Introduction
L’Atlantique Nord-Est est une région maritime extrêmement riche et composée de nombreuses îles et archipels où la population vit principalement des ressources apportées par la mer. Parmi ces bouts de terres perdus au milieu d’un océan souvent capricieux, il est un archipel dont la situation géographique le distingue de tous les autres : ce sont les Îles Shetland. Situé au croisement de trois grands ensembles marins que sont l’océan Atlantique, la mer du Nord et la mer de Norvège, cet archipel sauvage et venteux bénéficie d’une localisation extrêmement favorable au développement de l’exploitation des ressources marines. Appartenant depuis le XVIIIe siècle à la Couronne Britannique, les Shetland ont un lien étroit avec les mers qui les entourent : d’abord colonisé par les Vikings au XIe siècle qui en ont fait une colonie relais dans leurs expéditions vers l’Angleterre et l’Europe de l’Ouest, l’archipel est ensuite devenu un territoire pastoral important participant au commerce hanséatique du nord de l’Europe. La mer était donc exploitée dans un but avant tout commercial et ses ressources, halieutiques notamment, ne l’étaient qu’à des fins de subsistance. Ce n’est qu’à partir du XIXe siècle que l’exploitation à proprement parler des ressources marines se met en place : la mer devient alors la première source sur laquelle s’appuie l’économie de l’archipel.
Aujourd’hui, les Shetland sont considérés comme une région de première importance pour le Royaume-Uni : tout d’abord, sa localisation stratégique lui permet d’obtenir une zone économique exclusive très importante, qui s’étend jusqu’à la mer de Norvège. Cette région est aussi parmi les principales aires de pêche à l’échelle européenne : dans le classement défini par ICES Area (International Council for Exploration of the Sea), les eaux entourant les Shetland (IV a) sont les plus importantes en matière de poids mais aussi de valeur des captures effectuées pour l'ensemble du Royaume-Uni.
Cet archipel est donc un espace à forte valeur économique et qui participe largement au commerce des produits de la mer à l’échelle nationale et européenne. Par ailleurs, les eaux entourant les Shetland sont faites d’un sous-sol riche en hydrocarbures : la découverte des premiers gisements remonte aux années 1970 (Carré, 1978), alors que les Anglais et les Norvégiens commencent à explorer leurs fonds marins. Depuis, le pétrole s’épuise progressivement et les investissements se sont davantage tournés vers les gisements de gaz, dont les plus récents ont été découverts en 2018 (ShetlandNews).
Les mers entourant les Shetland représentent donc une région très riche dont l’exploitation a permis à la population de contrebalancer les difficiles conditions de vie, propres à un archipel subarctique perdu au milieu de la mer.
Cependant, dans le cadre de différents événements survenus dans la deuxième moitié du XXe siècle, une prise de conscience de la richesse mais aussi de la fragilité de cette région à l’extrême nord de la Grande Bretagne est née : elle s’est orientée d’abord vers les impacts de la pêche (Carré, 1982) puis vers ceux des industries des hydrocarbures (Carré, 1992, 1993). Ces études, avant tout scientifiques et de terrain, se sont ancrées dans des travaux de recherche biologique et écologique. Mais depuis le début des années 2000, ces données n’ont pas été renouvelées malgré les divers événements survenus au fil du temps. Aussi, il semblait intéressant dans le cadre de cet article de revenir sur les impacts actuels de ces deux industries qui ont subi ces dernières années de grandes mutations et de les croiser au ressenti de la population locale. En effet, le choix a été fait de confronter ce dernier avec la réalité géographique du territoire car les Shetlandais vivent sur un archipel qu’ils connaissent, souvent depuis leur naissance. Ils peuvent ainsi observer les changements, les modifications qui se font tout au long de leur vie. Il est alors intéressant d’étudier les représentations qu’ils utilisent pour analyser les impacts potentiels des industries de la pêche et des hydrocarbures sur le territoire shetlandais. Ces questions s’inscrivent dans un contexte de prise de conscience globale des enjeux de durabilité dans de nombreux territoires du monde, il était donc également intéressant de voir si les Shetlandais s’en emparent.
