L’agriculture de conservation et le non-travail du sol : répartition spatiale dans les Pays de la Loire

Abstract

L’agriculture de conservation est un système qui vise à mieux gérer les services écosystémiques pour produire avec moins d’intrants, en conservant les sols. Conçu principalement au Brésil et aux États-Unis, le système se développe à présent avec une forte dynamique sur les différents continents. Il s’appuie sur un non-travail du sol, une couverture végétale permanente et des rotations longues et diversifiées. La diffusion de l’agriculture de conservation est soutenue par des réseaux professionnels au moyen de réunions techniques, de groupes de travail et de revues. Ils propagent des savoir-faire utilisés par les producteurs. L’analyse de la répartition des pratiques de conservation à l’échelle cantonale dans la région des Pays de la Loire indique une forte variabilité spatiale sans relation avec la place des cultures annuelles dans l’assolement.

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Mots-clés

agriculture, sol, conservation, eau, services écosystémiques, agro-écologie, semis direct

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Introduction

L’agriculture de conservation (AC) est un système de production agricole qui cherche à conserver et à mobiliser de manière plus efficiente les ressources naturelles qui garantissent la productivité à long terme. L’activité biologique des sols est favorisée afin de réduire la consommation d’intrants et de supprimer certaines pratiques exigeantes en travail mécanique et donc en énergie. L’agriculture de conservation repose sur trois principes : le non-travail du sol, sa couverture permanente par des cultures intermédiaires ou par des résidus de culture et la rotation des cultures. Selon les agriculteurs en AC, le travail du sol ne se justifiait auparavant que pour la lutte contre les adventices et pour la préparation du lit de semence, d’autres techniques alternatives permettent d’y parvenir à présent, en ne recourant pas forcément à des herbicides (Huchon, 2010). Le non-travail du sol permet de ne pas enfouir les résidus végétaux (photo 1) afin de constituer un mulch en surface et de ne pas dégrader la structure du sol en conservant les agrégats argilo-humiques et la macroporosité créée par les organismes. Les couverts végétaux (photos 2 et 3) protègent physiquement le sol de l’impact de la pluie et améliorent sa structure par leur réseau racinaire. Ils enrichissent de plus le sol en carbone et en azote. Le terme de semis direct sous couverture végétale (SDCV) est employé pour désigner la combinaison du non-travail du sol au maintien d’une couverture végétale permanente. Autre élément clef, les rotations permettent de limiter les invasions de plantes adventices, de maladies et d’insectes ravageurs qui prolifèrent en monoculture, ce qui peut conduire à une réduction de l’usage de produits phytosanitaires. Les trois principes font système. Face aux enjeux de l’érosion des sols et des émissions de gaz à effet de serre, l’agriculture de conservation est aujourd’hui prônée par la FAO à l’échelle internationale et fait également l’objet de soutiens publics par des politiques nationales ou territoriales. Mais ce système se diffuse dans le monde principalement par les intérêts économiques qu’il présente, à savoir une baisse de la consommation de carburants d’une part, une réduction du temps et de la pénibilité du travail d’autre part, tout en maintenant voire en accroissant les rendements à moyen terme (tout particulièrement en zone tropicale).

Photo 1 – Blé sur précédent maïs en semis direct (Sarthe, novembre 2013)

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Photo 2 – Couvert végétal de radis chinois et phacélie (Sarthe, novembre 2011)

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Photo 3 – Résidus de maïs grain, laissés en surface du sol après récolte (Sarthe, novembre 2013)

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La diffusion actuelle de ce nouveau système en France pose différentes questions, parmi elles celle des facteurs qui contrôlent son expansion. Plusieurs facteurs peuvent être pris pour hypothèses : des agriculteurs ayant certaines orientations en matière de type de production, une certaine conception de leur métier et de leurs relations à l’environnement et une insertion dans des réseaux professionnels accompagnant leur engagement individuel. Des agronomes et sociologues ont étudié les pratiques et le rôle des identités professionnelles liées à ce système en France (Triomphe et al., 2006 ; Goulet, 2008 ; Goulet et Hernández, 2011). Le contexte territorial n’a cependant pas été pris en compte à notre connaissance. Dans cet article, nous cherchons à analyser si la dimension spatiale offre une compréhension complémentaire des facteurs expliquant la répartition spatiale. Des chercheurs de l’unité SAD de l’INRA ont conduit une approche cartographique des itinéraires techniques en région Basse Normandie en analysant notamment la répartition spatiale et la dynamique temporelle des couverts végétaux et du travail du sol (Schott et al., 2010). Ils ont montré le lien entre le développement des couverts depuis 2001 et la mise en place de la directive Nitrates, un recul du labour avant semis de prairies temporaires depuis 1994.

