Introduction
Après trente ans de fermeture, la ligne Nantes-Châteaubriant devrait accueillir à nouveau un service ferroviaire. Cette réouverture doit contribuer à agir sur la périurbanisation, la congestion automobile, la pollution… Assurée par un tram-train, cette ligne traversera 13 communes réparties dans 5 établissements intercommunaux et desservira 11 arrêts. La réouverture est prévue en deux temps ; la première phase en 2011 concernera Nantes/Nort-sur-Erdre (29 km) et la seconde phase reliera en 2013 Nort-sur-Erdre/Châteaubriant (35 km).
En accroissant l’offre des transports en commun en site propre en milieu périurbain, tout en assurant des connexions avec le réseau urbain, la ligne permettra de renforcer la mobilité en transport en commun des usagers du périurbain et de l’urbain. Cependant, bien que disposant du matériel adéquat (achat de rames tram-train), la ligne ne constitue pas encore un réseau de tram-train complet. En effet, en 2011 comme en 2013, l’interconnexion physique des réseaux tramways et trains ne sera pas encore réalisée, le transbordement des passagers d’un mode vers un autre s’effectuera grâce à une correspondance en station. Ainsi, jusqu’à l’interconnexion des réseaux, elle est annoncée mais non programmée, le service proposé s’apparentera à celui d’un RER ou TER.
Nous étudierons dans le présent article le tram-train Nantes-Châteaubriant à travers le volet des déplacements. D’abord nous présenterons le contexte de réalisation de la ligne de tram-train. Puis, nous exposerons les différences et similitudes entre un réseau ferré connecté/interconnecté. Enfin, la dernière partie s’intéressera au bilan économique du projet.
1. Le contexte de réalisation d’un tram-train : la périurbanisation
L’agglomération nantaise, comme d’autres agglomérations françaises, n’échappe pas au phénomène de la périurbanisation. La stabilisation démographique de l’unité Urbaine de Nantes est effective depuis les années 1970, alors que celle de l’aire urbaine n’intervient que 30 ans plus tard (Garat et al., 2005). On assiste en effet à un développement des zones périurbaines résidentielles tandis que les activités économiques restent majoritairement concentrées dans Nantes et ses communes limitrophes au Nord. Cette répartition spatiale accroît les déplacements domicile-travail, des déplacements essentiellement réalisés en voiture individuelle.
La périurbanisation à Nantes
En 2006, selon l’Agence des études Urbaines de l’Agglomération Nantaise (AURAN), sur les 763 000 personnes vivant dans l’aire urbaine de Nantes, 300 000 travaillent sur le territoire de Nantes Métropole et une sur quatre habite à l’extérieur de l’agglomération. En 30 ans, le nombre des migrations pendulaires a été multiplié par 2,2.
Sur ce même périmètre, la surface urbanisée a été multipliée par trois en quarante ans. L’étalement urbain a ainsi franchi les limites de l’aire urbaine nantaise où travaillent au moins 40 % des actifs résidant dans chacune des communes incluses dans ce périmètre en 1999 (Rapetti, 2007). Le regain de dynamisme démographique et économique dans une zone comprise entre Nantes et Châteaubriant (seul bourg de plus de 10 000 habitants dans le nord du département (Jousseaume, 1998)), pose la question de la réouverture d’une desserte ferroviaire entre ces deux pôles.
Les communes du corridor de la ligne
13 communes sont traversées par la ligne de tram-train Nantes-Châteaubriant. Les plus peuplées après Nantes (290 871 hab.) sont celles de La Chapelle-sur-Erdre (17 201 hab.), Châteaubriant (13 055 hab.), Nort-sur-Erdre (7 230 hab.) et Sucé-sur-Erdre (6 259 hab.)2. L’analyse des variables démographiques, d’emploi à la commune et de constructions de résidences principales (maisons et immeubles) sur la période 1968-19993 permet de distinguer les 13 communes selon 4 profils (fig. 1).
La première classe concerne La Chapelle-sur-Erdre. Elle se caractérise par un dynamisme démographique ancien accompagné par un taux de croissance de construction très important (10 % par an en moyenne entre 1968 et 1981). La croissance de l’emploi est tout aussi vigoureuse, 6 % par an en moyenne pour la période 1968-1974 et 9 % pour 1975-1981. Toutes variables confondues, les taux de croissance annuels moyens restent soutenus pour la période 1982-1999 (près de 3 % en moyenne par an).
