Nantes dans le big-bang territorial

Résumé

L’auteur examine la place de la métropole nantaise dans l’ouest de la France en fonction des dynamiques récentes du paysage institutionnel. Nantes a changé de nature, de statut et d’image. La réorganisation des territoires, proposée par l’État, devrait tenir compte de ces mutations : ce n’est pas le cas. Trois scénarios alternatifs pourraient être envisagés et sont présentés dans cet article.

Index

Mots-clés

Ouest, région, pôle métropolitain, intercommunalité, décentralisation

Plan

Texte

Introduction

Cette fois les dés sont jetés. Après beaucoup d’hésitations, l’État a lancé la troisième étape de la décentralisation. Un nouveau puzzle territorial devrait conduire à un réaménagement des territoires institutionnels de grande ampleur.

Trois lois, votées ou en discussion, viennent encadrer le nouveau dispositif. La loi sur les métropoles en retient à terme seize, même si pour le grand Paris et Marseille des blocages retardent les choses, et si Nice a pris les devants (loi MAPAM). La loi sur le regroupement des régions a conduit à réduire leur nombre de 22 à 13, même si là encore les choix ont été discutés et donnent lieu comme en Alsace à des manifestations. Enfin la loi sur la Nouvelle Organisation des Territoires de la République (loi NoTRe) doit conduire à des regroupements des communes au sein de communautés d’au moins 20 000 habitants. Au final il doit en résulter une simplification et plus d’efficacité. Telle est du moins l’ambition de cette réorganisation administrative. Ceci étant des questions demeurent, notamment le destin des départements et le choix des compétences des nouveaux territoires délimités et reconnus.

Que devient l’agglomération nantaise dans cette réorganisation ? À suivre en ce début 2015 les annonces et les choix effectués, rien ne bouge dans l’Ouest. Il n’y a pas eu de fusion entre les régions de Bretagne et Pays de la Loire, en dépit de la volonté exprimée par de nombreux élus, ni de rattachement d’un département à une autre région, au grand dam des partisans du retour de la Loire-Atlantique dans sa province historique. Il semblerait que le poids de quelques grands élus bretons, voire d’un seul, ait joué en faveur du maintien des deux régions. En outre trois métropoles ont été reconnues dans l’Ouest, Nantes, Rennes et Brest, alors qu’une seule métropole d’équilibre, Nantes -Saint-Nazaire avait été reconnue dans les années 1960. Face à ces choix, quels sont les atouts, le rôle, les fonctions, les faiblesses et problèmes de la métropole nantaise et ses relations avec les autres villes et territoires voisins ?

1. Nantes dans le nouvel agencement des territoires

1.1. À propos des pôles métropolitains : entre confusion et incompréhension

À la fin du mois de juin 2014, a été actée par les élus des communes du périmètre du ScoT, la reconnaissance d’un pôle métropolitain Nantes -Saint-Nazaire. Le préfet de région a signé le 27 juin, l’arrêté de création de ce pôle qui sera mis en place officiellement le 9 juillet. C’est le sixième en France. Ce pôle recouvre donc la communauté urbaine de Nantes, la communauté d’agglomération de Saint-Nazaire, et les quatre communautés de communes situées au nord de l’estuaire (fig. 1). L’ensemble regroupe environ 800 000 habitants en 2014. Faisant suite à la réforme territoriale du précédent gouvernement contestée par de nombreux élus, ce pôle succède en fait au syndicat mixte du SCoT. Son périmètre ne couvre que la rive nord de l’estuaire, ce dont on peut s’étonner.

Figure 1 – les territoires du Grand Nantes

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Or, parallèlement, et à une autre échelle, est évoquée la mise en place d’un pôle métropolitain du Grand Ouest, dit « pôle métropolitain Loire Bretagne », regroupant cinq agglomérations, celles de Nantes, Saint-Nazaire, Angers, Rennes et Brest. Configuration qui nie, de fait, le pôle Nantes -Saint-Nazaire existant, et l’appartenance de Saint-Nazaire à la métropole nantaise.

