et les micas sont transformés en argiles, alors que la libération du quartz des granites produit des arènes, sableuses), lesquelles ont été réalisées à plusieurs reprises aux ères secondaire et tertiaire. Ces argiles d’altération ont été fréquemment enrichies de limons éoliens au cours du Quaternaire, et forment ce que les auteurs des cartes géologiques régionales qualifient de « formation complexe des plateaux », base de la matière première exploitée par la plupart des établissements industriels et artisanaux de l’intérieur des terres. Ce sont d’autre part des argiles sédimentaires d’origine marine, qui proviennent pour partie du remaniement par la mer des argiles d’altération précédentes, sur les bordures du socle, à l’ouest (argile crétacée du bassin de Challans) et au sud (argile liasique exploitée à Saint-Martin-des-Fontaines et, plus marginalement, argile à Scrobiculaires du « bri » flandrien dans le Marais poitevin qui fut exploitée pour la poterie, la tuilerie et la faïencerie, lieu-dit la Faïencerie au nord du territoire communal de l’Ile-d’Elle).

Selon l’auteur, la perfection de l’aplanissement fondamental s’explique par la répétition des transgressions marines, sur un socle qui leur est d’autant plus sensible que le relief est bas et plan, sans obstacle notable : au Lias, au cours du Jurassique – avec une sédimentation calcaire que l’on trouve loin vers le nord, conservée dans la dépression de Chantonnay –, au Cénomanien (Challans), à l’Éocène, au Miocène, au Pliocène. Lors de ces épisodes, l’action de la mer a été de déblayer (au moins partiellement) le socle de son manteau d’altérites, puis d’en retoucher la topographie d’aplanissement avant de la fossiliser sous des dépôts sédimentaires, jusqu’à un nouvel épisode de régression marine et d’altération continentale. Il en résulte une surface d’aplanissement par essence indatable, puisque mise en place par retouches successives.

C’est un élément de la « surface de l’Ouest de la France » (C. Klein, 1975), réalisée en régime acyclique, sur la longue durée géologique, dans des conditions d’équilibre entre le climat – qui conditionne les processus de l’ablation –, la stabilité tectonique régionale – garante de l’absence de déformation de la topographie d’aplanissement –, et la stabilité du niveau de la mer – qui contrôle les modalités d’encaissement du réseau hydrographique. La rupture de cet équilibre, dans l’espace (bombement du Haut-Bo-cage), ou dans le temps (passage à des climats permettant la concentration de l’écoulement et la constitution de réseaux hydrographiques, dans le courant du Tertiaire ; variations glacio-eustatiques quaternaires contrôlant l’encaissement des drains de ces réseaux), rend compte du paysage actuel de la Vendée.

De ce fait, recenser des activités de tuilerie, briqueterie, poterie, voire faïencerie comme à Nesmy, ou bien en noter la trace dans la toponymie (nombreux lieux-dits mentionnant tuileries et poteries), permet d’évoquer les étapes du façonnement de cette surface d’aplanissement, donc de présenter l’intérêt dont ces paysages plans, peu spectaculaires, difficiles à saisir à travers le maillage bocager, sont censés être privés au premier abord.

À la surface du Bas-Bocage jalonnée d’argiles répond le relief spectaculaire du Haut-Bocage

La régularité de la surface du Bas-Bocage renforce cette difficulté d’identifier des lignes directrices dans le paysage : des Herbiers, aux alentours de 100 m d’altitude, le plateau passe avec régularité vers l’ouest à 80 m, puis à 60 m (fig. 1), de sorte que l’ensemble de la Vendée littorale se trouve à moins de 60 m. Ce plan très faiblement incliné se développe au pied du Haut-Bocage et sa spectaculaire ligne de hauteurs avoisinant 300 m (hauteurs du Mont Mercure et de Pouzauges, mont des Alouettes, Puy-du-Fou, photo 1). Par son caractère de belvédère régional, le Haut-Bocage semble se suffire à lui-même en matière de vulgarisation de la géomorphologie : ici, point d’altérites argileuses, mais des arènes granitiques. On est ici dans un autre domaine, base d’une discussion devenue « classique » en géomorphologie, sur l’origine de l’étagement du relief, présentant trois compartiments : la surface culminante, d’altitude supérieure à 250 m, une surface « intermédiaire » aux alentours de 200 m, enfin une surface inférieure, qui domine le Bas-Bocage, aux alentours de 160 m.

