Le sud-ouest de la France se caractérise par un littoral majoritairement sableux, ou sablo-limoneux, notamment en Gironde et dans les Landes. Cette côte sableuse est fortement soumise à l’aléa érosion marine. En moyenne, le trait de côte recule d’un mètre par an. Mais lors des tempêtes hivernales, certains secteurs se voient érodés de plusieurs dizaines de mètres comme ce fut le cas durant l’hiver 2013-2014. Ce recul, plus ou moins important selon les hivers, expose de nombreux enjeux, qu’ils soient naturels ou anthropiques, comme par exemple l’immeuble devenu un symbole de l’érosion : le Signal (photo 1). Cet immeuble, construit en 1967 dans la commune de Soulac-sur-Mer et qui se trouvait à 200 mètres du trait de côte, se trouve aujourd’hui à moins de 10 mètres obligeant l’évacuation des habitants en 2014.
Photo 1 - L’immeuble du Signal, abandonné, à Soulac-sur-Mer
Crédit photo : C. BOUSSARD, septembre 2019
Mais cet immeuble, le premier en France à subir une évacuation pour cause d’érosion dunaire, ne sera très certainement pas le dernier. En effet, un autre évènement menace, entre autres, les littoraux : le dérèglement climatique. Ce dernier entraine une augmentation du niveau de la mer causée principalement par la fonte des glaciers et calottes glaciaires, ainsi que par la hausse de la température de l’eau entraînant une dilatation thermique de l’océan. Dans son cinquième rapport paru en 2013, le GIEC (Groupement d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat) a établi quatre scénarios de prévision à l’horizon 2100 définis en fonction de plusieurs paramètres susceptibles d’influencer positivement ou négativement les rejets de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Le scénario le plus pessimiste, le RCP 6 (Representative Concentration Pathway), prévoit une augmentation moyenne du niveau marin d’un mètre à l’horizon 2100. Mais selon certains scientifiques1, le scénario le plus pessimiste de 2013 serait en réalité le plus optimiste, et sous-estimé ! Et les découvertes allant en ce sens sont nombreuses, comme l’alarme lancée par des scientifiques en début d’année 2019 concernant le risque de détachement du glacier de Thwaites dans l’ouest de l’Antarctique (Bueso-Bello et al., 2019). Épais de plus de 3 kilomètres par endroits, il causerait à lui seul une augmentation du niveau marin de 65 centimètres2…
Sans tomber dans le catastrophisme, il serait intéressant d’observer la situation de certaines communes fortement soumises à l’érosion comme par exemple celle de Lège-Cap-Ferret, ainsi que les moyens envisagés afin de s’adapter à l’érosion et à la hausse du niveau marin. C’est l’objet de cet article qui fait suite à un stage de master 2 Géographie et Aménagement (IGARUN) réalisé en 2018 au sein du Syndicat Mixte du Bassin d’Arcachon Val de l’Eyre (Boussard, 2018).
Lège-Cap-Ferret : une commune située entre l’océan et le bassin d’Arcachon confrontée à une érosion extrême
Avant d’observer l’importance de l’érosion à Lège-Cap-Ferret, il est important de rappeler l’occupation de l’espace de la commune afin de déceler la principale zone à enjeux.
Une occupation du sol selon un triptyque Est-Ouest… excepté à la pointe du Cap Ferret
La situation de la commune de Lège-Cap-Ferret, située en Gironde, est assez délicate : elle se trouve prise en étau entre l’océan et le bassin d’Arcachon. La commune possède une hiérarchie de l’espace typique du littoral du sud-ouest : on retrouve une plage et un cordon dunaire à l’ouest, suivit d’une épaisse forêt (de pins maritimes) au centre. Enfin, à l’est, on retrouve les espaces urbanisés répartis sur la façade maritime du bassin d’Arcachon. Ce triptyque « dune-forêt-urbanisation » demeure présent sur l’ensemble de la commune… excepté à la pointe du Cap Ferret, comme le montre la figure 1.