Une démarche méthodologique moderne et digitale : réaliser un travail de recherche sur un objet d’étude lointain et inaccessible
Réalisé entre septembre 2020 et mai 2021, le mémoire à l’origine de cet article a dû concilier crise de la Covid-19 et mise en place d’un terrain lointain, rendu inaccessible par les restrictions sanitaires (fermeture des frontières, confinements…). Un terrain dit « virtuel » a été organisé, permettant de remplacer les recherches qui auraient dû être réalisées sur place (Cadoret, 2006). Pour cela, alliés aux méthodes traditionnelles des sciences, les outils du numérique sont clairement apparus comme le seul moyen de mener à bien ce projet de recherche : sites spécialisés, sites gouvernementaux, presse et bibliothèques en ligne, réseaux sociaux, sont autant de solutions trouvées pour pallier l’inaccessibilité du terrain.
Les îles Shetland, un objet lointain et inaccessible : mise en place d’un terrain virtuel
Des lectures diverses au cœur du terrain virtuel
Une première étape de ce travail a consisté en l’actualisation des données des précédentes recherches réalisées sur l’archipel des Shetland. De fait, la plupart des travaux francophones remontent aux années 1970 et n’ont pas été repris depuis. Divers sites ont donc été utiles : les sites gouvernementaux, permettant d’accéder aux données chiffrées les plus récentes mais aussi des sites dédiés à la pêche (échelle locale), aux hydrocarbures et à la protection de l’environnement (échelle nationale), pour comprendre les relations que chacun de ces domaines entretient avec les autres. Un site en particulier a été extrêmement utile : c’est celui du centre de recherche local, le NAFC Marine Centre. Ce laboratoire de l’Université de Scalloway fournit des rapports annuels très précis sur les questions de la pêche et des hydrocarbures1 (mais aussi plus globalement sur l’économie de l’archipel).
Cependant, cette approche froide et purement chiffrée ne permettait pas d’avoir accès à la réalité du terrain ni de comprendre le fonctionnement réel de l’archipel. La lecture quotidienne de la presse locale, incarnée par le journal ShetlandNews, a permis de construire, en quelque sorte, un lien avec l’archipel et son actualité mais aussi d’avoir une approche plus sensible. Disponible en ligne, ce dernier a permis de se rapprocher des Shetlandais et de leur mode de vie, en suivant les événements rythmant la vie sur place. Cette partie de la recherche a véritablement été essentielle et a permis à ce travail d’être alimenté en événements récents et locaux : des extraits de certains articles viennent ainsi compléter l’analyse produite dans le mémoire et pallient véritablement aux observations qui auraient pu être faites sur le terrain, fournissant ainsi une véritable base de données secondaires.
Une base de données primaires issue d’observations à distance
L’observation des allées et venues des navires de pêche représentait aussi un enjeu d’importance : pour cela, le suivi en temps réel sur le site internet MarineTraffic a permis de combler les manques du terrain et de constituer une base de données de première importance. Grâce au service de localisation en temps réel dont tous les navires d’une taille supérieure à 20 mètres sont équipés, les bateaux naviguant à travers le monde sont suivis, quel que soit leur type (transporteur, pêche, tourisme, privé). Trois principales périodes d’observation ont été choisies. Cette sélection s’est appuyée sur les travaux du géographe français Bruno Voituriez qui précise dans son ouvrage les périodes de renouvellement de la biocénose marine (Voituriez, 2006). L’archipel des Shetland est en effet situé dans une zone particulièrement propice à son renouvellement puisqu’il bénéficie de l’influence du Gulf Stream qui apporte à la fois une salinité importante et des températures plus fraîches permettant aux diverses espèces marines de se développer en grandes quantités. Des relevés journaliers et à heure fixe de chaque navire de pêche présent dans la zone ont ainsi été faits. Ces relevés ont été regroupés dans une base de données des navires présents dans l’archipel, par rapport à leur taille, leur nationalité et les zones dans lesquelles ils ont navigué (et donc pêché).
Cette méthodologie est certes lacunaire puisqu’elle ne permet qu’une prise en compte relative des navires de moins de 20 mètres de long, une distance de portée limitée du service AIS côtier (dont les données sont gratuites), mais elle a permis toutefois de remplacer le terrain physique qui aurait pu être mis en place. Des résultats plutôt encourageants en sont par ailleurs sortis et ont permis de confirmer les informations proposées par la presse ou les rapports scientifiques.