Dans les deux cas, et à deux échelles, est utilisée la même expression de pôle métropolitain, ce qui entraîne une réelle confusion. Qu’est-ce à dire ? Comment le citoyen peut-il s’y retrouver ? Ces constructions territoriales correspondent-elles à des réalités ressenties et vécues par les habitants ? Ou bien s’agit-il d’alliances de circonstance entre élus et techniciens ?

C’est revenir, une fois encore, sur la question récurrente des liens et rapports, des recoupements et recouvrements, entre d’une part territoires institutionnels, politiques et administratifs, et d’autre part territoires fonctionnels, ressentis et vécus par les pratiques et les mobilités des populations (Renard, 2006).

1.2. Un pôle métropolitain nantais : quel périmètre ?

À propos du pôle métropolitain Nantes -Saint-Nazaire qui reprend purement et simplement les limites du SCoT, on ne peut que regretter l’absence du littoral balnéaire et de la rive sud de l’estuaire que la directive territoriale d’aménagement (DTA) initiée par l’État englobait (fig. 1). Les réalités font que l’on ne saurait se satisfaire de ne prendre en compte que l’une des rives du fleuve. C’est un déni de la géographie et de l’histoire : rappelons le rôle de l’avant-port de Paimbœuf avant la création de Saint-Nazaire.

Le véritable espace de vie des populations de la métropole nantaise est de part et d’autre de l’estuaire. Il se mesure par les déplacements de travail, de chalandise et de loisirs des habitants. Il comprend la communauté urbaine, l’estuaire industriel et la communauté d’agglomération de Saint-Nazaire, mais aussi le littoral balnéaire et touristique de la Vilaine au Marais breton. Certains y ajoutent volontiers le pays d’Ancenis et le vignoble nantais.

C’est ce vaste ensemble territorial, aux marges incertaines et changeantes dans le temps, qui correspond grossièrement aux espaces de vie des populations. Les aires urbaines, délimitées par des données statistiques certes discutables, rendent compte de ces dynamiques. Leur progressive extension géographique dans le temps justifie et explique les difficultés à cerner les limites de la métropole. Cet espace métropolitain, associant une grande ville aux fonctions de commandement à des espaces périurbains et ruraux proches, est une réalité géographique qui fonctionne comme un système qui s’autorégule et dont les différentes composantes sont intimement associées. Il lui manque une gouvernance commune, et ses différents compartiments sont administrativement différenciés en une communauté urbaine, deux d’agglomérations et de nombreuses communautés de communes. Le tout fonctionne cependant en synergie. Certes il y a une préoccupation d’harmonisation des schémas de cohérence et une conférence métropolitaine permet aux élus de confronter leurs points de vue et d’aller dans des directions communes au plan des aménagements structurants et des infrastructures à mettre en place, même si des problèmes, des conflits, des intérêts divergents demeurent. En outre le même organisme, l’agence d’urbanisme (AURAN), est chargé de la mise en œuvre des différents SCoT. Mais c’est un pis aller. Un mauvais périmètre ne saurait faire un bon projet et inversement. Ce « Grand Nantes », tel que défini ci-dessus, est l’espace sur lequel doivent porter les analyses. On ne peut se contenter de réfléchir à espace constant et réduit de l’agglomération de Nantes métropole à 24 communes, ou même celui du SCoT, et désormais du pôle métropolitain tel que délimité par les élus. Le « Grand Nantes » n’est pas isolé, il a des liens de plus en plus forts avec les espaces voisins : Castelbriantais, Mauges, nord de la Vendée, voire le pays de Redon et la Basse Vilaine.

1.3. Un pôle métropolitain régional : quel réseau de villes ?

Autre sujet de confusion, ceux qui viennent de porter sur les fonts baptismaux une nouvelle créature, dite « pôle métropolitain Loire Bretagne » à cinq têtes, associant les deux villes de Nantes et de Saint-Nazaire, à celles de Brest, Rennes et Angers, ne font qu’ajouter trouble et incompréhension. Ce concept de pôle métropolitain à cinq têtes dite de Loire Bretagne, ne recouvre pas les mêmes réalités que le pôle métropolitain nantais. Ce projet invite à des collaborations entre les villes mais il demeure à l’état de bonnes intentions. Ces deux échelles de référence et ces deux concepts de territoire introduisent des confusions.

