Le risque inondation dans les petits bassins-versants côtiers urbains de Libreville (Gabon) : exemple d'Ogombié et d'Indongui

Abstract

Les inondations urbaines constituent le risque naturel touchant le plus de personnes à Libreville, capitale du Gabon. Ce phénomène prend de l'ampleur en raison du développement anarchique des constructions dans les petits bassins-versants côtiers. Il est lié au contexte physique (pluviométrie, relief) spécifique à la région, auquel s'ajoutent les incivilités sociétales commises sur un environnement à la base paralique. L'analyse des inondations à travers deux exemples de bassins-versants urbains témoigne de la diversité typologique et spatiale du risque. Les contraintes d'une urbanisation non maîtrisée et les limites des politiques d'assainissements exigent la mise en place d'une Gestion Intégrée du Risque Inondation.

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Mots-clés

risque inondation, vulnérabilité, bassin versant, Gestion Intégrée du Risque Inondation (GIRI)

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Text

La question des eaux de ruissellement à Libreville après une pluie diluvienne est devenue une préoccupation majeure (Menie Ovono et al., 2017), si bien que les récentes inondations qui ont touché les populations les plus vulnérables ont relancé le débat sur le changement climatique et ses éventuelles conséquences, soulignant ainsi les responsabilités des décideurs et des résidents des petits bassins-versants côtiers urbains.

Durant la dernière décennie, des inondations se sont produites à Libreville à l’instar des autres villes littorales du Gabon, et plus largement de nombreuses villes et agglomérations côtières de l’Afrique centrale et de l’Afrique de l’Ouest. Ces inondations urbaines s’organisent particulièrement le long des plaines alluviales et des bas-fonds (photos 1 et 2).

Photos 1 et 2 - Urbanisation dans un bas-fond inondable à Libreville

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Ici, le phénomène est illustré dans le bas-fond du quartier de Belle-Peinture, avec à gauche un cliché pris lors d’une inondation le 12 novembre 2015, et un autre à droite quelques jours après l’écoulement des eaux, le 29 novembre 2015.

Crédits photos : Z. MENIE OVONO, 2015

Certaines de ces inondations, par l’ampleur des dégâts et les pertes en vies humaines qu’elles ont occasionnées, sont relayées en temps normal par le quotidien local de l’information « Union », et justifient la psychose des populations urbaines ainsi que l’impérieuse nécessité de réponse de la part des pouvoirs publics face à un risque naturel en développement croissant (fig. 1). Les évènements dommageables sur les personnes et leurs biens, en lien avec les inondations des petits bassins-versants urbains côtiers, deviennent fréquents depuis l’année 2009 et leur nombre a quadruplé ces dix dernières années (fig. 1).

Figure 1 - La croissance démographique urbaine et la fréquence annuelle des événements exceptionnels d’inondations

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Les impacts de ces inondations s’amplifient d’une année à l’autre, mais il est malheureusement très difficile de les évaluer avec précision, puisqu’aucun suivi n’est réalisé afin de quantifier les victimes, déplacés, dégâts matériels ou encore coûts des réparations et dommages. Il est possible toutefois de mettre en lumière les éléments contextuels favorables à l’augmentation des conséquences des inondations, comme notamment la pression foncière découlant d’une rapide croissance démographique urbaine demandeuse d’espaces habitables, cela ayant comme résultat direct une occupation anarchique des zones basses urbaines (Menie Ovono et al., 2017).

Le fait marquant est la coexistence de divers types d’inondations dans un espace à la base paralique et à forte densité humaine (Mounganga, 2013). On assiste, ces dernières années, à une réorganisation spatiale de celles-ci, avec une concentration des situations les plus critiques dans les petits bassins-versants côtiers urbains. Le présent article est donc consacré à cette question des inondations des zones basses humides urbaines et alimentées par un réseau hydrographique côtier : il s’agit entre autre du bas-fond marécageux de « Belle Peinture » et du marais de « Barracuda ».