Figure 1 – le contexte morphostructural de l’activité argilière en Vendée

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Photo 1 – la surface d’aplanissement, vue de Chauché, en direction de l’est.

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La surface d’aplanissement s’élève graduellement, ici à partir de 90 m à Chauché, puis à 100 m en direction de la forêt du Parc Soubise et des Herbiers où elle représente un plateau remarquablement régulier. Au-delà, elle est dominée par le Haut-Bocage, au-dessus de 200 m, dont on entraperçoit les hauteurs au tout dernier plan.

(cliché B. Comentale, septembre 2015)

À ce propos, F. Bétard (2002) rappelle le débat scientifique, qui plonge aux racines conceptuelles de la géomorphologie, concernant l’origine de cet étagement. Il fut à l’origine énoncé au sujet du relief du Limousin, mais il peut être transposé au Haut-Bocage. L’étagement serait ainsi de nature tectonique (activité tardive de la faille de Pouzauges rehaussant le compartiment tectonique supérieur), ou bien dû à l’érosion différentielle (excavation des schistes de la surface inférieure, permettant la mise en relief du granite de Pouzauges, plus résistant : Flageollet, 1977), ou encore à la succession de cycles d’érosion liés à la mobilité de ce secteur (emboîtement de plans d’érosion – intermédiaire et inférieur – en contrebas de la surface culminante, post-hercynienne, en réponse au bombement à grand rayon de courbure enregistré dans le secteur à la fin de l’ère tertiaire, considéré comme la conséquence du soulèvement des Pyrénées : Désiré-Marchand et Klein, 1988). L’auteur montre que chacun des arguments est recevable, et qu’aucun n’exclut l’autre : par exemple, le compartiment inférieur peut autant être considéré comme une morsure érosive dans un ensemble en cours de soulèvement (hypothèse polycycliste), que comme un compartiment excavé par érosion différentielle dans les schistes tendres, de manière incomplète puisque subsistent en relief des échines quartzitiques, par nature très résistantes à l’érosion, à Mouilleron-en-Pareds, Cheffois et la Châtaigneraie (180-190 m) (Bétard, op. cit., p. 90).

Un patrimoine culturel de l’argile largement répandu

Les témoignages de l’extraction et de l’utilisation des argiles en Vendée sont de trois ordres : une exploitation passée pour la production céramique, qui est aujourd’hui relayée par une mise en valeur à but touristique, comme à la faïencerie de Nesmy au sud de la Roche-sur-Yon ; une exploitation actuelle à l’échelle industrielle, d’ampleur locale ou régionale, comme à la tuilerie / briqueterie de Saint-Martin-des-Fontaines, dans l’extrême sud du département, entre Sainte-Hermine et Fontenay-le-Comte ; de nombreux toponymes La Poterie, La Tuilerie, dont certains sans rapport avec l’activité actuelle du lieu mais témoignant d’un passé parfois récent.

