Préliminaire
Les activités de pêche représentent un secteur d’activité important pour l’Indonésie, qui est un pays archipélagique remarquable non seulement par sa configuration avec plus de 17 000 îles réparties sur un territoire étendu d’est en ouest de 5 200 kilomètres, et de 1 760 kilomètres du nord au sud, mais également par sa place au sein des principaux pays halieutiques au monde (Lubis et al., 2005). Pour les activités de pêche, l’Indonésie se place en effet au 2e rang mondial avec des captures de 6,43 millions de tonnes en 2020.
Dans l’organisation de cette activité essentielle au pays, les ports de pêche ont un rôle central comme point de débarquement et d’écoulement des captures, dans des sites abri représentant la base de départ et de repli de la flottille. Mais ses fonctions vont bien au-delà, offrant des équipements divers (quais, bassins, criées, bâtiments pour différents usages, fabrication de glace…), et des services multiples d’avitaillement, d’entretien et de réparation voire de construction, de commercialisation et parfois de transformation, ainsi que des services d’encadrement et d’organisation (administratifs, coopératifs, bancaires…). Les ports de pêche jouent donc un rôle essentiel en tant que base principale des activités d’appui et d’accompagnement permettant de faciliter le succès des efforts de pêche en mer (Murdiyanto, 2002). L'existence d'un port de pêche a par ailleurs un impact positif sur le développement économique d'une région, car il développe diverses entreprises et offre des opportunités d'emploi. Diantoro (2015) explique que l'existence d'un port de pêche peut également améliorer le bien-être de la communauté environnante.
Afin d’accompagner et d’aider les ports de pêche à relever ces défis, le Ministère des affaires maritimes et de la pêche de la République d'Indonésie (Kementerian kelautan dan perikanan Republik Indonesia - KKP-RI en indonésien) a mis en place, dans son règlement numéro PER.08/MEN/2012 concernant les ports de pêche, une nomenclature des fonctions portuaires, distinguant les fonctions gouvernementales (encourager, réglementer, contrôler, superviser, assurer la sécurité et la sûreté des opérations de pêche et de débarquement…) et les fonctions d'exploitation (KKP, 2012) (services et équipements d’amarrage des navires, de déchargement, de transformation, de commercialisation et distribution du poisson, d’entretien et de réparation des navires…). Les ports de pêche sont en effet équipés de diverses installations/équipements de base, d'installations fonctionnelles et d'installations supplémentaires pour soutenir la mise en œuvre des fonctions des ports de pêche (Lubis, 2012).
Le port de pêche côtier (Pelabuhan Perikana Pantai - PPP dans la nomenclature indonésienne) de Bajomulyo est situé sur la rive gauche du fleuve Silugonggo, environ à 5,8 kilomètres de son embouchure en mer de Java (fig. 1, photo 1). Ce port dispose de 2 criées (sites de vente du poisson, Tempat Pelelangan Ikan -TPI en indonésien), à savoir les unités de criée I et de criée II de Bajomulyo, qui sont séparées par l'unité de gestion du port de classe 3 de Juwana (UPP, Unit Penyelenggara Pelabuhan Kelas III Juwana en indonésien), qui est également un port de commerce. Le gestionnaire du port de pêche côtier (PPP) de Bajomulyo est l'unité de mise en œuvre technique (UPT, Unit Pelaksana Teknis PPP Bajomulyo, en indonésien) qui relève du service des affaires maritimes et de la pêche de la province centrale de Java (DKP, Dinas Kelautan dan Perikanan Provinsi Jawa Tengah en indonésien). L'emplacement du bureau du port de pêche côtier (PPP) de Bajomulyo se trouve dans la zone de l'unité de criée I. Le port offre également 2 quais de débarquement d’environ 148 et 175 mètres de long (fig. 2).
Photo 1 - Bateaux de pêche amarrés au quai du port de pêche côtier de Bajomulyo
Crédit photo : H. Setiawan, 2020
Le port de pêche côtier de Bajomulyo est le plus grand port de pêche du département (Kabupaten dans la nomenclature administrative indonésienne) de Pati Regency avec des débarquements de 53 777 tonnes en 2016, soit environ 98 % des poissons débarqués dans tous les ports de pêche du département (BPS, 2018). Cette importance fait du port de pêche de Bajomulyo le moteur de l'économie de Pati Regency (Zulfi, Wijayanto et Wibowo, 2014).