Les facteurs naturels d’inondations des petits bassins-versants de Libreville

Les inondations résultent de la conjonction de facteurs naturels. Les prédispositions géomorphologiques, l’étendue du réseau hydrographique urbain, une pluviométrie abondante et régulière constituent autant de variables naturelles qui conditionnent la nature du risque.

Libreville repose sur une plaine littorale du bassin sédimentaire du Gabon. Le substratum rocheux qui couvre l’étendue urbaine est composé majoritairement du calcaire dit de « Sibang », sur lequel alternent les argiles, les sables et les limons.

Le paysage urbain, marqué par des dépressions ou sillons intermédiaires inondables, est couvert par des sols à forte hydromorphie. On y trouve en abondance des dépôts alluviaux récents et des sols d’apports minéraux et organiques. Ils subissent l’influence de la nappe phréatique sub-affleurante qui accroît ainsi leur saturation en eau. Leur texture sablo-argileuse, argilo-sableuse et limoneuse leur confère une relative perméabilité. Ces caractéristiques des sols limitent l’infiltration normale, accélérant ainsi le ruissellement. Par conséquent, il se produit un engorgement préalable et une saturation des horizons supérieurs lors des pluies diluviennes et prolongées, d’autant plus que la réduction du couvert végétal, à la suite de l’extension urbaine, a accentué le lessivage.

On note une absence de relief accentué avec cependant l’existence de pentes fortes qui délimitent des petits bassins-versants urbains (fig. 2).

Figure 2 – Le contexte topographique et hydrographique de Libreville

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Cette pénéplaine est reprise par une érosion hydrographique intense qui offre un paysage marqué par une succession de collines peu élevées à pentes fortes. Les bassins-versants sont disposés perpendiculairement à une ligne de points hauts, orientée NO-SE, offrant ainsi deux régions hydrographiques. La présente étude est consacrée à la sous-région ouest qui héberge les deux petits bassins-versants objets de perception de la propension du risque inondation dans la ville de Libreville.

Le paysage des petits bassins-versants côtiers alterne collines et vallées marécageuses avec une moyenne altimétrique oscillant entre 0 à 70 mètres. La topographie oriente le sens du ruissellement à travers un gradient de pentes faibles estimées entre 2 % et 10 % (Mombo, 2007).

Les inondations des petits bassins-versants sont fréquentes au rythme des saisons de pluies typique d’un climat équatorial nominal. Libreville connaît deux saisons sèches et deux saisons des pluies. Les précipitations sont régulières et la durée moyenne des pluies est de 140 jours par an, soit un volume moyen annuel cumulé de 2 887 mm. La figure 3 illustre bien cette disposition en deux saisons de pluies : une grande d’octobre à fin décembre ; une petite de mars à mai.

Figure 3 - Pluviométrie annuelle moyenne de Libreville

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Source : Direction de la Météorologie Nationale du Gabon, moyenne calculée sur la période 1950-2000

Dans un contexte d’évolution climatique où les séquences pluvieuses exceptionnelles sont de plus en plus fréquentes, le cumul des volumes d’eau précipités engendre la saturation des sols sablo-argileux et calcaires imperméables (le taux d’imperméabilisation des sols à Libreville varie de 0,45 à 0,70 %). Le bilan du cycle de l’eau est en faveur du ruissellement et du rehaussement des hauteurs d’eau des rivières et des plaines alluviales par sédimentation.

Les lits des rivières étant comblés par les alluvions et les colluvions, les crues lentes se propagent donc par palier des talwegs vers les fonds de vallées, pour ensuite ennoyer les plaines alluviales.

À l’exutoire des bassins-versants, la confluence simultanée des eaux continentales et la montée de la marée dans l’important estuaire du Komo favorise les inondations des micro-marais proches du trait de côte.