En outre, plusieurs cas transitionnels existent, qui témoignent de la relative mobilité des pratiques, dans un secteur économique soumis à des restructurations et des réorientations d’activité. À Nesmy, l’installation de la faïencerie dans les bâtiments d’une tuilerie en activité au XIXe siècle est un argument de continuité, de nature à donner aux touristes de passage le sentiment de la perpétuation d’une « tradition ». C’est en partie le cas : la propriétaire de l’établissement, que nous avons rencontrée (entretien du 4 décembre 2012), évoquait le métier d’un de ses grands-pères, qui s’approvisionnait en argile à la proximité immédiate du village (la Coutancinière, lieu-dit actuellement loti, repérable par sa forte densité d’étangs qui sont les anciennes argilières). Aujourd’hui, l’approvisionnement est effectué dans la commune voisine de Chaillé-sous-les-Ormeaux, auprès de la société Gillaizeau qui possède ses propres argilières, mais qui produit aussi des carreaux de terre, à visée esthétique, pour les intérieurs de maison. La faïencerie de Nesmy s’est spécialisée en direction d’une clientèle touristique : vente d’ustensiles de faïence d’usage courant (bols, assiettes, tasses, plats) et adaptés aux besoins contemporains (tolérant « le micro-onde et le lave-vaisselle »), sur place, « sur la route [des] plages » comme l’indique explicitement le site internet de l’entreprise. Par ailleurs, ce site internet livre des informations de nature diverse, relatives non seulement à la fabrication de la faïence et à l’historique de l’entreprise, mais aussi à l’argile utilisée, une altérite qui nappe l’interfluve entre l’Yon et son affluent de rive droite le Graon, situé entre 70 et 80 m d’altitude et désigné comme le « plateau pourri de Chaillé-sous-les-Ormeaux ». Y figurent également des précisions sur l’épaisseur du manteau argileux – « parfois 7 à 8 mètres » –, ainsi que la composition chimique, que nous reproduisons dans le tableau ci-dessous, analogue à celle que donne M. Ters (1961, p. 280) pour les « limons éoliens » des interfluves de la Vendée littorale (la Guimardière, massif d’Avrillé, 15 km au sud).

Tableau 1 – composition chimique des argiles de Nesmy et de la Guimardière

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Les éléments tels que magnésie (a), chaux (b), soude (c) potasse (d), mentionnés à Nesmy mais non quantifiés, constituent les fondants habituellement recherchés dans l’artisanat céramique. L’interfluve de Nesmy-Chaillé est cité par M. Ters (1961, p. 123-125) pour sa couverture de « sable et de galets, reposant sur des argiles grises (essentiellement kaoliniques) » (photo 2). Même s’il s’agit, selon l’auteur, d’un matériel marin remanié, pour lequel est envisagée une mise en place fluviatile, il serait à rattacher à une série de dépôts nettement marins qui, par leur altitude, témoigneraient d’une transgression marine – indatable faute de fossiles – en Vendée littorale. Cela illustre une nouvelle fois la nature de ce socle vendéen bas, aplani et sur lequel chaque nouvelle transgression racle et remanie les altérites produites au cours de la régression précédente. Les notices des cartes géologiques de Vendée littorale et des alentours (Challans, Machecoul) mentionnent fréquemment des situations où des dépôts marins recouvrent des altérites argileuses et, parfois, directement le socle micaschisteux réduit à l’état d’un gravier (altérites de type 1 à 2), la partie supérieure du profil d’altération ayant été décapée sous l’action des vagues au cours de la remontée du niveau marin.

Photo 2 – coupe dans les argiles, sur l’interfluve de Nesmy-Chaillé.

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À 80 m d’altitude, l’interfluve entre l’Yon, encaissé de 50 m, et son affluent le Graon est un élément de la surface d’aplanissement régionale, tapissé d’argiles d’altération auxquelles se mêle un gravillon roulé, quartzeux pour l’essentiel. C’est la matière première de l’activité argilière qui se poursuit dans les deux localités.

(cliché B. Comentale, septembre 2015)

D’Aizenay aux Essarts, les nombreux témoignages d’une activité de tuilerie / briqueterie

L’archétype en est fourni autour de la Merlatière, où exerce la société Lutton. Les interfluves sont en effet tapissés d’une formation argileuse que les cartes géologiques mentionnent comme « limons des plateaux », ou bien « formation complexe des plateaux », associant altérites (le plus souvent sur substrat micaschisteux) et limons éoliens, soufflés à partir de la plate-forme continen-tale exondée lors des périodes froides du Quater-naire, comme les « limons éoliens » analysés par M. Ters. Ainsi, la notice de la carte géologique La Roche-sur-Yon (Wyns et al., 1989) précise que la partie argileuse de la formation résulte d’une « altération des roches […] principalement climatique, [qui] s’est produite à chaque fois que celles-ci sont restées émergées pendant une période suffisamment longue au cours d’un épisode climatique tropical humide » (p. 56) – ambiance climatique également favorable à l’élaboration du « chapeau de fer » latéritique autrefois exploité à la Ferrière au nord-est de la Roche-sur-Yon. « Les roches du socle y sont intensément argilisées, la roche-mère n’est généralement pas identifiable avant plusieurs mètres de profondeur ; seuls y subsistent des blocs de quartz ou de quartzite ayant résisté à l’altération, dans une matrice argileuse contenant une proportion variable de quartz et de mica blanc. L’épaisseur de la tranche argilisée, sous la surface des plateaux, peut atteindre 5 à 10 mètres » (ibid., p. 57).