Casson et Sucé-sur-Erdre constituent un second groupe. Proches de Nantes, elles se caractérisent par une croissance annuelle moyenne vigoureuse de la population (Casson 3,5 %, Nort-sur-Erdre 6,5 %) et de la construction de résidences principales (de l’ordre de 6 %) pour la période 1968-1981. La croissance de l’emploi n’est effective qu’à partir de 1975. Toutes les variables croissent entre 1982 et 1999 avec des valeurs annuelles moyennes de l’ordre de 2 %. Notons néanmoins que Casson subit une perte d’emploi de 3 % par an en moyenne de 1990 à 1999.
Le troisième groupe à se distinguer est composé des couples de communes Saffré/Joué-sur-Erdre et Erbray/Louisfert. Les taux de croissance de construction des résidences principales de ces 4 communes sont soutenus, de l’ordre de 2 % par an en moyenne et cela pour toute la période de référence. Il s’agirait d’un renouvellement du bâti plus que d’un développement au regard de la très faible croissance démographique et d’un bilan globalement déficitaire au niveau de d’emploi. Ce constat n’est pas surprenant, en effet la faiblesse démographique dans les communes au nord de Nantes, et plus généralement dans le nord du département, est structurelle (Rapetti, 2007). Les résultats des derniers recensements de 2006 permettent de nuancer ces propos, mais il faudra attendre plusieurs années avant d’observer une tendance à la hausse.
La dernière classe regroupe Issé, Moisdon-la-Rivière, Abbaretz, Nort-sur-Erdre, Châteaubriant et Nantes. Pour ces communes le taux de croissance de construction de résidences principales de 1968 à 1999 est régulier, de l’ordre de 2 % par an en moyenne. Un autre trait caractéristique de ces communes concerne le bilan démographique globalement négatif sur toute la période de référence. Notons cependant, que le recul démographique de Nantes n’a couru que sur la période 1968-1981 (- 0,5 % par an en moyenne). Les jeunes ménages se sont installés hors de la ville-centre, La Chapelle-sur-Erdre, Sucé-sur-Erdre et Casson ont bénéficié d’une partie de ces migrations résidentielles. Enfin, au niveau de l’emploi, toutes les communes à l’exception de Nantes et Châteaubriant sont déficitaires.
Migrations pendulaires
Entre 1990 et 1999, le ratio « actifs ayant un emploi sur la commune de résidence » par rapport aux « actifs de la commune » a diminué pour toutes les communes. Cette période étant marquée par une croissance de l’emploi dans ces communes (exceptées Casson et Abbaretz), nous pouvons en déduire que les migrations pendulaires ont progressé. Néanmoins nous ne disposons d’aucune information sur les destinations des migrants.
Les résultats d’une enquête déplacement domicile-travail sur la zone de circulation du tram-train, publiés dans le dossier de l’enquête publique, précisent et renforcent les propos évoqués précédemment. En effet, d’après cette enquête, les trajets se font majoritairement en direction de Nantes. Les flux les plus importants viennent de la proche couronne périurbaine, la zone est comprise de Nantes à Sucé-sur-Erdre. La répartition des déplacements, pour les flux en direction de Châteaubriant, est moins importante que ceux en direction de Nantes. A partir de Nort-sur-Erdre, les flux en direction de Châteaubriant sont au moins égaux à ceux en direction de Nantes.
La majorité des déplacements sont effectués en voiture. Ceux effectués en transport public sont observés principalement pour La Chapelle-sur-Erdre/Nantes. Ils sont faibles pour les autres trajets et quasi nuls d’Abbaretz à Châteaubriant. D’une manière générale, la mise en place d’une offre de Transport en commun permettra de relier ces communes périphériques au bassin d’emplois de l’agglomération nantaise.
Ces analyses traduisent la modification de la pratique des citadins nantais (cette tendance est observée dans d’autres agglomérations françaises) : jadis travaillant et habitant dans les villes, ils s’éloignent des centre-villes, d’abord vers les banlieues et maintenant plus loin encore. La distinction est de plus en plus nette entre l’endroit où l’on travaille et celui où l’on habite (Ascher, 1998 ; Orfeuil, 2001). Cela se traduit par des besoins croissants de déplacements qui ne sont plus intra-urbains ou interurbains, mais également périurbains.