Aggravation du risque : croissance urbaine non maîtrisée et vulnérabilité des populations aux inondations

L’urbanisation galopante des villes côtières des régions littorales du Gabon (Pottier et al., 2017) constitue un véritable défi pour la gestion du risque inondation. Située sur la rive droite de l’estuaire du Komo, Libreville est la première agglomération du pays par son étendue estimée à plus de 200 km² et occupée par plus de 800 000 habitants, soit une densité d’environ 4 000 habitants au km². Elle est passée de 77 000 habitants en 1970 à 200 000 en 1980, puis 420 000 en 1993, 664 000 en 2003 et 807 000 en 2013. Or, la ville a été érigée sur un site particulier marqué par un environnement très hydrophobe (Lasserre, 1958), dans un espace paralique à la croisée des eaux continentales et océaniques finalement peu propice à l’émergence d’une grande agglomération. Pour se protéger des inondations et des moustiques vecteurs du paludisme, les premières zones urbanisées ont été concentrées sur les collines et les sommets des interfluves. Aussi longtemps que cela fut possible, les zones basses inondables classées non aedificandi (Assongmo, 2003) ont été tenues à l’écart de l’urbanisation, mais progressivement, la ville à tout « englouti », avant d’être elle-même submergée localement dans ces secteurs à risque.

Le « boom pétrolier » de 1970 y a favorisé une extension urbaine rapide, non maîtrisée et soutenue par une forte croissance démographique. Les pressions foncières résultantes ont contraint les habitants les moins nantis à occuper les zones inondables. La coexistence d’une urbanisation anarchique et non maîtrisée avec une forte densité humaine dans les espaces non aedificandi a ainsi engendré le risque inondation actuel (Assongmo, 2003).

Alors que le développement urbain jusqu’au début des années 1980 resta fidèle à l’esprit du plan d’urbanisation de 1939 (Lasserre, 1958), l’apport démographique continu et accéléré entre 1980 et 2013 avec plus de 18 000 nouveaux habitants à Libreville par an, a fait disparaître les dernières résistances à la construction la plus anarchique. À l’ombre de la crise économique à partir de 1983, se sont développés les quartiers spontanés sous-intégrés qui ont pris d’assaut les forêts hydrophiles des plaines alluviales urbaines, les marais à mangroves et les plaines marécageuses, dont le rôle régulateur d’inondation était pourtant avéré.

Depuis 2014, la situation s’est généralisée aux quartiers huppés à l’image de la commune nord de Libreville (Akanda), qui font également les frais de ces inondations spectaculaires. Les raisons bien que différentes, sont également liées à un déficit de maîtrise du développement et de l’aménagement urbain. Le quartier « Sablière » pourtant doté de collecteurs des eaux de ruissellement s’inonde pour deux raisons principales : l’aménagement non concerté du trait de côte et les remblais mal réalisés lors de la stabilisation des sols des lotissements et des voiries actuels. Cette situation illustre bien la vulnérabilité au risque d’inondation aujourd’hui généralisée à l’ensemble de la bordure côtière de l’agglomération de Libreville.

Typologie des inondations à Libreville

À l’échelle de Libreville, on retient globalement trois types d’inondations qui se réalisent pendant la saison des pluies. Il s’agit : (1) des crues de plaines alluviales du réseau hydrographique urbain, comme illustré sur la photo 3 ; (2) du remplissage des bassins naturels ou artificiels de rétention d’eau lors des pluies diluviennes et de longue durée, comme illustré sur la photo 4 ; (3) du débordement des collecteurs du réseau de drainage urbain comme illustré photo 5 (Menie Ovono et al., 2017).

Photo 3 - Inondation de la plaine alluviale du Gué-Gué, à la suite d’un épisode pluvieux court et intense

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Crédit photo : M.-D. MOUNGANGA, 2011

Photo 4 - Inondation d’un bassin naturel de rétention d’eau en date du 12 novembre 2015 au quartier « Belle Peinture »

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La scène se déroule à la source de la rivière Ogombié dont le lit mineur est traversé par la voix expresse Owendo/ aéroport Léon Mba via une buse. L’un des deux exutoires bouché par les déchets ménagers ne permet plus l’écoulement de l’eau vers l’aval.

