Le passage du Gois est inscrit à l’inventaire des sites et monuments naturels du département de la Vendée depuis le 11 Juillet 1942. Aujourd’hui, la DREAL Pays de la Loire souhaite classer cet ouvrage atypique d’un intérêt patrimonial afin de lui accorder un degré de protection supérieur et d’œuvrer plus durablement à sa conservation. Dans ce contexte, il est nécessaire de comprendre dans quelle mesure le passage du Gois s’est déplacé dans le temps et dans l’espace.
Présentation du terrain d’étude
Comprendre l’évolution du passage du Gois ne peut se faire sans se pencher sur le contexte dans lequel celui-ci s’inscrit : la baie de Bourgneuf. Cette étape est nécessaire afin de comprendre les origines de la chaussée submersible du Gois. Tantôt phénomène naturel, tantôt construction anthropique, le passage du Gois se lit à l’interface de l’homme et de la nature.
Long de 4,15 km, le passage du Gois relie Barbâtre sur l’île de Noirmoutier à Beauvoir-sur-Mer sur le continent. Le mot « gois » serait issu du patois « goiser » : marcher dans l’eau (Piet, 1863 ; Martin, 1985). La chaussée submersible empruntable deux fois par jour à marée basse traverse la baie de Bourgneuf. Cette dernière s’étend sur 62 000 ha ; elle appartient au type des baies frisonnes et présente une dissymétrie au niveau de ses ouvertures (Verger, 1968). L’ouverture septentrionale est large de 12,5 km tandis que l’étroit goulet de Fromentine, large de 500 m, constitue l’ouverture méridionale de la baie.
La baie de Bourgneuf est constituée de plusieurs ensembles morphologiques (Verger, 1968). Les wadden constituent le premier ensemble morphologique. Ceux-ci se développent en zone intertidale. Il existe deux sous-ensembles de wadden en baie de Bourgneuf : ceux de la partie septentrionale et ceux de la partie méridionale de la baie. Le versant nord se caractérise par sa large ouverture et sa morphologie très plane. Il est constitué d’un vaste estran sableux. Le versant sud se distingue par sa forme en entonnoir (fig. 1). Il est traversé par plusieurs chenaux qui sont toujours en eau à marée basse. Le principal longe la chaussée du Gois puis la chaîne à Carré dont il tire son nom. Cette chaîne de colmatage correspond certainement à une poldérisation ancienne abandonnée par la suite. Le chenal de la chaîne à Carré rejoint ensuite le goulet de Fromentine (Robin, 1990, 1991). Séparé par le banc de sable du Piau, le chenal de la Casie s’étend depuis le nord de la pointe de la Casie jusqu’au goulet également.
La morphologie des chenaux est certainement très influencée par les aménagements anthropiques, à l’exemple de l’omniprésence des digues de protection des polders dans cette partie méridionale de la baie de Bourgneuf. Le delta de marée de Fromentine constitue le deuxième ensemble morphologique après les wadden de la baie de Bourgneuf. Si le terme de delta est couramment utilisé pour désigner une « embouchure d’un cours d’eau où les alluvions fluviatiles s’accumulent au lieu d’être redistribués en majorité sur une grande étendue par les vagues et les courants littoraux » (Paskoff, 2006), il s’agit ici d’une structure sédimentaire complexe construite par les mouvements de la marée et de la houle (Bernier et Gruet, 2011). Plus précisément, le delta de marée de Fromentine est un delta de jusant (Elias et Van Der Spek, 2006). En effet, une quantité plus importante d’eau est évacuée par le goulet au moment du jusant qu’il n’en rentre au moment du flot (Verger, 2009 ; Paillart, 1998).
Les caractères morphologiques particuliers de la baie induisent un fonctionnement hydro-sédimentaire singulier. À marée montante, un courant de flot emprunte l’ouverture septentrionale tandis qu’un autre s’engouffre dans la baie par le goulet de Fromentine. La rencontre de ces deux courants de marées entraîne une diminution des courants qui provoque un dépôt des sédiments. Ce phénomène naturel appelé wantij en néerlandais est à l’origine du passage du Gois. Actuellement, Paul Bernier et Yves Gruet (2011) estiment que le wantij se situe entre 600 et 800 mètres au sud du Gois. Selon eux, ce déplacement est principalement provoqué par la diminution de la largeur du goulet de Fromentine qui laisse entrer de moins en moins d’eau au moment de la marée montante. Le point de rencontre des deux courants de flot se fait ainsi de plus en plus au sud.
