Comment représenter la diversité des fonds de vallées des cours d’eau du bassin de la Maine ?

Résumé

Les cours d’eau du bassin de la Maine présentent des lits fluviaux peu dynamiques en rapport avec leur pente longitudinale faible. Comme ailleurs dans l’ouest de la France ils ont été aménagés en vue de l’exploitation de leur ressource en eau, en sédiments et en énergie. Ces aménagements sont remis en cause depuis la fin du XXe siècle afin de favoriser la restauration des écosystèmes aquatiques plus ou moins profondément altérés. Un des moyens envisagés est l’arasement des barrages et seuils qui barrent les lits mineurs. Les travaux entamés sur les cours d’eau du bassin de la Maine ont pour objectifs de déterminer des types de fonds de vallées identifiés par des modes communs de fonctionnement. Ils pourront servir de point d’appui pour la mise en œuvre ultérieure d’une gestion contemporaine adaptée aux conditions naturelles, mais également à la demande des riverains.

Index

Mots-clés

fond de vallée, lit fluvial, seuil, barrage, usage et aménagement des cours d’eau, renaturation

Plan

Texte

Introduction

Comme la plupart des cours d’eau de plaines et de plateaux, les rivières de l’ouest de la France ont été largement utilisées comme axe de transport, source d’énergie et exploitées comme ressources en eau et en sédiments. Ces fonctions économiques ont été assumées au prix d’aménagements de lits parfois importants et irréversibles.

Actuellement, les préoccupations par rapport à la qualité de l’eau et des milieux aquatiques, ainsi que la lutte contre les inondations et la production d’énergie hydraulique conduisent à reconsidérer les fonctions des rivières. Les choix récents d’aménagement (prescriptions législatives nationales et directive européenne de 2000), concernant en particulier les continuités écologiques et sédimentaires dans les lits fluviaux, amènent de nombreuses interrogations sur le fonctionnement des rivières aménagées et les modalités de leur ajustement à des « désaménagements » envisagés dans certains cas.

Des recherches entamées sur les cours d’eau du bassin de la Maine, portent sur la mise au point de méthodes destinées à prendre la mesure de la diversité des lits fluviaux déterminée par des commandes naturelles et anthropiques. L’objectif de l’analyse est de définir à partir d’indicateurs simples, des types de fonds de vallée plus ou mois vulnérables à toutes modifications des conditions hydrogéomorphologiques agissant sur l’écoulement de l’eau et le transfert des sédiments. La réflexion s’inscrit en prolongement de travaux antérieurs menés en particulier sur les cours d’eau normands (Germaine, 2009) ou sur les affluents de rive gauche de la Loire aval (Barraud, 2004 et 2007).

Les travaux effectués jusqu’à présent et présentés dans cet article, se rapportent à deux niveaux scalaires :

  • celui de l’ensemble du bassin de la Maine à l’intérieur duquel ont été déterminés des types de fonds de vallées à partir du traitement statistique de données. Ils fournissent une première évaluation de leur diversité ;
  • celui de deux tronçons appartenant à la vallée de la Sarthe afin de montrer quels éléments participent à cette diversité à grande échelle et quels indicateurs, significatifs du fonctionnement des lits fluviaux, peuvent en être retenus.

Les résultats obtenus permettent de proposer une première évaluation des méthodes mises en œuvre. Il faudra vérifier ultérieurement si tous les tronçons d’un même type présentent des fonctionnements comparables. Par ailleurs ils serviront aussi à sélectionner les secteurs de cours d’eau intéressants pour une étude plus approfondie selon des indicateurs plus complexes qui tiennent compte en particulier de la demande des gestionnaires et des riverains.

1. Quelques caractéristiques du bassin de la Maine

Le bassin de la Maine compte tenu de son étendue (22 020 km2) et de sa situation à cheval sur les assises sédimentaires de l’ouest du bassin parisien et les contreforts du massif armoricain, comprend toutes les variantes des systèmes fluviaux qui caractérisent les plaines et plateaux de l’Ouest de la France (fig. 1).