Nous commencerons par présenter les réseaux professionnels appuyant ce système, avec les formes de sa diffusion en France. Nous analyserons ensuite, dans les Pays de la Loire, la distribution spatiale des pratiques de conservation et leurs liens avec la distribution des adhérents de la principale revue dédiée à ce système. Cette recherche s’appuie sur une analyse bibliographique, sur l’analyse cartographique de la base de données Agreste ainsi qu’une revue technique et sur des entretiens auprès d’agriculteurs et de représentants des associations qui prônent ce système.

1. L’agriculture de conservation en France

En France, l’agriculture de conservation est promue par l’association BASE (Biodiversité, Agriculture, Sol et Environnement), ainsi que par l’APAD (Association pour la Promotion d’une Agriculture Durable). BASE a été fondée en 1998 et regroupait alors une cinquantaine d’adhérents surtout répartis dans le nord-ouest de la France (la première initiale signifiait au départ Bretagne), elle en compte plus de 800 en 2012. Les associés animent des journées techniques dans différents départements. Des réunions régionales ont régulièrement lieu autour d’une question d’agronomie ou d’environnement. L’assemblée générale annuelle de BASE est l’occasion de conférences données par des agriculteurs et des scientifiques, français ou étrangers ; le public s’élève à 300-400 participants. Le réseau se structure fortement autour d’une revue : TCS – Agronomie, écologie et innovation. 3 997 personnes sont abonnées à la revue (données communiquées en avril 2013 par les rédacteurs), dont 3 829 en France. La répartition des abonnés par département (fig. 1) indique une plus forte diffusion dans les régions de grandes cultures (céréales, oléagineux et protéagineux) et de polyculture élevage.

Figure 1 – Abonnés à la revue TCS – Agronomie, écologie et innovation, en avril 2013

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L’agriculture de conservation n’est pas un modèle technique normé, elle présente de nombreuses adaptations par les agriculteurs selon leur environnement, leur système de production, comme en fonction d’autres contraintes propres (Thomas, 2002). Le système est fondé sur l’observation et l’échange d’expériences (Goulet, Hernández, 2011). Une compréhension de la complexité de la vie biologique du sol est recherchée avec une maîtrise agronomique qui doit permettre à l’agriculteur de moins dépendre des préconisations techniques de l’agrofourniture et le conduire à réduire ses consommations d’intrants (engrais minéraux, produits phytosanitaires, carburants…). Il s’agit ici de renforcer l’autonomie et de valoriser les compétences de l’agriculteur.

En matière d’auto-évaluation, l’Institut de l’Agriculture Durable, fondé par des membres de l’APAD, a élaboré un système d’indicateurs utilisable par les agriculteurs afin de réaliser un diagnostic de leur exploitation et de leurs pratiques (http://www.institut-agriculture-durable.fr). Les indicateurs portent sur : la viabilité économique de l’exploitation, l’efficience d’utilisation des intrants, les émissions et séquestrations de gaz à effet de serre, la qualité des sols, la qualité de l’eau et la biodiversité. Ces indicateurs ne préjugent pas d’un modèle, ils peuvent être appliqués à tout type d’exploitation qu’elle soit ou non en agriculture de conservation.

L’AC s’inscrit dans le paradigme d’une « agriculture écologiquement intensive » prônée par Michel Griffon (Griffon, 2010). A un échelon départemental, des groupes s’organisent depuis 2012 autour de l’Agriculture Ecologiquement Intensive (AEI). Ils rassemblent des agriculteurs valorisant les services écosystémiques. Ce sont des producteurs pratiquant le non-travail du sol et/ou l’agriculture biologique et/ou la lutte phytosanitaire intégrée, et qui cherchent à partager leurs expériences. Des scientifiques sont régulièrement invités aux débats locaux. Ces journées sont soutenues par les chambres d’agriculture et rassemblent plusieurs dizaines d’agriculteurs.