Crédit photo : Z. MENIE OVONO, novembre 2015

Photo 5 - Débordement des collecteurs de drainage des eaux de pluie

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Les conduites d’eaux pluviales vers la mer sont bouchées et parfois obsolètes. À chaque grosse averse, l’eau sort de ces conduites et inonde les rues. Ici, au feu rouge de la Présidence de la République Gabonaise.

Crédit photo : G. MOUNOMBY, 29 décembre 2015

Les inondations sont d’intensité et de durée variables en fonction de la physiographie et du secteur géographique urbain concerné. Elles peuvent cependant être aggravées par certains aménagements et activités humaines. D’un bassin-versant à un autre, on observe quelques variantes sur le plan organisationnel du risque, les facteurs sociaux additionnels influant considérablement sur le mode de réalisation d’un des trois types d’inondations susmentionnées (Méva’a Abomo, 2010).

Les inondations se manifestent particulièrement le long des petits cours d’eau urbains, mais leurs modes de propagation diffèrent d’un lieu à un autre. Dans le cadre de cette étude, un zoom est donc proposé sur deux secteurs particuliers de deux bassins-versants, l’Ogombié et l’Indongui, afin de mettre en relief le contraste organisationnel du risque. Comme très peu d’études détaillées ont été jusqu’à présent menées (voir toutefois Mounganga, 2011), ces deux approches à échelle très fine (au bâtiment) doivent permettre de mieux percevoir et quantifier l’ampleur des processus d’urbanisation qui ont affecté ces secteurs de bas-fond aujourd’hui à fort risque d’inondation.

Les inondations dans le bassin versant Ogombié

La rivière Ogombié prend sa source au pied de la colline Nkologoum qui culmine à plus de 70 mètres d’altitude par rapport au niveau repère de la rive droite de l’estuaire. Le réseau hydrographique couvre un bassin-versant de 9,6 km2 de superficie avec un réseau primaire orienté NNE-SSO et qui s’étend de l’amont à l’aval sur 7 km environ.

De toute l’agglomération Librevilloise, le bassin-versant de l’Ogombié est le plus vaste. Cependant, il présente une des plus faibles densités de drainage, estimée à 0,68 km/km2.

À l’image de ce qui s’est produit dans l’ensemble de l’agglomération de Libreville, dont l’occupation spatiale résultante des phases successives d’extension urbaine a considérablement impacté l’environnement des petits bassins-versants côtiers urbains, celui de la rivière Ogombié a subi une anthropisation soutenue, engendrant des modifications structurelles de l’ensemble de son linéaire et par conséquent de sa plaine alluviale. La construction du réseau viaire a également segmenté l’ensemble du paysage en 6 sous-bassins versants reliés entre eux par des ponts bétonnés ou par des buses métalliques sur un total de 26 ponts aménagées (fig. 4).

Figure 4 - Le bassin versant d’Ogombié, disposition et drainage

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L’urbanisation du bassin-versant d’Ogombié s’est amorcée d’abord le long du linéaire de la rive droite de l’estuaire du Komo, à l’emplacement actuel du marché de pêche CAPAL. Son extension vers l’amont s’est accrue avec la construction de la zone industrielle d’Oloumi, où se situe l’unique tronçon aménagé de ce réseau hydrographique, sur une distance de 3 km environ. Le restant du réseau, hormis les ponts, est modifié par une occupation anarchique de son cours naturel, où se construisent des habitats précaires non adaptés pour un espace à l’origine inondable.