On observe également une augmentation des distances à parcourir, en particulier pour aller travailler. Dans ce dernier cas, le véhicule automobile individuel reste le principal mode permettant de répondre aux besoins de déplacement des périurbains (Dupuy, 1995). Les effets de cette pratique sont connus et perceptibles quotidiennement : la liberté de mouvements que le véhicule particulier procure au niveau individuel, occasionne des coûts pour la collectivité (embouteillages, pollutions...). Le phénomène de périurbanisation est évidement plus complexe et cache, en réalité, une profonde mutation des modes de vie et des aspirations des individus (Bauer et Roux, 1976 ; Dezert et al., 1998).
Développer les réseaux des transports en commun
Au niveau de la couverture d’un territoire urbain et de sa desserte, les transports en commun constituent (notamment avec le retour des tramways modernes) une alternative crédible à l’usage de la voiture et contribuent à lutter contre les problèmes de circulation automobile. Ceci n’est cependant plus vrai dans les zones périurbaines, comme dans les zones rurales, où l’usage des transports en commun reste limité aux déplacements des captifs. L’amélioration de la desserte des espaces périphériques est indispensable, mais pose des problèmes délicats à résoudre. La mise en place d’un « tramway sortant de la ville » pourrait constituer une partie de la solution.
Un transport en commun en site propre adapté aux espaces périurbains
Une solution consisterait à valoriser les réseaux ferrés existants, pour repenser d’une part, les déplacements au sein des agglomérations et de leurs périphéries et d’autre part, les relations entre ces deux entités. Le rail faciliterait alors les besoins de mobilité et d’accessibilité de deux entités spatiales propres mais étroitement liées.
L’utilisation du rail apporterait ainsi quelques solutions au problème de la circulation dans la ville périphérique et la ville dense et compacte. La réalisation d’un réseau périurbain en site propre vise à instaurer une offre de transport se présentant comme un complément aux autres modes de transports collectifs et individuels. Ce réseau offre des perspectives pour la desserte des espaces péri-urbains à condition qu’il soit attractif, c’est à dire que la fréquence de passage soit importante, que le mode soit sûr, confortable, rapide, qu’il permette des déplacements multimodaux et assure une bonne qualité de desserte.
L’utilisation combinée des voies ferrée nationales existantes et des voies de tramway d’une agglomération pour faire circuler un tram-train offrirait aux habitants un mode de transport supplémentaire. Il permettrait, dans une certaine mesure, de remédier, pas dans leur globalité, à certains problèmes évoqués précédemment. Il s’agit d’inscrire ici les transports en commun périurbains en site propre dans la logique de la mobilité et de l’accessibilité sur un territoire, d’accroître l’attractivité des transports en commun périurbains face aux véhicules individuels (Guyon, 2000).
La solution tram-train
La réalisation d’un réseau de tram-train, calqué sur l’expérience de Karlsruhe en Allemagne, permet d’assurer les liaisons ferroviaires sans correspondance (on utilise également les termes de rupture de charge) entre une agglomération et ses zones périurbaines en circulant successivement, grâce à une interconnexion des réseaux, sur les voies ferrées du réseau national et sur le réseau ferré de tramway urbain existant. La circulation d’un tram-train depuis 1992 à Karlsruhe (ADTC, 1998), indique que les obstacles techniques, institutionnels, voire politiques, ne sont pas insurmontables.
Il faut, pour que le tram-train trouve sa pleine efficacité, que la politique de transport favorise l’intermodalité aux pôles multimodaux. Cela passe par la création de parkings relais et la transformation du pôle d’échange, considéré comme un lieu d’attente, en un lieu d’occupation. L’aménagement des pôles contribuerait à rendre le transport en commun fonctionnel (se déplacer) et utile (faire un achat de biens ou de services). Le choix d’implantation des arrêts et des pôles est déterminant.
Ces pôles s’inscrivent donc dans une politique de partage modal entre les différents moyens de déplacement tout en étant favorable à l’usage des transports collectifs. Ces transports en commun périurbains en site propre constitueraient une alternative à l’usage de l’automobile pour les déplacements4. Les travaux nécessaires à l’arrivée dans le périurbain de ces modes peuvent permettre des aménagements au sein des espaces parcourus par les usagers des transports en commun.
