Introduction
Suite à son audience du 10 mars 2009, le Tribunal administratif de Nantes a décidé l’annulation du plan local d’urbanisme (PLU) centre1 de la communauté d’agglomération Angers-Loire-Métropole, qui avait été adopté le 11 mai 2006. Saisi par la Sauvegarde de l’Anjou, association membre de France nature environnement, le tribunal a considéré qu’il y avait eu « erreur manifeste d’appréciation » concernant la protection du « patrimoine paysager ». Le tribunal souligne ainsi une contradiction flagrante avec l’identité « paysagère » revendiquée par une ville qui « (affirme) son statut de capitale écologique de l’Ouest » (p. 6).
Par ailleurs, le jugement retient trois autres graves insuffisances, concernant le traitement réglementaire du « patrimoine paysager », l’insuffisante « prise en compte du patrimoine urbain de qualité » et les carences de l’évaluation environnementale et patrimoniale2 de l’emprise réservée pour le contournement sud de l’agglomération.
Il faut insister sur le caractère exceptionnel de cette annulation : dans cette taille de ville, seules Le Havre et Brest ont connu pareille sanction. Mais alors que dans les deux cas cités l’annulation portait sur des questions de forme, nous avons affaire ici à une annulation « au fond », ce qui est extrêmement rare en matière d’urbanisme.
Cette annulation au fond concerne le « patrimoine paysager », mais comme l’indiquent les conclusions du magistrat rapporteur, nous sommes passés très près de « l’erreur manifeste d’appréciation » à propos également du patrimoine bâti3. C’est à notre connaissance la première fois qu’un PLU est ainsi totalement annulé, sur des motifs explicitement patrimoniaux.
Cet évènement juridique est l’occasion de revenir sur la place attribuée au patrimoine dans cette nouvelle génération de documents d’urbanisme que sont les PLU, à travers un exemple extrême et donc très instructif, celui d’Angers. Même si le jugement insiste sur le patrimoine végétal, nous mettrons l’accent sur le traitement du patrimoine architectural dans le contexte angevin, en prolongeant nos réflexions antérieures sur le sujet (Veschambre, 2002 et 2006 ; Garat, Gravari-Barbas et Veschambre, 2008).
Nous reviendrons tout d’abord sur ce qu’est un plan local d’urbanisme et sur la manière dont le patrimoine peut y être abordé. Puis nous essaierons d’interpréter le refus angevin de se saisir des possibilités nouvelles offertes par le PLU en matière de protection du patrimoine. Ce qui sera l’occasion de questionner plus largement la manière dont peuvent s’articuler préservation d’un patrimoine d’intérêt local et renouvellement urbain.
1. Le PLU et l’évolution de la place du patrimoine dans le code de l’urbanisme
Du POS au PLU
Un an après l’adoption de la loi dite solidarité et renouvellement urbains (SRU) du 13 décembre 2000, le Conseil de Communauté d’Angers Agglomération a décidé de transformer son plan d’occupation des Sols (POS) en plan local d’urbanisme. Si le calendrier est conforme à ce que l’on peut observer dans des villes de taille comparable, la démarche communautaire apparaît originale4. Prévoyant quatre PLU distincts mais solidaires pour couvrir le territoire de la communauté d’agglomération, Angers-Loire-Métropole s’est d’abord attaqué au PLU Centre, couvrant les communes d’Angers, Avrillé, Saint-Barthélemy d’Anjou et Trélazé. À cette échelle, il s’agit également de mettre en conformité les documents d’urbanisme avec les documents supracommunaux que sont le schéma de cohérence territoriale (SCOT), le plan de déplacement urbain (PDU), et le programme local de l’habitat (PLH).
Conformément à l’article R123-1 du code de l’Urbanisme, le dossier du PLU est constitué de cinq documents.
Tout d’abord, le rapport de présentation, qui expose le diagnostic, analyse l’état initial de l’environnement et évalue les incidences des orientations du plan sur l’environnement. Puis le projet d’aménagement et de développement durable (PADD) définit les orientations d’urbanisme et d’aménagement en vue de favoriser le renouvellement urbain et de préserver la qualité architecturale et l’environnement. C’est sur ces deux documents fondamentaux qu’a porté l’annulation du tribunal administratif de Nantes.
Ces orientations sont ensuite exprimées à travers le règlement, qui fixe les règles applicables à l’intérieur de chacune des zones définies et les documents graphiques, qui délimitent les zones et les prescriptions applicables à chaque unité foncière. On trouve enfin des annexes avec des documents prévus par le Code de l'urbanisme.
