Gérer la fréquentation humaine, protéger le patrimoine naturel : étude de cas sur les marais salants de Guérande

Résumé

Cet article propose de montrer le lien qui peut exister entre la fréquentation touristique et la protection du patrimoine naturel. Pour cela, deux entrées ont été choisies : d’une part l’analyse des pratiques spatiales et des représentations qu’ont les touristes visitant les marais salants guérandais (ouest de la France) et d’autre part le discours qu’ont les acteurs en charge du patrimoine quant au rôle que celui-ci peut jouer, à la fois en termes d’accueil supplémentaire de touristes mais aussi comme garant d’une meilleure prise en compte de sa protection. L’objectif de ce travail est de comprendre la manière dont s’organise la gestion de la fréquentation humaine, de tester les impacts de la mise en place d’une labellisation sur les ressources du territoire, qu’elles soient naturelles, économiques ou sociales, par la mise en place d’une démarche d’évaluation des intérêts et des limites d’une labellisation.

Index

Mots-clés

marais salants de Guérande, patrimoine, tourisme, labellisation patrimoniale, pratiques socio-spatiales, projet de territoire.

Plan

Texte

Les marais salants de Guérande sont situés dans l’ouest de la France, entre la Loire et la Vilaine (fig. 1). Ils désignent le bassin salicole de la presqu’île guérandaise et sont composés de deux entités naturelles : le marais de Guérande et le marais du Mès. Le marais salant de Guérande se situe au nord de la commune de La Baule et a une superficie d’environ 22 718 hectares ; celui du Mès est localisé au nord de la commune de Mesquer et sa superficie est évaluée à 600 hectares. Pour des raisons pratiques, dans cet article1, l’appellation « marais salants de Guérande » comprendra ces deux ensembles naturels. Sur le plan méthodologique, une sélection de dix communes a été réalisée pour mener ce travail : Assérac, Batz-sur-Mer, Guérande, La Baule-Escoublac, La Turballe, Le Croisic, Le Pouliguen, Mesquer-Quimiac, Piriac-sur-Mer et Saint-Molf, réparties en deux sous-ensembles (fig. 1).

Figure 1 - Territoire d’étude

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L’ensemble du territoire d’étude est intégré à la communauté de communes de Cap Atlantique. Plusieurs facteurs expliquent son attractivité, sa position littorale et la richesse de son patrimoine naturel et culturel étant les principaux, induisant une offre d’hébergement touristique conséquente. La diversité de ses paysages et de ses milieux naturels explique la patrimonialisation dont a fait l’objet une partie de ce territoire depuis une trentaine d’années (Allain et Fattal, 2007) et les divers zonages de protection existants (fig. 2) l’attestent. Ce processus s’est appuyé à la fois sur la dimension naturelle de cet espace mais aussi sur des aspects culturels, la production salicole en étant le cœur (Buron, 2000). Il a contribué à accentuer sa mise en tourisme, exposant le milieu naturel à une augmentation de la fréquentation humaine et questionnant certains acteurs sur l’intérêt d’une labellisation Grand Site de France pour mieux gérer ce phénomène, voire d’une inscription au patrimoine mondial de l’Unesco.

Figure 2 - La patrimonialisation des marais salants de Guérande à travers les zonages de protection

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Il est donc intéressant de mener une analyse sur l’utilité d’une reconnaissance patrimoniale supplémentaire et d’en déterminer ses impacts. Cette première étape a été réalisée à partir de références bibliographiques et d’entretiens avec des acteurs de territoires patrimonialisés et reconnus comme des sites emblématiques du littoral métropolitain. La deuxième étape de ce travail a consisté à analyser l’impact du tourisme sur la conservation des différentes formes de patrimoine naturel à travers les pratiques socio-spatiales des usagers. La troisième étape pose la question des évolutions qu’une reconnaissance patrimoniale supplémentaire pourrait engendrer dans les pratiques touristiques.