D’autre part, la construction de la voie express qui relie le port d’Owendo et l’aéroport international Léon Mba a nécessité la pose de buses métalliques et le remblai des plaines alluviales traversées par la route. Le sous-dimensionnement des collecteurs d’eau de ruissellement et des buses métalliques de petits calibres (diamètres standards 0,50 et 0,85 mètre) fait qu’aujourd’hui ils ne remplissent plus convenablement leur fonction originelle de drainage des eaux vers l’aval.

Le quartier Belle Peinture, à chaque épisode pluvieux est victime des inondations par engorgement des ponts bétonnés et buses dans un bas-fond à forte densité d’occupation (fig. 5). Les canalisations sont alors bouchées et les habitations inondées, tel est la funeste image que renvoie ce quartier à chaque pluie diluvienne.

Figure 5 - Évolution de l’urbanisation du bas-fond de Belle Peinture entre 2001 et 2015

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Dans le cas des inondations à Belle Peinture, l’incivisme des populations et la construction anarchique en lien avec la pression foncière pour les ménages à faible revenu, sont autant de facteurs amplificateurs de ces inondations. De 2001 à 2015, les nouvelles constructions ont envahi cette zone de 27 hectares (fig. 5). 554 y furent construites en 14 ans, et surtout 129 y furent érigées dans la zone basse inondable. Sous la pression anthropique croissante et dans un contexte de sous équipement pour la collecte des déchets, la transformation des lits des rivières en dépotoirs d’ordures ménagères obstrue celles-ci et organise les bouchons des ponts et buses métalliques. Ce phénomène est malheureusement observé dans l’ensemble de l’agglomération de Libreville, y compris dans les quartiers centraux les plus « en vue » (photo 6).

Photo 6 - Obstruction du secteur aménagé de la rivière Arambo à hauteur du pont de l’avenue Jean Paul II dans le quartier central des ministères.

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Le long de la section aménagée pour l’évacuation des eaux pluviales et usées à l’entrée du pont Oulabou, un amas de déchets ménagers (bouteilles en plastique et divers objets) a formé un embâcle du lit principal.

Crédit photo : N. RABENKOGO, 2015

Les inondations dans le bassin versant d’Indongui

Le bassin-versant d’Indongui qui se situe à l’extrême sud de Libreville, dans la commune d’Owendo, nous apporte une autre illustration de ces processus d’urbanisation totalement incontrôlés dans les secteurs de bas-fond. Cet exemple est à la fois intéressant par l’ampleur des constructions qui s’y sont développées que par sa brutale éradication il y a seulement quelques mois, le 24 août 2019.

Le lit de la rivière s’étire environ sur 7 km, elle prend sa source à la base de la colline de Bizango et se jette dans l’estuaire du Komo. Le bassin-versant (fig. 6) couvre une superficie de 4,8 km2 et se structure en deux sous bassins-versants : Nomba-domaine (en amont) et Barracuda (en aval). Ces deux sous-bassins sont séparés par la voie express qui relie le port d’Owendo à l’aéroport International de Libreville. Chacun de ces sous bassins-versants constitue une cellule spécifique et autonome dans la gestion de l’épandage des eaux, de l’amont vers l’aval de la rivière.

Figure 6 - Le bassin-versant d’Indongui, disposition et drainage

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Le sous bassin-versant de Barracuda offre un paysage de plaine littorale avec une prédominance de mangrove et de quelques espèces végétales adaptées aux eaux saumâtres. C’est un espace paralique sous la double influence de la dynamique de la marée et des apports fluviaux, qui était classé en zone non aedificandi.

La construction du port et son extension spatiale au-delà de la pointe d’Owendo, avec les avantages économiques offerts aux citadins, a certes favorisé le développement de tout ce secteur de l’agglomération, mais la pression foncière résultante a également contraint les citadins économiquement faibles à s’installer dans cette zone inondable en développant un habitat précaire sur pilotis, d’où la dénomination « Shanghaï » attribuée à ce quartier construit sur les eaux. En à peine un peu plus d’une décennie, de 2001 à 2015, les nouvelles constructions ont envahi cette zone de 118 hectares. 1217 y furent construits en 14 ans (près de 90 par an !), et surtout, 447 y furent érigées dans la zone inondable elle-même (fig. 7).