Malgré ses atouts, le port de pêche côtier de Bajomulyo présente un certain nombre de disfonctionnements. En premier lieu, c’est l’inorganisation et l’encombrement de l’amarrage et de l’ancrage des bateaux sur le fleuve Silugonggo qui étonnent (fig. 2 et photo 2), traduisant le manque d’espace disponible dans le bassin portuaire afin d’accueillir toute la flottille de pêche. Le fleuve Silugonggo subit également l’envasement qui affecte ainsi les mouvements des navires entrant et sortant du port, ainsi que leur stationnement. Ces conditions illustrent les difficultés rencontrées par les pêcheurs ne serait-ce que pour entrer et sortir du port, comme pour y séjourner, ce qui constitue une des premières fonctions portuaires.
Afin d’évaluer plus globalement la mise en œuvre des fonctions portuaires au service de la pêche, le Ministère des affaires maritimes et de la pêche de la République d'Indonésie a, dans son règlement numéro PER.08/MEN/2012, stipulé qu'il existe 22 fonctions importantes au sein des ports de pêche. Il est toutefois rare dans les études de les voir toutes abordées. Ainsi, dans l’étude (Setiawan, Pane, et Lubis, 2019) menée par le laboratoire Port de pêche et politique de gestion de l’IPB (Laboratorium Perikanan dan Kebijakan Pengelolaan - IPB Institut Pertanian Bogor, devenu en 2019 IPB University), et dont les résultats sont ici présentés, seules 6 fonctions portuaires particulièrement importantes liées aux services et à la surveillance ont été étudiées : 1) les services d'amarrage et de mouillage ; 2) les services de débarquement du poisson ; 3) les services de réparation et d'entretien des navires ; 4) les services d'approvisionnement des navires ; 5) la présence d’un lieu de surveillance et de contrôle des ressources halieutiques, et ; 6) celle d’une capitainerie. La sélection de ces six fonctions (services et équipements portuaires) est liée au bon encadrement et accompagnement des navires depuis l'entrée jusqu'à la sortie du port de pêche de Bajomulyo. Les autorités estiment que l’efficacité de ces services incitera davantage de navires à débarquer à Bajomulyo, de sorte que les activités du port de pêche puissent augmenter.
A contrario, la faiblesse ou la déficience des fonctions d'un port de pêche aura un impact négatif sur ses activités. Cela s'est produit au port de pêche de Pekalongan (Pelabuhan Perikanan Nusantara - PPN en indonésien, c’est-à-dire « port de pêche archipélagique »), où la fréquence des débarquements de poissons a considérablement diminué chaque année en raison de la faible profondeur des voies de navigation et des bassins du port, ayant provoqué le renoncement de certains navires à y débarquer leurs pêches (Nasir, Rosyid et Wijayanto, 2012). L'apparition d'envasement des couloirs de navigation et des bassins portuaires indique ainsi que la mise en œuvre des fonctions de service d'amarrage et d'ancrage est fortement déficiente. Confronté au même problème, le risque pourrait donc être réel pour le port de pêche de Bajomulyo d’en subir les mêmes conséquences.
Le but de l’étude portant sur cette question du niveau de mise en œuvre des fonctions (services et équipements) du port de pêche de Bajomulyo, et dont les principaux résultats sont ici présentés, était non seulement de porter une évaluation centrée sur la performance de ses services et équipements vitaux, à l’adresse des marins pêcheurs eux-mêmes, mais également de le faire à destination des autorités de l’unité de mise en œuvre technique (UPT-PPP Bajomulyo), afin de leur permettre de prendre des mesures appropriées et rapides pour empêcher une diminution de la fréquence des débarquements de poissons, et plus globalement le déclin à l'avenir des activités du port de pêche côtier Bajomulyo.
Méthodes de recherche
La recherche a été menée de décembre 2018 à mars 2019 au port de pêche de Bajomulyo. La méthode d’analyse utilisée s’est appuyée sur une étude descriptive quantitative par sondage et notation déterminée par le niveau de satisfaction des pêcheurs. Le niveau de mise en œuvre des fonctions du port de pêche de Bajomulyo a donc été estimé à partir du niveau de satisfaction des pêcheurs (TKN, Tingkat Kepuasan Nelayan en indonésien), pour chaque service et équipement mis en évaluation.
L'indice ou le niveau de satisfaction de la communauté est généralement utilisé comme référence pour évaluer le niveau de qualité des services et équipements fournis par les institutions publiques de l’État. Le niveau de satisfaction des pêcheurs est connu en utilisant une échelle de Likert, à savoir une échelle de niveau 5 (1-5). Les valeurs de 1 à 5 représentent le taux de satisfaction : 1 = pas satisfait ; 2 = peu satisfait ; 3 = assez satisfait ; 4 = satisfait et 5 = très satisfait.
