Tourisme, « Qualité » et développement durable.

Les exemples des îles de Ré et de Noirmoutier.

Résumé

La qualité est devenue un objectif récurrent des politiques publiques des territoires touristiques afin de se démarquer et d’améliorer leur lisibilité dans un contexte de concurrence croissante entre destinations. Auparavant, principalement le fait des entreprises touristiques à travers des démarches de labellisation, l’objectif de qualité transparaît aujourd’hui dans les discours et les projets des élus des territoires touristiques tels que les îles de Ré et de Noirmoutier. La diffusion du concept de développement durable depuis une vingtaine d’années au sein des politiques publiques locales a permis de relancer et de légitimer les stratégies privilégiant une amélioration qualitative plutôt que la poursuite d’objectifs quantitatifs, notamment en matière d’environnement. L’analyse de quelques stratégies servant à mettre en œuvre cette amélioration qualitative, au nom du développement durable, tend à montrer qu’elle est utilisée comme un argument pour élaborer un environnement touristique plutôt haut de gamme destiné à attirer une certaine population de visiteurs et de touristes.

Index

Mots-clés

qualité, développement durable, tourisme, politiques publiques, démarches Qualité

Plan

Texte

Améliorer sans cesse la qualité des différents axes de développement des territoires touristiques est désormais devenu un objectif récurrent des acteurs de ces espaces, notamment sur le littoral atlantique. Cette recherche d’une amélioration qualitative n’est pas nouvelle. Déjà dans les années 1970 au sein des ensembles balnéaires, les élus de nombreuses destinations littorales ont fait des efforts en matière de développement d’infrastructures plus ou moins visibles (routes, réseaux d’égouts…) afin d’améliorer les conditions d’accueil des visiteurs. On ne parle pas encore de développement durable, d’ailleurs la qualité s’envisage alors essentiellement sous l’angle d’une offre touristique rassemblant les conditions matérielles nécessaires face à une fréquentation croissante des territoires littoraux. Cette notion de qualité continue de s’inscrire dans les politiques touristiques et prend une dimension nouvelle avec la diffusion du concept de développement durable. Elle imprime désormais aussi bien les stratégies du secteur privé que la politique touristique des acteurs publics. La volonté affichée est de faire oublier la période improprement nommée du « tourisme de masse »1. Cet article va dans un premier temps s’intéresser aux démarches dites « Qualité » développées par les acteurs privés du secteur touristique, outils le plus souvent circonscrit au produit touristique. Dans un second temps, il s’agira de s’intéresser davantage à l’action publique qui envisage la qualité à l’échelle du territoire (en termes de paysages, de services, d’environnement…). À cet égard, si différents outils intègrent la notion d’amélioration qualitative, ceux dédiés à l’urbanisme sont un moyen intéressant pour comprendre les stratégies d’acteurs. Dès lors, cette notion de qualité, devenue un leitmotiv des politiques touristiques, est-elle un vecteur pertinent pour la mise en œuvre d’un développement durable ? Même si ces enjeux concernent l’ensemble du littoral métropolitain, les îles de Ré et de Noirmoutier, situées respectivement en Charente-Maritime et en Vendée, serviront d’exemples pour illustrer ce constat.

1. Construire une légitimité : entre engagement réel et vitrine

Quel lien entre qualité et durabilité ?

Pour reprendre la définition du petit Larousse, la qualité c’est « la manière d’être bonne ou mauvaise d’une chose » ou encore la « supériorité, [l’]excellence en quelque chose » (Petit Larousse, 2008). Les politiques liées à la qualité sont initialement issues du monde de l’entreprise, soucieux d’améliorer sans cesse à la fois la productivité et la satisfaction du client. Les entreprises de tourisme se sont intéressées plus tardivement à cette question, comme le secteur des services d’une manière générale. La qualité se définit donc par rapport à un jugement de ce qui va être apprécié ou non par le visiteur en vacances sur un territoire touristique. Afin de satisfaire l’opinion de ce dernier, les acteurs du tourisme élaborent des stratégies et des politiques visant sans cesse l’amélioration des conditions de séjour. Avec la diffusion du concept de développement durable dans la sphère du tourisme, les politiques liées à la qualité ont pris une nouvelle dimension.