À la Merlatière, les exploitants de la société Lutton, que nous remercions pour leur bon accueil, nous ont fait part du caractère fluctuant de l’activité d’exploitation des argiles, soumise d’une part aux aléas d’un marché soumis à la concurrence étrangère, d’autre part à la difficulté d’exploiter ces altérites, d’épaisseur irrégulière, véritable « terre à cailloux » comportant, à la base, des fragments de micaschistes incomplètement altérés. Alors que la production de tuiles et de briques a été abandonnée à partir de la deuxième moitié du XXe siècle, l’activité argilière se poursuit actuellement sous une forme très spécifique, la production de pots à muguets alimentant le marché nantais, ce qui permet d’assurer un débouché constant ; pour cela, d’autres qualités d’argile, plus pures et moins caillouteuses que l’altérite des plateaux, sont importées – de Saint-Colomban au sud du lac de Grand-Lieu et, au-delà, de la région de Noron-la-Poterie dans le Calvados, important centre d’extraction à l’échelle française. Et encore, l’activité argilière ne se maintient-elle qu’au prix de l’exercice d’une activité principale distincte (recyclage de palettes en bois).

La figure 1 montre que ces affleurements argi-lolimoneux, d’épaisseur extrêmement variable, occupent les interfluves situés entre 70 et 100 m d’altitude en général, sur une surface qui recoupe indistinctement les formations granitiques et métamorphiques, elles-mêmes de nature et de résistance variées : gneiss, schistes et micaschistes notamment. Une briqueterie est encore en activité à Saint-Martin-des-Noyers (cf. lieu-dit les Fours), elle exploite une argilière au nord du bourg, implantée sur les altérites de gneiss feuilleté du complexe des Essarts (Wyns et al., 1989). Dans le prolongement nord du bassin de Chantonnay, entre Sainte-Cécile et Les Essarts, étaient exploitées les argiles sédimentaires de la base du Lias, homologues de celles qui sont utilisées à Saint-Martin-des-Fontaines plus au sud.

Enfin, nombre de massifs forestiers, dont la présence est notable dans une contrée bocagère, sont à l’origine implantés sur des terres difficiles à cultiver, froides et gorgées d’eau en hiver en raison de leur nature argileuse : forêt de Gralas (75 m), à la lisière de laquelle se trouvent deux toponymes Tuilerie, dont la tuilerie de la Parnière, au sud-est, encore en activité ; forêt du Parc de Soubise (100-110 m), comportant une formation à graviers présumée éocène, épaisse de 1 m et reposant sur le socle argilifié (Rolin et al., 2000) ; forêt de la Chaize (100-110 m), où les affleurements de kaolinite sont bien connus, mentionnés comme ayant servi à fabriquer un vase à l’établissement royal de Sèvres (Wyns et al., 1989). Dans le secteur de Belleville-sur-Vie, « il y eut plusieurs tuileries qui ont disparu depuis longtemps » (ibid., p. 74) (cf. le lieu-dit les Tuileries au sud-est du bourg) – ce que l’on peut généraliser à l’ensemble de la Vendée où, à l’instar d’autres régions de l’ouest de la France, la découverte d’une poche argileuse dans un champ était une manne pour des populations paysannes confrontées à un milieu de mise en valeur difficile, où la poterie alimentaire était d’usage systématique avant l’introduction du métal au cours du XIXe siècle, et où la brique palliait le manque de matériaux de construction cohérents sur un socle altéré, notamment en domaine schisteux et micaschisteux. L’exploitation était de durée limitée, en relation avec le caractère aléatoire du cubage et de la qualité de l’argile extraite.