La pointe du Cap Ferret ne possède pas ce fameux triptyque puisqu’on remarque que la forêt est absente. Or, la forêt constitue généralement un espace tampon entre le littoral sableux soumis à l’érosion et les constructions anthropiques. La pointe demeure donc la partie de la commune la plus vulnérable.
Et justement, avant de regarder les moyens mis en place pour lutter contre l’érosion, il serait judicieux de rappeler l’importance de l’érosion, notamment sur la pointe.
La pointe du Cap Ferret marquée par une dynamique érosive violente
La pointe, ou flèche sableuse à pointe libre, est le résultat d’une accumulation de sédiments apportés par la dérive littorale de direction nord-sud. Mais aujourd’hui, la dynamique principale est érosive. Depuis les années 1945, la pointe a perdu plus 400 mètres comme le résume la figure 2.
Figure 2 - Évolution générale du trait de côte de l’extrémité sud de la pointe du Cap Ferret entre 1945 et 2015
Cette forte érosion s’explique car cette pointe constituée de sable se situe à l’exutoire du bassin d’Arcachon. Elle subit donc l’assaut de la houle, des tempêtes et des forts courants de flots et de jusants. Le problème est que, comme dit précédemment, les constructions situées au Cap Ferret débutent, en l’absence de forêt, immédiatement après le cordon dunaire. Il est donc très important de le protéger. Mais comment protéger la pointe de l’érosion ?
Gestion des risques mise en place pour protéger le cordon dunaire, la population et les touristes
Lège-Cap-Ferret et les acteurs du littoral luttent en permanence pour protéger principalement la pointe du Cap Ferret. Quels sont les principales actions mises en œuvre pour protéger la Pointe ?
Les moyens mis en place pour lutter contre l’érosion
Il existe généralement deux méthodes pour lutter contre l’érosion : les méthodes dures (construction d’épis ou de digues par exemple) et les méthodes douces (protéger grâce à des processus plus naturels…). Sur un espace aussi mouvementé que la pointe, on pourrait s’attendre à trouver de nombreuses infrastructures de lutte contre l’érosion. Mais ce n’est pas le cas. Les méthodes douces sont privilégiées.
Gestion douce
Le cordon dunaire est protégé de plusieurs manières. Contre l’érosion éolienne, l’Office Nationale des Forêts (ONF) plante de nombreux plants d’oyats et répand des branches de genêts séchés qui permettent de retenir et de fixer le sable. Des filets, aux mailles très fines, permettent également de retenir le sable.
Le cheminement des touristes s’effectue au travers de chemins balisés afin de protéger la dune du piétinement. L’arrivée du principal chemin, situé au sud-ouest de la Pointe, ne transperce pas perpendiculairement le cordon dunaire. La descente vers la plage demeure parallèle à la dune, évitant ainsi la création d’un couloir de déflation propice à l’érosion éolienne.
Enfin, chaque hiver, la commune recharge le cordon dunaire en sable afin de le consolider et d’empêcher tout risque d’intrusion d’eau. Par exemple, lors de l’hiver 2017-2018, la commune a déversé plus de 10 000 m³ de sable uniquement à la Pointe. Une réserve de sable est d’ailleurs visible aux abords de la Pointe pour permettre un rechargement en cas d’urgence.
Gestion dure
La gestion douce, évoquée précédemment, protège majoritairement la dune contre l’érosion éolienne, hormis les rechargements en sable qui permettent également une « protection » contre l’assaut des vagues.