En effet, dans une approche générale, le tourisme durable fait suite à une période où le développement touristique s’est davantage envisagé sous l’angle du quantitatif. Devenu le moteur principal de nombreuses économies locales sur le littoral, l’objectif était d’accueillir un maximum de visiteurs. C’est d’ailleurs dans cette optique qu’ont été conçues certaines stations balnéaires, initiées par l’État dans les années 19602. Aujourd’hui ces aménagements touristiques ne correspondent pas à l’idée que l’on se fait d’un développement durable du fait de leur caractère dense et de l’artificialisation croissante du trait de côte. Pourtant, ils ont bien été conçus à l’origine « au nom de la rationalisation de l’espace » (Miossec, 1996) dans l’objectif de privilégier des infrastructures concentrées avec des coupures d’urbanisation entre les différentes unités d’aménagement, afin d’offrir, sans parler encore de développement durable, un environnement de qualité.

Si le souci de rentabilité économique est toujours présent aujourd’hui, il doit se faire selon d’autres modalités et l’approche qualitative est privilégiée. En effet, le tourisme durable « voudrait que certaines valeurs fondamentales guident les projets touristiques. Ces valeurs sont les conditions pour que les enjeux d’un tourisme durable se distinguent des enjeux d’un tourisme sans exigence particulière de durabilité » (ODIT, 2006). Ces valeurs recouvrent aussi bien le domaine économique avec une attention portée sur une meilleure répartition des revenus du tourisme, par exemple, que le domaine environnemental, afin de déployer des mesures de préservation du milieu naturel plus scrupuleuses, ou le domaine social. Celles-ci sont ainsi plus aptes à favoriser un développement durable et équilibré du territoire, car préservant biens collectifs (milieux naturels, savoir-faire locaux…) et intérêts des différents groupes sociaux. Ainsi, leur prise en compte, dans la gestion des territoires touristiques procure au tourisme local une valeur ajoutée. Cette dernière est assimilée à un gage de qualité car l’ensemble des acteurs travaille à une amélioration du développement touristique.

Ainsi, aujourd’hui, la diffusion du concept de développement durable dans les territoires touristiques vient élargir les démarches liées à la qualité. À l’approche exclusivement centrée sur l’entreprise et la satisfaction du touriste, avec l’ensemble des démarches « Qualité » (labellisation, certification…) s’ajoute celle réfléchie à l’échelle du territoire touristique à travers divers éléments tels que l’environnement (la propreté des plages par exemple), les services d’accueil (offices de tourisme)… C’est la subtile somme de ces deux approches qui se diffuse aujourd’hui sur les territoires touristiques des littoraux français.

Les démarches « Qualité » : s’inscrire dans la durabilité ?

L’actuel foisonnement des labels, certifications et autres démarches « Qualité » illustre la prise de conscience active des acteurs du tourisme concernant la qualité de l’offre touristique proposée. Le tableau 1 synthétise ces démarches entreprises par les hébergements sur les îles de Ré et de Noirmoutier. Se distinguent trois labels, une charte, une certification et une marque.

Tableau 1 – Démarches Qualité rencontrées sur les îles de Ré et de Noirmoutier

Dénomination Qualité tourisme Hôtel cert. Camping qualité Clé verte Pavillon bleu Ecolabel européen
Forme juridique Marque Certification Charte Label Label Label
Attribuant Ministère du tourisme et représentants professionnels Afnor FNHPA et FFCCa Jury de professionnels et d’institutionnels FEE Afnor
Échelle d’intervention Nationale Internationale Nationale Internationale Internationale Internationale
Référence à la qualité Oui Oui Oui Non Non Non
Référence à l’environnement Non Non Oui Oui Oui Oui
Référence au social Non Non Non Oui Oui Non
Référence au développement durable Non Non Non Oui Oui Non
Périodicité de suivi 3 ans 3 ans / Annuelle Annuelle /
Structure bénéficiaire Activité touristique (restaurants, loisirs, hébergements…) Hôtels Camping Hébergements touristiques Commune Hôtels
a. Fédération Nationale de l’Hôtellerie de Plein Air et Fédération Française du Camping Caravaning

