Introduction
En tant que pays archipélagique de 17 500 îles et plus de 81 000 km de côtes (Dahuri et Dutton, 2000), l’Indonésie compte parmi les régions les plus riches de la planète en biodiversité et ressources marines. Les concurrences y sont très fortes entre les activités de pêche et l’aquaculture intensive, de loisirs, la gestion des déchets, la production d’énergie, l’approvisionnement en eau, l’extraction de charbon, le renforcement des matériaux et l’extraction de granulats marins. Avec la croissance économique et démographique élevée en Indonésie et notamment sur l’île de Java (qui concentre 50 % des 247 millions d’habitants sur 7 % de son territoire), ces activités ne cessent de se développer et ainsi d’exacerber les conflits d’usages. Dans le même temps, l’intensité de ces activités exerce une très forte pression sur l’écologie et l’environnement marin et côtier. 140 millions d’indonésiens vivent à moins de 60 km de la côte. Les industries d’exploitation des ressources maritimes et l’ensemble des activités côtières représentent 15 % du PIB (Dahuri et Dutton, 2000).
S’intégrant à des échanges déjà actifs entre l’IGARUN (laboratoire Géolittomer) et le laboratoire Manajemer dan Kebijakan Palabuhan Perikanan de l’IPB – Institut Pertanian de Bogor à Java, un stage de master 2 Géographie et Aménagement des Espaces Maritimes a été effectué de février à juillet de l’année universitaire 2011-2012 (Denoize, 2012). Il a porté sur un cas d’étude de Gestion Intégrée des zones Côtières (GIZC), dans un contexte bien évidemment éloigné physiquement et socialement de celui plus connu des rivages atlantiques. Un important travail de terrain a été effectué, intégrant de nombreux entretiens auprès des acteurs et décideurs locaux. L’objectif du stage proposé par les enseignants-chercheurs de l’Institut Pertanian de Bogor était de mener sur la côte sud de Java ouest une première expérience de GIZC. Il s’agissait en particulier d’éclairer acteurs et décideurs locaux sur la démarche et susciter auprès d’eux un intérêt pour s’engager dans la voie d’une réflexion commune. Cet article présente ainsi les principales conclusions de cette expérience.
Le territoire de Palabuhanratu est apparu comme le territoire d’étude idéal. En effet, situé à seulement 120 km de Jakarta et Bandung, 75 km de Bogor, Palabuhanratu est une station balnéaire régionale renommée, développée autour d’un port de pêche en perpétuelle croissance. C’est l’un des plus grands ports de pêche d’Indonésie, mais aussi l’un des plus fonctionnels de la côte sud de Java (Chaussade et al., 2005). Ses activités en augmentation constante, couplées à un projet très important d’agrandissement du port de pêche, traduisent l’intérêt d’une réflexion sur la mise en place d’une gestion intégrée de cette zone côtière et maritime, dans une perspective de développement durable. D’autant que les expériences dans ce domaine sont encore très limitées en Indonésie.
1. Palabuhanratu
La ville de Palabuhanratu (120 000 hab.) est une ville en plein essor. L’ensemble des activités enregistre un développement exponentiel ces dernières années. Située sur l’île de Java, la plus peuplée des grandes îles du monde, avec plus de 1 100 habitants au kilomètre carré, la ville n’échappe pas à cette pression humaine remarquable. Localisée dans la province de Java ouest, dans le Kabupaten (département) Sukabumi (qui comptait en 2000, 2 092 448 habitants et devrait atteindre 3 200 000 en 2030), la baie de Palabuhanratu est un territoire à très fort potentiel de développement sous de nombreux aspects.
Palabuhanratu s’est tout d’abord développée sur un site exceptionnel (photo 1). En une seule ville, une seule région, on y retrouve non seulement la mer, mais aussi de très nombreuses rivières, la jungle ainsi que les montagnes. Les aspects paysagers sont aussi beaux que diversifiés, et il est donc important tant de s’appuyer dessus pour développer la ville, que de les protéger.