Figure 1 – Caractéristiques géologiques du bassin versant de la Maine

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Les morphologies y sont tantôt monotones comme les vastes plateaux calcaires ou crayeux plus ou moins densément disséqués, tantôt plus contrastées dès que l’on arrive sur le socle ancien. Dans ces reliefs, les rivières ont dégagé des vallées à pente longitudinale faible, au maximum profondes d’une centaine de mètres et larges de 2 500 m. Le tracé des cours d’eau présente tous les types à l’exception des tresses. Il a souvent été modifié par les interventions anthropiques qui l’ont rectifié ou dédoublé. Ces rivières écoulent une eau modérément abondante en cohérence avec le climat océanique dont la douceur peut céder localement et sporadiquement la place à des situations excessives, séquences pluvieuses anormalement longues ou violents orages. Les précipitations moyennes sont comprises entre 650 et 750 mm par an et les débits des rivières varient entre 4 et 7 l/s/km2 ; en situation de crue, ils peuvent dépasser 100 l/s/km2 (crue de fréquence 1/10è) (fig. 1 et tab. 1).

Tableau 1 – Débits des principaux cours d’eau du bassin versant de la Maine (Banque Hydro)

Cours d’eau Station hydro Module m3/s Superficie km2 Qs l/s/km2 Débit de crue l/s/km
(F 1/10
e)
Loir Durtal 32,20 7 920 4,10 38
Sarthe Saint-Denis d’Anjou 47,00 380 6,40 69
Mayenne Chambellay 39,00 4 160 9,40 137
Oudon [18] Segré 8,98 1 310 6,85 145
Maine Angers 132,00 22 020 6,00 64

Cette eau permet des usages variés qui se sont modifiés au cours du temps. Ils ont entraîné de nombreux aménagements fréquemment conservés le long des rivières, digues, barrages et seuils, dérivations pour l’alimentation d’ouvrages hydrauliques, aménagements liés à la navigation. Ces aménagements sont distribués irrégulièrement selon la caractéristique des lits fluviaux et les besoins.

2. Les types de vallées

À l’échelle de l’ensemble du bassin versant de la Maine, les types de vallées ont été déterminés à partir de données extraites automatiquement du MNT à 50 m (IGN) et des cartes topographiques au 1/25 000e (IGN). Les caractéristiques sélectionnées se réfèrent uniquement à la forme des vallées et de leur fond. L’occupation du sol et les aménagements hydrauliques ne sont pas pris en compte.

La démarche

Le traitement des données est effectué d’après la méthode élaborée par M. A Germaine (2009) à propos de vallées de Basse Normandie. Il comprend trois grandes étapes :

  • Repérage des vallées (versants et fonds) par requête automatique sous ARCGIS, permettant de tester les variations d’altitude et leur sens entre deux cellules voisines du MNT (indice de position topographique, IPT) (Jenness 2005). Un rayon de 2 500 m a été retenu pour prendre en considération les parties les plus grandes des vallées (Weiss 2001).
  • Sélection des fonds de vallées et découpage en tronçons à partir de la variation de leur largeur et de leur pente longitudinale (Brierley et al., 2006). Les têtes de bassins parcourues par des ruisseaux d’ordre 1 ne sont pas prises en compte. Les vallées du bassin de la Maine ont ainsi été découpées en 425 tronçons dont la longueur varie entre 10 et 16 km.
  • Classement des tronçons par types à partir d’une analyse statistique (ACP et CAH) de 5 critères principaux définis pour chacun des tronçons : altitude moyenne du tronçon, largeur moyenne, pente hydrographique, indice de sinuosité et indice d’encaissement (traduit par la pente moyenne des versants).

Les résultats

Comme en Basse Normandie, le traitement des données a permis de définir dans un premier temps trois catégories principales : les gorges (type A) les basses vallées (type F) et une importante catégorie intermédiaire (types B, C, E) comprenant 85 % des tronçons.