Le niveau de satisfaction des pêcheurs est connu grâce à des entretiens remplissant des questionnaires auprès de 85 capitaines de navires, dont 38 capitaines de navires senneurs, 8 capitaines de navires transporteurs de poisson, 22 capitaines de navires cantrang (assimilable à une senne tournante), 10 capitaines de navires palangriers et 7 capitaines de navires bouke-ami (carrelet notamment utilisés pour la pêche des calmars), déterminés par échantillonnage raisonné. Ces entretiens ont été complétés par d’autres plus libres, menés au sein des autres acteurs de la communauté de ce port : porteurs ; ravitailleurs ; responsables des Affaires administratives de l’Unité de gestion portuaire (UPP) et des criées.
Le résultat des enquêtes met à jour le niveau de satisfaction des pêcheurs pour chaque service et équipement évalué, ceux-ci constituant les variables observées de chaque grande fonction portuaire spécifique (FPPi, Fungsi-fungsi spesifik penting pelabuhan perikanan en indonésien) prise en compte. Par exemple, pour la fonction d’amarrage et d’ancrage ; la profondeur de la voie de navigation, la superficie du bassin portuaire, la disponibilité du quai, sont autant de variables d’appréciation de la fonction portuaire spécifique à évaluer (voir partie suivante consacrée aux résultats, ainsi que le tableau 3). Sont ensuite plus globalement appréciés les niveaux de mise en œuvre de ces grandes fonctions portuaires spécifiques, évaluées une à une à partir de la moyenne des résultats de satisfaction obtenus pour l’ensemble des variables observées à l’intérieur de chaque fonction, et, enfin, le niveau de mise en œuvre de la fonction portuaire globale, correspondant à la moyenne générale obtenue pour chaque grande fonction spécifique. Le processus s'effectue selon les étapes suivantes (Pane, 2017) : 1) détermination des scores obtenus pour chaque variable (service/équipement) mis en appréciation auprès des pêcheurs ; 2) calcul du score maximal global possible pour l’ensemble des fonctions du port (JSMf, Jumlah skor maksimum keseluruhan fungsi pelabuhan perikanan en indonésien) ; 3) calcul du score total des répondants pour l’ensemble des fonctions du port (JSRf, Jumlah skor responden keseluruhan fungsi pelabuhan perikanan en indonésien) ; 4) calcul en pourcentage de ce score global (PNA, Persentase nilai akhir en indonésien) ; 5) calcul en pourcentage du niveau de satisfaction des pêcheurs pour chaque variable (service / équipement) mise en appréciation (PTKvj, Persentase tingkat kepuasan nelayan per variabel en indonésien), et du niveau de mise en œuvre pour chaque fonction portuaire spécifique (PTPfi, Persentase tingkat pelaksanaan per fungsi spesifik pelabuhan perikanan en indonésien) ; 6) prise de décision pour répondre au niveau d’insatisfaction éventuelle des pêcheurs par service/équipement (PTKvj), ainsi que pour répondre au niveau de mise en œuvre éventuellement insatisfaisant par fonction portuaire spécifique (PTPfi).
Sur la base des niveaux de satisfaction des pêcheurs, le niveau de mise en œuvre des services et équipements, ainsi que plus globalement des fonctions portuaires spécifiques et de la fonction portuaire globale, est évalué en comparant les valeurs de PTKvj, PTPfi et PNA, à partir des seuillages des niveaux atteints indiqués dans les tableaux 1 et 2.
Tableau 1 - Seuillage des niveaux de satisfaction des pêcheurs par variable observée (fonction/équipement) au sein de chaque fonction du port de pêche (PTKvj)
Tableau 2 - Seuillage des niveaux de mise en œuvre par fonction portuaire spécifique (PTPfi) et pour la fonction portuaire globale du port de pêche (PNA) sur la base des niveaux de satisfaction des pêcheurs (TKN)
Des observations directes ont également été faites sur la mise en œuvre/l’exécution des services portuaires du port de Bajomulyo. Les résultats de ces observations avaient pour objectif de renforcer l’appréciation des résultats des entretiens sur le niveau de satisfaction des pêcheurs.