Méthodologie
Si les premières traces du Gois apparaissent dans les écrits autour de 830, il faut attendre le début du 17ème siècle pour voir le passage sur les documents cartographiques. La carte de Claude Masse éditée en 1702 est la source cartographique la plus ancienne (Suire, 2011). L’étude de l’évolution historique du Gois dans le temps et dans l’espace s’est faite à l’appui de cartes anciennes datant du début du 18ème au milieu du 19ème siècle (levés hydrographiques de 1821-1822 et de 1865). Elle se base également sur des prises de vues aériennes de 1950 et de 1977 ainsi que des ortho-photographies de 2001 et de 2011. Ces cartes ont été calées sur l’ortho-photographie de 2011 (Géolittoral) en utilisant le logiciel de Système d’Information Géographique (SIG) Arcgis®. L’emploi du SIG a permis de numériser pour chaque date disponible le passage du Gois, le trait de côte ainsi que les chenaux de marée présents dans le versant sud de la baie de Bourgneuf. En effet, la partie méridionale de la baie comprend bon nombre de chenaux qui ont été cartographiés de manière relativement précise au fil du temps ; ce qui ne se vérifie pas dans la partie septentrionale. Les indicateurs choisis pour comprendre l’évolution chronologique du passage du Gois, les chenaux de marée et le trait de côte, ont été étudiés successivement afin de comprendre les liens qu’ils entretiennent avec le déplacement du Gois.
Résultats
Avant la fixation du Gois au début du 20ème siècle, la morphologie de la baie et les dynamiques hydro-sédimentaires semblent avoir influencé la morphologie et la localisation du passage du Gois. Son emplacement représenté sur la carte de Masse en 1702 correspond certainement au wantij. Sur cette carte (fig. 2A), le passage prend la forme d’une citation. La numérisation du tracé comporte donc une marge d’erreur de la largeur de la citation sur la carte d’origine, soit 250 m. La poldérisation n’a pas encore commencé dans cette partie de la baie, le versant méridional est plus large que l’actuel. Plusieurs chenaux de marée, en permanence en eau, le traversent, dont un particulièrement important qui longe l’ouest du versant le long des côtes du continent. Celui-ci coupe d’ailleurs le Gois, rendant certainement la traversée encore plus difficile.
Les cartes anciennes produites à partir des levés de 1821-1822 (fig. 2B) montrent une poldérisation déjà entamée avec la création notable du polder de la Crosnière (fig. 1) côté continent entre 1766 et 1767. La superficie du versant méridional est réduite et sa traversée également. Ainsi, il semble que la localisation du passage du Gois ait été particulièrement déterminée par ce gain important des terres sur la mer. Cependant, c’est bien la présence d’un haut fond qui permet la traversée : qu’en est-il du wantij ? Si l’on en croit les cartes anciennes, et leur représentation du goulet, il est possible que le wantij se soit déplacé au sud non pas à cause du rétrécissement du goulet de Fromentine mais à cause du changement de morphologie du versant méridional. Il est difficile de valider cette hypothèse n’étant pas certaine de l’exactitude de la représentation du Gois et du goulet sur les cartes anciennes. Bien que les chenaux soient représentés sur les cartes dans une moindre mesure pour cette période que pour 1702, il semble que le chenal principal ait diminué et qu’il s’oriente à cette époque plus au centre du versant. Ce changement dans sa morphologie et son orientation est certainement dû également à la poldérisation côté continent.
Les cartes anciennes issues des levés de 1865 présentent l’avancement considérable de la poldérisation (fig. 2C). L’important polder de Sébastopol est achevé entre 1856 et 1858 (fig. 1). La superficie du versant méridional est à nouveau réduite. Le passage du Gois en est rétréci, les points d’entrée sur le passage sont localisés pratiquement au même endroit qu’en 1821-1822 mais sa morphologie a changé, le localisant plus au sud. Le goulet aurait connu en un peu plus de 40 années un resserrement de près de 170 mètres selon les cartes anciennes. Le wantij s’est donc certainement déplacé au sud et se trouve sûrement au niveau du Gois. Le chenal principal confirme son changement d’orientation, il décrit une courbe au milieu du versant et vient longer les côtes de Barbâtre et la pointe de la Casie. C’est certainement à partir de cette époque qu’il commence à en porter le nom.