Un second traitement est centré sur les tronçons appartenant aux fonds intermédiaires. Sur les 7 types ainsi obtenus, 6 sont définis selon la pente et la largeur moyenne. Le 7e type contient les tronçons particulièrement sinueux. Le tableau 2 présente les caractéristiques de l’ensemble des types de fonds de vallées, agrégés en séries, obtenus à l’issue des traitements :

  • La série A (A1 à A3) désigne des fonds, de largeur inférieure à 600 m, encadrés par des versants raides (pente supérieure à 6°) ;
  • La série B (B1, B2) désigne des fonds larges de plus de 600 m, encadrés par des versants modérément pentus ;
  • La série C (C1 à C3) dont l’effectif est le plus élevé, comprend des fonds larges de 600 à 2 000 m, encadrés par des versants peu inclinés (2,4 à 4°) ;
  • La série D (D1, D2) regroupe les fonds peu marqués dans le paysage ;
  • La série E comprend les fonds encaissés et particulièrement sinueux ;
  • La série F désigne les basses vallées.

Tableau 2 – Les types de tronçons

Type Nom de classe Largeur du fond de vallée en m Inclinaison des versants Effectif
A1 Fond gorge inférieure à 300 m Sup. 8° à 11,5 3
A2 Fond étroit très encaissé inférieure à 300 m 6 à 8 ° 12
A3 Fond large encaissé 300 à 600 m 6° à 8° 50
B1 Fond encaissé (étroit) 600 à 900 m 4,1° à 5,98° 64
B2 Fond encaissé (fond large) supérieure à 900 m 4,1° à 5,98° 21
C1 Fond étroit inférieure à 600 m 2,43° à 3,96° 40
C2 Fond large supérieure à 2 000 m 2,43° à 3,96° 98
C3 Fond large moyen entre 600 et 2 000 m 2,43° à 3,96° 84
D1 Vallon évasé des têtes de bassins 1,6° à 3,4° 20
D2 Vallon évasé faiblement marqué 1,2° à 2,2° 25
E Vallée à méandres encaissés 4
F Basse vallée supérieure à 2 000 m 0,93° à 2,68° 4

Distribution spatiale des tronçons

De l’amont vers l’aval des cours d’eau, plusieurs facteurs influencent la distribution des tronçons appartenant aux différents types :

  • l’inadaptation des rivières principales qui se dirigent vers le sud en recoupant quasi perpendiculairement les grandes directions de la structure (pendage vers l’est des couches sédimentaires du bassin de Paris, direction ouest-nord-ouest/est-sud-est des déformations tectoniques qui affectent le socle ancien) (Schulé 1984, Klein 1973) ;
  • l’ajustement de la forme des vallées aux caractéristiques du substratum qui se révèlent au fur et à mesure de l’enfoncement des cours d’eau (fig. 1) : la résistance des roches à l’érosion agit sur la raideur des versants des vallées et la largeur de leur fond ; la Mayenne est « encastrée » dans les matériaux du socle armoricain, la Sarthe qui longe pratiquement le contact entre le bassin de Paris et le massif ancien s’écoule dans une vallée alternativement resserrée ou plus évasée,
  • les réorganisations hydrographiques dont la plus importante est celle de la Sarthe au Sud du Mans : capture par la Sarthe aval, de la Sarthe amont et de l’Huisne (Larue, Etienne, 1997).

Ainsi, l’atténuation de la dépendance du substratum encaissant au fur et à mesure de l’augmentation de la capacité des rivières à façonner des morphologies fluviales est-elle peu apparente de l’amont vers l’aval des vallées. Les fonds peuvent prendre diverses allures ; la plupart correspondent aux variantes mises en évidence dans les séries B et C des types précédents. Une analyse plus détaillée des tronçons de la Sarthe permet de confirmer ces caractéristiques.

Les tronçons de la Sarthe

La méthode précédente a permis de découper la Sarthe en 11 tronçons appartenant à 6 types. 8 des 11 tronçons sont dans la série C, fond large encadré par des versants faiblement pentus, assez caractéristique des vallées dans la traversée des couches sédimentaires modérément résistantes du Jurassique et du Crétacé, mais aussi des roches les plus tendres du socle armoricain (Briovérien).