Le tram-train, en circulant sur des réseaux existants, dispose par rapport à d’autres modes, d’un avantage d’un point de vue des investissements, du financement des coûts d’infrastructures de voies. Par ailleurs, l’interconnexion a un impact sur le coût de réalisation d’une nouvelle ligne. Cette solution a l’avantage de ne pas contraindre à la construction d’une nouvelle infrastructure ferrée là où l’espace libre est déjà rare. Elle est financièrement avantageuse puisqu’elle ne nécessite que des aménagements ponctuels (voies d’évitements par exemple). Cette solution contribue enfin à valoriser, par l’exploitation, les infrastructures ferroviaires existantes avant d’en réaliser de nouvelles. Un réseau tram-train est optimal avec l’interconnexion des réseaux, l’acquisition d’un matériel roulant adéquat ne constitue pas une condition suffisante.
2. Réseaux ferrés connectés/interconnectés
Les dessertes régionales ferrées sont assurées en France par les trains TER. Le passage sur les réseaux ferrés urbains de transport en commun nécessite pour les usagers une correspondance, il y a rupture de charge, car les réseaux ne sont pas interconnectés. La mise en place d’un réseau tram-train permet des liaisons ferroviaires urbaines/périurbaines identiques à celles proposées avec un réseau connecté, la correspondance en moins.
L’interconnexion, l’intégration avancée des réseaux
Les réseaux régionaux traditionnels : la connexion
Jusqu’à l’interconnexion effective des deux réseaux ferrés, le tram-train Nantes-Châteaubriant fonctionnera sur un réseau connecté. Sur les réseaux de ce type, la rupture de charge en gare est réelle pour l’usager en raison de la discontinuité des réseaux ferrés. Les destinations accessibles depuis une gare périurbaine (fig. 2) avec une correspondance au plus sont limitées aux lignes urbaines.
Les gares périurbaines sont des destinations accessibles depuis l’hypercentre avec une correspondance au plus (fig. 3).
Quelques soient les sens de circulation (fig. 2 et fig. 3) les possibilités de destinations offertes, sans rupture de charge, sont réduites car l’usager doit changer à la gare de mode de transport pour se rendre dans l’hypercentre.
Ce qui distingue la desserte Nantes-Châteaubriant des autres réside dans l’utilisation d’un matériel tram-train. Ce dernier lui confère quelques avantages par rapport au matériel utilisé habituellement pour ces liaisons régionales.
Les réseaux interconnectés : la suppression d’une correspondance
L’aspect novateur réside dans l’interconnexion des réseaux existants pour faire circuler un véhicule adapté à deux types de techniques ferroviaires et à la prise en compte des contraintes inhérentes aux deux réseaux (alimentation, signalisation par exemple). Il doit répondre aux exigences techniques, opérationnelles et de sécurité des deux systèmes (Bouhet, 2006).
La société Transport Technologie-Consult Karlsruhe GmbH (TTK), spécialisée dans la planification des transports, a étudié la faisabilité d’un tram-train à Karlsruhe (ADTC, 1998). La circulation, effective depuis 1992, nous enseigne que les obstacles techniques, institutionnels, voire politiques, ne sont pas insurmontables. En 2009, le tram-train est exploité sur un réseau régional de plus de 300 km de lignes.
Dans les sens périurbain-hypercentre (fig. 4) l’interconnexion permet les liaisons sans rupture de charge.
Avec un rabattement à une station, les voyageurs peuvent être captés dès l’origine de leur déplacement. Cette interconnexion couplée à la création de pôles multimodaux (Certu, 1998) contribue à accroître la desserte des territoires traversés. En supprimant une rupture de charge, le nombre de destinations accessibles avec une correspondance au plus tramway ou bus, grâce au maillage et à la couverture des réseaux de transport régionaux et urbains, est augmenté.
Le rabattement en cars, bus, voitures et modes doux sur un réseau interconnecté donne ainsi davantage d’opportunités de destinations accessibles en transport en commun qu’un réseau qui ne l’est pas.
Dans le sens de circulation hypercentre-périurbain (fig. 5), la correspondance obligatoire en gare n’existe plus. Pour rejoindre sa destination en zone périurbaine, il est possible de prendre son tram-train à un arrêt de tramway en hyper-centre. Les destinations périurbaines peuvent être accessibles depuis l’hypercentre avec une correspondance au plus.
L’interconnexion un avantage sur la connexion.
La suppression d’une correspondance donne au tram-train la possibilité de modifier l’image des transports en commun. En effet, l’attente perçue lors des correspondances pénalise l’image et le confort d’usage des transports en commun, et conduit à un rallongement des temps de parcours. Si l’on ajoute une durée d’attente souvent non précisée et parfois longue, se traduisant par de l’incertitude voire de l’angoisse (liée à l’absence d’information), il n’est pas étonnant de constater une chute de la part modale des transports collectifs dès lors qu’au moins deux correspondances sont nécessaires.