À Aizenay, l’activité argilière est fonctionelle : tuilerie et site d’extraction étendu, à la Gombretière, au sud de la forêt qui, à 74 m, occupe encore une position culminante sur un interfluve plan, nappé d’argiles et de limons éoliens. L’activité potière y était également représentée jusqu’à la fin de la décennie 1970 (Pillet, 2007).

En bordure du socle vendéen, l’exploitation des argiles sédimentaires issues des transgressions

À l’ouest et au sud de la Vendée, l’étagement des trois occurrences d’argile révèle l’ampleur de quelques-unes des transgressions marines qui ont affecté la retombée du massif ancien : à 65 m pour la série nord-aquitaine du Jurassique (Lias), qui a pénétré bien plus au nord, mais dont les dépôts ont été érodés à l’exception de ceux du bassin de Chantonnay, secteur subsident dans lequel ils étaient protégés ; à moins de 10 m pour les affleurements argilo-sableux du bassin de Challans ; et le remblaiement flandrien du Marais poitevin, jusqu’à 2-3 m d’altitude, dont l’exploitation fut plus confidentielle, d’ailleurs mieux représentée dans la partie orientale et sud-orientale du marais, dans le département des Deux-Sèvres.

À Saint-Martin-des-Fontaines, une exploitation industrielle

La nature sédimentaire des argiles (sédimentation à la base du Lias, au sein d’une série jurassique à dominante marneuse et calcaire), qui permet une continuité en strates contrairement au mode de gisement par poches des argiles d’altération, autorise ici une exploitation industrielle. Il s’agit d’un ensemble épais de 3 m environ, dans lequel alternent des bancs calcaires et argileux, tels qu’ils sont décrits dans la carrière, actuellement abandonnée, située à 700 m au nord-est du village (Gabilly, Cariou et al., 2007). Au nord-ouest, à même distance du village, un important secteur est en exploitation au lieu-dit le Baiser. De nombreuses petites argilières abandonnées et ennoyées, une ancienne tuilerie qui est aujourd’hui une ferme, ainsi qu’une architecture caractéristique où domine le rouge de la tuile et de la brique, témoignent aussi d’une exploitation ancienne, sans mesure avec l’exploitation actuelle (photo 3). Celle-ci, qui produit briques et tuiles, est soumise à la nécessité d’investissements constants dans l’appareil de production dans un contexte de forte concurrence, ce qui entraîne un constant mouvement de concentration, analogue à celui que décrivait P. Daniou (1977) dans le sud de la Charente : anciennement Entreprise des Produits rouges de Vendée, la briqueterie locale fait partie du groupe choletais Bouyer-Leroux qui tend à racheter les briqueteries et tuileries des départements voisins.

Photo 3 – les environs de Saint-Martin-des-Fontaines.

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Du fait du recoupement, selon un faible angle, de la série sédimentaire nord-aquitaine elle-même à faible pendage vers le sud, la Vendée méridionale offre un secteur de transition entre la « plaine » calcaire de Fontenay et les derniers reliefs du massif armoricain (forêt de Mervent). Les collines, entaillées dans les termes marneux et argileux de la base de la série, s’élèvent à 65-70 m. Dans ce cadre vallonné et boisé, s’ouvrent les argilières, en eau lorsqu’elles sont abandonnées.

(au premier plan, cliché B. Comentale, septembre 2015)

La singularité de la production argilière passée à Challans

D’affleurement plus réduit sont les argiles du bassin de Challans-Commequiers, dues à la transgression cénomanienne. M. Ters les a particulièrement étudiées (notamment Ters, 1961 ; Ters et Viaud, 1983 ; Viaud et Ters, in Gabilly, Cariou et al., 2007, p. 130-136, pour la description des affleurements). À Challans, elles forment une banquette de faible altitude (6-8 m) qui constitue l’assise de la partie occidentale de la ville, en particulier au lieu-dit le Bois Soleil où elles furent exploitées ; au sud-est, elles affleurent dans le quartier de la Bloire, à la faveur de l’entaille d’un ruisseau qui se jette dans le marais. Elles constituent un précieux témoignage sur la paléo-topographie du socle : « la région de Challans a conservé (…) un paléo-relief incisé dans le socle avant le Cénomanien moyen. Une marge littorale large d’une trentaine de kilomètres s’est trouvée, à l’aube de la grande transgression cénomanienne, dans une zone de lagunes et de marécages saumâtres à très faible influence marine (…), aux eaux extrêmement calmes, qui remontaient le long des vallées ; pourvu d’une flore de type tropical humide, ce paysage évoque tout à fait celui qui caractérise l’Ilerdien en basse Loire, au début de l’Eocène : une vaste mangrove ramifiée occupant toutes les dépressions (cuvettes et vallées), sur plus de 50 km de largeur (de Noirmoutier à l’est du lac de Grand-Lieu) » (Ters et Viaud, 1983, p. 38).