Ces démarches diffèrent dans leurs objectifs, leurs méthodologies et leurs ambitions. Certaines se concentrent uniquement sur des critères liés à la performance du service comme la certification Hotel cert. ou la marque Qualité Tourisme, créée en 2003 par le ministère du Tourisme et qui a comme but principal de valoriser l’image de la France à l’étranger. D’autres ont des critères d’attribution plus exigeants comme l’écolabel européen, même si souvent, seuls des éléments liés à l’environnement (consommation d’eau, d’énergie, gestion des déchets) sont retenus. Les références au domaine social sont mineures, elles se limitent la plupart du temps à des actions d’éducation à l’environnement ou à la mise en place d’infrastructures pour un public handicapé par exemple. Si certaines démarches font référence au développement durable, celui-ci est davantage vu sous le prisme unique de l’environnement que dans une prise en compte plus globale des effets du service proposé.

Ces démarches « Qualité » sont majoritairement engagées par des établissements haut de gamme. D’une part, ces structures ont davantage de capacités financières pour entamer ces démarches souvent coûteuses de par les rénovations et installations qu’elles exigent ; d’autre part, elles sont un moyen de se démarquer du reste de l’offre. Sur l’île de Ré, sur les 12 hôtels ayant reçu un label, 9 appartiennent à des catégories haut de gamme (3 étoiles et plus). Ayant fait de la qualité du cadre de vie dans un environnement préservé, le principal argument touristique, les hôteliers affichent leur volonté d’allier confort (entendu comme le bien-être matériel) et préservation de l’environnement. S’il est encourageant de constater les progrès faits par ces établissements pour diminuer leur empreinte sur le territoire3, les efforts consentis sont un moindre mal aux vues des données sur les consommations en eau et énergie de ces catégories d’hôtels (tab. 2).

Tableau 2 – Consommations d’eau et d’énergie selon les catégories d’hôtels

Classement des hôtels Consommation d’eau (m3 /chambre) Consommation de kWh/chambre/jour
1 étoile 0,14 15
2 étoiles 0,20 23
3 étoiles 0,36 55
4 étoiles 0,34 61
5 étoiles 0,6 95

Sources : http://www.ecoperl.fr, 2009 et Caire, 2004

En effet, les différences de consommation d’eau et d’énergie sont plus importantes dans les catégories haut de gamme. Par ailleurs, ces données ne tiennent pas compte des dépenses supplémentaires dues aux piscines souvent chauffées, à l’arrosage des pelouses (même si de l’eau recyclée est de plus en plus utilisée) ou à la climatisation, services fréquents dans les hôtels haut de gamme. Si certains labels encouragent les gestionnaires à installer des technologies servant à diminuer les différents postes de consommation, est-ce pour autant que les touristes feront l’effort d’adopter un comportement plus économe ?

La labellisation : de la distinction à l’uniformisation ? Exemple du label Pavillon bleu

La différence entre ces démarches va aussi se jouer sur l’échelle de la structure bénéficiaire. Si certains labels se concentrent uniquement sur des établissements touristiques, d’autres sont attribués à un territoire communal dans la globalité, comme le label Pavillon Bleu. C’est d’ailleurs, un des premiers labels touristiques, porté par des acteurs publics, à avoir été créé en 1985. Il se distingue des précédents « par la très forte médiatisation dont il fait l’objet. Cela tient en ce qu’il concerne une des pratiques essentielles des stations balnéaires : la baignade. Son impact direct sur les clientèles notamment originaires de l’Europe du Nord (Bénélux, Scandinavie) est sans conteste » (Fougnie, 2007) car il est diffusé à l’échelle internationale. Les critères d’obtention du Pavillon bleu vont au-delà de la qualité bactériologique des eaux de baignade. Sans entrer dans les détails, ceux-ci consistent dans un premier temps au respect des lois en vigueur (loi Littoral, règlements d’urbanisme…), mais aussi dans un second temps dans l’obligation d’élaborer un plan de gestion environnemental (déchets, dépollution, information…) à l’échelle de la commune et enfin de mettre en place des partenariats avec d’autres municipalités. De par la variété des critères, l’obtention de ce label nécessite souvent une mutation spatiale des lieux. En témoigne la plage des Gollandières de la commune de Bois-Plage sur l’île de Ré, où le parking a été réaménagé et agrandi, le chemin d’accès rendu plus accessible et où un cheminement en bois a été construit tout le long de la plage (fig. 1). Ces aménagements permettent ainsi une amélioration de l’accueil mais également une maîtrise des flux des visiteurs. Néanmoins, au nom d’une mise en conformité à des critères de qualité, le risque n’est-il pas d’une part d’uniformiser les aménagements le long du littoral français et d’autre part, de légitimer l’artificialisation du littoral avec la mise en place de parkings, d’accès bétonnés à la plage, de douches… ? Est-ce alors aller dans le sens d’une démarche de gestion durable des territoires touristiques ?