Pour l’autorité organisatrice, l’interconnexion des modes a des conséquences radicales sur l’exploitation des différents réseaux de transports (bus, tramways, trains). Tout le réseau doit
être repensé et toutes les relations entre les modes soigneusement réorganisées (aménagement des correspondances, tarification intégrée, horaires aménagés, amplitude du service élargie, information aux usagers…).
Une ligne interconnectée présente beaucoup plus d’opportunités de rabattements par bus, ou par parkings relais, qu’une ligne simplement connectée.
La combinaison politique multimodale de transport et transport périurbain en site propre, peut constituer une réponse aux attentes d’usagers qui « cherchent à disposer de toujours plus de capacité de choisir » (Ascher, 1993) et agir sur les problèmes de congestion des axes de circulation. A priori, les répercussions de la suppression d’une correspondance forcée sont visibles tant sur la qualité du transport (réseau plus attractif) que sur l’exploitation du réseau.
Ainsi, réorganiser un réseau grâce à la réalisation d’axes interconnectés s’inscrit dans une logique où « les divers modes ont leurs zones de pertinence et leurs circonstances d’utilisation respectives. L’essentiel n’est pas de déplacer les frontières de ces zones et les usages des divers modes, mais d’optimiser pour les individus et pour les collectivités les dispositifs complexes qu’ils forment ensemble » (Ascher, 1993).
On observe à travers l’exemple de Karlsruhe (fréquentation avant/après le tram-train) que l’interconnexion approfondit le degré d’intégration des réseaux de transport ferrés urbains et périurbains et génère une fréquentation plus importante.
Qu’il s’agisse d’un système tram-train avec ou sans interconnexion, la connexité du réseau par la création de nouveaux arrêts sur un territoire est augmentée. Le système contribue en théorie à une meilleure accessibilité du territoire pour des liaisons centre périphéries et périphéries/périphéries et pourrait accroître la mobilité en transport en commun. Dans le cas du tram-train Nantes-Châteaubriant la connexion en 3 points du réseau de tramway permet de faciliter les correspondances. L’acquisition d’un matériel tram-train permet également d’augmenter le nombre de desserte par rapport à un projet équivalent utilisant des rames TER.
Accélérations et décélérations : le plus du matériel tram-train
Grâce à ses capacités d’accélération5 et de décélération le tram-train s’insère, moyen-nant quelques aménagements, dans le trafic ferroviaire sans le perturber tout en s’arrêtant plus fréquemment qu’un train classique de type TER, et sans accroître exagérément les temps de parcours (fig. 6).
Capable d’une forte accélération lui permettant d’atteindre rapidement sa vitesse maximale (100 km/h contre 50 km/h pour un tram urbain), le tram-train, à nombre d’arrêt augmenté et avec une vitesse commerciale identique (de l’ordre de 50 à 60 km/h), n’accroît pas excessivement le temps du parcours par rapport à une desserte ferroviaire classique. à l’inverse ce type de véhicule rend le réseau à la fois plus connexe et plus accessible.
Avant la mise en circulation du tram-train en 1992 sur la ligne Karlsruhe-Bretten, le temps de trajet en train pour une desserte de 9 gares était de 30 minutes. Avec le tram-train, la durée du parcours est passée à 32 minutes pour une desserte de 17 stations (hors arrêts tramway dans Karlsruhe) (Bouhet, 2006). Le temps de parcours est allongé de 2 minutes pour une desserte comprenant 8 arrêts supplémentaires. Les caractéristiques techniques des véhicules contribuent à cet état de fait.
La nouvelle offre (fréquence augmentée, amplitude de service élargie) s’est traduit par une fréquentation de plus de 8 0006 voyageurs par jour 3 semaines après l’ouverture de la ligne (les trains transportaient 2 200 voyageurs). L’implantation de nouvelles haltes est donc possible mais le choix des emplacements n’est pas trivial. Plusieurs éléments entrent en ligne de compte pour appréhender la mise en service de ce véhicule, assurer son développement et sa réussite. Citons comme exemple les aménagements spécifiques au niveau des voies et des arrêts (parkings relais), opérations urbanistiques…
Le succès de Karlsruhe ne repose pas uniquement sur les temps parcours maintenus mais également sur la suppression d’au moins une correspondance, la mise en place d’une politique intermodale favorable à l’usage des transports collectifs, et l’aménagement des pôles multimodaux pour accroître l’efficacité du tram-train (transformer le pôle d’échanges, considéré comme un lieu d’attente, en un lieu d’occupation).