Comme dans la plupart des pays, les exploitations en AC en France ne disposent pas d’aides financières spécifiques. Depuis 2012 cependant, une nouvelle voie semble s’ouvrir avec le « projet agroécologique pour la France » porté par le Ministère de l’Agriculture. Ce projet vise à décloisonner les initiatives intégrant mieux les services écosystémiques dans les systèmes de production quels qu’ils soient, en soutenant des expérimentations et en partageant les résultats. La mission « Produisons autrement » a été confiée à Bertrand Hervieu et à Marion Guillou pour recenser les initiatives en faveur de l’agroécologie. Le « projet agroécologique pour la France » engage également l’INRA, l’IRSTEA, le CIRAD, les instituts techniques et la formation agricole. L’orientation donnée par le ministre de l’agriculture français est, au titre du second pilier de la PAC, de financer des projets collectifs en agroécologie, au travers de Groupements d’Intérêt Economique et Environnemental (GIEE) et de subventionner des investissements s’inscrivant dans une logique d’agroécologie. La conservation des sols, la diversification des assolements et l’économie d’énergie figurent parmi les axes de l’agroécologie du ministère. Les actions devront être mises en œuvre à partir de 2014 et les producteurs en agriculture de conservation devraient pouvoir en bénéficier. Reste à savoir si la nouvelle PAC va confirmer ces orientations.

2. Répartition spatiale dans les Pays de la Loire

Afin de mieux comprendre la répartition des pratiques de conservation et ses liens avec certaines productions, l’analyse s’appuie sur le traitement à l’échelle cantonale du recensement agricole effectué en 2010, contenu dans les bases de données Agreste du Ministère de l’Agriculture (BD « Cultures » et BD « Méthodes de cultures »). L’échelle du canton a été choisie parce qu’elle permet de surmonter le secret statistique qui masque certaines données à l’échelle communale et le biais lié au recensement au siège d’exploitation et non aux parcelles cultivées, biais d’autant plus élevé que la taille de l’unité spatiale de référence est réduite.

La première hypothèse testée a été celle d’une relation entre la répartition spatiale des pratiques de conservation et la part de surfaces potentiellement labourées et laissées à nu une partie de l’année. Il est en effet fréquemment admis que la réduction du travail du sol ou la mise en place de couverts végétaux sont plus pratiqués dans les régions de grandes cultures et délaissées dans les régions d’élevage. Les surfaces concernées par des pratiques de conservation ont donc été comparées aux surfaces en cultures annuelles, ce qui exclut les surfaces toujours en herbe et les surfaces en cultures permanentes (essentiellement la viticulture et l’arboriculture fruitière).

En Pays de la Loire, l’essentiel des surfaces en cultures annuelles concerne les céréales (principalement : blé, orge, triticale et maïs grain), les oléagineux (colza et tournesol), les protéagineux (pois, fèverole et lupin) et le maïs fourrage. La part des surfaces en grandes cultures (céréales, oléagineux et protéagineux) varie dans les Pays de la Loire en fonction du potentiel pédo-climatique : la Sarthe, la moitié est du Maine-et-Loire et le sud-est de la Vendée, constitués de sols développés sur des roches sédimentaires limoneuses et calcaires, sont les plus propices au développement des grandes cultures (fig. 2). En intégrant les surfaces en maïs fourrage, seuls les cantons fortement urbanisés ou dominés par des sols de faible fertilité présentent une part de surface agricole utile (SAU) en ces cultures annuelles inférieure à 40% (fig. 3). La répartition de pratiques de conservation varie fortement dans la région. Des tests de Chi2 pratiqués sur les couples de variables montrent qu’il n’y a pas relation significative entre les pratiques de conservation et la place des grandes cultures et du maïs fourrage dans la SAU cantonale. Ceci est également visualisé par la dispersion des points dans la figure 4.

Figure 2 – Part des grandes cultures dans la SAU cantonnale

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Figure 3 – Part des grandes cultures et maïs fourrage dans la SAU cantonnale

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Figure 4 – Variation des indicateurs de pratiques de conservation en fonction de la part de grandes cultures et de maïs fourrage dans la SAU

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Indice TCS – SD : part de techniques culturales simplifiées (TCS) et de semis direct (SD) dans la surface en grandes cultures et maïs fourrage.
Indice Couverts : part de couverts végétaux et de cultures dérobées.
Indice Residus : part couverte en résidus du précédent cultural en hiver.
Indice Monoculture : part de cultures annuelles sans rotation durant les trois dernières campagnes.