Résultats et discussion
Niveau de mise en œuvre de la fonction spécifique d'amarrage et d'ancrage des navires de pêche
Les variables utilisées pour déterminer le niveau d'exécution de la fonction d'amarrage et d'ancrage (fonction F1, tab. 3) sont la disponibilité des quais de débarquement du poisson aux criées I et II de Bajomulyo, la disponibilité des quais de chargement, la profondeur du bassin du port, la superficie du bassin portuaire et la profondeur des voies de navigation. Le niveau de satisfaction des pêcheurs pour les services et équipements liés à cette fonction y est variée et le plus souvent de moyen à faible.
Tableau 3 - Résultats des enquêtes portant sur le niveau de satisfaction des pêcheurs ou capitaines de pêche pour chaque service et équipement du port, et calcul des taux de mise en œuvre des fonctions portuaires spécifiques et de la fonction portuaire globale au port de pêche côtier de Bajomulyo
Source : Setiawan (2020)
Le quai de débarquement du poisson est un quai utilisé par les navires pour s'amarrer lors du débarquement du poisson (photo 3). La satisfaction concernant la disponibilité de ces équipements pour accéder aux criées Bajomulyo I et II (PTKv1 ; PTKv2) est de 59,5 % et 57,4 % (tab. 3), avec une position dans l’intervalle de 55 % ≤ PTKvj < 70 % (tab. 1). Cela signifie que les pêcheurs sont assez satisfaits de la disponibilité de ces quais de débarquement du port de Bajomulyo. Leurs longueurs sont de 148 m (criée I) et 175 m (criée II). Sur la base d'observations, il montre également qu'il n'y a pas de file d'attente de navires aux quais de débarquement situés devant les criées I et II. Ainsi, la longueur actuelle des quais de débarquement du poisson semble répondre aux besoins des navires qui débarquent chaque jour leurs captures.
Photo 3 - Quai de débarquement devant la criée du port de pêche de Bajomulyo
Crédit photo : H. Setiawan, 2020
Un quai de chargement est une jetée utilisée par les navires pour s'amarrer lors du chargement de fournitures maritimes sur les navires. La satisfaction concernant la disponibilité de cet équipement au port de Bajomulyo (PTKv3) est de 20 % (tab. 3), ce qui correspond à l'intervalle des critères PTKvj < 40 % (tab. 1). Cela signifie que les pêcheurs ne sont vraiment pas satisfaits de la disponibilité de la longueur du quai de chargement au port de pêche de Bajomulyo. La raison tient au fait que le port ne dispose pas de quai de chargement. Les navires qui chargent les fournitures sont amarrés au gré des opportunités et souvent dans la plus grande anarchie le long du fleuve Silugonggo, ce qui les oblige le plus souvent à louer un petit bateau pour transporter les fournitures jusqu’à l’endroit où le navire est amarré. Cela augmente bien entendu les coûts d'exploitation des navires de pêche.
La profondeur du bassin portuaire du port de pêche de Bajomulyo est la profondeur du fleuve Silugonggo dans le secteur situé en face des criées I et II. Le niveau de satisfaction concernant la profondeur de ce bassin (PTKv4) est de 38,1 % (tab. 3), ce qui correspond à l'intervalle des critères PTKvj <40 % (tab. 1). D’après notre sondage auprès des pêcheurs, c’est donc l’insatisfaction qui domine. La raison est liée au tirant d'eau des navires de pêches accédant au port de pêche de Bajomulyo qui atteint le plus souvent 3,5 m, tandis que la profondeur du bassin du port à marée basse est d'environ 3 m et devient même encore plus faible vers la berge. Cette faiblesse de profondeur du bassin est causée non seulement par les sédiments déposés par le fleuve, mais également par la grande quantité de déchets (photo 4). Cette condition entraîne des perturbations dans les mouvements des navires lorsqu'ils manœuvrent dans le bassin portuaire, ce que Nugroho (2018) a reconnu comme étant un élément limitant fortement la mise en place de cette fonction portuaire d’amarrage et d’ancrage qui est pourtant essentielle à l’activité du port.
Photo 4 - Déchets et sédiments à marée basse dans le bassin du port de pêche de Bajomulyo, Pati Regency
Crédit photo : H. Setiawan, 2020
La surface de ce bassin portuaire constitue une variable également importante à prendre en compte. Cette surface correspond à celle du plan d’eau du fleuve Silugonggo devant les criées I et II. Le pourcentage de niveau de satisfaction concernant cette surface du bassin portuaire (PTKv5) est de 32,7 % (tab. 3) et se situe donc dans la plage des critères PTKvj <40 % (tab. 1). Cela signifie une nouvelle fois que les pêcheurs ne sont vraiment pas satisfaits de l’étendue de ce bassin qui n’est pas suffisamment large. Cela a pour conséquences que les navires doivent s’amarrer tout au long du fleuve Silugonggo de manière irrégulière, réduisant ainsi les voies de navigation sur le fleuve (voir zoom fig. 2). Selon Rahman et al. (2017), l’étroitesse des voies de navigation provoque des accidents de navigation dommageables.