Côté Océan, aucune structure en dur (excepté les blockhaus construits sur les dunes lors de la Seconde Guerre mondiale et qui se retrouvent aujourd’hui sur l’estran) ne protège le littoral de la commune. Des pieux en bois ont été installés il y a une dizaine d’année à l’extrémité sud de la Presqu’île dans le but de briser les vagues. Aujourd’hui, la majorité des pieux sont partis et ceux qui restent demeurent inefficaces car trop peu nombreux et tordus. Les blockhaus et les pieux décharnés rappellent que la Pointe est soumise à des conditions naturelles particulièrement fortes. La mise en place de structure solide (digue ou épis par exemple) parait impossible aux vues de l’importance du courant et du déferlement des vagues. De plus, des structures en dur placées en aval de la dérive littorale (donc au nord par rapport à la Pointe) viendraient perturber le transit sédimentaire nord-sud. Le sud de la commune, déjà dans une position très délicate, se verrait alors privé de sédiments vitaux à sa sauvegarde…
En revanche, sur le littoral sud-est de la pointe, côté Bassin, on note bel et bien la présence d’une digue : elle a été construite à partir des années 1980 par un propriétaire : M. Bartherotte. Sa digue, aujourd’hui reconnue d’utilité publique et longue de plus de 400 mètres (plus long ouvrage d’art privé d’Europe3), permet de contrer le puissant courant du chenal du Teichan qui longe la Pointe. Sans la digue, le chenal du Teichan aurait « rongé » l’extrémité sud-est de la Presqu’île. Sa digue lui aurait déjà couté plusieurs millions d’euros (plus de 1 000 camions et 200 000€ par an). Pour sauver la Pointe, M. Bartherotte propose même d’allonger sa digue vers le sud, ce qui permettrait une meilleure stabilité du cordon dunaire4…
Bien que protégé sur la façade est, le Cap Ferret demeure fragile face aux conditions naturelles.
Les moyens mis en place pour protéger la population et les touristes
En raison de l’érosion, le sud du Cap Ferret connait une dangerosité accrue. De nombreux sentiers d’accès aux plages ont été fermés car ils aboutissent désormais sur une falaise de sable de plusieurs mètres de haut comme le montre la photo 2.
Photo 2 - Ancien chemin d’accès à la plage située à la pointe du Cap Ferret menant aujourd’hui sur une falaise de sable
Crédit photo : C. BOUSSARD, juin 2018
En janvier 2016, la plage située à l’extrémité sud du Cap Ferret a été interdite d’accès par arrêté préfectoral en raison de sa dangerosité. En février 2019, suite à une injonction du préfet de Gironde, la municipalité a étendu cette interdiction sur les digues présentes au sud-est de la Pointe.
Concernant l’alerte et la gestion de crise, la commune possède à l’attention de la population un DICRIM (Document d’Information des Risques Majeurs). La commune possède également un PCS (Plan Communal de Sauvegarde) qui indique aux habitants les gestes à adopter en cas de catastrophe naturelle. Les citoyens sont également prévenus par téléphone (appel ou SMS) lors de risques majeurs. Mais en février 2019, le préfet de la Gironde remet en cause ce PCS en demandant à la commune
« d’intégrer sous 3 mois un plan de gestion de crise pour la Pointe et la zone des 44 hectares (quartier situé au sud-est de la Presqu’île, NDLR) permettant d’anticiper les risques de brèche et d’effondrement brutal des ouvrages », tout en prévoyant « les procédures d’évacuation d’urgence des populations ».