Du patrimoine au tourisme : dynamiques et projets de territoire

Ressources et protection, la patrimonialisation des marais salants

L’identification des ressources susceptibles de constituer le patrimoine d’un territoire est un préalable indispensable pour mener un projet de territoire intégré. Le patrimoine désigne

« les héritages matériels ou immatériels reconnus par les sociétés, afin d’être transmis aux générations futures » (Veschambre, 2007).

C’est un élément particulier, caractéristique et contribuant à rendre un site unique. Il est soit d’origine culturel, en rapport avec l’histoire, constituant un témoignage, participant à la mémoire collective ; il peut aussi être d’origine naturelle, formant par exemple un paysage « exceptionnel et unique » .

Les marais salants de Guérande regroupent un ensemble d’éléments supports du patrimoine : un système naturel complexe, doté d’une richesse écologique importante (300 oiseaux observés sur les 900 présents en Europe, de nombreux amphibiens, reptiles et mammifères), illustré par les inventaires ZNIEFF et ZICO (Chadenas, 2005) ; des paysages originaux, mis en place dès le Moyen-Âge par l’homme pour y produire du sel. Les marais s’inscrivent dans une démarche de patrimonialisation qui a débuté assez tardivement par rapport à d’autres sites, en témoignent la date de mise en place des principales mesures de protection : le site Ramsar (1995) ou le site Natura 2000. Le classement du marais au titre de la loi de 1930 en 1996 est un élément quelque peu différent, quoique complémentaire, puisque c’est notamment la valeur paysagère du marais qui a ainsi été protégée (fig. 2).

Ces périmètres, ajoutés aux démarches de labellisation du sel, ont contribué à « fabriquer » les marais salants sur le plan patrimonial et questionne quant à la mise en place d’un nouveau périmètre, non seulement sur son utilité mais aussi sur son impact. La reconnaissance (type label Unesco ou Opération Grand Site) constitue un projet de territoire, ancré localement. C’est un projet fédérateur, son élaboration repose sur une démarche participative et sur la mobilisation de différents types d’acteurs qui n’ont pas les mêmes attentes, intérêts et pouvoirs de décision. Faire entrer cet espace dans une démarche de labellisation supplémentaire est-il indispensable ? L’espace s’y prête t-il ? En quoi consisterait cette reconnaissance patrimoniale supplémentaire et qu’implique t-elle en termes de projet de territoire ? Le patrimoine ne serait-il pas vu comme un moyen de doper l’économie touristique du territoire et le périmètre supplémentaire un outil pour y parvenir ?

Tourisme et patrimoine, un lien étroit

Selon Cap Atlantique, une dynamique territoriale a été initiée

« à travers une marque territoriale nommée Bretagne-plein-Sud La Baule Presqu’île de Guérande. L’appellation Guérande renvoie à l’image du sel et à l’image des marais salants dans leur ensemble, c’est surtout par le biais du sel qu’on assure la promotion du territoire » .

Le sel est donc l’activité phare des marais, c’est lui qui attire, il est bien perçu comme un moyen de « créer » un patrimoine naturel riche et unique

« c’est notre principal point fort dans la promotion du territoire, vraiment, sur l’aspect sel donc sur l’ensemble des marais salants de Guérande ».

C’est cet élément qui a permis d’actionner la mise en tourisme du marais salant. Des infrastructures touristiques ont pu voir le jour,

« aujourd’hui, il y a trois structures qui permettent de visiter le marais, elles fournissent des consignes également aux visiteurs à la vue de cet espace sensible. Il y a une problématique de respecter l’activité agricole des paludiers, on est vraiment sur une problématique de cohabitation des usages, à la fois des usages professionnels, des usages touristiques et des usages des habitants ».

Cette nécessaire approche intégrée est l’un des enjeux forts du lieu,

« c’est sans doute un des enjeux de notre territoire et pour les années à venir, de pouvoir préserver cet environnement sensible, notre principale carte postale et notre élément d’attractivité pour le tourisme » (entretien Cap Atlantique).

Pour cela, les acteurs ont un rôle primordial à jouer,

« il y a des liens contractuels puisqu’il y a des conventions qui sont passées, il y a des liens financiers, puisqu’il y a du co-financement dans cet espace et puis il y a des liens partenariaux par exemple avec des opérations de promotion. Il y a plusieurs types de liens indépendamment des services qui peuvent intervenir sur cet espace » (Cap Atlantique).