La diversité des lieux permet par ailleurs la diversité des activités. Palabuhanratu est très réputé nationalement et internationalement pour différentes attractions. C’est le lieu de pratique du surf le plus connu de Java ouest et l’un des plus réputés d’Indonésie. Certains surfeurs viennent d’Australie, d’Angleterre et de France pour glisser sur les vagues de la baie. De ce fait, le surf est omniprésent sur une partie du territoire. De nombreux hôtels sont aménagés et gérés par des surfeurs australiens, avec tous les aménagements nécessaires à cette discipline.
Palabuhanratu est également un lieu très réputé pour le tourisme balnéaire des habitants de Java ouest. De nombreuses familles, jeunes ou surfeurs se déplacent pour les vacances et les week-ends depuis Jakarta, Bandung ou Bogor (20 millions d’habitants pour ces 3 agglomérations situées à moins de 120 km de Palabuhanratu) afin de s’éloigner des chaleurs étouffantes des grands centres urbains. Palabuhanratu est ironiquement appelée par les employés du service départemental de l’aménagement, la « Ville-Secondaire », car les résidences secondaires s’y multiplient.
On compte dans la ville de Palabuhanratu pas moins de 115 hôtels, dont un certain nombre de niveau international (photos 2, 3 et 4) et même un classé six étoiles, ainsi qu’une agence de voyage et une association en charge de l’office du tourisme. à cela, il faut ajouter deux écoles de tourisme formant les élèves à l’art de l’hôtellerie ou la restauration. L’ensemble de ces infrastructures montrent bien l’importance de l’activité touristique dans la région, dont l’objectif est de faire de cet espace littoral du tourisme local et international une station balnéaire de réputation internationale au même niveau que Bali.
Photos 2-3-4 – Le Samudra Beach Hôtel de Palabuhanratu avec 3 étoiles, du niveau international
(2-Image Google Earth et 3 et 4 A. Denoize)
L’une des autres grandes qualités du territoire est son dynamisme. Presque tous les mois, un événement rassemble une population parfois nombreuse, démontrant que Palabuhanratu est une ville bien vivante. Allant de la plus grande fête des marins pêcheurs d’Indonésie, au championnat de surf de renommée internationale, en passant par un concours des nageurs-sauveteurs, les événements et rassemblements ne manquent pas dans cette ville côtière.
Le port de pêche y est un élément structurant. Rien que la toponymie permet de voir l’importance de cette activité sur le territoire. Pelabuhan en indonésien veut dire le port, Ratu, la Reine. En fait, il existe dans la ville différents types de port. Le principal est le port archipélagique de Palabuhanratu (PPN Palabuhan Perikanan Nusantara dans la classification administrative des ports de pêche), à côté de six points de débarquement du poisson (PPI Pangkalan Pendaratan Ikan dans la classification administrative des ports de pêche) : Cisolok, Cibanban, Mina Jaya, Ciwaru, Loji, and Ujung Genteng.
Opérationnel depuis 1993, le port de pêche (PPN) reflète la volonté des autorités d’en faire un port moderne et efficace. Déjà, en 2002, un nouveau bassin fut construit pour désengorger le bassin existant surpeuplé (photo 5). Le port compte environ 800 embarcations recensées et plus de 4 000 marins pêcheurs (DGCF, 2009). Alors que les débarquements annuels du PPN totalisent déjà environ 6 700 tonnes (PPN Palabuhanratu, 2011), le gouvernement national prévoit une expansion très ambitieuse, transformant ce port de pêche archipélagique en un port de catégorie océanique (PPS Pelabuhan Perikanan Samudera, catégorie administrative la plus importante), avec l’ensemble des structures industrielles associées (photo 6). Ce projet entraînera des conséquences significatives sur l’ensemble de la ville, son organisation, ses activités et son environnement.
Photo 6 – Le projet « Minapolitan » du futur port de pêche de Palabuhanratu (Kementerian Kelautan dan Perikanan, 2006), avec ses vastes surfaces destinées à l’accueil des infrastructures et des bâtiments industriels (transformation et conditionnement)
Ce contexte d’agrandissement du port de pêche, combinée à une augmentation constante de la fréquentation touristique, souligne de façon évidente le besoin d’une gestion globale de l’ensemble des fonctions de cette zone côtière.