Concernant les documents d’urbanisme, la commune est en pleine révision de son PPRL (Plan de Prévention des Risques Littoraux). Datant de 2001, l’ancien PPRL ne prenait pas en compte la totalité du recul du trait de côte. Il aura toutefois fallu attendre août 2018 pour que le préfet signe l’arrêté de révision du PPRL…
La commune élabore également une stratégie locale de gestion de la bande côtière. Ces stratégies locales, élaborées par chaque commune littorale d’ex-Aquitaine en partenariat avec l’État (par le biais du Groupement d’Intérêt Public, ou GIP, Littoral Aquitain) et les acteurs scientifiques, découlent de la stratégie nationale de Gestion Intégrée du trait de côte (évoquée pour la première fois au Grenelle de la mer en 2009). Ces stratégies locales ont pour but principal de définir l’avenir des communes littorales. Elles se structurent autour de 8 axes qui visent principalement l’amélioration des connaissances, de la gestion de crise ou encore des meilleures solutions à apporter concernant la lutte contre l’érosion. Toujours en février 2019, le préfet de la Gironde a souhaité que la stratégie locale et le PLU prennent en compte le fait que « la lutte contre l’érosion ne pourra être que temporaire, au vue de l’évolution du site ». À court terme, tout projet de construction situé sur la pointe du Cap Ferret devrait donc être interdit, ce qui n’était jusqu’alors pas le cas…
Cependant, si le Cap-Ferret voit son urbanisation figée, que faire de ce qui existe déjà ? Depuis le XXIe siècle, on assiste à un changement de paradigme. Jusqu’alors, les aménageurs se demandaient comment défendre de manière optimum le littoral. Mais maintenant, la question du futur de l’existant pose aussi problème…
Vers la relocalisation des biens et des activités présents sur les littoraux ?
Dans leur rapport paru en 2018, le comité scientifique AcclimaTerra (dirigé par H. Le Treut) chargé de faire un diagnostic des impacts du changement climatique à l’échelle de la Nouvelle Aquitaine, prévoit un recul du trait de côte en Gironde comprit entre 65 et 100 mètres à l’horizon 2050… Bien sûr, il existe encore de nombreuses imprécisions pour connaitre l’impact exact que générera le dérèglement climatique sur les littoraux. Mais une certitude demeure : ses effets seront néfastes. L’intensité de certains phénomènes physiques combinés tels que la houle, les tempêtes, les surcotes ou encore la marée pourrait s’accroître avec pour conséquences, l’accentuation, entre autres, de l’érosion déjà préoccupante comme démontré précédemment avec la situation du Cap Ferret.
L’avenir des biens et des activités actuellement présents dans les communes littorales demeure donc incertain. Dans les 8 axes de la stratégie locale de gestion de la bande côtière évoqués précédemment, l’un d’entre eux vise à étudier une relocalisation des biens et activités. Une autre commune, située elle aussi en Gironde en est à un stade plus avancé de réflexion sur son avenir. Il s’agit de la commune de Lacanau, située à quelques dizaines de kilomètres au nord de Lège-Cap-Ferret.
Lacanau : une commune en première ligne face à l’Océan
Lacanau-Océan, contrairement à Lège-Cap-Ferret, possède un front de mer bâti directement sur le cordon dunaire océanique. La digue qui le protège est donc directement frappée par les vagues lors des marées hautes et des tempêtes. Mais cette digue n’est pas invincible. Lors de l’hiver 2013-2014, l’ouvrage constitué d’enrochements fut complètement détruit obligeant la commune à le reconstruire en totalité, plus long et plus large. De plus, la commune subit une érosion de part et d’autre de la digue. Le trait de côte situé au nord et au sud recule, laissant la station balnéaire tel un balcon, ou une avancée, sur l’océan. À court terme, la commune, en plus de protéger le front de mer, pourrait également être obligée de défendre ses flancs. Conjugué au dérèglement climatique et des conséquences, l’avenir de la station balnéaire parait incertain…
La commune, en partenariat avec l’État (GIP Littoral Aquitain) et le monde scientifique, a donc étudié, toujours dans le cadre de la stratégie locale de gestion de la bande côtière, le futur de Lacanau-Océan. Deux scénarios ont été retenus pour la période 2050-2100. Jusqu’en 2050, la commune continuera la défense « coûte que coûte » de son trait de côte, comme elle le fait actuellement. Mais à partir de 2050, deux options sont actuellement réfléchies. Le premier scénario (A) vise la poursuite de la défense « coûte que coûte » avec un allongement, un épaississement et une surélévation de la digue qui seront très conséquents. Le deuxième scénario (B) vise quant à lui la relocalisation du front de mer de Lacanau sur une bande d’environ 200 mètres entre le trait de côte et l’intérieur des terres. Cet espace serait déconstruit et re-naturé afin de mettre en place un espace tampon entre la station balnéaire et l’océan. À ce jour, aucune décision n’a été prise. Le gros avantage du scénario (A) est son coût, estimé à 50 millions d’euros plus 275 000 € d’entretien annuel. Mais rien n’indique que le futur ouvrage résistera aux aléas présents en 2100, en considérant notamment les incertitudes liées au dérèglement climatique… Les coûts prévus actuellement pourraient donc s’accroître de manière exponentielle en fonction de la puissance et du nombre des futurs aléas.