Cependant, dans le cadre de la mise en place d’un périmètre de protection supplémentaire sur les marais de Guérande, les acteurs mobilisés ne seront pas les mêmes selon le type de reconnaissance. L’État ainsi que ses services seront davantage impliqués dans une Opération Grand Site de France (OGS) que pour l’inscription à la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Néanmoins, il faut noter l’importance de l’échelle locale pour tous types de reconnaissances patrimoniales. Cette échelle est essentielle dans la conception du dossier, mais aussi dans la gestion d’un site inscrit à la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. C’est également valable pour les sites labellisés Grand Site de France. Mêmes si les types de structures et d’institutions sont quasiment identiques, les attentes et les objectifs sont différents selon le territoire. Dans tous les cas, si le processus de patrimonialisation est déjà fortement engagé lors de la mise en place de ces périmètres très particuliers, la sélection des sites pour lancer une OGS est en soi la reconnaissance du site comme un patrimoine

« […] les caractéristiques intrinsèques du site président à son élection » (Duval et Gauchon, 2007).

De manière générale, le projet patrimonial territorialisé permet d’échanger sur une cohérence territoriale et une perspective de développement. En somme, la labellisation ou l’inscription est un projet patrimonial territorialisé, c’est-à-dire un projet qui porte sur une ressource patrimoniale, représentant une spécificité du territoire sur lequel l’action publique peut agir. 

Les rapports au patrimoine

Il est apparu important dans ce travail d’interroger les visiteurs sur les représentations qu’ils ont du territoire fréquenté et leurs attentes dans son processus de mise en patrimoine. En effet, dans ces dynamiques patrimoine/tourisme, le jeu d’acteurs se met en place la plupart du temps sans porter attention aux résidents et touristes qui fréquentent plus ou moins assidûment le territoire. L’étude des rapports entre les visiteurs et les marais salants de Guérande s’est faite grâce à une enquête par questionnaire. L’objectif était d’analyser les regards et les pratiques des visiteurs sur les marais salants. Pour cela, un questionnaire auto-administré a été produit et distribué auprès de 53 visiteurs dans l’ensemble des communes retenues. En fin de questionnaire, un traçage sur des cartes a été demandé aux visiteurs pour connaître un peu plus précisément leur occupation de l’espace marais salant à travers les itinéraires qu’ils pratiquent. Les 53 questionnaires ont été traités sous le logiciel Excel et les itinéraires sous le logiciel de cartographie QGIS. Sur le plan méthodologique, le choix a été fait de ne proposer que 53 enquêtes. Si ce nombre restreint ne permet pas de généraliser, il donne des pistes de réflexion qui permettront éventuellement d’aller plus loin dans une deuxième phase d’entretiens plus qualitatifs. Voici les principaux éléments qui ressortent de cette enquête.

Le lien fort entre les visiteurs et les marais salants de Guérande

Afin d’observer le lien existant entre les visiteurs et le marais, les enquêtés ont été divisés en deux catégories, d’une part les visiteurs en résidence principale (27 enquêtés) et les visiteurs en hébergement touristique (26 enquêtés).

La figure 3 montre dans quel contexte se rendent les visiteurs dans les marais salants de Guérande. La lecture de ces graphiques montre que la visite est un moment de « partage ». En effet, la plupart des enquêtés (locaux et touristes confondus) se rendent dans les marais en famille, entre amis ou en couple. Ce qui est variable selon que l’enquêté soit résident à l’année ou touriste. En résidence principale, 38 % d’entre eux visitent les marais, seul. Cette traversée des marais en solitaire est souvent justifiée par le besoin de se déplacer en voiture jusqu’à la ville où l’enquêté travaille, mais également, par le besoin de se ressourcer : de nombreux locaux évoquent le calme du lieu, les observations ornithologique et paysagère. La faible proportion des visites des marais en groupes organisés peut être justifiée par une certaine liberté de mouvement à l’intérieur des marais, même en étant novice, évoquée par 41 enquêtés.