2. Une gestion encore incertaine
Malgré ce développement en cours et les perspectives de croissance envisagées, la gestion du littoral s’avère à l’heure actuelle quasi-inexistante. Cette situation est d’autant plus porteuse d’inquiétudes que nombreuses sont les faiblesses et les menaces qui pèsent sur ce territoire.
Les risques naturels, notamment l’érosion et la submersion, demeurent un sujet de préoccupation. On observe en effet ces dernières années un recul du trait de côte (photo 7). Les inondations se font nombreuses, presque tous les ans le marché au poisson installé sur le port est détruit par la montée des eaux. La dernière en date a eu lieu le 11 avril 2012, à la suite du tremblement de terre de magnitude 8,7 près d’Aceh (Sumatra, Indonésie). La légère surcote s’est transformée en véritable inondation dans la ville de Palabuhanratu, et même s’il n’y a pas eu de pertes humaines, de nombreux dégâts matériels ont été à déplorer. Les évolutions actuelles de l’élévation du niveau de la mer, comme de la fréquence des événements météorologiques violents, laissent à penser que ces risquent pourraient aller en augmentant. Mais face à cette situation, les autorités semblent bien en retrait. Sur le plan réglementaire, il existe bien une loi sur la Gestion des zones Côtières et des Petites Iles (Undang-undang nomor, 27 tahun 2007) qui interdit de construire à moins de 100 m de la haute mer de vives eaux, mais celle-ci n’est pas respectée, ni punie en cas de non application (source : observations sur le terrain et entretiens). Ainsi, malgré le recul du trait de côte, des constructions se font de plus en plus près de l’estran. L’absence de régulation de la part des autorités concerne dans ces conditions autant les populations que l’environnement, dont la vulnérabilité semble croissante.
Le déficit d’investissement des pouvoirs publics entraîne par ailleurs de nombreux dysfonctionnements, dont le plus visible est probablement celui des déchets qui envahissent le paysage. En Indonésie, il n’est pas encore entré dans les mœurs que mettre son papier à la poubelle, c’est mieux que par terre, dans les rizières, sur les routes, sur la plage ou dans l’eau. L’impact visuel résultant de cette pratique est souvent important (photos 8 et 9) et bien évidemment peu compatible avec la qualité environnementale nécessaire à la labellisation d’une station balnéaire du tourisme international ou d’un développement durable et soutenable. Cet état de fait ne résulte pas d’une simple question d’incivilité, mais traduit bien un manque de connaissance de l’impact de tels gestes sur l’environnement. Dans un pays émergent comme l’est l’Indonésie, la sensibilisation à l’environnement et à sa préservation n’est pas encore une priorité, d’autant que les moyens manquent pour mener à bien une politique d’entretien. Ainsi, les équipements de collecte sont très insuffisants et de l’aveu même du responsable de l’hygiène et de l’assainissement de la ville de Palabuhanratu, il n’y a pas de récoltes régulières des déchets. Dans cette ville au poids démographique important (120 000 habitants), les moyens matériels sont dérisoires et seuls quelques camions relayés par des pousses-pousses permettent la récolte de l’ensemble de la ville. Les ramassages se font de façon aléatoire.
Photos 8 et 9 – Les déchets qui envahissent le paysage de Palabuhanratu
(cliché : A. Hamrah et A. Denoize)
La Division en charge de l’hygiène et de l’assainissement de la ville manquant cruellement de moyens financiers pour assurer ses missions, la situation est également très éloignée des préoccupations environnementales dans ce domaine. Les eaux usées ruissellent le plus souvent jusqu’à l’océan, soit par les exutoires naturels du réseau hydrographique, soit par ceux d’un réseau d’assainissement sous dimensionné.