Pour vérifier la pertinence de ce découpage, les limites des tronçons ont été reportées sur le profil en long de la vallée, obtenu à partir des points kilométriques (PK) et de l’altitude des 82 ouvrages hydrauliques qui jalonnent la rivière (données ONEMA). Elles sont globalement en cohérence avec les ruptures de pente de ce profil ; la plupart des tronçons ont des pentes inférieures à 0,5 ‰. Les autres tronçons se situent respectivement à l’extrême amont de la vallée (B2), dans les Alpes mancelles où le socle armoricain est traversé en gorge (A1) selon une pente de 25 ‰ et à l’aval qui correspond aux basses vallées angevines (F) où la pente est quasi nulle.

Figure 2 – Les types de tronçons des cours d’eau du bassin de la Maine

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Figure 3 – Profil longitudinal de la Sarthe

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Ces résultats, obtenus à partir du traitement de données relatives à l’ensemble des cours d’eau qui drainent les 22 000 km2 du bassin versant de la Maine, fournissent d’abord un descriptif de la forme des vallées et de leur diversité, à l’échelle régionale. Pour ce niveau scalaire, nous pouvons les considérer comme valides compte tenu des correspondances satisfaisantes obtenues pour la Sarthe avec d’autres données, provenant de relevés de terrain.

Mais il s’agit également de vérifier à plus grande échelle quels autres identifiants peuvent être déterminés afin de faire le lien entre la description des tronçons de vallées obtenue par la typologie et le fonctionnement hydrogéomorphologique des milieux correspondants.

3. Analyse de deux tronçons de la Sarthe

Ces deux tronçons de Sarthe fournissent des exemples de configurations de fonds de vallées à grande échelle, résultats des conditions naturelles et des aménagements. L’analyse de ces tronçons doit permettre de déterminer les indicateurs qui peuvent révéler ces conditions. Mais dans un premier temps, ne sont recherchés que ceux qui peuvent traduire leur fonctionnement hydrogéomorphologique.

Ces tronçons sont situés respectivement à l’amont du Mans, entre Fresnay sur Sarthe et Neuville sur Sarthe (série C de la typologie), et en amont d’Angers, entre Morannes et la confluence du Loir (série F). Ils ont été cartographiés à partir de relevés de terrain et de l’interprétation de photographies aériennes : représentation des morphologies fluviales principales du lit mineur (tracé actuel et état des berges), et du lit majeur (tracés de lits hérités qui redeviennent actifs en période de débordement), localisation des aménagements majeurs, protection des berges et ouvrages hydrauliques.

Caractéristiques des lits fluviaux de la Sarthe à l’amont du Mans

À l’amont du Mans, la Sarthe est une rivière non domaniale qui a parcouru un bassin versant d’une superficie d’un peu moins de 3 000 km2 (2 716 km2 à la station de Neuville sur Sarthe au Nord du Mans) et son module atteint 22 m3/s (8 l/s/km2). Elle occupe une vallée sinueuse qui appartient aux types C2 et C3. Le lit mineur décrit de petites sinuosités alternant avec des secteurs à tracé rectiligne, souvent plaqués contre l’un des versants de la vallée, et « accidenté » par de courtes anastomoses (présence d’un ou de plusieurs îlots végétalisés, larges de 10 à 50 m). Les berges du lit mineur sont généralement basses (inférieures à 1 m) et ne comprennent que de discrètes marques d’érosion, signes d’une morphogenèse ténue ; rares secteurs sapés ou façonnés en encoches entre les arbres de la ripisylve qui assure une bonne protection contre l’érosion. La pente du lit est de 0,5 ‰.

Le lit majeur y est assez étroit puisqu’une grande partie du fond de vallée est occupée par des basses terrasses fluviatiles (altitude relative comprise entre 1 et 5 m, correspondant approximativement aux alluvions Fy notées sur la carte géologique de Fresnay-sur-Sarthe), raccordées ou non aux pieds des versants de la vallée par des glacis. Le lit majeur est parcouru par un réseau de drains souvent denses, naturels (raccords à la Sarthe d’affluents ; Orthon, Longuève et Orne) et artificiels, fréquemment parallèles au lit de la rivière. Il comprend également les marques d’anciens lits au tracé très sinueux, certains présentent des rayons de courbure trop petits pour avoir contenu tout le débit de la Sarthe ; il s’agirait plutôt d’anciens petits bras secondaires abandonnés, vestiges d’un tracé en anastomoses.