La ligne de tram-train Nantes-Châteaubriant se trouve donc à cheval entre réseaux connectés et interconnectés. Pour l’instant et jusqu’à l’interconnexion des réseaux, le matériel roulant lui permet de circuler sur le réseau ferré national mais la circulation sur les voies tramway lui reste encore interdite.
La localisation des arrêts
Les aménagements liés à la ligne et aux futurs arrêts doivent s’inscrire dans une logique de concertation avec la population locale à travers une enquête publique. Cette procédure est rendue obligatoire par la loi no 83-630 du 12 juillet 1983 dite « loi Bouchardeau » et son décret d’application no 85-453 du 23 avril 1985. Ainsi, la population locale est à même de s’approprier le projet, d’apporter des modifications, de soulever des interrogations... Le dossier de l’enquête publique de la ligne Nantes-Châteaubriant révèle à travers les consultations publiques un degré d’implication de la population locale. Par exemple, les demandes exprimées sur la localisation de l’un des arrêts de La Chapelle-sur-Erdre, ont conduit à retenir le site d’Erdre Active pour la réalisation d’une station, en lieu et place de celui de Gesvrine initialement envisagé. La desserte des 11 arrêts de la ligne est la suivante (fig. 7).
Les anciens arrêts de Saffré-Joué et de Casson n’ont pas été retenus à cause de leur éloignement des pôles urbanisés.
Desservis dans chaque sens de circulation bien plus fréquemment que par un service de trains classiques, les arrêts, les gares et les haltes peuvent devenir des points d’attraits et des lieux de vie, générant même, dans les quartiers situés dans leur zone d’influence, une nouvelle dynamique de l’emploi.
Le choix de l’autorité organisatrice : l’exemple de Métrocéane
Avec la multiplication des destinations des actifs pendulaires et la diversification de leur localisation résidentielle, la réalisation d’un transport en commun périurbain en site propre s’envisage dans un cadre régional. Un tel système se traduit généralement par la création d’une autorité organisatrice des transports en charge de gérer la répartition des rôles en matière de périmètre d’intervention, de coûts et recettes… du fait des périmètres de compétence se superposant et se juxtaposant.
Une solution pour le tram-train consisterait à réaliser un partenariat équivalent à celui de Métrocéane.
En 1999, la Région des Pays de la Loire, le Département de la Loire Atlantique et les Agglomérations de Nantes et de Saint-Nazaire, réunies au sein de l’Association Communautaire de l’Estuaire de la Loire, créaient Métrocéane. Ce titre de transport multimodal est né d’une volonté politique de faciliter les déplacements quotidiens en transport collectif des salariés de la métropole Nantes Saint-Nazaire et de réduire le trafic routier le long de la Loire. Le même ticket permet de combiner cars, bus, trains et trams (transports régionaux, départementaux et ceux des agglomérations de Nantes et Saint-Nazaire) des différents réseaux pour réaliser un trajet.
Aujourd’hui, le périmètre de validité est élargi (3 zones tarifaires en 1999, 14 aujourd’hui), l’offre a évolué (elle n’est plus réservée aux seuls salariés) et le nombre de titre vendu a doublé en 10 ans (53 000 aujourd’hui).
Les conventions signées concernent d’une part, l’Association Communautaire de l’Estuaire de la Loire (ACEL, depuis 1995 les 4 AOT de l’Estuaire de la Loire sont réunies au sein de cette association) et les quatre AOT (Nantes Métropoles, Saint Nazaire, le département 44 et la Région des Pays de la Loire) et, d’autre part, les AOT et leurs exploitants de transports collectifs : la SNCF, le réseau Lila (cars départementaux de Loire-Atlantique), les Transports de l’Agglomération Nantaise et la Société de Transports de l’Agglomération Nazairienne.
Cette tarification multimodale est unique en France, puisqu’à présent aucune autre agglomération ou région n’a réussi à associer autant de modes de transports dans une seule offre et sur un territoire aussi vaste.