La voie de navigation vers le port de Bajomulyo est appréciée à partir de la profondeur du fleuve Silugonggo de son embouchure au port. Le niveau de satisfaction concernant cette profondeur (PTKv6) est de 39,1 % (tab. 3), se situant à nouveau dans l'intervalle des critères PTKvj < 40 % (tab. 1). Alors que Jauhari, Suherman et Triarso (2021) avaient conclu que la voie de navigation était suffisamment profonde et conforme à la norme requise, avec seulement 36 % de la profondeur réellement utilisée, notre sondage auprès des pêcheurs illustre cette fois leur insatisfaction concernant ces couloirs de navigation pour entrer et quitter le port de pêche de Bajomulyo. Avec seulement 3 m de profondeur à l'embouchure du fleuve Silugonggo aux marées les plus basses pour un tirant d'eau des navires le plus souvent de 3,5 m, cela oblige ainsi les navires entrant et sortant du port de Bajomulyo d’attendre la marée et de louer un bateau-pilote pour les remorquer.
Sur la base du niveau de satisfaction des pêcheurs vis-à-vis de ces variables, le niveau de mise en œuvre de cette fonction spécifique d'amarrage et d'ancrage au port de pêche de Bajomulyo n’est donc pas bon et jugé insuffisant par les pêcheurs. Au total, cette fonction (PTPf1) n’atteint qu’un taux de satisfaction de 41,1 % (tab.3), ce qui se situe dans la fourchette des critères de 40 % ≤ PTPfi < 55 % (tab. 2). Pour améliorer la fonction des services d'amarrage et d'encrage au port de Bajomulyo, il est nécessaire de construire un nouveau quai de chargement et d’augmenter par dragage à la fois la profondeur du bassin portuaire, mais également des couloirs de navigation jusqu'à l'embouchure du fleuve Silugonggo.
Niveau de mise en œuvre de la fonction spécifique de débarquement du poisson
Les variables utilisées pour déterminer le niveau d’exécution de la fonction de débarquement du poisson (fonction F2, tab. 3) sont l'état du site de débarquement du poisson et l’organisation en paniers dans les criées I et II (photo 5). Le niveau de satisfaction des pêcheurs ou capitaines de pêche pour ces sites de débarquements est, comme pour la fonction précédente, très moyen.
Photo 5 - Stockage des paniers à la criée II du port de pêche de Bajomulyo
Crédit photo : H. Setiawan, 2020
Les résultats du sondage sont pratiquement similaires pour les deux criées, tous les deux dans la plage de critères de 40 % ≤ PTKvj < 55 % (tab. 1), avec 47,2 % pour la satisfaction concernant les débarquements à la criée I (PTKv7), et 48,3 % pour ceux à la criée II (PTKv8) (tab. 3). Moins de la moitié des pêcheurs sont donc satisfaits de cet espace essentiel à leur activité, avec des quais de débarquements qui sont en mauvais état et facilitent l’exposition du poisson à la lumière directe, ainsi qu’aux fortes précipitations. L’appréciation est du même niveau concernant l’organisation des enchères en criée (photo 5). Ces défaillances ont bien entendu des conséquences importantes sur la qualité du poisson.
Pour répondre aux attentes des pêcheurs et ainsi rehausser le niveau de mise en œuvre de cette fonction de débarquement du poisson (avec un niveau général de satisfaction qui n’est que de 47,7 % pour PTPf2 - voir tab. 3), il suffirait d’équiper cette zone de débarquement aux criées I et II d’un auvent, afin que le poisson ne soit pas directement exposé au soleil et à l’eau de pluie pendant le processus de débarquement du poisson, ce qui permettrait également d’éviter sa dégradation. Les paniers contenant du poisson seraient ensuite transportés à l'aide d'un chariot jusqu'à la criée.
Niveau de mise en œuvre de la fonction spécifique de réparation et d'entretien des navires
Les variables utilisées pour déterminer le niveau d’exécution de la fonction de réparation et d'entretien des navires (fonction F3, tab. 3) sont la disponibilité des cales de halage (mise à l'eau des navires), la disponibilité de l'accostage des navires et la disponibilité des emplacements de réparation navale dans le bassin portuaire. Pour ces équipements et services, la satisfaction des pêcheurs atteint des niveaux extrêmement bas.