Figure 1 – Une plage labellisée, Les Gollandières sur l’île de Ré

Image

Cependant, ce label est depuis quelques années critiqué à la fois sur la forme et le fond. En effet, la médiatisation dont il fait l’objet a abouti à sa méconnaissance, le réduisant à la seule observation de la qualité des eaux de baignade. Par conséquent, les retombées positives, en termes d’image obtenue par les communes ayant demandé et obtenu le Pavillon bleu, portent indirectement préjudice à celles ne s’étant pas portées volontaires à son obtention, les assimilant à des destinations aux eaux de baignade insalubres. Par ailleurs, le choix des critères d’obtention du label concernant la qualité des eaux de baignade se révèlent superficiels (seuls trois germes bactériens sont contrôlés, sont omis les produits chimiques et les métaux lourds ainsi que la qualité du sable). Enfin, alors que la plupart de ces démarches alimentent une politique de reconnaissance et de distinction, leur diffusion à l’échelle internationale constitue un cadre normatif qui tend finalement à uniformiser l’offre des destinations touristiques.

Finalement peu de démarches « Qualité » s’inscrivent dans un objectif de développement durable. Toutes ont en commun de viser une amélioration qualitative de leurs prestations et surtout de s’envisager comme des repères forts pour les visiteurs afin de leur permettre une certaine lecture du territoire touristique. Le schéma de développement touristique envisage d’ailleurs de faire de l’île de Ré une marque de référence, comme c’est le cas de la marque Bretagne.

Les différences entre ces labels se jouent sur la façon dont sont envisagées ces prestations. Certaines vont se limiter aux modalités classiques d’accueil ou de propreté. C’est le cas de la marque Qualité tourisme4, et on aurait attendu une politique plus ambitieuse de la part du ministère du Tourisme. D’autres illustrent la prise de conscience du rôle du tourisme et de ses effets dans le développement territorial local et vont ainsi ambitionner de mobiliser les techniques existantes pour diminuer l’impact du tourisme, essentiellement du point de vue environnemental

Ces démarches sont d’ailleurs souvent encouragées par les acteurs publics locaux qui ont en tête de démarquer leur territoire d’autres destinations littorales. Mais si des efforts sont consentis sur des mesures techniques de réduction des impacts, peu incitent à faire évoluer les comportements et les modes de consommation des vacanciers.

2. Quelques exemples de mise en œuvre de cet objectif de qualité

La qualité comme pilier du projet de territoire touristique durable

La partie précédente a analysé la manière dont les acteurs, principalement privés, se servent de l’argumentaire autour de la qualité. Cette évolution est par ailleurs incitée par les élus locaux dans les documents d’urbanisme et leur projet de territoire. L’image négative de certaines destinations touristiques (stations balnéaires de la Costa Brava en Espagne, La Grande-Motte en France…), qui ont fondé leur développement économique et territorial sur une logique quantitative, a fait opérer un changement dans les politiques touristiques inscrites désormais dans un contexte de développement durable. L’objectif affiché dans les discours et les outils d’urbanisme n’est plus d’accueillir toujours plus de touristes mais de les recevoir mieux, en leur offrant un environnement préservé et des prestations de qualité. Les SCoT (Schéma de Cohérence Territoriale) et les Plan Locaux d’Urbanisme (PLU, anciens Plan d’Occupation des Sols) n’ont pas pour obligation légale la prise en compte des stratégies touristiques locales. Néanmoins, de plus en plus de communes y intègrent le volet tourisme afin d’anticiper et de gérer au mieux les effets liés au développement de cette activité sur leur territoire, activité qui représente le plus souvent la ressource locale majeure en termes de revenus.