D’une part, il serait plus pertinent d’utiliser le terme de « réseau métropolitain » pour définir l’association entre les grandes villes du grand Ouest. Ce qui ne ferait que reprendre les suggestions émises par la DATAR dans les années 1990. La mode était alors chez les aménageurs d’associer les villes en réseau afin d’éviter ou de moduler les concurrences qui existaient entre elles. C’est ainsi que l’on a inventé un réseau des grandes villes de Poitou-Charentes, un rapprochement entre Metz et Nancy, un réseau des villes du pays basque, un tripode Lyon, Grenoble, Saint-Étienne, etc. Des ouvrages savants ont présenté cette démarche des villes en réseau et une abondante littérature, notamment aux éditions de l’Aube, a fait le point des analyses. Quant au réseau des villes de l’Ouest, il a été reconnu lors de la première conférence tenue à Rennes en 1990 suite à la suggestion du maire d’Angers en 1989 de constituer un tel réseau. La cinquième conférence se tint au Mans en mai 1993. C’est donc une vieille histoire dont on peut douter des résultats concrets. Cette mise en réseau des villes est plus de l’ordre des invocations que des réalités. Elle n’a pas empêché les discordes et les concurrences, chacun voulant s’attribuer financements et équipements au détriment des autres. D’autre part pourquoi se limiter à un réseau de villes réduit à cinq ? Dans cette logique volontariste, pourquoi éliminer Lorient, Quimper, Vannes, Cholet, La Roche-sur-Yon ? Pourquoi Brest et ignorer Tours et La Rochelle, plus proches de Nantes, et qui ont autant de relations avec notre ville ? Est-ce une question de taille ? Et alors pourquoi Saint-Nazaire et pas Le Mans ?

L’échec des universités de l’Ouest face au grand emprunt, leur absence de réelle coopération, les atermoiements des élus, au-delà de grandes déclarations rarement suivies d’effets, devraient faire réfléchir. Certes des coopérations existent, il y a eu des avancées, mais nous sommes loin d’un pôle métropolitain. L’idée du polycentrisme maillé dans l’Ouest, défendue par Guy Baudelle, est encore balbutiante : « les discours sont très stimulants, mais les réalisations demeurent timides… La coopération ne supprime pas la concurrence » (2002). Réfléchir à Nantes 2030 est sans doute un projet mobilisateur. Mais si les réflexions s’appliquent à des territoires tronqués, que ce soit à l’échelle du Grand Nantes ou à l’échelle du réseau des villes de l’Ouest, on risque de fausser le diagnostic qui devrait conduire à une prospective cohérente fondée sur des scénarios prenant en compte ambitions, craintes et mutations.

2. N’est pas métropole qui veut, mais qui peut

2.1. Nantes a changé de nature

Nombre de propositions quant au puzzle territorial dans l’Ouest tiennent à des schémas hérités du passé. Les plus patentes sont celles défendues par les partisans du retour à une Bretagne à cinq départements de « Bretagne réunie », afin de retrouver les limites de la province de l’Ancien Régime, ce au nom de l’identité et de l’Histoire. D’autres réflexions, soutenues en leur temps par André Siegfried dans son Tableau politique de la France de L’Ouest en 1913, par Julien Gracq dans La forme d’une ville (1985), ou par le géographe Alain Chauvet (1987) en font une porte océane, décrivent Nantes comme un « kyste » urbain tourné vers le grand large mais indifférent à ses campagnes, c’est-à-dire une ville de type hanséatique à l’instar d’Hambourg ou de Brême. La comparaison avec cette dernière offre de nombreux arguments, Hambourg jouant à une autre échelle. Ce point de vue correspond très justement à ce qu’était la ville tout au long du 19ème siècle et jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Mais cela n’est plus.