Les réseaux sociaux au service d’une méthodologie traditionnelle
Aller à la rencontre des Shetlandais directement sur l’archipel s’étant avéré impossible, une solution alternative a été trouvée pour pouvoir entrer en contact avec eux. Les réseaux sociaux, et plus particulièrement Facebook, se sont révélés être le meilleur outil pour les rencontrer virtuellement. Sur cette plateforme de partage de contenu, des groupes rassemblant des personnes ayant les mêmes passions, partageant les mêmes modes de vie ou encore vivant dans un même lieu, existent.
L’archipel des Shetland est ainsi représenté par plusieurs groupes Facebook : « Shetland on Camera » ou « Stories n Photos o Maritime Shetland » en sont les principaux, regroupant des communautés de plusieurs milliers de personnes (à la fois résidents des îles et voyageurs). Les tranches d’âges sont diverses et les professions représentées sont très variées. En prenant en compte ces premières observations, il a semblé possible de pouvoir mettre en place une enquête, réalisée de manière à ce que les personnes interrogées puissent répondre le plus librement possible, procurant ainsi des données principalement qualitatives. Elle a été mise en ligne sur les deux groupes précédemment cités. Quatre-vingt réponses, souvent très détaillées et provenant de membres aux profils variés, tous vivant aux Shetland, ont ainsi été obtenues dans un délai de deux semaines. Les réponses étaient accompagnées de descriptions fournies et de liens vers d’autres pages Facebook ou sites internet, pour compléter et appuyer les réponses, contribuant à enrichir sur le plan qualitatif et quantitatif la base de données, avec une représentation presque complète et bien répartie de la population shetlandaise. Par ailleurs, certains interrogés se sont spontanément proposés pour un entretien, qu’ils soient pêcheurs, travailleurs sur plateforme offshore ou encore membres d’une réserve naturelle locale. Malheureusement, à cause des différentes contraintes du distanciel et la période à laquelle les entretiens ont été proposés, un seul a pu être réalisé, d’une trentaine de minutes.
L’utilisation des réseaux sociaux semble ainsi « presque » pouvoir compenser l’absence de terrain physique, tout en conservant une méthodologie traditionnelle aux sciences humaines. Par le biais d’un questionnaire et d’entretiens à distance, ils rendent possible la rencontre avec la population locale dans le cadre de crises comme celle de la Covid-19 et de l’impossibilité de voyager.
L’archipel des Shetland, une région exceptionnelle aux ressources marines diverses et exploitées
Composée de nombreuses îles et archipels, la Grande-Bretagne possède un vaste domaine maritime au sein duquel sont exploitées de nombreuses ressources, à la fois halieutiques et énergétiques. Certains espaces sont ainsi dotés de richesses particulières, comme c’est le cas de l’archipel des Shetland. Entre un paysage terrestre battu par les vents limitant le développement d’activités agricoles et des mers bordières difficiles et dangereuses pour la navigation, le développement au sein de l’archipel des Shetland peut sembler, à première vue, très difficile.
Une situation exceptionnelle au cœur d’une région maritime riche en ressources
L’archipel des Shetland est localisé aux 60e et 61e parallèles nord, au croisement des trois grands ensembles marins que sont la mer du Nord, l’Atlantique Nord et la mer de Norvège. L’archipel est donc situé au cœur d’une région aux ressources diverses et nombreuses. Cette richesse provient de l’élément structurant de l’archipel : la mer (photo 1).
Photo 1 - Le port de Lerwick, vitrine de l’exploitation des ressources marines et maritimes de l’archipel des Shetland
Crédit photo : P. Beaupuis Lemaire, 2017
S’étirant de la Norvège à l’Est aux Îles Féroé à l’Ouest et de l’Écosse au Sud à la mer de Norvège au Nord, cet espace couvrant près de 200 000 kilomètres carrés est d’abord caractérisé par la présence d’une biomasse marine très importante. De nombreux facteurs participent à la création de conditions particulièrement favorables au développement de la vie marine : d’une part, sa localisation sur la surface du globe fait que les matières organiques y sont naturellement présentes en de grandes quantités (Couliou in Miossec et al., 2014). D’autre part, la situation océanique de cette région, où les fonds marins ne dépassent pas les 200 mètres, permet une forte production de photosynthèse, favorisant ainsi la vie marine. Enfin, l’influence du Gulf Stream, par le biais de la dérive Nord-Atlantique, offre à l’archipel des nutriments en grande quantité, ainsi qu’une eau plus froide et propice à la reproduction des espèces (Voituriez, 2006). Les ressources halieutiques sont donc particulièrement exceptionnelles dans cette région, permettant à la population de l’archipel de développer une grande partie de son économie autour de la pêche.