Comme le port de pêche de Bajomulyo n’offre pas véritablement de cale de halage et de mise à l’eau, le taux d’insatisfaction de 80 % (20% de satisfaction pour les variables PTKv9 et PTKv10 - voir tab. 3 - concernant le halage/mise à l’eau, et l’accostage) révèle un problème structurel important (intervalle des critères PTKvj < 40 %, voir tab. 1).
Le niveau de satisfaction concernant la disponibilité de sites de réparation et d’entretien des navires dans le bassin portuaire (PTKv11) qui souffre de son exiguïté, illustre la carence de cette fonction avec également 20 % de pêcheurs satisfaits (tab.3). Actuellement, les armateurs effectuent des réparations et l'entretien des navires à n'importe quel endroit le long du fleuve Silugonggo. Les conséquences en sont diverses, avec en particulier un incendie qui s'est déclaré en 2017 et a brûlé 13 navires amarrés sur les rives du fleuve Silugonggo. Il semblerait que la cause fut liée à un navire qui effectuait des réparations et qui a pris feu avec une extension du sinistre aux navires qui étaient amarrés à côté de lui.
Il ressort donc au regard de ces équipements et services (variables PTKv9, PTKv10, et PTKv11), que le niveau de mise en œuvre de la fonction spécifique de réparation et d'entretien des navires au port de pêche de Bajomulyo est faible (la variable PTPf3 pour cette fonction n’est que de 20 %). Pour l’améliorer, il serait nécessaire de construire des installations d'accostage des navires équipées de cales, ainsi qu’un nouveau bassin portuaire.
Niveau de mise en œuvre de la fonction spécifique d'approvisionnement des navires (avitaillement)
Les variables utilisées pour déterminer le niveau d’exécution de la fonction d’avitaillement des navires (fonction F4, tab. 3) sont la disponibilité de l'approvisionnement en carburant diesel (gas-oil), en eau propre, et en glace. Dans ce domaine également, la satisfaction des pêcheurs reste très en deça de ce qui pourrait être attendu pour une fonction portuaire essentielle.
Concernant le service en carburant diesel au port de Bajomulyo (PTKv12), le taux de satisfaction est de 23,8 % (tab. 3), ce qui correspond à l'intervalle des critères PTKvj < 40 % (tab. 1) et illustre l’insatisfaction des pêcheurs qui ne disposent que d’une station de ravitaillement (SPBN ou Stasiun pengisian bahan bakar nelayan en indonésien) qui par ailleurs n’offre pas des réserves suffisantes pour contenter tous les besoins des navires de pêche du port de Bajomulyo. Ce déficit est le plus souvent comblé par des approvisionnements qui doivent se faire en dehors du port.
Le service de fourniture d’eau propre (PTKv13) n’est pas plus performant, avec un taux de satisfaction au plus bas de 20 % (tab. 3), le situant ainsi dans l’intervalle des critères PTKvj < 40 % (tab. 1) et révélant donc une forte insatisfaction. Il faut souligner que le port de pêche ne disposant pas d’installation de fourniture d’eau propre, c’est à l’extérieur du port que les besoins doivent être satisfaits, à la charge financière des pêcheurs. Concernant la fourniture d’un élément aussi essentiel pour la salubrité et la qualité du poisson, cette carence est très dommageable.
La situation concernant l’approvisionnement en glace, service également essentiel pour l’activité de pêche, est confrontée exactement aux mêmes difficultés. Tant au niveau du taux de satisfaction qui n’est pour cette variable PTKv14 que de 20 % (tab. 3), que pour l’absence de ce service dans le périmètre portuaire, obligeant les pêcheurs à se fournir en dehors.
Les difficultés rencontrées au port de pêche de Bajomulyo pour ces services pourtant essentiels de la fonction d’avitaillement ne sont pas nouvelles. Déjà en 2014, Fitriyashari, Rosyid et Ayunita soulignaient que ces approvisionnements étaient insuffisants et affectaient le bon fonctionnement des navires de pêches comme celui des transporteurs de poissons en mer. Avec un niveau général de satisfaction si faible de 21,3 % (PTPf4, voir tab. 3), il ressort de façon évidente de notre enquête que cette fonction portuaire est toujours défaillante. Au-delà du handicap que cela représente pour le bon fonctionnement de l’activité de pêche, cette situation freine le développement du port de Bajomulyo, ainsi privé des revenus fiscaux potentiels provenant de l’approvisionnement des pêcheurs en gas-oil, eau propre et glace si leur fourniture était effectuée sur son site.