La création d’une zone intégrant Châteaubriant dans le cadre de Métrocéane permettrait aux usagers, de part la tarification intégrée, de se déplacer sans tenir compte, ni des frontières institutionnelles, ni de la nature de l’opérateur. Cette amélioration qualitative du service renforce l’attractivité du réseau : le voyageur n’a plus qu’un seul titre de transport, ce qui constitue un progrès important dans l’usage des transports en commun. Ce système contribue à renforcer la fonction sociale des transports publics. Ils constituent alors un élément d’intégration dans notre société quel que soit l’espace de résidence (Orfeuil, 2006). Ils favorisent la mobilité des captifs et assurent l’accès au marché du travail sur un territoire étendu pour les catégories défavorisées non motorisées (Orfeuil, 2001).
3. Le financement du projet
Le coût du projet de tram-train
Pour la ligne Nantes-Châteaubriant, le financement de l’opération (comprenant les études, les procédures et les travaux) est estimé, au stade des études préliminaires présentées dans le dossier de l’enquête publique, à 143,8 M€ HT. La répartition est la suivante (fig. 8).
A la participation de la Région des Pays de la Loire de 43,3 M€ s’ajoute l’achat du matériel roulant pour un montant estimé à 31,5 M€ (sept tram-trains, coût unitaire de 4,5 M€) soit une contribution totale de 74,8 M€ pour la Région. Concernant la contribution des autres partenaires, l’Union Européenne finance les premières études de faisabilité, l’État participe au financement de cette opération dans le cadre du futur Contrat de Projets État-Région, les Communes et Communautés de Communes sont associées au suivi de l’opération (aménagements autour des gares, valorisation des dessertes ferroviaires), enfin RFF et la SNCF assurent la maîtrise d’œuvre et maîtrise d’ouvrage.
Le coût d’un km de voie ferrée s’élève à 2,2 M€ (2,3 M€ pour le tram-train Mulhouse–Thann).
Les coûts d’exploitation ne sont pas plus élevés que pour un tramway urbain. L’exploitant doit certes payer un péage à RFF (qui loue les sillons) pour circuler sur ses voies, mais cela permet d’assurer la maintenance de l’infrastructure qui n’est plus réalisée par l’autorité organisatrice comme pour un tramway urbain. Au final, la collectivité finance l’investissement, le coût du péage payé au propriétaire des infrastructures contribue à financer l’entretien des voies ferrées du réseau.
La création de nouvelles haltes, la réouverture au public d’anciennes gares est l’occasion pour les municipalités, aménageurs, urbanistes… de réfléchir aux aménagements à apporter à la condition que le cahier des charges l’autorise.
L’évaluation économique du projet Nantes-Châteaubriant, quelques précisions
Des indicateurs économiques existent pour évaluer la valeur monétaire des avantages et des inconvénients non marchands des projets. Le rapport Boiteux constitue la référence dans le choix des valeurs tutélaires pour les questions de prise en compte de l’environnement et de la sécurité dans les choix d’investissements de transports.
Le calcul du bilan permet de conclure quant à la rentabilité économique du projet. On utilise pour cela la Valeur Actualisée Nette (VAN) et l’indicateur de Rentabilité, le Taux de Rentabilité Interne (TRI).
La VAN représente le critère de référence pour comparer des projets, tandis que le TRI permet de savoir si les projets sont rentables économiquement. Ce TRI exprime la valeur du taux d’actualisation qui annule le bénéfice actualisé, c’est un outil de décision de l’investissement qui vise à mesurer le degré d’opportunité de réalisation du projet ainsi que le risque associé. Si cette valeur est supérieure au taux d’actualisation (4 %), l’opération est alors intéressante pour la collectivité. La notion d’actualisation consiste à calculer la valeur actuelle de toute somme future, ce qui permet de rendre comparables des flux qui n’apparaissent pas à la même date. Le taux d’actualisation est fixé par le commissariat général au Plan (nouvellement centre d’analyse stratégique) pour tous les investissements publics. Le taux d’actualisation des investissements publics longtemps égal à 8 % a été baissé fin mai 2005 à 4 %.
Bilan et indicateurs de rentabilité du projet Nantes-Châteaubriant
Les tableaux suivants, extraits du dossier d’enquête publique, présentent le bilan (tab. 1) et les indicateurs de rentabilité du projet (tab. 2).