Par ailleurs, les mers entourant les Shetland possèdent des stocks d’hydrocarbures en assez grande quantité. Ces gisements sont issus de formations millénaires, expliqués dans les travaux de J. Rennard Dean (1966). Situés tout autour de l’archipel, dans des zones rendues accessibles par l’évolution technique et technologique mais aussi par la faible profondeur des fonds marins, ces gisements ont pu ainsi être exploités dès les années 1960. Les richesses présentes dans les fonds marins autour de l’archipel des Shetland ont permis le développement de ce que les Shetlandais nomment leur « Maritime Economy ».
L’industrie de la pêche, une activité traditionnelle et structurante
Considéré comme une « île à pêche » par François Carré dès les années 1950, l’archipel des Shetland est aujourd’hui encore largement influencé par l’industrie de la pêche, puisque c’est un secteur économique essentiel et structurant pour ce territoire mais la pêche marque également la culture et la société locales.
La ressource halieutique est exploitée depuis le Xe siècle. Elle a représenté d’abord une ressource complémentaire, assurant la survie alimentaire des habitants, pour progressivement devenir une ressource commerciale de première importance, comme en témoigne l’affluence visible dans les eaux shetlandaises (fig. 1). En augmentation constante depuis la deuxième moitié du XXe siècle, les revenus issus du secteur halieutique dépassent aujourd’hui les 300 millions de livre sterling, soit 30 % de l’économie shetlandaise. L’importance économique de ce secteur est bien perçue par la population puisque plus de 80 % des personnes enquêtées affirment que l’industrie de la pêche est « très importante » et 20 % « importante » (Beaupuis, 2021). Elle induit aussi de nombreux emplois, à la fois directs et indirects : ils représentent 22 % de l’ensemble des emplois de l’archipel, c’est-à-dire plus de 2 600. La plupart de ces emplois sont avant tout familiaux, ce qui peut laisser penser que le nombre d’emplois réel dans ce secteur est plus important (Beaupuis, 2021). Par ailleurs, lorsque l’on pose aux Shetlandais la question du nombre de pêcheurs qu’ils connaissent, près de 60 % des enquêtés répondent plus de 20. L’industrie de la pêche semble omniprésente sur l’archipel : elle fait vivre de nombreuses familles en produisant un nombre très important d’emplois.
L’industrie de l’énergie, un secteur économique essentiel mais en déclin ?
Les Shetland sont depuis les années 1960 une région dans laquelle l’exploitation du gaz et du pétrole s’est largement développée, apportant à la vie locale un certain enrichissement et de nombreux emplois. Pour près de 90 % des personnes interrogées, l’industrie du gaz et du pétrole est « importante » et représente un secteur essentiel à l’économie de l’archipel. En 2018, l’industrie rapportait plus de 1,6 milliards de livres à l’archipel pour près de 5 millions de tonnes produites (Shetland Maritime Economy, 2019). Ce chiffre témoigne de l’importance et même de la dépendance de l’archipel envers ce secteur. Les Shetlandais en sont d’ailleurs bien conscients : « pour le bien de notre économie, nous devons absolument garder le terminal de Sullum Voe ouvert » affirme une retraitée enquêtée de 64 ans. Aujourd’hui encore, ce secteur participe en grande partie à l’économie locale, même s’il est en déclin depuis une trentaine d’années (fig. 2). Cependant, si « l’âge d’or » de la production (dans les années 1980 avec près de 60 millions de tonnes de produites pour un rendement de 6 milliards de livres) est passé et que les Shetlandais reconnaissent que leur industrie est « mourante » (Beaupuis, 2021), ils affirment la nécessité pour l’économie de l’archipel de continuer à assurer la prospérité de ce secteur malgré les volontés de reconversion énergétique émises par l’Écosse et la Grande-Bretagne.
Figure 2 - Production annuelle d’hydrocarbures (terminal de Sullum Voe)
Sources : Shetland Maritime Economy, NAFC Marine Centre (2021)
Cette question de « non-durabilité » apparait régulièrement dans les réponses données dans le cadre des questionnaires : des expressions comme « dying industry », « less and less », « those days are over » reviennent régulièrement. Les exploitations en mer du Nord ne sont effectivement plus ce terrain particulièrement rentable et riche pour l’archipel et son pays, comme cela l’a été dans les années 1960-1970 (Miossec et al., 2014).