Le patrimoine non protégé dans le PLU
En confiant aux collectivités territoriales, à travers la loi SRU, la maîtrise de leurs documents d’urbanisme, notamment de leur PLU, le législateur a introduit une petite révolution en matière de patrimoine : même s’il ne leur a pas donné une liberté totale dans ce domaine (Iognat-Prat, 2009)5, l’État n’apparaît plus en position exclusive pour dire ce qui vaut patrimoine et le protéger.
Le législateur incite les communes à prendre en compte les préoccupations environnementales et patrimoniales, en leur rappelant que, dans le premier article du Code de l’urbanisme, « Le territoire français est le patrimoine commun de la nation ». Plus précisément, l’article L-123 1 7e permet
d’identifier et localiser les éléments de paysage et délimiter les quartiers, îlots, immeubles, espaces publics, monuments, sites et secteurs à protéger, à mettre en valeur ou à requalifier pour des motifs d’ordre culturel, historique ou écologique et définir, le cas échéant, les prescriptions de nature à assurer leur protection
Introduit par la loi du 8 janvier 1993, dite loi Paysage, cet article permet de désigner, voire de protéger des éléments reconnus comme patrimoine végétal ou bâti, y compris des éléments qui étaient originellement non soumis à permis de démolir (murs de clôture, éléments constructifs, jambages de portail…). Pour ce faire, les éléments identifiés doivent être définis très clairement et localisés sur les documents graphiques et ce choix doit être justifié dans le rapport de présentation. Des données réglementaires doivent être inscrites dans l’article 11 (« aspect extérieur des constructions et aménagement de leurs abords ») pour ce qui concerne le patrimoine architectural6. Il ressort que cet article L-123 1 7e du Code de l’urbanisme « constitue aujourd’hui le principal dispositif par lequel les PLU assurent la protection du patrimoine » (Planchet, 2009, p. 189).
Certaines collectivités, dans l’Est notamment (Haut-Rhin) ayant révisé leur plan d’occupation des sols (POS) après 1993 s’étaient déjà saisies de cette possibilité nouvelle : c’est ainsi qu’à Reims, le rapport de présentation du POS, daté de 1998, comporte une rubrique « POS et patrimoine » qui se réfère explicitement à cet article afin de pouvoir « identifier les éléments de paysage naturels ou architecturaux qui ne font pas l’objet de protection au titre des législations 1913 et 1930 » (POS de Reims, p. 147). Mais c’est dans le cadre de la révision de leur ancien POS, pour passer au PLU, que l’intérêt de cet article est véritablement apparu pour de nombreuses collectivités.
Conformément à l’affirmation de son intérêt pour le patrimoine local, la communauté d’agglomération d’Angers, porteuse du PLU communautaire, s’est elle-même emparée de cet article.
2. PLU angevin : une réduction des espaces protégés et un refus de s’engager dans un niveau de protection local
Un décalage sanctionné entre déclaration d’intention et réglementation en matière de patrimoine
Le plan d’aménagement et de développement durable (PADD) annonce une « protection hiérarchisée et adaptée » du patrimoine paysager et architectural. Dans ces deux registres, le décalage apparaît flagrant entre les intentions affichées et la réglementation adoptée.
Est sanctionné en premier lieu le « choix de ne pas conserver un classement en espace boisé classé7 pour des sites qui concourent de manière substantielle à la richesse du patrimoine paysager de l’agglomération », alors même que le PADD affirme que « l’espace naturel est “un élément constructif de l’aménagement, de l’image et de l’identité de l’agglomération” » (Jugement du tribunal administratif, p. 6). En effet, la superficie des zones bénéficiant de la protection maximale en matière de végétation est passée de 411 à 265 hectares entre le POS et le PLU. Certains espaces angevins emblématiques, le Jardin du Mail ou la Place de la Rochefoucault8, d’ailleurs cités dans le jugement, avaient été ainsi reclassés en zones constructibles. Le Tribunal administratif a considéré qu’en l’occurrence, l’identification au titre de l’article L 123-1-7e représentait une régression.