La part des surfaces en couvert végétal d’interculture ou en cultures dérobées par rapport aux surfaces en cultures annuelles montre une concentration de cette pratique dans le nord et le sud-ouest de la Mayenne ainsi que dans le nord de la Vendée, avec une proportion de plus de 30% (fig. 5). Cette pratique s’explique certes par des objectifs agronomiques tels qu’ils sont véhiculés par les tenants de l’agriculture de conservation, mais aussi sous l’influence du conseil agricole des coopératives et des chambres d’agriculture et sous la pression de politiques publiques en matière de protection des ressources en eau contre les pollutions d’origine agricole (pour exemple : le nord-ouest de la Mayenne était classé en zone d’excédent structurel au début de la décennie 2000, dans d’autres secteurs les Schémas d’Aménagement et de Gestion de l’Eau sont le cadre d’actions en faveur des couverts depuis plus d’une décennie).

Figure 5 – Part de couverts végétaux et de cultures dérobées dans les surfaces en grandes cultures et maïs fourrage

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La part des surfaces couvertes en hiver de résidus du précédent cultural est nettement plus importante en Sarthe, dans l’est du Maine-et-Loire et le sud de la Vendée (fig. 6), ce qui correspond à des zones de sols plus propices aux grandes cultures mais sans que le test de Chi2 ne présente une relation statistiquement significative.

Figure 6 – Part des surfaces couvertes en hiver de résidus du précédent cultural dans les surfaces en grandes cultures et maïs fourrage

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La part relative des surfaces non labourées, c’est-à-dire en Techniques Culturales Simplifiées ou en Semis Direct, est plus développée dans le sud de la Mayenne, le nord-ouest et le sud-est du Maine-et-Loire, le nord et l’est de la Sarthe (fig. 7). Ce sont certes des espaces où les grandes cultures sont plus présentes, y compris dans les exploitations d’élevage, mais ce ne peut pas être la seule explication (test de Chi2 également non concluant), d’ailleurs le sud de la Vendée orienté vers les grandes cultures s’est peu converti aux TCS ou SD. Le rôle des réseaux d’acteurs, des structures d’encadrement de la profession agricole ou d’autres facteurs sociaux complexes à cartographier serait ici à approfondir. Une répartition spatiale relativement continue s’observe en tous cas à l’échelle de plusieurs cantons (hormis les cas de Carquefou et de Vertou en Loire-Atlantique, cantons isolés, où plus de 50 % des surfaces en cultures annuelles ne sont plus labourés).

Figure 7 – Part des surfaces non labourées (Techniques Culturales Simplifiées ou Semi Direct) dans les surfaces en grandes cultures et maïs fourrage

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Le retour de la même culture annuelle durant trois campagnes successives est une pratique qui s’oppose aux principes de l’agriculture de conservation, fondée sur la rotation des cultures. Ce choix s’explique notamment par les différences de potentiel de production entre les cultures selon les sols et le climat. Ainsi, le nord-ouest de la Mayenne bénéficie d’un contexte pédo-climatique très favorable au maïs fourrage, ce qui tend à évincer d’autres cultures alternatives moins rentables (fig. 8). Mais si les facteurs pédo-climatiques interviennent pour expliquer ce poids du maïs, il convient également de tenir compte de l’existence d’un système laitier intensif et d’un élevage hors-sol couplé à un tissu très dense de structures de petite dimension foncière, ce qui pousse les agriculteurs à valoriser au maximum leurs surfaces.

Figure 8 – Part des cultures sans rotation pendant les trois dernières campagnes dans les surfaces en grandes cultures et en maïs fourrage

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L’agriculture de conservation est fondée sur la combinaison du non-labour, d’une couverture végétale permanente du sol (par des inter-cultures, des cultures dérobées ou des résidus) et de rotations des cultures. Afin d’identifier les cantons où différentes pratiques de conservation s’observent, un indice agrégeant les quatre indices au moyen d’une somme a été calculé et spatialisé (fig. 9) :

Ind-synth = Ind-TCS-SD + Ind-Couverts + Ind-Residus – Ind-Monocult

Avec :
Ind-TCS-SD : part de techniques culturales simplifiées (TCS) et de semis direct (SD) dans la surface en grandes cultures et maïs fourrage ;
Ind-Couverts : part de couverts végétaux et de cultures dérobées ;
Ind-Residus : part couverte en résidus du précédent cultural en hiver ;
Ind-Monocult : part de cultures annuelles sans rotation durant les trois dernières campagnes ;