L’exploitation des ressources marines aux Shetland : entre enjeux géopolitiques et volontés de protection, quelles réalités géographiques ?
L’exploitation des ressources halieutiques mais aussi des hydrocarbures a entraîné au fil de l’histoire de l’archipel diverses catastrophes ayant des conséquences terribles sur l’environnement shetlandais. Pour cela, divers outils de gestion ont été mis en place au fil du temps afin de mieux préserver ces écosystèmes riches mais sensibles contre de nouveaux épisodes catastrophiques.
Une gestion efficace et durable des pêcheries shetlandaises pour lutter contre des impacts connus ?
La richesse des eaux entourant l’archipel des Shetland a conduit à la mise en place de pêcheries très importantes, parfois abusives et irréfléchies. Ces excès ont entraîné de nombreux impacts sur la biodiversité locale, jusqu’à la disparition, certes temporaire, de certaines espèces, comme par exemple le hareng (Carré, 1990, 1993). L’histoire de l’industrie de la pêche aux Shetland est marquée par la mise en place de divers outils de gestion afin de limiter les impacts de la pêche sur la biodiversité et les milieux marins, notamment par le biais des quotas ou des aires marines protégées, dans lesquelles la pêche est limitée voire interdite.
Par ailleurs, l’ouverture des mers alentours aux pêcheurs de pays étrangers a impliqué une augmentation des conflits et des oppositions. Ceux-ci sont liés à la distribution des quotas de pêche et à la taille des navires étrangers. Alors que la flotte shetlandaise est composée majoritairement de navires de petite et moyenne tailles (Beaupuis, 2021), la majorité des navires étrangers sont des navires usines pouvant pêcher sur des temps bien plus longs. Les dénonciations sont donc nombreuses de la part des pêcheurs locaux et le Brexit a renouvelé ces tensions (Beaupuis, 2021) : les quotas sont encore au cœur des discussions alors que les Shetlandais remettent en cause leur système de distribution et réclament une gestion plus locale. La question des impacts de cette industrie est donc toujours au cœur d’enjeux politiques et interrogent sur le futur de la pêche dans les eaux shetlandaises.
Finalement, au travers des différents témoignages offerts par les Shetlandais mais aussi à la lecture de journaux locaux, l’impact aujourd’hui le plus sévère et le moins maîtrisé de l’industrie de la pêche semble être la pollution. Prenant la forme de perte ou d’abandon de matériel en mer, cette pollution impacte principalement les espèces marines, tels que les oiseaux de mers, les phoques et les cétacés, mais aussi les poissons (étranglements, blessures, ingestion de particules ou morceaux de plastiques) ; l’archipel des Shetland est en effet une zone de passage pour de nombreuses espèces qui viennent profiter de la richesse halieutique de la région : zone d’hivernage en mer pour certains d’oiseaux, zone de reproduction pour d’autres, routes migratoires de divers cétacés, la pollution représente ainsi un danger véritable pour ces populations. Elle est donc le principal impact aujourd’hui identifié et reconnu par l’ensemble de la communauté shetlandaise (population à terre comme marins et pêcheurs) et celle contre laquelle peu de solutions sont aujourd’hui mises en place.
L’industrie des hydrocarbures, des impacts globalement maîtrisés ?
L’histoire de l’exploitation des hydrocarbures est aussi marquée par de nombreuses catastrophes ayant fortement impactées les milieux marins entourant les Shetland. Après chacune d’entre elles, différentes mesures de préventions ont été prises afin d’éviter que de tels événements ne se reproduisent. Plusieurs naufrages de navires transporteurs d’hydrocarbures ont eu lieu mais aussi des fuites issues des plateformes offshore, par manque d’entretien ou abandon : ces accidents ont eu un impact très important sur l’archipel des Shetland. Pour cela, diverses mesures ont vu le jour pour lutter contre les risques de pollution. Dans le premier cas, plusieurs législations ont progressivement été prises comme l’interdiction de passage des tankers à proximité de zone côtières particulièrement fragiles (aires marines protégées ou réserves naturelles) ou par le renforcement des coques des navires. Dans le second cas, une politique de « réponse aux accidents de pollutions marines » a été mise en place par le gouvernement anglais sur l’ensemble de son territoire, permettant une réactivité importante et une action rapide sur les zones polluées (souvent de petites tailles). Les impacts de l’industrie de l’énergie sont donc aujourd’hui largement contrôlés et les accidents ne surviennent désormais que très rarement, ce que confirme la population locale.