Le scénario (B) coûterait extrêmement cher : plus de 500 millions d’euros. En effet, la valeur des biens actuels (1 200 logements et une centaine de commerces) avoisinerait déjà les 300 millions d’euros. Mais d’autres obstacles se présentent dont l’acceptabilité sociale : comment convaincre les habitants et les commerçants de quitter le front de mer uniquement sous motif de prévention ? Des solutions ont été soulevées comme le Droit de Préemption Urbain (DPU) qui oblige un particulier vendant un bien dans la zone concernée (les 200 mètres du front de mer) à le proposer en priorité à la commune. Des accords pourraient aussi être signés entre les commerçants et la commune. Cette dernière défendra coûte que coûte l’activité des commerçants jusqu’en 2050. En échange, le commerçant vendra son activité une fois le scénario mis en place.
Enfin, le problème le plus épineux concerne le financement colossal de ce projet. Qui pourra payer ? La commune n’en a pas les moyens. Le fond Barnier, créé en 1995 ne prend pas en compte l’érosion dunaire. De ce fait, les habitants du Signal à Soulac-sur-Mer demeurent toujours en conflit avec l’État concernant les indemnisations. Puisque Lacanau est soumis aux mêmes enjeux, le fond Barnier ne pourrait à priori pas intervenir. D’autres moyens pourraient aussi être envisagés comme par exemple la taxe GEMAPI, qui serait apte à financer une partie du scénario choisit.
En attendant un éclaircissement de la part du législateur concernant le financement, la commune de Lacanau risque de repousser indéfiniment la date du choix d’un des deux scénarios.
Quel futur pour la commune de Lège-Cap-Ferret ?
Il est aisé de comprendre la raison pour laquelle l’État n’accepte pas d’indemniser les victimes de l’érosion. Ces dernières risquent d’être de plus en plus nombreuses à l’avenir. De plus, le prix de certaines maisons, par exemple à la pointe du Cap Ferret, sont beaucoup plus élevés que les appartements de l’immeuble du Signal…
Mais chaque année, la pointe du Cap Ferret recule d’environ 5 mètres5. En septembre 2019, le journal Sud Ouest consacrait dans ses pages un dossier sur l’érosion titré « Érosion : une lutte sans fin6 ». Les stratégies de lutte contre l’érosion (observées en deuxième partie) reflètent totalement ce sentiment de « lutte sans fin ». Elles ne sont que provisoires, pas toujours efficaces, coûteuses et permettent uniquement de gagner du temps. La commune, impuissante face à l’océan, ne pourra pas gagner et elle le sait.
La relocalisation apparait donc comme une alternative à ne pas négliger et à planifier avant qu’une catastrophe n’arrive, comme ce fut par exemple le cas à la Faute-sur-Mer en Vendée après le passage de la tempête Xynthia en 2010 (Mineo-Kleiner, 2017). Les maisons les plus exposées furent démolies un an après la catastrophe.