Figure 9 – Indicateur agrégé de conservation des sols

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La carte d’agrégation des pratiques de conservation des sols permet de mettre en évidence une combinaison de ces pratiques à l’échelle cantonale principalement dans la moitié nord-est de la région Pays de la Loire (fig. 9). C’est au sud de la Mayenne, dans le nord-ouest du Maine-et-Loire et dans le sud-ouest, le nord et l’est de la Sarthe que l’indice est le plus élevé, c’est-à-dire dans des zones de polyculture élevage et dans des zones de grandes cultures. En Vendée et en Loire-Atlantique, si certaines pratiques sont réalisées, elles restent minoritaires ou ne sont pas combinées entre elles (tout du moins à cette échelle, car c’est à l’échelle de l’exploitation qu’une véritable combinaison devrait être analysée). C’est le cas par exemple du canton de Saint-Jean-de-Mont (au sud de Noirmoutier), où le non-labour est pratiqué sur 42 % des surfaces en grandes cultures ou en maïs fourrage, mais où les couverts végétaux et les cultures dérobées n’occupent que 5 % des surfaces en cultures annuelles et les résidus du précédent cultural en hiver en occupent 1 %.

3. Positionnements et motivations des producteurs en agriculture de conservation

Une étude conduite en Eure-et-Loir en 2007 (Zanella, 2007) montre que bien que la moitié des agriculteurs labourant seraient prêts à réduire ou à supprimer le travail du sol, ce qui les retient le plus est la crainte d’une baisse de rendements liée à l’inaptitude de leurs sols, au salissement des parcelles par les plantes adventices et à l’invasion de ravageurs (dont les limaces). Le non-labour se développe néanmoins en France : en 2005, la réduction du travail du sol couvrait plus du tiers des surfaces en grandes cultures (ADEME, 2007). Cependant, pour une grande partie des agriculteurs ne labourant plus, l’horizon superficiel du sol reste travaillé et ils négligent souvent l’importance des couverts végétaux et des rotations. L’emploi des herbicides constitue chez eux le substitut au travail du sol et entraîne bien souvent leur utilisation plus élevée qu’en labour. La motivation principale de cette majorité des agriculteurs en réduction du travail du sol est d’économiser du carburant, à l’heure de l’augmentation des prix des hydrocarbures, la simplification du travail du sol permet d’y parvenir en réduisant les consommations de carburant de 20 à 50 % (ADEME, 2007 ; Zanella, 2007). Les agriculteurs sont également motivés par le gain de temps et l’économie de matériel (baisse d’un tiers des coûts de matériel selon l’ADEME, 2007). En pratique, beaucoup d’agriculteurs en réduction du travail du sol portent moins d’attention à la vie biologique des sols que les producteurs en AC.

Des entretiens semi-directifs ont été réalisés auprès de cinq agriculteurs engagés dans les systèmes en AC, à savoir le Semis Direct sous Couverture Végétale ou le Strip Till (une méthode de travail localisé à la bande de semis, le reste de la surface n’étant pas travaillé et couvert de résidus). Ces agriculteurs sont militants de réseaux associatifs, ils ont une forte expérience personnelle et également une connaissance des motivations et représentations des autres agriculteurs engagés dans ces systèmes. Les entretiens font apparaître les traits communs suivants :

  • Une critique du système conventionnel jugé non durable : érosion et appauvrissement des sols, forte dépendance aux prix croissants des intrants et du machinisme.
  • Un niveau de connaissance élevé en agronomie avec un souci d’observation et d’expérimentation, preuve en est la place donnée dans les publications et les conférences organisées par les réseaux à des connaissances scientifiques très en amont de l’acte de production
  • Une recherche de réduction des coûts de production par la baisse de la consommation de carburants et par l’agrandissement des exploitations qui incitent à la simplification des travaux.
  • Une volonté de protection du milieu et plus particulièrement des sols. Base de la production végétale et animale, le milieu n’apparaît pas comme un ensemble de contraintes à surmonter mais comme un allié, voire un modèle (le cycle du carbone dans la forêt est souvent cité en exemple). Cette sensibilité est liée à l’image négative de l’agriculture conventionnelle renvoyée par la société : l’un des agriculteurs qui est aujourd’hui l’un des leaders nationaux de l’AC, s’est d’ailleurs converti à l’AC il y a une dizaine d’années, en étant confronté à la remise en cause de ses anciennes pratiques lors de l’établissement de périmètres de protection autour d’un captage d’alimentation en eau potable, ce qui illustre la dialectique entre environnement et pratiques agricoles dans certains territoires (Soulard, 1999).
  • Un besoin de recherche – développement sur des équipements spécifiques, se traduisant par des accords avec les industriels fabriquant d’engins agricoles.
  • Un besoin de reconnaissance des bénéfices environnementaux par la société ou par l’État.
  • L’importance des réseaux professionnels de diffusion de l’agriculture de conservation : les exploitants rencontrés ne sont pas des individus isolés mais se sont inscrits dans des réseaux de producteurs afin de partager des savoir-faire, ils soulignent que c’est grâce à ces échanges que leur système a progressé. Des visites d’exploitations, des revues professionnelles, des sites Internet, des forums organisés par les associations permettent de partager les expériences acquises et d’entraîner d’autres agriculteurs.