Figure 7 - Évolution de l’urbanisation du bas-fond Shanghaï à Barracuda entre 2001 et 2015

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La concentration très forte de citadins dans cette zone basse inondée offrait un paysage unique, où le déplacement à travers le quartier n’était possible que par le biais d’un réseau interconnecté de passerelles instables construites en matériaux de fortune (visible sur la photo en médaillon, fig. 7), ainsi imaginées comme l’unique forme d’adaptation au risque réel. Les conditions d’occupation humaine de ce sous bassin-versant n’obéissaient bien entendu aucunement à un schéma normatif, les dispositions des habitations n’étant ni coordonnées, ni structurées, et le secteur étant totalement dépourvu des équipements urbains les plus élémentaires, dont bien évidement un réseau d’assainissement.

Après des années de laisser-faire, les autorités ont finalement décidé récemment d’éradiquer brutalement ces constructions illicites. Les services municipaux ont en effet déguerpi les populations et détruit par le feu les habitations le 24 août dernier (2019), après une procédure expéditive d’à peine 2 mois.

Enseignements, recommandations

En conclusion, il ressort que l’urbanisation non maîtrisée de l’agglomération de Libreville modifie considérablement le comportement hydrologique des petits bassins-versants côtiers urbains. L’occupation devenue systématique des bas-fonds marécageux par des formes d’habitat précaire augmente la vulnérabilité des populations face aux risques d’inondation.

Les inondations touchent la quasi-totalité de l’espace urbain, avec tout de même une propension particulière le long des plaines alluviales et les bas-fonds. Les conséquences socio-économiques et environnementales sont déplorables, d’autant que la réponse sociétale est lente et peine à se concrétiser.

La généralisation actuelle des inondations à toutes les zones basses de l’étendue urbaine vient en partie de la vétusté et de l’inadaptation du réseau de collecteurs d’eau de ruissellement et des incivilités des riverains. Cette situation de crise globale est amplifiée par la construction des obstacles à l’écoulement et par l’artificialisation des lits des rivières.

Les victimes de ces inondations sont nombreuses chaque année et le préjudice financier se chiffre à des centaines de millions de francs CFA. Le rapport « pionnier » d’enquête publié par la DSCRP en 2005 (DSCRP, 2005) présentait déjà les premiers effets socioéconomiques et environnementaux de ces inondations. Le sinistre ne touchait particulièrement que les quartiers sous-intégrés de Libreville, où les victimes se comptaient déjà par milliers. Le coût financier des indemnisations des sinistrés se chiffra à 112 millions de francs CFA pour la seule année 2005 (Ministère de la planification et de la programmation du développement, 2005).

La problématique d’assainissement des bassins-versants de Libreville, source des inondations récurrentes est au cœur d’un programme d’aménagement urbain depuis 2003. L’UCET (Unité de Coordination des Études et des Travaux) est la structure étatique en charge des travaux d’assainissement des bassins-versants, mais son fonctionnement est à l’arrêt, conséquence des effets de la crise économique qui sévit dans le pays et de la mauvaise affectation des budgets. Le programme d’Assainissement Prioritaire de la ville de Libreville (APRIL), créé pour l’aménagement des 22 bassins-versants urbains côtiers peine donc à accomplir sa mission.

Quant aux politiques publiques dans le domaine de l’urbanisme et de la construction non contrôlée dans l’espace urbain et notamment les bas-fonds inondables, les récentes interventions dans le quartier Shanghaï signifient sans aucun doute une volonté nouvelle de régulation de ce processus anarchique. Mais au-delà de l’exemple dont on ne sait s’il sera poursuivi dans tous les secteurs urbains où la question se pose, sans doute serait-il souhaitable dès à présent d’agir non seulement sur les effets, mais également sur les causes de cette situation.