C’est ce qu’a fait la communauté de communes de l’île de Ré en élaborant un Schéma de Développement Touristique (SDT). Achevé en mai 2011, il sera l’outil de référence de la stratégie de développement touristique du futur SCot prévu pour 2012. Le document fait souvent référence à la qualité comme vecteur d’un développement touristique inscrit dans le principe de durabilité. Pour atteindre cet objectif, ce document souligne la nécessité de « favoriser la contribution économique [du tourisme] et non pas le volume (pas de tourisme de masse) ». Ce schéma vient par ailleurs repréciser la nécessité d’impliquer l’ensemble des composantes publiques et privées dans une stratégie de qualité globale. De la même manière, le SCoT de l’île de Noirmoutier inscrit la volonté des élus à aller vers un tourisme durable « par des interventions visant toujours plus de qualité pour l’accueil des différentes populations touristiques » ou plus loin « les objectifs de qualité paysagère sous-jacents à toutes les opérations d’aménagement visent à conforter cette recherche de la qualité ». Cette notion est donc récurrente et est envisagée comme un moyen d’aboutir à un développement durable. Cette stratégie se place en contrepoint d’un tourisme de masse où l’objectif est d’accueillir toujours plus de visiteurs. Par ailleurs, elle répond à un contexte où « la société occidentale valorise de plus en plus la qualité de l’environnement » (Segui Llinas, 2004).

Une montée en gamme des hébergements touristiques

De la même manière, l’évolution des meublés touristiques s’est effectuée en faveur des hébergements les mieux classés et des 2 étoiles. En termes de lits, ce sont les 4 étoiles qui ont cru le plus (81 %), contre 63 % pour les 2 étoiles et 43 % pour les 3 étoiles, alors que les 1 étoile ont très peu progressé (2 %)5. Cette évolution reflète celle du département de Charente-Maritime6. En effet, entre 2002 et 2009, les établissements d’hôtellerie de plein air 4 étoiles ont progressé de 48 % alors que les 2 étoiles ont chuté de 12 %. Sur la même période, le nombre d’hôtels 4 étoiles a augmenté de 33 %, dans le même temps, les 2 étoiles stagnaient.

Sur l’île de Noirmoutier, les hôtels, au nombre de 19, sont majoritairement des 2 et 3 étoiles, représentant la capacité d’accueil la plus importante avec 41 % et 42 % des lits hôteliers. Néanmoins, en 2001, le taux d’occupation des 3 étoiles était de 68 % contre 49 % pour les 2 étoiles7. Ces chiffres confirment les dires de la directrice de l’Office de tourisme de l’île de Noirmoutier qui constate depuis quelques années une évolution dans la fréquentation des touristes : « auparavant, les hébergements faiblement classés avaient la faveur des touristes, aujourd’hui les réservations concernent en priorité les établissements les mieux classés » (entretien personnel du 12/04/2007).

Sur l’île de Ré, le nombre de lits en hôtellerie de plein-air s’est peu modifié (une augmentation, bien que faible, est à noter pour les établissements 3 et 4 étoiles, alors que le nombre de lits des établissements classés en 2 étoiles a diminué, fig. 2). Ceci est lié à la présence en nombre de mobile homes dans les établissements haut de gamme, pouvant accueillir plus de personnes pour un même emplacement qu’une tente ou une caravane. Implicitement, cette évolution implique l’éviction des populations touristiques modestes. Cette évolution correspond à la mise en œuvre des objectifs du SCoT de 2000. La maîtrise du nombre de lits est présentée comme décisive dans ce document d’urbanisme. Le Plan d’Occupation des Sols (POS) des Portes-en-Ré confirme dans son rapport de présentation avoir pris des mesures en faveur de « la fermeture de plusieurs campings ».