Les argiles, très reconnaissables par leur aspect noir et feuilleté, atteignent 1 à 5 m d’épaisseur, et reposent tantôt sur le socle kaolinisé, témoignant de la transgression directe sur celui-ci, tantôt sur un horizon de sables et graviers quartzeux d’origine fluviatile, ce qui atteste d’un milieu littoral proche d’une embouchure. Outre leur mode de mise en place, elles diffèrent des argiles d’altération par leur composition minéralogique. Alors que les argiles d’altération sont à dominante de kaolinite et d’illite, les argiles noires de Challans sont riches en montmorillonite, minéral argileux à forte capacité de gonflement, qui témoigne d’un milieu de sédimentation confiné, tel qu’une lagune par exemple. Par ailleurs, la description précédente montre le caractère itératif des transgressions dans une ambiance tropicale, sur un littoral bas à mangrove : les dépôts associés à la transgression éocène survenue 50 millions d’années plus tard dans un contexte analogue sont, également, à dominante d’argile noire à flore caractéristique, et riche en matière organique.

Des argilières ennoyées et des bâtiments de briqueterie / tuilerie rappellent que ces argiles étaient récemment exploitées. Nous ne pouvons préciser les circonstances de l’abandon de cette activité : certes, il est probable que des conditions purement commerciales, liées à la concurrence et aux transformations rapides de la fin du XIXe et au début du XXe siècle – notamment en rapport avec la modernisation des équipements permettant de produire en quantité supérieure –, ont joué dans cet abandon. Toutefois nous émettons l’hypothèse que cette argile était peut-être de moindre qualité céramique que la kaolinite et l’illite, plus plastiques. Rencontrant des affleurements d’argile d’accès plus facile que pour les altérites des plateaux d’épaisseur irrégulière, les usagers du secteur en ont tiré partie, mais il est possible que, de par son pouvoir gonflant en présence d’eau, la montmorillonite offre à l’inverse une forte capacité de retrait lors de la cuisson, nuisant à la qualité de la production. L’état de l’avancement de nos propres travaux ne nous permet cependant pas de certifier cette hypothèse.

Conclusion : l’argument de l’exploitation des argiles, réflexion pour une vulgarisation de la géomorphologie vendéenne

De cette brève description, plusieurs thèmes de vulgarisation se dégagent, qui pourraient être retenus pour des actions pédagogiques à destination de publics variés, amenés à visiter des sites de production le cas échéant ou conviés à des sorties de découverte en plein air :

  • l’aplanissement, ce qui au-delà de la géologie – de popularisation plus précoce – montre précisément la régularité de la topographie quelle que soit la nature et la résistance des roches qu’il recoupe ;
  • ensuite la planéité et la faible altitude du socle, qui lui ont permis d’enregistrer diverses transgressions, dont témoignent certains gisements d’argile. On peut, de manière tangible, en présenter au moins trois : celle du Cénomanien (argiles de Challans), celle du Jurassique (argiles liasiques de la base de la série, dans le bassin de Chantonnay comme à Saint-Martin-des-Fontaines), celle du Quaternaire récent (Flandrien : remblaiement argilo-sableux du Marais poitevin) ;
  • enfin les vicissitudes paléo-climatiques et eustatiques enregistrées sur le temps long de cette évolution, expliquant à la fois les altérations et les indurations continentales (silicification, latéritisation) et, surtout, l’incision récente (fini-tertiaire et quaternaire en général) du réseau hydrographique, qui est le seul élément de variété topographique dans le Bas-Bocage. La régularité des interfluves contraste avec l’encaissement des cours d’eau, de plusieurs dizaines de mètres (40 m pour l’Yon à Nesmy, par exemple).