Ce tronçon amont de la Sarthe (dont la figure 4 représente à titre d’exemple, la partie aval), présente un paysage rural encore assez traditionnel avec le maintien d’une activité agricole notoire. Les terrains labourés occupent généralement les basses terrasses, mais les parcelles plantées de maïs s’étendent souvent jusque dans le lit majeur (irrigation par pompage de l’eau dans la Sarthe). Ailleurs, ce lit majeur est occupé par des secteurs toujours en herbe. Aux abords du Mans, il est envahi par les constructions, usines, espaces commerciaux et habitations. Le lit mineur de la Sarthe est fractionné en une succession de biefs par les seuils d’anciens moulins. De l’aval immédiat de Fresnay-sur-Sarthe jusqu’à l’entrée du Mans, soit sur une distance de 65 km, on compte 17 seuils (4 déterminent une chute d’eau de plus de deux mètres de haut et 7 de moins de 1 m). Ils dérivent l’eau vers un ou plusieurs bras secondaires exploitant souvent le tracé à petites anastomoses. Ces barrages et seuils créent des remous (ralentissement de la vitesse de l’eau) sur plusieurs kilomètres. Ils sont suffisamment rapprochés et les pentes longitudinales suffisamment faibles pour que l’écoulement de l’eau et les transferts de sédiments soient profondément artificialisés. À l’amont de Beaumont-sur-Sarthe, la vitesse de l’eau est accélérée sur 100 à 500 m à l’aval de la chute des seuils avant d’être ralentie par le remous du barrage suivant. En aval de Beaumont-sur-Sarthe, les conditions naturelles sont complètement masquées et les modifications de l’écoulement concernent l’ensemble des biefs situés entre deux barrages : la Sarthe est « pleine », les berges sont basses (quelques décimètres), l’écoulement est lent, l’eau profonde (2 à 3 m) et opaque. Ces caractéristiques ont d’ailleurs été relevées sur la plus part des rivières aménagées de l’ouest de la France (Barraud, 2007 et 2009).

Figure 4 – Les lits de la Sarthe dans le secteur de Saint Jamme au Nord du Mans

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(S. Lambert, 2007)

Les caractéristiques de la Sarthe aval (aval de Morannes)

Par rapport à l’amont, le débit de la Sarthe a doublé en raison principalement des apports de l’Huisne qui rejoint la Sarthe au Mans. À la station hydrométrique de Saint Denis d’Anjou, le module est de 47 m3/s pour une superficie de bassin versant de 7 380 km2. Dans cette partie aval, la rivière a façonné un large couloir dominé par des versants fuyants établis tantôt dans les matériaux du Briovérien tantôt dans les sédiments du Secondaire modérément résistants (type F de la classification précédente).

Elle y décrit d’amples méandres. Le tracé se dédouble à plusieurs reprises autour d’îlots végétalisés plus étendus que ceux de l’amont (tracés en anastomoses). Les plus grands sont à Morannes, Brissarthe ou encore Juvardeil et Tiercé.

Par ailleurs, se raccordent au lit mineur plusieurs types de chenaux (boires, petits canaux de drainage et d’irrigation) qui parcourent le lit majeur. Celui-ci est rempli d’alluvions (Girard, 2006), dont l’épaisseur augmente de l’amont (6,50 m) vers l’aval (8 à 10 m). Il est dominé par les bas niveaux fluviatiles et des glacis latéraux qui font le raccord aux versants. Des formes similaires ont été décrites sur le Loir (Larue, 1990 et 1999). Établies selon une inclinaison du fond de vallée plus marquée que l’actuelle, elles disparaissent sur la Sarthe à partir de Juvardeil sous le remplissage alluvial actuel ; le fond de la vallée devient alors une vaste étendue plane qui identifie les basses vallées angevines. Sur la figure 5, seules les configurations générales du fond de vallée ont été représentées, basses terrasses et lits fluviaux. L’état des berges du lit mineur, toujours basses et peu érodées, n’a pas été figuré.