La décentralisation des pouvoirs publics en place depuis quelques années crée une prolifération non seulement des acteurs institutionnels sur le territoire, mais également des échelles d’action. Beaucoup d’analyses, d’actions et de programmes sur des sujets différents sont menés afin d’améliorer la gestion de la ville, mais il n’existe aucune communication entre les organisations qui les portent. Les entretiens réalisés sur place ont révélé qu’entre les échelles ou entre les acteurs, entre les dinas (services déconcentrés de l’État dans les Kabupaten – équivalent d’un département en France), ou même avec les professionnels et/ou les citoyens, la communication est quasiment inexistante. Or, il est difficile de créer un développement global de la ville, de penser sur le long terme si les actions des uns et des autres ne sont pas communiquées. Cette lacune est observée non seulement au niveau inter-sectoriel, mais également inter-scalaire. Les actions lancées par le gouvernement national sur Palabuhanratu ne sont que très rarement communiquées aux acteurs locaux. La résultante est que chacun développe son propre plan d’aménagement (Plan de gestion de la ville, Plan directeur d’aménagement du port de pêche, Plan de gestion du tourisme…), mettant en avant ses propres intérêts, pourtant pas toujours compatibles avec les autres activités. Il est à partir de là très difficile d’imaginer une gestion intégrée des zones côtières ou même une synergie entre les activités, lorsque les relations sont inexistantes entre ces dernières.
Cette situation révèle en fait la difficulté réelle de percevoir l’espace littoral comme un territoire fragile et convoité. Elle souligne la difficile appropriation par les acteurs du développement local d’une « intégration conceptuelle de la GIZC » (Henocque, 2006) qui, sous bien des aspects, est en rupture avec les pratiques actuelles.
3. Une mise en place encore difficile de la GIZC
À Palabuhanratu et en Indonésie en général, on ne parle que très peu, voire quasiment pas de GIZC. Avec le nouveau contexte de décentralisation (Dormeier-Freire, 2002) et la récente loi relative à la Gestion des zones Côtières et des Petites Iles de 2007, cette question commence tout juste à devenir une thématique d’intérêt national. Cependant, il est pour le moment uniquement question d’organiser une gestion de cet espace particulier, de mieux le connaître et prendre en compte ses spécificités. L’heure n’est pas encore, localement, à une GIZC portée par de nouveaux systèmes de gouvernance.
La vague des grandes réformes de décentralisation (la « Reformasi ») initiée en 1999 par le président Abdurrahman Wahid n’a pas encore abouti à une réelle émancipation territoriale. De l’avis des régions elles-mêmes, sans doute cette réforme fut-elle instaurée trop rapidement. Que ce soit financièrement, matériellement, ou même au niveau des formations du personnel, rien n’était en effet prêt pour réaliser cette lourde tâche après plusieurs décennies du régime autoritaire de Soeharto. Si bien qu’« au plan local, on trouve surtout des responsables qui avaient pour fonction d’exécuter les ordres sans discuter, plutôt que d’effectuer des tâches de décision et de gestion » (Dormeier-Freire, 2002).
Cette progression trop lente des pensées et des méthodes freine dans bien des domaines l’adaptation aux évolutions pour un développement durable des ressources marines, pour la conservation de la biodiversité, la qualité de la ressource des eaux des bassins versants comme des mers côtières, l’accès au littoral pour toutes les activités économiques sources de développement, ou encore la gestion des risques et particulièrement celui de submersion ou des effets du changement climatique dans un pays comme l’Indonésie qui en a déjà si cruellement souffert (bien entendu en décembre 2004 avec 168 000 victimes, mais aussi en juillet 2006 : 650 victimes, ou en octobre 2010 : plus de 400 victimes). De façon générale, force est de constater que les préoccupations environnementales sont encore très largement en retrait dans les consciences et dans les actions quotidiennes, et qu’un effort important d’éducation devrait être entrepris dans ce domaine. Le Directeur de la Division régionale de l’éducation à Palabuhanratu est le premier à admettre que bien qu’étant dans les programmes, le respect de l’écologie n’est pas encore effectivement intégré aux apprentissages fondamentaux. Auprès des sphères d’acteurs professionnels, quelques actions ont certes été entreprises, notamment par l’envoi par la Direction régionale du Ministère de la pêche et des affaires maritimes de missionnaires chargés de la sensibilisation à l’environnement côtier. Mais ces initiatives demeurent encore très marginales et en deçà de ce qui serait nécessaire.