Niveau de mise en œuvre de la fonction spécifique de supervision et de contrôle des ressources halieutiques
C’est l'Unité de surveillance des ressources marines et halieutiques (Satwas SDKP, Sumber Daya Kelautan dan Perikanan en indonésien) du Pati Regency qui a la charge de cette fonction portuaire de supervision et de contrôle des ressources halieuthiques (fonction F5, tab. 3). Les variables utilisées pour déterminer le niveau d’exécution de cette fonction sont la durée de traitement des documents HPKdK (dokumen Pengawasan sumber daya kelautan dan perikanan en indonésien, c’est-à-dire d’inspection à l’arrivée du navire) pour les navires entrant dans le port de Bajomulyo et des documents SLO (dokumen Standar laik operasi en indonésien, c’est-à-dire lettre d’approbation opérationnelle) pour les navires le quittant. Les deux documents sont délivrés par les inspecteurs des pêches de la Direction Générale de la Surveillance des Ressources Maritimes et Halieutiques du Ministère de la Marine et de la Pêche (Direktorat Jenderal Pengawasan Sumber Daya Kelautan dan Perikanan- PSDKP) / KKP en indonésien).
Les niveaux de satisfaction pour la durée de traitement des documents HPKdK et SLO au port de Bajomulyo (PTKv15 et PTKv16) sont très élevés, avec 96 % et 95,5 % (tab. 3). Correspondant à l'intervalle de critères PTKvj de plus de 85 % (tab. 1), cela signifie que les pêcheurs sont très satisfaits du service de traitement de ces documents HPKdK et SLO. Cette qualité est due au fait que le Satwas SDKP Pati Regency a mis en place des procédures opérationnelles standards pour aider les pêcheurs à s’approprier les documents. Une information par affichage a également été effectuée par le même organisme pour les modalités et les procédures de gestion de ces documents.
Il existe toutefois des obstacles externes à la fourniture de services d'émission des documents HPKdK et SLO au port de Bajomulyo, liés notamment à la localisation des navires amarrés sur les rives du fleuve Silugonggo, pour certains de manière irrégulière, et dont l'emplacement est parfois éloigné. Dans ce cas, lorsqu'une inspection est effectuée, il faut plus de temps pour se rendre sur place et accéder au navire. Ces conditions mettent par ailleurs en danger les contrôleurs des pêches dans l'exercice de leurs fonctions. Ismajaya, Purwangka et Iskandar (2019) ont ainsi souligné que le superviseur lorsqu'il se dirigeait vers l'emplacement d’un navire à inspecter qui est éloigné, devait parfois prendre des risques en traversant plusieurs embarcations et en sautant de l’une à l’autre. Cet élément renforce une nouvelle fois la nécessité de construire un nouveau bassin au port de pêche de Bajomulyo, afin que l'emplacement pour l'amarrage des navires puisse être correctement aménagé.
Mais le niveau de satisfaction global des pêcheurs vis-à-vis de cette fonction de surveillance et de contrôle des ressources halieutiques au port de Bajomulyo (PTPf5) reste très élevé, avec 95,8 % (tab. 3).
Niveau de mise en œuvre de la fonction spécifique de capitainerie
L’évaluation de cette fonction exercée par la capitainerie du port (fonction F6, tab. 3) porte sur les niveaux de satisfaction quant à la durée de traitement des documents STBLKK (dokumen Surat Tanda Bukti Kedatangan Kapal en indonésien, c’est-à-dire rapport et certificat d’arrivée du navire) pour les navires entrant (PTKv17), ainsi que celle des documents SPB (dokumen Surat Persetujuan Berlayar en indonésien, c’est-à-dire lettre d’approbation de navigation) pour ceux sortant (PTKv18).
Comme pour les documents de la fonction précédente, les taux de satisfaction sont très élevés (tab. 3), avec 97,9 % pour le traitement des documents STBLKK (PTKv17) et 94,6 % pour ceux de la SPB (PTKv18). Il faut souligner que dans ce domaine également, le port de Bajomulyo a mis en place des procédures opérationnelles standards pour accompagner les pêcheurs au remplissage de ces documents. Une information sur ces documents a également été faite par affichage dans la salle de service du port de Bajomulyo, afin que les pêcheurs puissent facilement connaître les exigences à respecter et le flux de traitement des documents.
Les obstacles à la délivrance des documents STBLKK et SPB sont les mêmes que ceux aux services de délivrance HPKdK et SLO présentés ci-dessus.