Figure 3 - Contexte de visite des marais salants de Guérande pour les locaux et les touristes

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La fréquence des visites dans les marais salants de Guérande (fig. 4) est aussi un bon indicateur de l’attachement des visiteurs à ce site. Cet attachement est remarquable notamment pour les visiteurs en résidence principale qui pour 41 % déclarent visiter les marais salants, dont 26 % tous les jours, ce qui est cohérent puisque certains d’entre eux résident à proximité immédiate des marais.

Figure 4 - Fréquence de visite dans les marais salants de Guérande des locaux et des touristes

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Le dernier facteur expliquant l’attachement des visiteurs au lieu est leur ressenti post-visite. La figure 5 illustre le ressenti direct qu’ont les enquêtés du marais. La grande majorité d’entre eux qualifie la ballade de « très belle » ou « géniale/passionnante », que l’enquêté soit résident permanent ou touriste.

Figure 5 - Qualification de la balade dans les marais salants par les locaux et les touristes

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Les marais salants de Guérande : un patrimoine inégalement reconnu

Il est intéressant de souligner que 11 % des visiteurs en hébergement touristique interrogés ne considèrent pas les marais salants comme un patrimoine (fig. 6). Cette différence peut venir du fait que les « locaux » se sont plus appropriés ce territoire, espace de leur quotidien, et sont plus enclins à le reconnaître comme un patrimoine. A contrario, les touristes s’approprient moins les marais salants et ce, pour des raisons diverses (premières vacances dans le secteur, ne sont pas intéressés par les marais salants de Guérande, etc.). Une remarque peut être faite concernant le nombre de personnes interrogées qui ont répondu « ne sait pas ». L’un des principaux éléments explicatifs est le fait que les interrogés ayant répondu « ne sait pas » ne pensent pas avoir les capacités et/ou les connaissances requises pour répondre à cette question.

Figure 6 - Comparaison des réponses des locaux et des touristes sur la question de l’appartenance au patrimoine des marais salants de Guérande

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Les marais salants de Guérande, un espace pratiqué

Parallèlement à cette connaissance du patrimoine, la question a été posée de savoir comment était pratiqué ce patrimoine, sur le plan spatial, c’est-à-dire quels sont les chemins et les routes empruntés par les visiteurs des marais salants.

Sur les 53 personnes enquêtées, 44 tracés ont pu être traités, certains étant non-utilisables, d’autres traduisaient une mauvaise connaissance du territoire, une incapacité à répercuter leur cheminement sur une carte. Au vu du temps disponible pour cette enquête, l’exercice a été réalisé uniquement sur la partie guérandaise des marais et non sur le bassin du Mès (fig. 7).

Figure 7 - Les itinéraires de quelques enquêtés à travers le marais guérandais

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Sur les 44 itinéraires de l’enquête, trois groupes ont été mis en évidence : un itinéraire très fréquenté (8 tracés et plus), un itinéraire moyennement fréquenté (4 à 7), un itinéraire peu fréquenté (1 à 3 itinéraires).

La visite des marais salants de Guérande se fait principalement par la route, de nombreux enquêtés visitant les marais en voiture. Par conséquent, les routes sont plus fréquentées que les chemins, notamment celles traversant les marais salants de Guérande (la D774, D45 et la route des marais). Pour les enquêtés, la visite du site peut faire partie d’un « tout » , intégré dans une promenade plus large, englobant l’ensemble de la presqu’île (promenade des marais, cité médiévale de Guérande, océarium du Croisic par exemple).

L’autre intérêt à dégager de l’analyse cartographique est la bonne appréhension du territoire par les enquêtés. Il n’existe donc pas un, mais des parcours de visite. Ces trajets ont divers points de départ (Guérande, La Baule, etc.), certains se cantonnent aux routes principales, tandis que d’autres s’aventurent plus profondément dans les chemins. Cependant, ce dernier élément est intéressant à préciser : la plupart des routes sont accessibles à tous, d’autres sont interdites d’accès par le grand public. Le reste du marais est privé (exploitations salicoles), ce qui explique la faible fréquentation de ces chemins.