Sans doute existe-t-il des freins encore plus profonds à l’application d’une démarche de GIZC en Indonésie calquée sur les modèles de nos pays occidentaux. Le passage par la confrontation nécessaire des visions stratégiques, forcément divergentes et quelquefois opposées des acteurs, se heurte en effet à l’organisation de la société et à l’héritage culturel javanais.
Tout d’abord, la corruption, jamais démontrée, toujours ressentie, biaise la primauté de l’intérêt collectif au profit de l’enrichissement individuel, et limite de façon évidente une gestion concertée du territoire littoral, qui plus est intégrée (Kalaora, cité par Hénocque, 2006).
Comme dans de nombreux pays, mais de façon souvent exacerbée, obtenir un accord, un document ou un rendez-vous en Indonésie relève par ailleurs d’un véritable exploit et demande plusieurs mois de labeur. L’organisation administrative, comme l’héritage du « Nouvel ordre » de la période Soeharto, ont en effet favorisé une hiérarchie très présente qui oblige le passage par chaque niveau subalterne avant de pouvoir obtenir un rendez-vous ou une signature d’un dirigeant statutairement élevé. Une telle complexité bureaucratique n’encourage pas à la concertation, chaque division étant très étanche et hermétique, la communication entre les services relevant réellement du défi. Les acteurs, dans un souci de temps et d’énergie, sont alors très vite découragés.
Cette organisation trouve également ses origines dans la culture javanaise. La hiérarchie au sein même de la société y est fondamentale. Le statut de chacun a une importance très forte et les relations entre chaque statut sont bien différentes. Cet ancrage culturel possède des prolongements dans la langue indonésienne, qui emploie des termes bien précis selon la place que l’on occupe face à la personne à qui on s’adresse. Cette organisation hiérarchique crée évidemment de la segmentation là où le modèle européen de la GIZC recherche de l’intégration, de la concertation et bien souvent une expression libre et directe. Dans ce contexte de relations, les personnes de rangs différents s’imposent une retenue évidente qui limite leur capacité à parler librement. D’autant qu’il est par ailleurs véritablement ancré dans la société et la culture javanaise de ne pas parler des problèmes, des choses qui ne vont pas, de ne pas dire non, qui est perçu comme une forme d’impolitesse. Il est ainsi très difficile d’attendre cette franchise lors d’une conversation, si bien qu’il convient plutôt de tenter de percevoir l’opposition à travers un regard un peu moins enjoué, un sourire plus forcé….
Du point de vue de l’expert occidental, il est particulièrement délicat dans une démarche de GIZC d’intégrer ces positions culturelles qui sont perçues comme un obstacle à la sincérité et à la pertinence des propos. Et plus encore, dans un contexte de concertation qui passe bien souvent nécessairement par « le conflit… la fracture qu’il institue à un moment donné entre la façon dont l’environnement est géré et les objectifs collectifs en la matière » (Billé, 2006), c’est le modèle même de la GIZC qui se trouve en difficulté. Car on comprend bien que ces positions culturelles sont à l’opposé de celles de nos pays occidentaux, qui imposent bien souvent comme à « peu près indispensable, pour qu’un problème d’environnement soit effectivement pris en charge, que les différentes parties impliquées vivent une situation de blocage, d’impasse, faisant suite à une période conflictuelle » (Billé, 2006).
De ce point de vue, « l’illusion du tour de table comme solution à tous les problèmes » (Billé, 2006) apparaît-elle encore plus grande sur ce chemin de la mise en place d’une GIZC à Palabuhanratu. Nombreux sont pourtant les acteurs ayant envie d’inscrire leur territoire dans une vision durable de son développement, si bien que la recherche de l’intégration décisionnelle, en favorisant la rencontre et la confrontation des différents niveaux de gestion et de participation (de l’international, du national et du provincial, du Kabupaten, du Kota jusqu’à celui des communautés locales) demeure-t-elle l’un des enjeux premiers de la démarche. Elle sous-entend plus encore, la promotion du projet collectif et de son intérêt face aux intérêts individuels.