Figure 5 - Les morphologies fluviales de la Sarthe aval (unités fonctionnelles et héritages)

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(A. Belloche 2007)

L’occupation du sol est en cohérence avec l’organisation des unités géomorphologiques. Secteur surtout rural, la basse vallée de la Sarthe est consacrée aux cultures (les labours occupent les bas niveaux fluviatiles) et à l’élevage qui exploite les vastes prairies humides des bas-fonds régulièrement inondés lors des crues.

Dans cette partie aval, où l’altitude s’abaisse de 3 à 4 m sur une distance de 38 km de rivière (pente de 0,09 ‰), trois barrages règlent les niveaux d’eau pour la navigation. Ils contribuent au maintien de berges basses taillées en biseau le long du chenal de navigation.

De nombreux enjeux se rapportent à cette partie de la vallée, classée en zone humide d’intérêt international en lien avec la spécificité naturelle du milieu et la proximité de la ville d’Angers. Des travaux récents (Montembault, 2002 ; BCEOM, 2006 ; Girard, 2006) fournissent de nombreux éclairages sur les caractéristiques de cet espace. Ils permettront de compléter ultérieurement les indicateurs de fonctionnement du milieu que nous cherchons justement à identifier.

Discussion sur les indicateurs du fonctionnement des lits fluviaux

Ces deux secteurs de Sarthe rappellent finalement que les fonds de vallées doivent leurs configurations autant aux conditions naturelles qu’aux aménagements. Par ailleurs, les conditions naturelles, peu contraignantes, ont toujours admis des modifications d’origine anthropique importantes. Ainsi les morphologies fluviales peuvent-elles être considérées comme significatives du fonctionnement des fonds de vallées dans leur globalité et fournir des indicateurs éloquents, capables de rendre compte de l’état du milieu. Ceux-ci pourront servir ultérieurement à mettre en œuvre une nouvelle gestion des lits fluviaux afin d’assurer les continuités écologiques et sédimentaires prescrites par la loi ou d’expliquer les raisons du maintien des ouvrages hydrauliques anciens. Quatre indicateurs principaux sont ainsi retenus :

  • l’allure du fond des vallées, où l’espace est réparti entre différentes unités géomorphologiques (basses terrasses, anciens lits…). Ceci influence tant l’étendue des champs d’inondation et les temps de résidence et de ressuyage de l’eau que les caractéristiques de l’occupation du sol et les aménagements associés ; la platitude du lit majeur de la Sarthe en aval de Juvardeil a favorisé le creusement de nombreux drains et a écarté toute installation permanente malgré l’étendue de l’espace disponible ;
  • la pente longitudinale qui est très faible dans les secteurs traités (le plus souvent inférieure à 1 ‰) favorise une morphogenèse fluviale lente à l’exception des crises déterminées par les plus fortes crues. Dans le cas de la Sarthe, les matériaux solides transportés par la rivière sont peu abondants et de texture fine ; une partie est piégée par les seuils et barrages. En attestent les rares curages du chenal navigué sur la Sarthe aval et les fortes épaisseurs de limons finement sableux qui affleurent dans les berges du lit mineur ;
  • le tracé des cours d’eau qui est autant significatif des conditions naturelles – faible activité du transport sédimentaire à l’origine de nombreux îlots créant un tracé en anastomoses (Schulé, 1984) – que des aménagements qui concernent de nombreux secteurs. Des rectifications permettent le passage des voies de communication ou l’alimentation des ouvrages hydrauliques. Que ce soit à l’amont ou à l’aval du Mans, les bras multiples du tracé anastomosé constituent des sites favorables pour l’installation de seuils et servent de chenal de dérivation vers les moulins. Les boires pourraient en constituer une variante ;
  • la hauteur des berges qui est souvent faible en raison du relèvement artificiel des niveaux d’eau, niveaux piézométriques et limnimétriques, par les ouvrages hydrauliques (Malavoi, 2003).