Non seulement la ville a changé de nature du fait des nouvelles relations entretenues avec son environnement, mais aussi de statut avec les fonctions et les équipements que l’État mais aussi les collectivités locales lui ont reconnus. Rappelons qu’en 1960, Nantes n’a aucun des organes prestigieux qui font en France une grande cité provinciale. Elle ne possède ni université, ni cour d’appel, ni académie, ni archevêché, à la différence de ses rivales, Bordeaux ou Rennes. Sa reconnaissance comme métropole d’équilibre à l’aube des années 1960, suite au rapport d’Hautreux et Rochefort, et les nouvelles fonctions qui lui sont attribuées par l’État, notamment comme capitale de la région des Pays de la Loire, dont le périmètre a souvent été critiqué, a été le premier pas indispensable d’un nouveau statut. C’est le début du grand renversement des relations entre Nantes et son environnement. Le retour de son université en 1962, l’essor des grandes écoles en place (école centrale et école de commerce) et l’implantation de nouvelles écoles (école vétérinaire, écoles des Mines), mais aussi les équipements dits structurants sur l’estuaire industriel, comme le développement d’un pôle énergétique (raffinerie de Donges, terminal méthanier, centrale de Cordemais) ont été décisifs dans la reconnaissance métropolitaine. L’essor des fonctions tertiaires de haut niveau rayonnant sur un vaste espace dans l’ouest de la France (CHU, services bancaires, localisation de sièges régionaux de grandes entreprises du bâtiment et des assurances) a confirmé son rôle. L’achèvement de l’autoroute vers Paris (A11) et de la quatre-voies vers Rennes, puis l’autoroute vers Niort et Bordeaux (A83), l’arrivée du TGV en 1989, l’ouverture de nouvelles lignes aériennes vers les capitales européennes, ont désenclavé et participé à l’affirmation de la métropole en construction. Tout ceci a modifié en l’espace d’une quarantaine d’années la nature de la ville et son rôle vis-à-vis de son environnement géographique.

Certes la « quête métropolitaine » (Rapetti, 2004) n’est pas achevée (Garat et al., 2005). Pour devenir une métropole pouvant se positionner dans le cadre européen, il lui manque encore un certain nombre d’ingrédients. Mais l’effet de rattrapage vis-à-vis de ses concurrentes est réel. Les études le démontrent. Ainsi, le classement effectué par le GIP Reclus à la demande de la DATAR, mettait Nantes en 1989 au-delà de la 60ème place des villes européennes. En 1999, une étude identique plaçait Nantes à la 47ème place. Les analyses récentes, notamment celles portant sur la dynamique des emplois dits stratégiques dans les métropoles en France, montrent la progression nantaise (Agences d’urbanisme de l’espace Loire-Bretagne, 2010). En 1999, Nantes rassemble 23 400 cadres dans les fonctions stratégiques, soit 7,5 % des emplois. La ville se classe alors au 10ème rang des villes françaises. En 2011, le nombre est de 46 600. Un quasi doublement, soit 11,6 % des emplois de la métropole. La ville passe au 5ème rang des métropoles. Autre preuve de la dynamique nantaise, alors qu’entre 2008 et 2012, la France perd 200 000 emplois, la métropole nantaise en gagne 11 500, juste derrière Toulouse (+21 000) et Lyon (+13 000). Nantes n’est plus la ville industrielle des chantiers navals, des biscuiteries et des conserveries.

C’est ce changement de nature qui en a fait progressivement une métropole rayonnant sur l’Ouest français, et qui constitue le fait majeur expliquant son nouveau rôle. En outre, au plan culturel et touristique, l’image de Nantes a également profondément changé. Des manifestations comme Les Folles Journées de la musique ou les déambulations en ville des créatures imaginées par la troupe Royal de Luxe, relayées par les Machines de l’Ile, l’ouverture du musée du château des ducs, les rendez vous des Allumées, le festival cinématographique des Trois continents, les floralies, la réalisation du mémorial de l’esclavage, et bien d’autre initiatives ont modifié son image vis-à-vis de la France entière. Il suffit de lire les enquêtes des grands hebdomadaires classant les raisons de l’attractivité des métropoles en France.