De ces tracés, deux groupes de visites ressortent, à la fois chez le résident permanent et chez le touriste : le premier concerne les visiteurs qui ne font que traverser le site ; le deuxième regroupe les visiteurs parcourant les marais salants, désirant parfois aller plus loin dans leur cheminement, puisqu’on note, dans le discours des enquêtés de ce groupe, une frustration importante en termes de découverte du marais du fait de son statut foncier. C’est un point important, dans une perspective de labellisation ou d’inscription du site, l’OGS, notamment, permettant de rendre plus cohérente l’offre touristique.

Les apports d’une labellisation ou d’une inscription sur les marais salants de Guérande

Tourisme et patrimoine

Les attentes d’une reconnaissance patrimoniale se font autant sur les ressources patrimoniales que sur le tourisme, les périmètres Unesco comme l’OGS permettant de travailler l’offre touristique. Ce travail se réalise dans une dynamique globale à laquelle peuvent prendre part des acteurs avec des logiques et des stratégies différentes, les tenants du patrimoine étant, dans la plupart des cas, les acteurs de la mise en tourisme. L’inscription ou la labellisation contribuerait à apporter une réponse à certaines difficultés soulevées par les enquêtés sur les marais.

Aujourd’hui, trois principaux points d’accueil des touristes existent dans le marais et autour, participant à la promotion du sel : Terre de Sel (Pradel), le musée des marais salants (Batz-sur-Mer) et la maison des paludiers (Saillé). Ils totalisent respectivement 82 000, 20 000 et 12 200 visiteurs (chiffres communiqués par Terre de Sel, avril 2016). Si certains acteurs estiment qu’il n’y a pas une sur-fréquentation des marais (l’un des objectifs proposés par une OGS est le contrôle et l’organisation du nombre de visiteurs sur un site), les enquêtés appuient le fait que les aménagements sont certes présents mais qu’un manque peut se fait ressentir pour accompagner les visites des nombreux touristes (fig. 8). Notons tout de même un nombre de sans avis conséquent sur l’ensemble des aménagements, et plus particulièrement sur l’écomusée avec plus de 40% de « sans avis ». Dans l’ensemble, les infrastructures touristiques semblent correspondre aux attentes des enquêtés. En contrepartie, les parkings sont « pointés du doigt ». Ils sont le lieu de passage obligatoire de nombreux visiteurs souhaitant s’arrêter sur le site et de nombreux visiteurs regrettent que la visite soit concentrée sur Terre de Sel et qu’elle ne puisse pas s’effectuer ailleurs sur le site.

Figure 8 - Ce que pensent les enquêtés des aménagements à vocation touristique sur les marais salants de Guérande (les marais du Mès sont exclus de cette partie de l’enquête)

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Le lancement d’une opération Grand Site de France dans les années 2000 sur les marais salants de Guérande a débuté par une démarche de concertation entre les services de l’État, les partenaires institutionnels ainsi que les acteurs du marais (prestataires touristiques et paludiers notamment). Au terme de cette concertation, un compromis n’a pu être trouvé sur l’obtention de ce label et plus précisément sur les orientations à prendre. Étant considéré comme un projet de territoire, être labellisé ou inscrit doit répondre à des orientations, objectifs ou attentes précis tels que la protection et la conservation du site, sa valorisation, son développement local, l’extension du dynamisme au reste du territoire, l’évaluation et la gestion de la fréquentation du site actuel et à venir. Or, lors du lancement de la précédente démarche, les élus n’ont pas su prendre position, créant une vision bipolaire entre le monde paludier et les aspects touristiques. Cette dernière est le principal nœud dans la concertation même si d’autres facteurs doivent être pris en compte tel que le portage politique de cette démarche. L’absence de décisions de la part des politiques, plus particulièrement de l’intercommunalité, a engendré un non aboutissement du projet patrimonial considéré comme projet de territoire.

À l’heure actuelle, l’intercommunalité ne souhaite pas relancer une démarche Grand Site de France dû à l’avortement du premier. C’est une démarche qui s’apparente également à une compétence culture supplémentaire pour l’intercommunalité, qui pourrait certes être partagée. Mais de nombreux enjeux ont été priorisés, notamment la réorganisation touristique. Les baisses de dotation de l’État, les choix budgétaires et les arbitrages effectués par l’intercommunalité ont porté atteinte au projet de labellisation.