Tableau 1 : Bilan
Somme actualisée en 2005 | Millions en € |
Usagers | 190,6 |
Tiers (sécurité, environnement, bruits) | 15,4 |
Système ferroviaire (RFF + SNCF) | - 31,07 |
Conseil Régional | - 57,3 |
Conseil Général | 14 |
Nantes Métropole | - 23,9 |
Puissance Publique | - 38 |
Coût actualisé de l’investissement | - 196,7 |
Bénéfice actualisé | - 127,7 |
Tableau 2 : Indicateurs de rentabilité
Valeur 2005 | Indicateurs |
Somme actualisée des avantages nets | 69,94 |
Coût d’investissement HT actualisé | - 196,7 |
Bénéfice actualisé | - 127,7 |
Bénéfice actualisé par euro investi | - 0,65 |
Bénéfice actualisé par euro public investi | - 0,87 |
Taux de rentabilité interne | TRI = 0,7 % |
Le TRI du projet est égal à 0,7 % (1,7 % pour la liaison Nantes/Nort-sur-Erdre) et la période d’actualisation n’est pas précisée mais que l’on suppose égale à 30 ans. Ce taux7 de 0,7 % est loin de la valeur plancher recommandée. La VAN est négative, les travaux de remise en état de la voie ferrée grève fortement les bénéfices du projet. Un TRI faible accompagné d’une VAN négative ne plaide pas en faveur de la rentabilité économique du projet, bien au contraire !
Les résultats présentés dans le bilan de la collectivité sont discutables et des précisions, voire des justifications, sur les valeurs tutélaires retenues (pourquoi ne pas utiliser celles du rapport Boiteux) pour les calculs auraient été appréciées :
- postes « Usagers » et « Puissance Publique » que regroupent-t-ils ?
- poste « Tiers » choix des valeurs tutélaires pour les calcules intermédiaires de la pollution atmosphérique, de l’effet de serre, des nuisances sonores et de la valeur de la vie humaine.
Par ailleurs, les échéances temporelles pour les calculs ne sont pas homogènes, on peut supposer une période d’actualisation de 30 ans (période de référence pour un taux de 4 %) mais pour les calculs des consommations énergétiques cette échéance est fixée à 10 ans après la mise en service de la totalité du projet. Au sujet de l’estimation de la fréquentation la période de calcul de 17 ans et les précisions manquent quant aux hypothèses de prévision du trafic (9 000 voyageurs par jour en 2013, et environ 14 000 en 2030).
Le calcul de la VAN est donc incomplet, ce faisant, les calculs des indicateurs de rentabilité qui en découlent (bénéfice actualisé par euro investi et le bénéfice actualisé par euro public investi) sont faussés. Le bénéfice actualisé par euro investi (qui exprime le bien fondé de l’utilisation des fonds) est ici négatif. Même si les calculs sont biaisés, de tels résultats ne peuvent pas conclurent, d’un point de vue économique, dans le sens du projet. Des éclaircissements sur les méthodes de calculs utilisées permettraient de formuler des avis plus argumentés.
Conclusion
D’une manière générale, les réseaux complets de tram-train présentent de nombreux avantages dans le domaine des déplacements des usagers mais également dans ceux de la pollution, de l’aménagement du territoire, à condition de respecter certains critères. Sur ce point, le projet de tram-train Nantes-Châteaubriant, bien que disposant d’avantages (tarification unifiée sur le réseau), ne respecte pas tous les critères : réseau tram-train incomplet (acquisition du matériel roulant mais non interconnexion des réseaux ferrés), rentabilité économique très faible.
Sur ce point, la réalisation du projet est discutable. La légitimité du projet dépendra dans l’avenir du « décollage » démographique des communes desservies mais aussi de l’interconnexion à d’autres réseaux, de l’extension du service à d’autres villes. La validité du projet se jouera sur les fronts de l’aménagement de l’espace, de l’accessibilité et de la mobilité.
Au sujet de la mobilité, le système tram-train présente quelques atouts. La non-mobilité en automobile ne serait obligatoirement un signe d’exclusion. Tous les cas ne peuvent être concernés mais l’isolement relatif des populations peut être compensé par un accroissement de leur mobilité. Ainsi, ces réseaux de transports peuvent devenir des éléments d’une mobilité sociale et favoriser la mixité sociale en permettant à chacun de se déplacer, de se côtoyer à travers les transports sur l’ensemble du territoire (Donzelot, 2006).
La mise en circulation des premiers tram-train d’ici à 2010 en Alsace (Strasbourg et Mulhouse) permettra de tirer les premiers bilans de ses expériences avant d’effectuer des études approfondies.