Conclusion
Bien que n’étant qu’un exemple, le cas de Palabuhanratu est un reflet concret du mode de gestion de l’espace côtier tel qu’il est appréhendé sur une grande partie du territoire indonésien. Au-delà des difficultés liées au temps nécessaire pour s’approprier les principes et les moyens du développement durable, l’application de la GIZC y est aussi confrontée à l’émergence délicate d’un système de gouvernance qui repose nécessairement sur un effort de concertation, en même temps qu’il intègre les valeurs culturelles indonésiennes régissant une société bienséante. Ce paradigme de la GIZC est inévitablement ancré au territoire dans lequel il se développe (Hénocque, 2006).
Déjà, à Palabuhanratu et en Indonésie, les acteurs sont de plus en plus nombreux à percevoir les enjeux forts qui concernent l’aménagement et la gestion des espaces littoraux. Des actions sont entreprises, des actes posés et sans doute est-ce dans la continuité de ce qui est déjà entrepris que l’avenir pourra se dessiner.
Dans ce contexte de réelles difficultés pour voir émerger des processus de rencontre, de confrontation et de décisions négociées qui sont autant de préludes à une gestion intégrée du littoral, il serait dans un premier temps utile d’insister sur un cadre juridique plus fort, c’est-à-dire sur la reconnaissance d’instruments de régulation inévitablement partagés par tous. Dans le cas indonésien, la mise en application de façon systématique de la loi relative à la Gestion des zones Côtières et des Petites Iles de 2007, serait un premier véritable pas vers un développement durable des côtes, car « l’une des dimensions essentielles de la GIZC est aussi son intégration dans les politiques existantes » (Guineberteau et al., 2006).
Plus localement, dans le cadre de Palabuhanratu et dans la perspective du développement de son port de pêche, les efforts pourraient sans doute être faits autour d’outils contribuant à l’émergence d’un projet de territoire prenant en compte les spécificités et atouts de cette ville côtière, associés à une vision durable du développement.
En créant tout d’abord un label territorial, utilisé comme outil de médiation et de rayonnement de l’identité maritime de Palabuhanratu. Son rayonnement déjà effectif autour de son port de pêche, de ses activités touristiques avec une dimension internationale liée au surf, doit pouvoir valoriser cette identité locale dans laquelle de nombreux acteurs peuvent se retrouver. Car au-delà de sa portée à l’extérieur de la région (tourisme national et international, exportations des produits de la mer), le label « Palabuhanratu cité de la mer » pourrait permettre l’émergence d’un lieu favorable à la convergence des valeurs et des intérêts portés par les acteurs, qu’ils soient institutionnels, professionnels, bénévoles ou citoyens.
Sans doute complémentaire à cette action, un cadre institutionnel est également nécessaire. Il pourrait prolonger les réflexions engagées de façon sectorielle dans le cadre du plan de gestion de la ville, du plan directeur d’aménagement du port de pêche ou encore du plan de gestion du tourisme en un Master plan ou Schéma de développement de la baie de Palabuhanratu. La démarche favoriserait tout d’abord l’ouverture de débats collectifs, en proposant un lieu d’échanges dont l’objectif serait non seulement d’établir une planification de l’ensemble des activités de la baie, mais également d’engager une meilleure intégration et valorisation du littoral dans le respect de la protection de l’environnement côtier, et pour un développement sur le long terme.
Pour l’accompagner dans cette voie, la région de Palabuhanratu peut sans doute compter sur de nombreux partenaires et l’aide internationale. Dans un contexte de difficultés financières, ce point n’est pas le moins important. Il doit permettre dans les années à venir de prolonger les réflexions déjà engagées à la faveur d’une notoriété naissante et d’une prise de conscience croissante des enjeux portés par « l’économie bleue » à l’échelle du pays.
Cette étude de Master 2, produite dans le cadre des échanges interuniversitaires entre Nantes (France) et Bogor (Indonésie), souhaitait y participer modestement. Espérons qu’elle puisse enrichir une autre base essentielle à la GIZC, celle de l’apport nécessaire de la « production des connaissances utiles à la prise de décision » (Henocque 2006) et aux processus d’un développement durable.