Figure 2 – Évolution des hébergements selon la catégorie sur l’île de Ré

Image

Cette évolution des hébergements vers des prestations haut de gamme répond à la fois à une demande de confort supérieur de la part des touristes mais également à une volonté des acteurs locaux publics et privés d’inscrire l’activité touristique dans une amélioration qualitative de l’offre. En effet, même si les documents d’urbanisme ne peuvent pas exiger la catégorie des établissements d’hébergement, néanmoins, ils peuvent orienter l’installation ou pas de tel ou tel type d’hébergement : par exemple, proscrire « le changement de destination des établissements hôteliers traditionnels » (art. 1 et 2) comme l’a fait le PLU de la commune de Noirmoutier en l’île ou, à l’instar du POS des Portes-en-Ré, établir un certain nombre de contraintes pour interdire l’installation de campings. En outre, « une commune peut soutenir le développement de certains hébergements touristiques en rendant attractif la construction d’hôtels […] Pour cela, elle a le droit d’instituer dans le règlement un Coefficient d’Occupation des Sols (COS) incitatif, par exemple pour un hébergement hôtelier » (Atout France8, 2009). Par ailleurs, les acteurs privés du tourisme étant de plus en plus impliqués dans la définition du projet de territoire, on imagine l’influence qu’ils peuvent avoir sur certains choix concernant l’évolution des infrastructures de tourisme. Par conséquent, ces différents outils de gestion de territoire sont tout de même le reflet d’une stratégie des acteurs locaux en matière d’urbanisme et d’aménagement touristiques.

Qualifier pour mieux évincer ?

L’évolution constatée des hébergements répond finalement bien à la volonté des différents documents d’urbanisme de ralentir la croissance d’un type de fréquentation touristique. En effet, par la montée en gamme des prestations, les acteurs locaux espèrent conjuguer la pérennisation d’une rente économique du tourisme tout en limitant le flux des visiteurs et donc leurs effets sur le territoire. Néanmoins, cette stratégie débouche souvent sur une ségrégation sociale des populations touristiques modestes. Le camping Domaine Les Moulins illustre cette évolution. Ce dernier succède au camping municipal de la commune de L’Épine sur l’île de Noirmoutier (photo 1).

Il s’agit d’un nouveau genre d’hôtellerie de plein air où des tentes de luxe ont remplacé les mobile homes. Le nombre d’emplacement a été réduit de 306 à 252, des arbres ont été replantés, l’ensemble des infrastructures est constitué de matériaux naturels (bois, pierre,…). Des prestations haut de gamme payantes sont proposées aux estivants (room-service, spa…). L’organisation spatiale du camping laisse conclure sur la clientèle visée : plus de la moitié des emplacements sont réservés aux tentes de luxe, offrant tout le confort : cuisine aménagée, salle de bains…) (photo 2). Outre la diminution des emplacements réservés aux tentes et caravanes, des différenciations tarifaires sont faites selon la qualité de ces derniers (situation, végétalisation…). Par ailleurs, la vue sur mer est facturée 100 € de plus. Pour les tentes les plus grandes (6/8 personnes) le coût de la semaine varie donc entre 1 399 € et 1 499 € en pleine saison. Initialement destiné aux populations modestes, aujourd’hui le « camping » se hisse donc au niveau des locations en dur en termes de tarifs. Si ce type d’hébergement participe, en apparence9, à l’amélioration qualitative des sites touristiques en termes environnementaux, la sélection sociale à laquelle il s’associe ne permet pas de conclure à une mise en œuvre d’un développement durable des territoires touristiques.

Photos 1 et 2 – Entrée du camping des moulins et tentes proposées par le Domaine Les Moulins sur l’île de Noirmoutier

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(cliché A-S. BONNET, 2010 et site du camping)

Ces prestations jouent en faveur de la renommée d’une destination touristique. Elles participent à la qualité globale du territoire tant recherchée par les acteurs locaux. En effet, la qualité doit se décliner, au-delà des prestations touristiques, dans les espaces naturels ou urbains à travers des politiques de protection des milieux naturels, de l’architecture, des paysages… répondant aux nouvelles valeurs d’authenticité et de tranquillité recherchées par les touristes (SDT de l’île de Ré, 2011). Cette valorisation globale du territoire présentée comme un modèle de développement durable débouche aussi sur des processus, maintes fois constatés de la hausse du prix du foncier ou de l’immobilier. Ce panneau d’un programme immobilier sur l’île de Ré ne dit pas autre chose d’un territoire réservé à une population privilégiée (photo 3).