Cependant, il faut noter que si dans les années à venir, une volonté politique naît pour s’engager dans de nouveaux labels, un office de tourisme intercommunal pourrait être un outil pour participer aux démarches et aux missions qu’elles induisent. Si les élus se saisissent de cette question de labellisation et si les choix et décisions politiques sont en lien permanent avec la profession paludière, une stratégie touristique et culturelle pourrait être mise en œuvre par Cap Atlantique. Une co-construction est indispensable puisque les paludiers sont propriétaires des lieux et gestionnaires principaux, créateurs du principal savoir-faire et du paysage patrimonialisés.

À ce jour, il est intéressant de noter que, si certains acteurs discutent de l’éventualité de relancer une démarche de labellisation, c’est le statu quo qui domine, certains acteurs enquêtés refusant purement et simplement d’en discuter. Pour autant, il est apparu pertinent de lancer une réflexion sur des éléments d’ordre « plus-value » et d’autres « moins value » afin de mieux appréhender le territoire et les sources de blocages pour mener à bien ce type de démarche (tab. 1). Deux sites ont permis de mettre en perspective une OGS, la Pointe du Raz et le Cap Fréhel, dans lesquels des acteurs ont été rencontrés pour échanger sur cette démarche.

Tableau 1 - Plus-values et moins-values d’une labellisation Grand Site de France

Plus-values

Moins-values

- Protection et conservation du site

- Valorisation du site

- Rayonnement national

- Augmentation modeste de la fréquentation touristique

- Dynamique locale

- Initiation d’une gouvernance conjointe entre plusieurs acteurs autour du projet :

• coopération

• accommodements entre intérêts divergents

- Label peu connu en France

- Démarche à temporalité longue qui peut s’actionner sur deux mandats (deux courants politiques différents par exemple)

- Obligation d’avoir un organisme gestionnaire partenarial attributaire du label

- Budget identifié et adapté aux enjeux et non aux actions à mener sur le site

En ce qui concerne le patrimoine mondial de l’Unesco, il paraît essentiel d’énoncer les orientations et les critères recommandés pour une inscription au patrimoine mondial de l’Unesco. Les patrimoines culturel et naturel font partie des biens inestimables et irremplaçables non seulement de chaque nation mais de l’humanité toute entière. La perte d’un de ces biens constitue un appauvrissement du patrimoine de l’ensemble du monde. On peut reconnaître, en raison de leurs remarquables qualités, « une valeur universelle exceptionnelle » qui, à ce titre, mérite d’être tout spécialement protégée contre les dangers qui les menacent. 

Afin d’assurer le mieux possible l’identification, la protection, la conservation et la mise en valeur adéquate du patrimoine mondial, la Convention sur le patrimoine mondial a été adoptée en 1972. Le comité du patrimoine mondial de l’Unesco, principal organe de mise en œuvre de la Convention Unesco élabore des critères précis pour l’inscription de biens sur la liste du patrimoine mondial et pour l’assistance internationale fournie au titre du Fonds du patrimoine mondial. La Convention vise alors à l’identification, la protection, la conservation, la mise en valeur et la transmission aux générations futures du patrimoine culturel et naturel de valeurs universelles exceptionnelles.

La singularité paysagère et le patrimoine naturel remarquable des marais salants, pourraient envisager l’inscription du site au patrimoine mondial de l’Unesco. Certains acteurs y songent. Quelles seraient les possibles plus-values et moins-values qui découleraient de cette inscription ? Le tableau 2 permet d’avoir une description précise des intérêts et limites observés lors du diagnostic territorial proposé dans le cadre du projet de recherche COAST.