La référence au patrimoine bâti local dans le PADD est également ambitieuse puisqu’est reconnue non seulement la valeur du « secteur historique d’Angers », mais aussi celle de « l’architecture vernaculaire plus diffuse sur le territoire ». Cet affichage est conforme au discours tenu sur le développement durable : dans l’agenda 21 de la ville d’Angers, on peut lire que le « patrimoine local » constitue une « richesse », un « atout touristique » et un « repère identitaire »9. Le rapport de présentation annonce la prise en considération de ce patrimoine d’intérêt local. À travers tout d’abord la mise en place d’un indice spécifique (p), « qui souligne un effort particulier de protection » : quand on consulte les documents graphiques, les zones indicées s’avèrent extrêmement rares et très ponctuelles, correspondant à des sites déjà protégés. À travers ensuite l’identification d’ensembles qui « correspondent à des éléments du patrimoine bâti de qualité à préserver »10, en référence à l’article L 123 1.7e : sont ainsi délimités six « quartiers identifiés ». Mais cette identification, comme le souligne le jugement, ne repose sur aucun « critère d’ordre historique et architectural ». Dans la version soumise à l’enquête publique, ces quartiers n’étaient d’ailleurs que trois, traduisant un intérêt manifeste (quoique non systématique) pour la strate urbaine des années 1930, d’ailleurs peu représentative du tissu urbain angevin. Ont été ajoutés et mis sur le même plan un quartier d’Avrillé, qui semble là pour éviter que ne soient identifiés que des espaces angevins, et deux quartiers d’Angers très disparates du point de vue de leur taille et de leur valeur patrimoniale (photo 1)11, mais qui constituent la base territoriale de deux des associations qui ont le plus contesté le PLU. Ces « quartiers » ont donc été identifiés de manière complètement arbitraire, voire opportuniste. Qui plus est la délimitation de certains d’entre eux (les soit disant « quartiers » Bon Repos et de la Béjonnière notamment) ne correspond à aucune analyse du tissu urbain.
Ce qui fait dire au Tribunal administratif que « s’agissant de la prise en compte du patrimoine urbain de qualité, le rapport de présentation ne saurait être regardé comme satisfaisant aux dispositions (du Code de l’urbanisme) » (p. 5).
Ce constat avait d’ailleurs été fait par les services spécialisés de l’État lors de la procédure d’élaboration. Le préfet de Maine-et-Loire avait ainsi souligné que la ville d’Angers aurait pu s’appuyer sur l’outil particulièrement riche que constitue l’Atlas patrimonial, réalisé par le Service municipal de l’inventaire général du patrimoine12. À partir de ce repérage systématique (pour la commune d’Angers), élaboré selon des critères d’évaluation scientifiques (sur le plan architectural, historique et urbanistique), il aurait été possible d’identifier de manière rationnelle les édifices et ensembles urbains les plus significatifs, comme cela a été fait pour les PLU de Paris, Rennes, Rouen ou Grenoble, pour ne citer que quelques exemples. Avec ce service de l’inventaire, dont elle s’est dotée il y a une trentaine d’années, la commune possède pourtant un outil remarquable de connaissance de ce patrimoine local non protégé, qui a déjà donné lieu à de nombreuses publications (Biguet et Letellier, 1988, 1998 et 2009) et dont les dossiers sont pour partie consultables en ligne. L’Atlas du patrimoine, qui est en ligne sur le site de la Ville, repère ainsi environ 850 éléments architecturaux, rien que pour les quartiers situés en dehors du centre-ville intra-muros. L’inventaire exhaustif du centre-ville a été également réalisé et sera prochainement disponible.
La réponse fournie par la collectivité à l’avis du préfet traduit une méconnaissance à la fois de ce travail d’inventaire (confondu avec la protection des monuments historiques) et de l’esprit de l’article L.123-1-7e du code de l’urbanisme pourtant invoqué : « Tout ce qui devait être identifié au titre du patrimoine historique et archéologique a été identifié. Les autres éléments relevés dans l’atlas ont un intérêt ponctuel mais ne demandent pas traduction au niveau du PLU ». La seule modification proposée sur les documents graphiques en matière de patrimoine local, suite aux remarques des services de l’État, consiste en un « report du patrimoine identifié » sur le Plateau des Capucins, dernier vaste espace urbanisable de la commune. Tout aussi discutable que le choix des quartiers identifiés, le choix de ces six édifices apparaît tout à fait conjoncturel. Et surtout, cette identification de dernière minute n’a fait que rendre plus criante l’absence d’un tel travail d’identification sur le reste du territoire communal et dans les trois autres communes du PLU centre.
Que ce soit dans le registre du patrimoine végétal ou dans celui du patrimoine architectural, force est de constater que les intentions affichées dans le PADD et le rapport de présentation ne sont pas suivies d’effets. Comme le souligne N. Wolff, cette décision d’annulation est « une illustration éloquente du contrôle de la cohérence qui doit exister entre une disposition du PLU et les orientations du PADD » (Wolff, 2009, p. 1907).