Photo 3 – Des territoires de qualité : pour qui ?

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(cliché A-S. BONNET, 2010)

Ces quelques exemples d’évolution de l’activité touristique pris sur les îles de Ré et de Noirmoutier illustrent de quelle manière la notion de qualité investit de plus en plus les différentes stratégies des acteurs des territoires touristiques. Dans un contexte de développement durable, une confusion est entretenue avec cette notion de qualité, pour autant « qualité et destinations sont à l’avenir un des enjeux du tourisme européen, voire mondial, qui va de pair avec la notion de durabilité, valeur montante du tourisme de ce début de troisième millénaire » (Netter, 1999). Le développement durable des territoires touristiques se doit d’être basé sur des améliorations qualitatives. Pourtant, la traduction qui en est faite « sous-entend la plupart du temps une maîtrise de la fréquentation touristique. Cette approche se pose en contrepoint du modèle touristique de masse critiqué dès les années 1970 » (Bonnet, 2010). Les objectifs des acteurs privés et publics semblent aller dans la même direction, la hausse du niveau des infrastructures touristiques (notamment les hébergements) inscrite dans un processus de labellisation s’inscrivant dans le projet global de construction d’un territoire préservé, singulier voulu par les élus locaux. Mais alors, est-ce vraiment s’inscrire dans la durabilité que de réserver l’activité touristique et l’accès à un territoire à une minorité aisée ?

1 Si de nombreux observateurs ont souvent qualifié « de masse » le tourisme des décennies 1960 et 1970, cela renvoie davantage à un mode d’

2 En France, l’aménagement de la côte languedocienne, planifié par l’État à travers la mission interministérielle dite mission Racine à partir de 1963

3 Par exemple, l’hôtel Les Vignes de la Chapelle, sur l’île de Ré, a fait des efforts en matière d’énergie (panneaux solaires, brise-soleil) ou de

4 Les critères de ce label décerné par le ministère du Tourisme aux différents acteurs du secteur (hôtellerie, restauration…) reposent sur des

5 Les critères d’obtention des étoiles ont évolué pour l’hôtellerie, suite à la modification de la loi no 2009-888 de développement et de

6 Les données sur l’évolution du nombre d’établissements par catégorie en Charente-Maritime proviennent de la préfecture de Charente-Maritime.

7 Données provenant du Comité Départemental du Tourisme de Vendée.

8 Atout France est l’agence de développement touristique de la France, elle est née de la fusion de l’ODIT (Observation, Développement et Ingénierie

9 Il serait intéressant d’étudier la gestion de l’environnement dans ce type d’établissement afin de le comparer à d’autres de catégorie plus modeste

Bibliographie

ATOUT FRANCE, 2009. Tourisme, urbanisme et aménagement sur le littoral et en montagne. Les outils stratégiques et opérationnels pour une offre d’hébergement marchand. Paris, Atout France Éditions, 136 p.

BONNET A.-S., 2010. Le tourisme peut-il être durable ? États des lieux et perspectives sur des îles-ponts brésiliennes et françaises. Thèse de doctorat, Université de Nantes, 300 p.

CAIRE G., 2004. Une évaluation critique de la politique de développement durable du groupe Accor. In OFFREDI C., La dynamique de l’évaluation face au développement durable, Paris, L’Harmattan, pp. 249-263.

FOUGNIE S., 2006. La mutation contemporaine des stations balnéaires françaises. Tentative de modélisation de la station littorale intégrée : étude des façades Atlantique, Manche et Mer du Nord, Thèse de doctorat de géographie, Université de Nantes, 2 tomes, 676 p.

HAMZA M. et BURHIN F., 1999. La gestion intégrée de la qualité des destinations touristiques. Concepts et outils de mise en œuvre, Cahier Espaces, no 61, pp. 50-55.

MIOSSEC A., 1996. De l’aménagement, du territoire et de l’environnement, quelques réflexions autour du littoral en France, Cahiers Nantais, no 44, pp.33-43.

NETTER J., 1999. Tourisme et qualité. Hier, aujourd’hui et demain, Cahier Espaces, no 61, pp. 8-15.

ODIT, 2006. L’évaluation de la durabilité des pratiques touristiques, Paris, ODIT éditions, 72 p.