Mais pour cette fonction administrative portuaire, comme pour la précédente, le niveau de satisfaction global portant sur les services de la capitainerie est très satisfaisant, avec un taux de 96,2 % (PTPf6, tab. 3). Ce résultat est le fruit d’une volonté affichée depuis des années par les autorités indonésiennes, visant à fournir des services publics de qualité aux citoyens (Rohman, Hanafi et Hadi, 2013). Cela a visiblement brillamment été mis en place par les autorités du port de pêche de Bajomulyo.
Niveau de réalisation de la fonction globale du port de pêche
Calculée comme un taux moyen global de satisfaction à partir de l’ensemble des résultats du sondage auprès des pêcheurs du port de Bajumolyo, cette situation générale apparait très moyenne, avec un taux final (PNA, Persentase nilai akhir en indonésien) de 46,9 % (tab. 3), et donc un niveau d’insatisfaction de 53,1 %.
La raison principale tient indéniablement au site exigu du port sur le fleuve Silugonggo, au regard de ses activités. Confrontées à ces difficultés, les autorités qui ont la charge de la gestion du port et de ses investissements, quel que soit le niveau administratif, n’ont jamais pu véritablement compenser les contraintes de ce site. Si bien que les installations portuaires sont sous dimensionnées par rapport aux besoins, à l’image d’un bassin portuaire exsangue et saturé, et qu’elles manquent donc de disponibilité.
Ces équipements et services portuaires sont pourtant essentiels au développement des ports de pêche (Lubis et Mardiana, 2011) et leur déficience à Bajomulyo comme ailleurs est sans doute de nature à ne pas permettre le plein épanouissement et la rentabilité des activités de pêche maritime de cette région.
Cette situation renforce la nécessité d’amélioration des fonctions de service et de supervision du port de pêche côtier de Bajomulyo, y compris par la fourniture d'installations connexes. Conformément aux observations déjà faites par Muammar, Boesono et Purnomo en 2020, il apparaît essentiel aujourd’hui de renforcer les installations de base et tout particulièrement d’augmenter la longueur et la profondeur du bassin portuaire.
Conclusion et recommandations
Ce sondage détaillé effectué auprès des pêcheurs du port de Bajomulyo, port de pêche côtier important de l’île de Java, nous a permis d’évaluer la fragilité de l’offre des fonctions portuaires (services et surveillance ; notamment dans l’emprise du port lui-même) à disposition des acteurs pour mener à bien leurs activités de pêche. Cette méthode directe impliquant les pêcheurs offre un regard complémentaire à celle des évaluations effectuées par des experts mandatés par le Ministère des Affaires Marines et des Pêches, ou des structures gestionnaires administratives à l’échelle provinciale ou départementale (kabupaten en indonésien).
Dans le cas précis du port de pêche de Bajomulyo, nous avons vu qu’un certain nombre de fonctions était réellement déficientes, incluant des équipements et services essentiels : d'amarrage et d'ancrage ; de débarquement du poisson ; de réparation et d'entretien des navires ; d’approvisionnement des navires en gas-oil, eau propre et glace.
Si bien que le port de Bajomulyo est toujours dans l’attente d’équipements lourds vitaux : des quais de chargement à sa dimension réelle ; un nouveau bassin portuaire de dimension suffisante ; un auvent aux quais de débarquement ; un amarrage équipé de cales ; un avitaillement complet et efficace dans le périmètre du port lui-même, et un dragage continu du fleuve Silugonggo du port de Bajomulyo à l'embouchure.
Cette remise à niveau nécessite bien entendu des financements importants pour que les fonctions de service et de supervision fonctionnent de manière optimale au port de pêche côtier de Bajomulyo. Ces investissements sont d’autant plus nécessaires que les enjeux pour l’avenir sont importants, non seulement pour le port de Bajomulyo (Suherman et Mudzakir, 2022), mais également pour la République d’Indonésie toute entière, pour laquelle les ressources et revenus tirés des océans grâce aux pêches maritimes tiennent dans ce pays archipélagique le plus étendu au Monde, une place économique et culturelle centrale (FAO, 2021).
Hommage
Le professeur Claude Cabanne restera toujours dans nos pensées et c’est avec émotion que nous lui dédions cet article. Toujours avec gentillesse et curiosité, il nous a accompagné lors de notre travail de doctorat à l’IGARUN, jusqu’à la soutenance qui reste un magnifique souvenir en sa compagnie. Nous avons eu ensuite le bonheur de partager avec lui et son épouse Elena des moments savoureux de géographie indonésienne, dont seul il avait le secret. Un grand merci Professeur.