Tableau 2 - Plus-values et moins-values d’une inscription au patrimoine mondial de l’Unesco

Plus-values

Moins-values

- Mobilisation de financements publics et privés destinés aux

actions à mener sur le site (Fonds du patrimoine mondial…

- Elévation importante de la fréquentation touristique sur le site pouvant être :

• locale et régionale

• nationale

• étrangère

- Accroissement de l’attractivité sur l’ensemble du territoire en termes de :

• retombées économiques

• retombées touristiques

- Intérêts des médias internationaux et nationaux : notoriété internationale

- Protection accrue avec :

• des outils et méthodes pour mesurer les impacts de la fréquentation touristique

• des actions menées en faveur de la conservation et la sauvegarde du patrimoine

- Augmentation des aménagements pour :

• l’accueil du public

• la qualité des visites sur le site

- Sur-fréquentation touristique :

• difficile absorption de la masse touristique dûe au manque « de place »

• gêne de la profession paludière

• comportements non-respectueux des consignes du site sensible

- Augmentation de l’offre d’hébergement et d’infrastructures touristiques pouvant provoquer :

• une urbanisation progressive

• un « grignotage » des marais

- Fragilisation du site : 

• piétinements

• élévation du bruit

• détérioration de la faune et flore

- Démarche Unesco longue, lourde et complexe : 

• acteurs nombreux en action

• dossier aux demandes conséquentes

• investissement constant ; difficulté de conserver le label sur le long terme

Les acteurs enquêtés sur deux sites Unesco (alignements de Carnac et Mont Saint-Michel) ont détaillé un certain nombre d’avantages et d’inconvénients qu’ils rencontrent dans leur quotidien de gestion du site notamment. L’ensemble des acteurs (décisionnaires, visiteurs, locaux etc.), selon leur rapport au patrimoine, s’orientera vers un label plus qu’un autre, en fonction des opportunités qu’il offre pour son territoire, son activité.

Conclusion

Les marais salants de Guérande attirent de nombreux visiteurs : touristes ou locaux. Ils constituent un lieu privilégié pour les touristes désirant s’éloigner des activités balnéaires traditionnelles. Les marais salants de Guérande constituent un patrimoine hybride entre nature et culture (travail des paludiers). Ces deux éléments se retrouvent d’ailleurs très bien dans les perceptions qu’ont les visiteurs du marais.

Si la reconnaissance du site est déjà réalisée, quel serait l’intérêt d’une nouvelle labellisation/inscription ? On le voit, le marais est la propriété des paludiers et si cet élément est le garant d’une certaine protection du patrimoine, il est aussi un facteur de limitation du développement d’un certain type de tourisme. En effet, comment traverser ce marais autrement que par la route, en voiture ou en vélo ? Comment s’approprier cet espace par les chemins qui le traversent mais qui servent à l’exploitation du sel ? La demande pour un tourisme vert, de nature, est forte et le marais est un site potentiel important pour ce type d’activités. En quoi le recours à un OGS ou à une reconnaissance Unesco changera la situation ? C’est bien le jeu d’acteurs en place et l’appropriation par ses propriétaires, logique, cohérente sur le plan professionnel et foncier, qui limitent « l’exploitation » du marais sur le plan touristique. Le diagnostic territorial établi en amont de cet article et la phase de benchmarking avec d’autres sites ont permis de mesurer à quel point le jeu d’acteurs est primordial dans le processus de patrimonialisation d’un territoire et dans la mise en place d’une offre touristique la supportant. Cependant, la situation des marais salants de Guérande reste originale à plus d’un titre. Tout d’abord, parce que ce site à une caractéristique que l’on ne retrouve pas dans les autres sites étudiés : son anthropisation ancienne a permis d’en faire un patrimoine mais ce sont aussi et encore les actions de l’homme à travers la récolte du sel qui le font perdurer dans le temps. Ensuite, le fait d’être un site « vivant » rend difficile la possibilité de développer le tourisme ce qui peut expliquer son relatif retard de classement ou sa protection (1995 pour le site Ramsar, 1996 pour le site classé). À l’heure actuelle, une labellisation Grand Site de France ou une inscription au patrimoine mondial de l’Unesco n’est pas à l’ordre du jour, malgré le désir important des visiteurs de dépasser l’offre proposée par Terre de sel.