Enfin, la multiplication des événements pluviométriques exceptionnels, l’extension spatiale des zones à risque d’inondation, tout comme les conséquences importantes qui en découlent pour les sociétés, justifient l’impérieuse nécessité de faire évoluer les outils de gouvernance actuels par une Gestion Intégrée du Risque Inondation (GIRI).

Bibliography

Assongmo T., 2003. Stratégie d'occupation du sol et aménagement des zones non aedificandi de la ville de Yaoundé, Actes du colloque international de géopolitique urbaine (Libreville 2003), Villes du nord, villes du sud, géopolitique urbaine, acteurs et enjeux, Paris, l'Harmatan, pp. 261-268.

Chocat B., 1997. Le rôle possible de l'urbanisation dans l'aggravation du risque d'inondation : l'exemple de l'Yseron (Lyon), Revue de géographie de Lyon, vol. 72, n° 4, Le climat urbain, pp. 273-280.

DSCRP, Ministère de la Planification et de la Programmation du Développement, 2005. Document de Stratégie de Croissance et de Réduction de la Pauvreté (DSCRP), 71 p.

Lasserre G., 1958. Libreville, la ville et sa région, Étude de géographie humaine, Cahiers de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, Paris, Colin, n° 98, 347 p.

Meva'a Abomo D., 2010. Analyse spatiale du risque d'inondation dans le bassin versant du Mbanya à Douala, capitale économique du Cameroun, Laboratoire de recherche en géographie (LAREG), NOVATECH.

Menie Ovono Z., Itongo M-T., Moukana Lebongui J. A., 2017. Les villes inondées du littoral du Gabon, dans Pottier P., Menie Ovono Z., Faure F. E., Bignoumba G.-S., 2017. Les régions Littorales du Gabon - Éléments de réflexion pour une planification stratégique du territoire, Coédition LETG-Nantes Géolittomer, UMR 6554 CNRS (France) et Raponda-Walker (Gabon), pp. 289-313.

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Mounganga M., 2011. Le difficile équilibre entre urbanisation galopante et préservation des réservoirs forestiers des centres urbains. Exemple du bassin versant de la Gué-Gué à Libreville (Gabon), 16e colloque international en évaluation environnementale : Forêts, énergie, changements climatiques et évaluation environnementale: pour une gestion durable, du global au local, Yaoundé 12-15 septembre 2011, 12 p.

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Pottier P., Menie Ovono Z., Faure F. E., Bignoumba G.-S., 2017. Les régions Littorales du Gabon - Éléments de réflexion pour une planification stratégique du territoire, Coédition LETG-Nantes Géolittomer, UMR 6554 CNRS (France) et Raponda-Walker (Gabon), 439 p.

Pottier P., Allogho-Nkoghe F. M., Koumba J. P, Ntsame Ondo N., 2017. L'urbanisation à l'assaut du littoral du Gabon, dans Pottier P., Menie Ovono Z., Faure F. E., Bignoumba G.-S., 2017. Les régions Littorales du Gabon - Éléments de réflexion pour une planification stratégique du territoire, Coédition LETG-Nantes Géolittomer, UMR 6554 CNRS (France) et Raponda-Walker (Gabon), pp. 181-195.

Illustrations

Photos 1 et 2 - Urbanisation dans un bas-fond inondable à Libreville

Photos 1 et 2 - Urbanisation dans un bas-fond inondable à Libreville

Ici, le phénomène est illustré dans le bas-fond du quartier de Belle-Peinture, avec à gauche un cliché pris lors d’une inondation le 12 novembre 2015, et un autre à droite quelques jours après l’écoulement des eaux, le 29 novembre 2015.