SEGUI LLINAS M., 2004. Les Baléares : un laboratoire du tourisme en Méditerranée, Sophia Antipolis, PNU Plan bleu, 67 p.

Documents d’urbanisme consultés :

SCoT de la communauté de communes de l’île de Noirmoutier, 2007.

Projet de SCoT de la communauté de communes de l’île de Ré, 2010.

Schéma de Développement Touristique de la communauté de communes de l’île de Ré, 2011.

POS des Portes-en-Ré, 2002.

Projet de PLU de Noirmoutier-en-l’île, 2007.

Notes

1 Si de nombreux observateurs ont souvent qualifié « de masse » le tourisme des décennies 1960 et 1970, cela renvoie davantage à un mode d’organisation nouveau avec des logiques de production identiques à celles du monde industriel, qu’à une réalité sociale. En effet, selon l’OMT seulement 940 millions de personnes ont voyagé hors de leur pays en 2010. À cela doivent être rajoutés les déplacements touristiques nationaux, pour lesquels peu de données existent.

2 En France, l’aménagement de la côte languedocienne, planifié par l’État à travers la mission interministérielle dite mission Racine à partir de 1963, illustre un modèle de développement touristique destiné à accueillir la fréquentation croissante des vacanciers estivaux autant qu’à les retenir sur la route vers l’Espagne.

3 Par exemple, l’hôtel Les Vignes de la Chapelle, sur l’île de Ré, a fait des efforts en matière d’énergie (panneaux solaires, brise-soleil) ou de gestion de l’eau (collecteur d’eau de pluie).

4 Les critères de ce label décerné par le ministère du Tourisme aux différents acteurs du secteur (hôtellerie, restauration…) reposent sur des engagements concernant majoritairement la satisfaction des désirs des touristes (propreté, attitude du personnel, gestion des réservations…).

5 Les critères d’obtention des étoiles ont évolué pour l’hôtellerie, suite à la modification de la loi no 2009-888 de développement et de modernisation des services touristiques du 22 juillet 2009. La création d’une catégorie 5 étoiles permet à la France de s’aligner sur les normes européennes, celle du 4 étoiles luxe et du 0 étoile disparaissent.

6 Les données sur l’évolution du nombre d’établissements par catégorie en Charente-Maritime proviennent de la préfecture de Charente-Maritime.

7 Données provenant du Comité Départemental du Tourisme de Vendée.

8 Atout France est l’agence de développement touristique de la France, elle est née de la fusion de l’ODIT (Observation, Développement et Ingénierie Touristiques) et de Maison de France.

9 Il serait intéressant d’étudier la gestion de l’environnement dans ce type d’établissement afin de le comparer à d’autres de catégorie plus modeste afin de voir si la prise en compte du milieu naturel relève uniquement d’une stratégie de communication (qui de toute façon existe) ou d’une réelle volonté des gestionnaires de préserver l’environnement local.

Illustrations

Figure 1 – Une plage labellisée, Les Gollandières sur l’île de Ré

Figure 1 – Une plage labellisée, Les Gollandières sur l’île de Ré

Figure 2 – Évolution des hébergements selon la catégorie sur l’île de Ré

Figure 2 – Évolution des hébergements selon la catégorie sur l’île de Ré

Photos 1 et 2 – Entrée du camping des moulins et tentes proposées par le Domaine Les Moulins sur l’île de Noirmoutier

Photos 1 et 2 – Entrée du camping des moulins et tentes proposées par le Domaine Les Moulins sur l’île de Noirmoutier

(cliché A-S. BONNET, 2010 et site du camping)

Photo 3 – Des territoires de qualité : pour qui ?

Photo 3 – Des territoires de qualité : pour qui ?

(cliché A-S. BONNET, 2010)

Citer cet article

Référence électronique

Anne-Sophie Bonnet, « Tourisme, « Qualité » et développement durable. », Cahiers Nantais [En ligne], 2 | 2011, mis en ligne le 16 février 2021, consulté le 27 avril 2024. URL : http://cahiers-nantais.fr/index.php?id=898

Auteur

Anne-Sophie Bonnet

Géographe, Université de Nantes, Géolittomer LETG-UMR 6554 CNRS

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