Ces indicateurs contiennent tant les conditions naturelles que les influences anthropiques ; ils désignent une érosion fluviale faible et une bonne robustesse des lits fluviaux aux interventions anthropiques. En revanche, la vulnérabilité aux crues est forte puisque ces mêmes conditions sont favorables aux débordements fréquents et de longue durée (Hydratec/EPL, 2007).

Ces indicateurs sont plus ou moins faciles à déterminer. Morphologie du fond de vallées, pente, tracé peuvent être déterminés à partir de documents divers (cartes, photographies aériennes) et les hauteurs de berges sont évaluées à partir du terrain ou extraites d’études antérieures. On peut donc envisager de les rassembler pour chacun des tronçons de la typologie et de les soumettre à de nouveaux traitements afin de compléter la définition des types déjà déterminés (Jacquemot et al., 2006).

Conclusion

La méthode du découpage en tronçons et la détermination de types de fonds de vallées élaborés pour les cours d’eau normands (Germaine, 2007) sont bien reproductibles et transposables aux vallées du bassin de la Maine. Celles-ci présentent des allures modérément contrastées.

Cependant pour que ces résultats puissent servir à appréhender le fonctionnement des lits fluviaux et leurs ajustements à des modifications nouvelles, destinées à la restauration de conditions plus naturelles de l’écoulement et du transfert de la charge solide, nous avons sélectionné à partir de l’exemple de deux tronçons de Sarthe, quatre indicateurs capables de traduire ce fonctionnement.

L’étape suivante de nos travaux sera de vérifier si après le traitement de ces indicateurs, tous les tronçons appartenant à un même type présentent bien des fonctionnements similaires. Les larges intervalles de pente et de largeur qui définissent chacun des types actuels laissent de la place pour des découpages internes selon des conditions générales de fonctionnement et des variantes. Par ailleurs, il est envisagé de prendre également en compte le calibre des cours d’eau par l’intermédiaire de leur débit, l’occupation du sol dans les fonds de vallées traduction de leurs fonctions actuelles et la densité des seuils. Ainsi, devrait-on être capable de repérer les types de fonds de vallées où les sensibilités à l’arasement des barrages et des seuils sont les plus grandes.

Cependant, le rétablissement des continuités écologiques ne sera possible que si on évalue, en plus de la capacité du milieu à s’ajuster à de nouvelles modifications, celles des riverains et usagers des vallées à trouver de l’intérêt à ces modifications.

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Illustrations

Figure 1 – Caractéristiques géologiques du bassin versant de la Maine

Figure 1 – Caractéristiques géologiques du bassin versant de la Maine

Figure 2 – Les types de tronçons des cours d’eau du bassin de la Maine

Figure 2 – Les types de tronçons des cours d’eau du bassin de la Maine

Figure 3 – Profil longitudinal de la Sarthe

Figure 3 – Profil longitudinal de la Sarthe

Figure 4 – Les lits de la Sarthe dans le secteur de Saint Jamme au Nord du Mans

Figure 4 – Les lits de la Sarthe dans le secteur de Saint Jamme au Nord du Mans

(S. Lambert, 2007)

Figure 5 - Les morphologies fluviales de la Sarthe aval (unités fonctionnelles et héritages)

Figure 5 - Les morphologies fluviales de la Sarthe aval (unités fonctionnelles et héritages)

(A. Belloche 2007)

Citer cet article

Référence électronique

Jeannine Corbonnois et Ziad Alhaskeer, « Comment représenter la diversité des fonds de vallées des cours d’eau du bassin de la Maine ? », Cahiers Nantais [En ligne], 1-2 | 2010, mis en ligne le 21 janvier 2021, consulté le 19 avril 2024. URL : http://cahiers-nantais.fr/index.php?id=540

Auteurs

Jeannine Corbonnois

Géographe, UMR CNRS ESO, Université du Maine

Ziad Alhaskeer

Géographe, UMR CNRS ESO, Université du Maine

Droits d'auteur

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