Crédits photos : Z. MENIE OVONO, 2015

Figure 1 - La croissance démographique urbaine et la fréquence annuelle des événements exceptionnels d’inondations

Figure 1 - La croissance démographique urbaine et la fréquence annuelle des événements exceptionnels d’inondations

Figure 2 – Le contexte topographique et hydrographique de Libreville

Figure 2 – Le contexte topographique et hydrographique de Libreville

Figure 3 - Pluviométrie annuelle moyenne de Libreville

Figure 3 - Pluviométrie annuelle moyenne de Libreville

Source : Direction de la Météorologie Nationale du Gabon, moyenne calculée sur la période 1950-2000

Photo 3 - Inondation de la plaine alluviale du Gué-Gué, à la suite d’un épisode pluvieux court et intense

Photo 3 - Inondation de la plaine alluviale du Gué-Gué, à la suite d’un épisode pluvieux court et intense

Crédit photo : M.-D. MOUNGANGA, 2011

Photo 4 - Inondation d’un bassin naturel de rétention d’eau en date du 12 novembre 2015 au quartier « Belle Peinture »

Photo 4 - Inondation d’un bassin naturel de rétention d’eau en date du 12 novembre 2015 au quartier « Belle Peinture »

La scène se déroule à la source de la rivière Ogombié dont le lit mineur est traversé par la voix expresse Owendo/ aéroport Léon Mba via une buse. L’un des deux exutoires bouché par les déchets ménagers ne permet plus l’écoulement de l’eau vers l’aval.

Crédit photo : Z. MENIE OVONO, novembre 2015

Photo 5 - Débordement des collecteurs de drainage des eaux de pluie

Photo 5 - Débordement des collecteurs de drainage des eaux de pluie

Les conduites d’eaux pluviales vers la mer sont bouchées et parfois obsolètes. À chaque grosse averse, l’eau sort de ces conduites et inonde les rues. Ici, au feu rouge de la Présidence de la République Gabonaise.

Crédit photo : G. MOUNOMBY, 29 décembre 2015

Figure 4 - Le bassin versant d’Ogombié, disposition et drainage

Figure 4 - Le bassin versant d’Ogombié, disposition et drainage

Figure 5 - Évolution de l’urbanisation du bas-fond de Belle Peinture entre 2001 et 2015

Figure 5 - Évolution de l’urbanisation du bas-fond de Belle Peinture entre 2001 et 2015

Photo 6 - Obstruction du secteur aménagé de la rivière Arambo à hauteur du pont de l’avenue Jean Paul II dans le quartier central des ministères.

Photo 6 - Obstruction du secteur aménagé de la rivière Arambo à hauteur du pont de l’avenue Jean Paul II dans le quartier central des ministères.

Le long de la section aménagée pour l’évacuation des eaux pluviales et usées à l’entrée du pont Oulabou, un amas de déchets ménagers (bouteilles en plastique et divers objets) a formé un embâcle du lit principal.

Crédit photo : N. RABENKOGO, 2015

Figure 6 - Le bassin-versant d’Indongui, disposition et drainage

Figure 6 - Le bassin-versant d’Indongui, disposition et drainage

Figure 7 - Évolution de l’urbanisation du bas-fond Shanghaï à Barracuda entre 2001 et 2015

Figure 7 - Évolution de l’urbanisation du bas-fond Shanghaï à Barracuda entre 2001 et 2015

References

Electronic reference

Zéphirin Menié Ovono and Patrick POTTIER, « Le risque inondation dans les petits bassins-versants côtiers urbains de Libreville (Gabon) : exemple d'Ogombié et d'Indongui », Cahiers Nantais [Online], 1 | 2019, Online since 29 March 2021, connection on 21 November 2024. URL : http://cahiers-nantais.fr/index.php?id=1166

Authors

Zéphirin Menié Ovono

Géomorphologue, Enseignant-Chercheur à l'École Normale Supérieure de Libreville (Gabon)

Patrick POTTIER

Géographe, Maître de conférences, Université de Nantes, LETG Nantes UMR 6554 CNRS

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