On touche ici à une double approche patrimoniale : celle du patrimoine géomorphologique, que l’on pourra illustrer à partir de points hauts, rares il est vrai (par exemple, belvédères du Haut-Bocage, interfluve de Nesmy, massif de Mervent, « île » du Gué-de-Velluire dans la partie orientale du Marais poitevin) ; celle d’un patrimoine scientifique à remettre en exergue, celui des grandes heures de la géomorphologie armoricaine tout au long du XXe siècle. On peut y adjoindre des considérations régionales, au sens large, concernant la mise en place de certains gisements d’argile : ainsi, G. Godard et al. (1994) ont réexaminé l’existence d’un fleuve qui s’écoulait du Berry à la Vendée à l’Eocène inférieur (Yprésien), ce qui remet en lumière la question du « sidérolithique » sous-vendéen qu’avait abordée C. Klein (1975), à mettre en parallèle avec les conditions de mise en place du « sidérolithique » sud-charentais (Daniou, 1981), à partir d’écoulements en provenance du Limousin en direction de la cuvette subsidente bordelaise. De ce fait, il s’agit d’un inépuisable sujet sur les reliefs, souvent peu spectaculaires et délicats à décrypter mais riches d’enseignements, situés aux confins des massifs anciens de l’Ouest de la France et de leurs bordures.

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Illustrations

Figure 1 – le contexte morphostructural de l’activité argilière en Vendée

Figure 1 – le contexte morphostructural de l’activité argilière en Vendée

Photo 1 – la surface d’aplanissement, vue de Chauché, en direction de l’est.

Photo 1 – la surface d’aplanissement, vue de Chauché, en direction de l’est.

La surface d’aplanissement s’élève graduellement, ici à partir de 90 m à Chauché, puis à 100 m en direction de la forêt du Parc Soubise et des Herbiers où elle représente un plateau remarquablement régulier. Au-delà, elle est dominée par le Haut-Bocage, au-dessus de 200 m, dont on entraperçoit les hauteurs au tout dernier plan.

(cliché B. Comentale, septembre 2015)

Tableau 1 – composition chimique des argiles de Nesmy et de la Guimardière

Tableau 1 – composition chimique des argiles de Nesmy et de la Guimardière

Photo 2 – coupe dans les argiles, sur l’interfluve de Nesmy-Chaillé.

Photo 2 – coupe dans les argiles, sur l’interfluve de Nesmy-Chaillé.

À 80 m d’altitude, l’interfluve entre l’Yon, encaissé de 50 m, et son affluent le Graon est un élément de la surface d’aplanissement régionale, tapissé d’argiles d’altération auxquelles se mêle un gravillon roulé, quartzeux pour l’essentiel. C’est la matière première de l’activité argilière qui se poursuit dans les deux localités.

(cliché B. Comentale, septembre 2015)

Photo 3 – les environs de Saint-Martin-des-Fontaines.

Photo 3 – les environs de Saint-Martin-des-Fontaines.

Du fait du recoupement, selon un faible angle, de la série sédimentaire nord-aquitaine elle-même à faible pendage vers le sud, la Vendée méridionale offre un secteur de transition entre la « plaine » calcaire de Fontenay et les derniers reliefs du massif armoricain (forêt de Mervent). Les collines, entaillées dans les termes marneux et argileux de la base de la série, s’élèvent à 65-70 m. Dans ce cadre vallonné et boisé, s’ouvrent les argilières, en eau lorsqu’elles sont abandonnées.

(au premier plan, cliché B. Comentale, septembre 2015)

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Référence électronique

Bruno COMENTALE, « Les activités de transformation de l’argile : un matériau pour une vulgarisation de la géomorphologie. L’exemple de la Vendée », Cahiers Nantais [En ligne], 2 | 2015, mis en ligne le 16 janvier 2023, consulté le 28 mars 2024. URL : http://cahiers-nantais.fr/index.php?id=1358

Auteur

Bruno COMENTALE

Géographe, Université de Nantes, LETG-Nantes Géolittomer UMR 6554

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