Cependant, un enjeu récent pour les espaces marins est apparu ces dernières années , au travers d’une nouvelle forme de production d’énergie : les centrales éoliennes offshore. En effet, l’archipel est au cœur d’un projet très important d’éoliennes situé en mer du Nord, à quelques kilomètres des côtes shetlandaises et au cœur d’une des principales zone de pêche de l’archipel. Ce projet est fortement décrié, puisqu’il empiète à la fois sur une zone de pêche importante mais aussi sur une potentielle aire marine protégée (fig. 3). Les impacts sont aujourd’hui encore étudiés et au cœur des discussions entre les différents intervenants de ce projet.
Les enjeux de durabilité d’un territoire maritime aux multiples usages
Depuis plusieurs décennies, la mer procure, pour l’archipel shetlandais, de nouveaux usages (fig. 3). Cette carte rétrospective révèle en effet à quel point les Shetlandais ont pris possession de l’espace marin en l’exploitant et en se tournant toujours plus vers la mer, source d’une grande partie de leur richesse.
Cependant, dans le cadre du changement global, la population locale est témoin de l’évolution de son lieu de vie et de travail, consciente des enjeux de durabilité auxquels est soumis l’archipel. Cependant, la population enquêtée insiste sur la vitalité des industries de la pêche et des hydrocarbures pour l’archipel : selon elle, les Shetlandais ne peuvent survivre sans ces dernières et pour cela des outils de gestion efficaces et concrets doivent être mis en place. Certains insistent ainsi sur la nécessité d’une gestion plus locale permettant de prendre en compte la réalité du terrain, notamment dans le cadre de la pêche et de la mise en place d’aires de protection. Une véritable conscience environnementale s’est donc développée chez les habitants de l’archipel et diverses actions comme les « cleanwalks » ou les partenariats entre pêcheurs et scientifiques par exemple ont déjà été réalisées.
Conclusion
« L'île à pêche » décrite par François Carré dans les années 1970 à 1990 est aujourd'hui un archipel complètement tourné vers la mer. Si celle-ci a toujours permis de définir les paysages de l’archipel, ses contraintes et ses ressources, elle est aujourd’hui l’élément qui organise, structure aussi la société qui y vit, comme en témoigne le travail réalisé ici. Certes, la mer apporte des conditions de vies particulièrement difficiles (tempêtes régulières, vents constants, pluie en grande quantité, sols presque infertiles) mais sa situation géographique fait que l'archipel dispose de milieux particulièrement riches en ressources halieutiques. C’est cette richesse-là qui a permis à l’archipel de développer de nombreuses pêcheries et fait de cette région une zone particulièrement convoitée par de nombreuses nationalités, qui négocient chaque année des quotas de pêche dans les eaux shetlandaises.
La richesse du sous-sol marin apporte aussi des revenus très importants et de nombreux emplois pour les habitants. Cependant, cette industrie fait face depuis quelques années à une baisse progressive de son exploitation et se heurte aux questions de durabilité qui représentent aujourd’hui un enjeu essentiel non seulement à l’échelle des Shetland mais aussi plus largement.
Les diverses crises et catastrophes auxquelles se sont confrontées ces activités « traditionnelles » au cours du XXe siècle ont entraîné une prise de conscience et une réflexion sur les enjeux de durabilité de l’archipel. Aujourd’hui, la question des impacts des exploitations est réfléchie à diverses échelles : des mesures de protection et d’encadrement permettent la limitation des risques au maximum. De nouvelles activités apparaissent aussi, par exemple avec l’implantation de ce que les Shetlandais appellent les « fermes à vents », qui pourraient représenter l’avenir de l’archipel et y assurer le renouvellement de l’industrie de l’énergie. À une autre échelle, les outils de protection, comme les aires marines et les réserves, contribuent aussi à mieux protéger les espaces particulièrement fragiles et à les mettre en valeur, même si des progrès semblent encore nécessaires. L’archipel des Shetland semble donc se trouver à une période charnière, entre volonté de préserver des activités traditionnelles et protection de son territoire exceptionnel.