Pour le moment, la commune de Lège-Cap-Ferret n’envisage pas, à très court terme, de relocaliser les biens et les activités. Cependant, dans le cadre de sa stratégie locale de gestion de la bande côtière (démarrée plus tardivement que celle de Lacanau), la commune mène des réflexions, avec les partenaires et acteurs du littoral, sur la relocalisation de certains biens et activités les plus à risque. Les réflexions concernent principalement les activités présentes au sud de la commune, comme par exemple un poste de secours ou des canalisations de pétrole (exploitées depuis les années 60 et encore exploité aujourd’hui via quelques puits). À noter que seule la pointe du Cap Ferret, c’est-à-dire la zone dépourvue du fameux triptyque « dune-forêt-urbanisation », est prise en compte dans la stratégie locale. Mais la relocalisation des biens et activités ne se limitent pas uniquement au secteur concerné par la stratégie locale. Bien que les informations soient encore peu détaillées, les relocalisations pourraient s’effectuer à l’échelle de la commune voir à celle du bassin d’Arcachon.
Mais la commune attend, comme à Lacanau, un éclaircissement juridique lié à la relocalisation. Lors des vœux adressés à la population en début d’année 2019, le Maire de Lège-Cap-Ferret rappelle qu’il attend lui aussi une réponse de l’État : « peut-être qu’un jour, les députés sortiront enfin une réglementation pour qu’on puisse sérieusement s’occuper de ce problème7» .
La députée de la Gironde S. Panonacle, responsable du groupe de travail « littoral » à l’Assemblée nationale, travaille depuis 2018 sur une proposition de loi visant justement à éclaircir, entre autres, la question du financement de la relocalisation des biens soumis à l’érosion. En mai 2019, elle annonce que les financements d’une relocalisation pourraient provenir d’un fond alimenté par une augmentation de 0,2 % des frais de mutations lors des transactions immobilières (frais de notaires) des maisons situées dans les zones à risques. En revanche, les nouveaux propriétaires acquérant un bien dans les zones à risques le feraient en connaissance de cause et ne seraient donc pas éligibles à ce fond, qui servirait donc à indemniser les propriétaires déjà présents sur la commune. Lors d’une réunion publique en juin 2019 à Lège-Cap-Ferret pour évoquer cette idée, la députée s’est faite huée par le public présent dans la salle. De plus, toujours lors de cette réunion, la commune a fait savoir qu’elle ne se positionnait pas en faveur de la relocalisation, sous les acclamations du public. Le débat autour de la relocalisation s’annonce donc houleux…
Conclusion
Par le passé, des erreurs d’aménagement ont été commises. Alors même que l’aléa « érosion » était connu, des stations balnéaires ont émergé sur une côte sableuse, donc très fragile, à partir de la fin des années 70 par le truchement de la MIACA (Mission Interministérielle d’Aménagement de la Côte Aquitaine). La pointe du Cap Ferret n’aurait pas dû être aménagée, comme le souligne R. Paskoff (2003) : « l’erreur originelle a été de permettre l’urbanisation de l’extrémité distale du Cap Ferret qui, par sa nature même, est une construction littorale éminemment mobile ».
On assiste donc progressivement à un changement de paradigme dans la gestion du littoral. L’érosion extrême de certains secteurs, comme l’a montré la première partie au Cap Ferret, oblige désormais à repenser le littoral. Conjuguée avec les nombreuses incertitudes liées au dérèglement climatique, la simple défense du trait de côte actuelle (ouvrages d’art ou gestion douce) ne suffit plus comme le prouve la deuxième partie. La commune de Lège-Cap-Ferret, en rechargeant le cordon dunaire de sable chaque hiver, ne fait que poser une rustine sur une pointe que l’océan continuera de ronger.
Il faut donc aujourd’hui réfléchir à reculer les biens et les activités menacés par l’érosion comme commencent à l’envisager certaines communes littorales. Cependant, la relocalisation, bien qu’elle paraisse difficilement évitable dans certains cas, soulève de nombreuses interrogations ainsi que des flous juridiques principalement liés au financement. L’État, s’il possède encore un peu de temps, ne doit pas attendre le dernier moment avant de réagir. La situation du Signal prouve qu’agir dans l’urgence est source de conflit et de discrédit…