Une tradition de refus des zonages de protection
L’indigence du PLU en matière de patrimoine bâti ne fait que prolonger des conceptions urbanistiques en vigueur depuis au moins un demi-siècle, quelle que soit la couleur politique des équipes municipales angevines (Veschambre, 2002). Ces choix sont clairement résumés par l’absence de tout zonage de protection du patrimoine. C’est ainsi que la commune d’Angers n’a pas voulu le secteur sauvegardé qui lui était proposé pour la Doutre dans les années 1960 (Veschambre, 2005) et n’a pas souhaité créer de zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP), depuis leur mise en place dans le cadre des lois de décentralisation.
Les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP)
L’État peut confier la responsabilité du patrimoine non protégé aux collectivités territoriales, soit dans le cadre de leurs documents d’urbanisme, notamment le PLU comme nous venons de le voir, soit dans le cadre des ZPPAUP. En créant dans la loi de décentralisation du 7 janvier 1983 les zones de protection du patrimoine architectural et urbain, le législateur s’est inspiré du régime des secteurs sauvegardés (loi Malraux) mais a mis en œuvre un dispositif de protection patrimoniale plus souple et respectueux des initiatives locales. Les ZPPAUP bénéficient de l’aide de l’État (qui participe à leur élaboration) et de la plupart des avantages accordés aux secteurs sauvegardés (notamment dispositions fiscales au bénéfice des propriétaires). L’intérêt de cette formule explique son succès : environ 500 ZPPAUP ont été créées depuis 1983 (Iogna-Prat, 2009).
Même s’il y a eu une étude en 2008, comme le conseillaient les commissaires enquêteurs qui ont examiné le projet de PLU, le maire d’Angers exprime toujours son refus d’un tel dispositif. Pendant ce temps, des ZPPAUP sont mises en place ou en cours d’élaboration dans certaines communes de l’agglomération (Béhuard, Bouchemaine, Savennières). Par ailleurs, les deux sous-préfectures du département (Cholet et Saumur) possèdent également leur ZPPAUP.
Ce refus dans la durée de tout zonage de protection qui vienne s’ajouter aux sites protégés et périmètres de monuments historiques, apparaît exceptionnel lorsqu’on situe Angers par rapport aux principales villes-centres d’aires urbaines françaises (tab. 1).
Tableau 1 – Présence ou absence de secteurs sauvegardés et de ZPPAUP (2008) dans les communes centres des 25 premières aires urbaines françaises.
Si l’on tient compte du fait que Douai-Lens est une conurbation issue de la révolution industrielle (XIXe) et que Caen a été détruite à plus de 80 % en 1944, Angers apparaît comme la seule ville française importante, comportant toutes les strates urbaines, du Bas-Empire jusqu’à nos jours, ne comportant aucun zonage de protection.
Conclusion
L’annulation du PLU centre d’Angers est donc révélatrice d’un décalage évident entre déclarations d’intentions et réglementation en matière de patrimoine paysager et architectural. Ce décalage peut s’interpréter comme une contradiction entre la volonté des élus d’être dans l’air du temps, du point de vue de la référence au développement durable et au patrimoine13 et par ailleurs leur hantise de s’imposer des contraintes réglementaires : comme le soulignent les auteurs du rapport justificatif d’une ZPPAUP à Angers, « la volonté de ne pas compromettre le renouvellement urbain par la mise en place d’un outil trop contraignant est au cœur des préoccupations des élus » (p. 5). C’est cette dernière intention qui l’a emporté et l’on peut même interpréter le PLU qui a été annulé comme une entreprise systématique de recherche de friches mutables et d’espaces verts constructibles : d’où la disparition de nombreuses zones boisées classées et l’absence de réelle prise en compte du patrimoine architectural d’intérêt local.
Derrière ce décalage entre déclarations d’intention et réglementation, on peut discerner une contradiction qui mérite d’être explicitée et débattue, que la situation angevine exprime de manière exacerbée. La recherche d’espaces constructibles est légitimée par la volonté de densification, dans le contexte de forte périurbanisation qui caractérise bon nombre de villes de l’Ouest. Mais dans le même temps, l’absence de prise en compte d’un patrimoine d’intérêt local se traduit par des démolitions qui apparaissent contraires aux principes de durabilité, qui supposent la continuité des héritages représentatifs de la société urbaine dans son ensemble et des mémoires qui y sont associées. L’absence de reconnaissance des héritages industriels (photo 2) et miniers à travers le PLU en est une bonne illustration.
Ce que le tribunal administratif a sanctionné, c’est en quelque sorte l’absence de politique patrimoniale. Ce n’est qu’en mettant en débat ce à quoi les populations veulent s’identifier que l’on pourra clarifier une telle politique. L’élaboration du PLU peut alors devenir un exercice démocratique, visant à la synthèse entre renouvellement urbain et transmission des héritages architecturaux et paysagers.