Il faut intégrer tous ces postulats pour envisager et comprendre la fonction de Nantes dans le grand Ouest de la France.

2.2. Nantes, métropole inachevée ?

La dynamique récente de la métropole ne doit cependant pas masquer ses faiblesses pour en faire une ville à dimension européenne à part entière (Renard, 2000).

Si la métropole conserve un tissu industriel important, le premier dans l’Ouest, et possède désormais des fonctions tertiaires diversifiées et une incontestable vitalité culturelle, il lui manque encore une réelle reconnaissance dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche et dans l’ouverture à l’international. Les chiffres sont sans appel. Avec 6 % d’étudiants dans la population et 5,5 % d’étudiants étrangers, Nantes se place respectivement au 7ème et 11ème rang des métropoles. Même constat en nombre de consulats (19), soit le 9ème rang. Certes, nous assistons à un rattrapage, mais le retour de l’université dans la ville est encore trop récent (1962) pour avoir produit tous ses effets.

À l’échelle de l’estuaire, les grands donneurs d’ordre que sont les chantiers navals et Airbus sont les locomotives et organisent une aire de sous-traitance, aux contours et contenu mal définis, et surtout jusqu’ici peu analysés, et qui mériterait une solide étude.

Enfin, la présence du littoral balnéaire et de retraite contribue à diversifier les activités et sert de terrain de jeu aux habitants de la métropole. On ne saurait l’en dissocier.

C’est l’addition des sous-ensembles de la métropole (communauté urbaine, estuaire industriel et Saint-Nazaire), ainsi que les stations balnéaires de La Baule et de Pornic et le vignoble que l’on doit considérer pour définir le territoire métropolitain. Cette approche donne un poids démographique de près d’un million d’habitants.

Est-ce à dire que la métropole nantaise est la seule dans l’Ouest ? Une telle question n’est pas nouvelle, sans remonter à Vidal de la Blache rappelons parmi d’autres les débats en 1968, 2004 et 2009 (Nantes Réalité, Institut Kervégan, Place publique).

2.3. Nantes Rennes : concurrentes ou complémentaires ?

L’autre question quant à la reconnaissance de Nantes comme la grande et seule métropole de l’Ouest est la présence à proximité de Rennes qui entend jouer aussi son rôle et veut se faire reconnaître en tant que métropole. Nous ne sommes pas dans la situation de Toulouse ou de Bordeaux qui n’ont pas de rivales susceptibles de leur faire de l’ombre et de leur disputer la suprématie. Du fait de l’histoire et des fonctions attribuées à Rennes, s’est instaurée une réelle concurrence entre les deux villes. Certes la hiérarchie urbaine en nombre d’habitants et l’examen des fonctions exercées par les deux villes sont en faveur de Nantes, mais les dynamiques démographiques sont voisines (fig. 2) et Rennes conserve l’avantage dans le domaine universitaire. La preuve en est le choix de Rennes pour siège de la nouvelle université de nature fédéraliste (Comue) qui regroupe l’ensemble des sites d’enseignement supérieur et de la recherche des deux régions.

Figure 2 – les populations de Nantes et Rennes

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Longtemps, les deux villes se sont tournées le dos : lors des rares rencontres entre élus, ceux-ci se réunissaient volontiers à mi-chemin des deux villes, à Derval ou à Bain-de-Bretagne, et ce encore dans les années 1970 ! Désormais on se regarde, on s’évalue et on se mesure, mais on collabore peu.

Ceci étant, nombre de statistiques permettant de définir les fonctions métropolitaines sont délicates à comparer du fait de l’usage de territoires d’analyse différents par les services techniques des villes. Ainsi, selon que l’on compare les communautés urbaines au sens politiques ou les aires urbaines et zones d’emploi de l’INSEE, les données obtenues peuvent conduire à des classements différents. Ainsi la zone d’emploi de Rennes est largement plus grande que son aire urbaine, ce qui n’est pas le cas à Nantes du fait de la présence de la zone d’emploi de Saint-Nazaire.