1 Ce travail est intégré au programme de recherche Coast (COAstal heritage and SusTainable development) : gérer le patrimoine littoral, la fabrique

Bibliographie

ALLAIN M. et FATTAL P., 2007. Les marais salants au coeur des espaces naturels protégés : Analyse des modes de gestion, 65 p.

BURON G., 2000. Hommes du sel. Bretagne des marais salants, tome 2, Morlaix, Skol Breizh, 175 p.

CHADENAS C., 2005. Des oiseaux et des hommes : biogéographie salicole dans les marais guérandais, Les Cahiers du Pays de Guérande, Société des Amis de Guérande, n° 45, pp. 18-26.

DUVAL M. et GAUCHON C., 2007. Analyse critique d’une politique d’aménagement du territoire, les opérations Grands Sites, Annales de géographie, vol 2., n° 654, pp. 147-168.

VESCHAMBRE V., 2007. Patrimoine : un objet révélateur des évolutions de la géographie et de sa place dans les sciences sociales, Annales de géographie, vol. 4, n° 656, pp. 361-381.

Notes

1 Ce travail est intégré au programme de recherche Coast (COAstal heritage and SusTainable development) : gérer le patrimoine littoral, la fabrique patrimoniale à l’heure du tourisme durable. Le programme est financé par le PUCA (Programme Urbanisme Construction Architecture) du Ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie et du Ministère du Logement, de l’Égalité des territoires et de la Ruralité dans le cadre de son appel à projet sur les sites exceptionnels et le développement équilibré des territoires.

Illustrations

Figure 1 - Territoire d’étude

Figure 1 - Territoire d’étude

Figure 2 - La patrimonialisation des marais salants de Guérande à travers les zonages de protection

Figure 2 - La patrimonialisation des marais salants de Guérande à travers les zonages de protection

Figure 3 - Contexte de visite des marais salants de Guérande pour les locaux et les touristes

Figure 3 - Contexte de visite des marais salants de Guérande pour les locaux et les touristes

Figure 4 - Fréquence de visite dans les marais salants de Guérande des locaux et des touristes

Figure 4 - Fréquence de visite dans les marais salants de Guérande des locaux et des touristes

Figure 5 - Qualification de la balade dans les marais salants par les locaux et les touristes

Figure 5 - Qualification de la balade dans les marais salants par les locaux et les touristes

Figure 6 - Comparaison des réponses des locaux et des touristes sur la question de l’appartenance au patrimoine des marais salants de Guérande

Figure 6 - Comparaison des réponses des locaux et des touristes sur la question de l’appartenance au patrimoine des marais salants de Guérande

Figure 7 - Les itinéraires de quelques enquêtés à travers le marais guérandais

Figure 7 - Les itinéraires de quelques enquêtés à travers le marais guérandais

Figure 8 - Ce que pensent les enquêtés des aménagements à vocation touristique sur les marais salants de Guérande (les marais du Mès sont exclus de cette partie de l’enquête)

Figure 8 - Ce que pensent les enquêtés des aménagements à vocation touristique sur les marais salants de Guérande (les marais du Mès sont exclus de cette partie de l’enquête)

Citer cet article

Référence électronique

Ronan Harduin, Chloé Ragot, Léo Trichet, Vincent Andreu-Boussut et Céline CHADENAS, « Gérer la fréquentation humaine, protéger le patrimoine naturel : étude de cas sur les marais salants de Guérande », Cahiers Nantais [En ligne], 2 | 2016, mis en ligne le 16 février 2021, consulté le 25 avril 2024. URL : http://cahiers-nantais.fr/index.php?id=984

Auteurs

Ronan Harduin

Étudiant en Master 2 Géographie et Aménagement, IGARUN, Université de Nantes

Chloé Ragot

Étudiant en Master 2 Géographie et Aménagement, IGARUN, Université de Nantes

Léo Trichet

Étudiant en Master 2 Géographie et Aménagement, IGARUN, Université de Nantes

Vincent Andreu-Boussut

Géographe, Université du Mans, ESO Le Mans UMR 6590 CNRS

Céline CHADENAS

Géographe, Université de Nantes, Géolittomer LETG UMR 6554 CNRS

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