Figure 2 – évolution du versant méridional de la baie de Bourgneuf et du Gois avant la fixation du Gois
Après la fixation du Gois au début du 20ème siècle (pavage), il semble qu’au contraire ce soit le passage qui contraigne les dynamiques hydro-sédimentaires du versant méridional de la baie dont la preuve la plus parlante est l’évolution des chenaux de marée.
Entre 1950 et 2011 (fig. 3A à 3D), les grands travaux de poldérisation étant achevés, la superficie du versant méridional n’évolue quasiment plus. Le trait de côte est globalement fixé par les digues sauf au niveau du goulet de Fromentine. Celui-ci continue à se resserrer entre 1950 et 2001 passant d’une largeur de 515 m à 430 m. Ainsi, le wantij continue son déplacement vers le sud. Malgré un élargissement de 40 m entre 2001 et 2011, celui-ci se trouve aujourd’hui selon Paul Bernier et Yves Gruet (2011) entre 600 et 800 m au sud du Gois. Le passage du Gois apparait alors comme l’ombre immobile du phénomène naturel mouvant qui en est à l’origine.
Figure 3 – évolution du versant méridional de la baie de Bourgneuf et du Gois après la fixation du Gois
Le chenal de la Casie perd progressivement de son importance au profit d’un autre chenal qui a fait son apparition au 20ème siècle (Verger 1968) : le chenal de la chaîne à Carré. Celui-ci longe la chaîne de colmatage de la chaîne à Carré, vestige d’un projet de poldérisation inachevé hérité probablement du milieu du 19ème siècle. À mesure que ce chenal grossi, l’ancien chenal principal de la Casie semble diminuer. La fixation du passage du Gois a contraint le chenal de la chaîne à Carré dans son orientation, il n’a d’autre choix que d’épouser le tracé de la chaussée. Cette configuration du chenal entraîne une érosion progressive des bords de la chaussée qui menace sa pérennité (photo 1).
Perspectives
Grâce aux coupes transversales réalisées sur la chaussée du Gois, une érosion allant jusqu’à un mètre entre le bord de la chaussée et le chenal a été constatée (photo 2). Cette érosion tend à s’aggraver car le passage du Gois apparaît comme un obstacle aux dynamiques hydro-sédimentaires présentes dans le versant sud de la baie de Bourgneuf. Il contraint le chenal principal à adapter sa morphologie. La forme en entonnoir du sud de la baie entraîne une augmentation de la vitesse du courant jusqu’à ce qu’il rencontre le courant de flot du sud. Or, comme la rencontre des deux flots se fait maintenant plus au sud du Gois, l’accalmie ne se produit pas au niveau de ce dernier. Au contraire, la vitesse du flot venant du nord étant élevée, le côté sud de la chaussée prend l’allure d’une petite cascade. Afin de faire face à ce risque d’érosion préoccupant, des ouvrages de défense tels que des épis ont été mis en place au début des années 2000. Cependant, il est possible de douter de l’efficacité des épis dans ce contexte. Normalement conçus pour piéger les sédiments apportés par la dérive littorale sur les plages, ils n’apparaissent pas efficaces le long d’une chaussée submersible traversant une baie de type frisonne. Ainsi, dans la partie sud de la baie de Bourgneuf, les sédiments apportés par les courants de flot sont ensuite remobilisés de manière importante par les courants de jusant.
Ainsi, la volonté de conserver l’objet patrimonial atypique du passage du Gois est difficile à concilier avec les dynamiques hydro-sédimentaires puissantes auxquelles celui-ci est confronté. Il est certain que cette conservation du Gois ne peut se faire sans un suivi régulier du phénomène d’érosion qui met en péril sa stabilité.
Cet article découle d’un mémoire de recherche intitulé « L’évolution historique du passage du Gois : du 18ème siècle à nos jours » dirigé par Mohamed Maanan et Jérôme Botrel, et réalisé au sein du laboratoire LETG-Nantes Géolittomer en partenariat avec la DREAL Pays de la Loire. Je remercie également Laurent Godet, Étienne Chauveau et le comité de rédaction des Cahiers Nantais pour l’intérêt qu’ils ont porté à mon étude. Je tiens à remercier l’équipe du laboratoire LETG-Nantes Géolittomer et la division Sites et Paysages de la DREAL Pays de la Loire ainsi que les Archives Départementales de la Vendée.