Concurrentes ou complémentaires, les deux agglomérations de Nantes et de Rennes ont une dynamique positive voisine (tab. 1), et l’une n’écrase pas l’autre, chacune ayant ses domaines de prédilection, même si Nantes dispose, surtout avec l’estuaire et Saint-Nazaire, d’un poids démographique et d’un tissu industriel nettement plus importants, tandis que Rennes conserve un rôle universitaire prééminent.

Tableau 1 – quelques indicateurs des dynamiques respectives de Nantes et Rennes

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3. Les trois scénarios quant à la place de Nantes dans l’Ouest

Trois solutions s’offraient aux élus quant à la réorganisation des territoires puisque les populations ne sont pas consultées pour donner leurs avis. Rappelons que les législateurs ont refusé le démembrement de la région Pays de la Loire. Ce refus ne permettait pas d’exaucer le vœu des partisans des retours historiques : le rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne et celui de la Vendée au Poitou. Aussi ne reste que trois solutions, chacune peut être définie par un mot : immobilisme, raison, utopie.

3.1. Le scénario de l’immobilisme

Dans ce scénario, on joue « petits bras » et on reproduit le découpage d’hier entre régions, départements et communautés. Dans l’Ouest rien ne change et rien ne bouge. C’est la solution qui a été choisie. Elle évite la question d’une nouvelle capitale unique et évacue la réalité de la hiérarchie urbaine. Elle justifie le maintien de Rennes comme capitale régionale et la promeut comme métropole, ce qu’elle n’était ni dans le choix des métropoles d’équilibre des années 1960, ni dans le classement des villes européennes du Gip Reclus de 1990. Ce choix ne fait qu’exacerber les concurrences entre les deux villes en dépit d’une volonté affichée de collaboration et de complémentarité. La réalisation prochaine de la LGV Paris -Rennes, et les retards ou le rejet de la réalisation de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ne font qu’ajouter aux problèmes des relations entre les deux villes (Renard, 1993). Le seul changement est de donner à Brest le statut de métropole, en tenant simplement compte de la population de son aire urbaine. Pourquoi Brest à l’ouest et pas Toulon dans le sud ?

3.2. Le scénario de la raison

Un tel scénario soutenu par un grand nombre d’élus des Pays de la Loire et un certain nombre de bretons, aurait été : d’accepter l’idée d’une fusion des régions à deux ou à trois, Pays de la Loire et Bretagne, plus Poitou-Charentes ou Basse-Normandie ; en profiter pour redéfinir les rôles des départements, pouvant aller jusqu’à leur pure et simple disparition ; promouvoir les pays, tels qu’ils ont été reconnus dès les années 50 en Bretagne par le CELIB, plutôt que des communautés de communes aux périmètres administratifs, souvent trop étriquées pour résister à l’effet de métropolisation. En Pays de la Loire, les pays ont comme en Bretagne une réelle consistance historique et une identité reconnue. Une association entre les pays et la région aurait permis une simplification des strates administratives, et elle induisait sans doute à terme la disparition des départements. La hiérarchie urbaine de l’Ouest de type christallérien jouait en faveur de ce type d’organisation (Jousseaume, 1998).

3.3. Le scénario de l’utopie

Ce scénario aurait consisté à faire de la métropole nantaise un pivot central fédérant tous les territoires du Grand Ouest, français, en valorisant le visage composite de Nantes, à la fois maritime de « porte océane » par l’ouest, breton par le nord-ouest, ligérien par l’est et vendéen par le sud. Nantes et le pays nantais intégrant toute la Loire-Atlantique, serait alors non pas la capitale du Grand Ouest, mais à l’instar de Brême ou de Hambourg une ville de type hanséatique, entourée par une grande région armoricaine dont chacun des trois sous-ensembles aurait sa propre capitale relais (Rennes capitale-relais de Bretagne, Angers capitale-relais d’une région ligérienne et Poitiers capitale-relais du Poitou). C’est l’idée exposée et défendue par le géographe Alain Chauvet dans son ouvrage de géographie régionale de l’Ouest français, reprenant peu ou prou les analyses d’André Siegfried et de Julien Gracq (fig. 3 et 4). Ce scénario fait de Nantes le pivot, la charnière, l’axe, rayonnant sur l’ensemble du Grand Ouest français. Une telle configuration a ses partisans et sa logique. Elle était défendue dans les années 1970 par Paul Delouvrier avec la création de l’association Ouest-Atlantique. Elle permet d’afficher Nantes face à sa rivale qu’est Bordeaux, cette dernière étant désormais à la tête d’un très vaste territoire dont aucune autre ville ne lui dispute la primauté. Elle répond à la hiérarchie urbaine héritée et se justifie par les nouvelles fonctions, statut et nature de Nantes. Elle fait de Nantes la seule métropole incontestée de l’Ouest. Encore faudrait-il que les grands élus de l’Ouest en prennent conscience. Nous en sommes loin à lire leurs déclarations !

Figure 3 – la porte Nantaise au sein des régions de l’Ouest

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Figure 4 – la porte Loire-Océan

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Conclusion

Nantes a changé de nature, de statut, d’image. Il faut en prendre acte et lui donner un rôle nouveau dans l’articulation des territoires de l’ouest de la France. Sa quête métropolitaine est en cours d’achèvement. Seules les dimensions universitaires et internationales sont encore insuffisantes. Il faut porter les efforts sur ces deux fonctions. Il n’en reste pas moins que son éternelle rivale historique qu’est Rennes constitue un obstacle et problème à sa pleine reconnaissance. Les représentations liées à l’histoire pèsent encore. Il n’empêche, désormais, la métropole nantaise, avec ses trois territoires emboîtés que sont la communauté urbaine, l’estuaire industriel et la façade maritime, balnéaire et de retraite, forme un tout et un ensemble de près d’un million d’habitants. En outre, elle rayonne aussi sur les bocages vendéens et les Mauges dont le tissu industriel est désormais associé aux grands donneurs d’ordre que sont Airbus et les chantiers navals. L’ancien système productif localisé du choletais reposant sur la chaussure et la confection, isolé et tournant le dos à l’estuaire n’est plus (Chauvet, 1987).

Il faut prendre en compte ces nouvelles dimensions territoriales et économiques. À tout le moins donner à cet ensemble une gouvernance commune seule à même de justifier le statut de métropole. Ce qui pose, chemin faisant, l’avenir du département de Loire-Atlantique dont les limites géographiques tendent à se fondre dans une aire urbaine nantaise en expansion continue et qui déborde même au sud sur les départements voisins.

Reste à savoir si les élus sont prêts à reconnaître ce que les populations ont déjà acté dans leur espace de vie du quotidien.

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Illustrations

Figure 1 – les territoires du Grand Nantes

Figure 1 – les territoires du Grand Nantes

Figure 2 – les populations de Nantes et Rennes

Figure 2 – les populations de Nantes et Rennes

Tableau 1 – quelques indicateurs des dynamiques respectives de Nantes et Rennes

Tableau 1 – quelques indicateurs des dynamiques respectives de Nantes et Rennes

Figure 3 – la porte Nantaise au sein des régions de l’Ouest

Figure 3 – la porte Nantaise au sein des régions de l’Ouest

Figure 4 – la porte Loire-Océan

Figure 4 – la porte Loire-Océan

Citer cet article

Référence électronique

Jean Renard, « Nantes dans le big-bang territorial », Cahiers Nantais [En ligne], 1 | 2015, mis en ligne le 05 mars 2021, consulté le 20 avril 2024. URL : http://cahiers-nantais.fr/index.php?id=1347

Auteur

Jean Renard

Géographe, Professeur honoraire, Nantes

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