La dimension collective est importante car il est difficile à un agriculteur d’avancer seul dans ces systèmes d’autant qu’ils correspondent à une certaine prise de risques : des événements météorologiques, des invasions de parasites ou des erreurs techniques peuvent entraîner de mauvais résultats les premières années, l’agriculteur est alors tenté de retourner à un système conventionnel, plus normé, d’autant qu’il se trouve en général isolé géographiquement dans ses pratiques. Mais, selon la façon dont elle est vécue, l’expérience d’une difficulté n’est pas uniquement négative car « la prise de risques engendre des échecs mais l’important c’est d’expliquer les raisons de l’échec, alors la perception change et on peut progresser ensemble » (entretien avec un agriculteur du réseau BASE).

Si la proximité géographique joue encore un rôle important dans la diffusion du système et des diverses techniques associées, selon des dynamiques spatiale similaires à celles caractérisées par Darré et al. (1989), les réseaux Internet facilitent aujourd’hui l’accès à des connaissances nouvelles, portées par des groupes minoritaires. Des liens constitués sur des valeurs et représentations partagées s’établissent au-delà du territoire local. Mais comme l’avait déjà montré T. Hägerstraand (1953) avec les médias de la presse agricole sur papier, tous les agriculteurs n’ont pas la même volonté d’accéder à de nouvelles informations et s’inscrire en rupture avec les pratiques de leur voisinage.

Relations entre la répartition spatiale des pratiques et celle d’une revue technique dans les Pays de la Loire

L’interrogation porte à présent sur les liens entre la lecture de la principale revue soutenant l’agriculture de conservation, TCS – Agronomie, écologie et innovation, et la diffusion des pratiques de conservation. Ceci peut être appréhendé au moyen de l’analyse comparée de la distribution spatiale de ces deux phénomènes. L’échelle cantonale reste l’unité spatiale de référence dans cette analyse pour les raisons évoquées auparavant.

Le croisement cartographique ne fait pas apparaître un lien manifeste entre la répartition de la revue TCS – Agronomie, écologie et innovation (évaluée au moyen du nombre d’abonnés par rapport au nombre d’exploitants agricoles et par le nombre d’abonnés en valeur absolue) et la répartition de pratiques de conservation (fig. 10 et fig. 11). Les tests de Chi2 entre chaque pratique et le nombre d’abonnés ne permettent également pas d’affirmer un lien entre ces variables. Cependant, il est possible d’observer sur la carte que les cantons les moins concernés par des pratiques de conservation présentent peu de lecteurs de la revue.

Figure 10 – Abonnement à la revue TCS – Agronomie, écologie et innovation, et part de TCS et de SD dans les surfaces en grandes cultures et maïs fourrage

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Figure 11 – Abonnement à la revue TCS – Agronomie, écologie et innovation, et indicateur de conservation des sols

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La revue TCS – Agronomie, écologie et innovation peut contribuer à la diffusion de pratiques de conservation mais avec un faisceau d’autres facteurs comme la pression des politiques publiques en matière environnementale ou le rôle du conseil agricole (coopératives, entreprises de conseil et chambres d’agriculture). Comme l’illustre la différence de développement des pratiques, présente entre l’ouest et l’est de la région, qui n’est pas corrélée à une différence notable de répartition de la revue.

Conclusion

Les pratiques de conservation des sols se diffusent à présent à travers l’Europe, en suivant cependant une dynamique plus lente que sur le continent américain du fait des moindres enjeux d’érosion et d’une certaine résistance culturelle. Le labour est profondément ancré dans les modèles dominants, son abandon marque une rupture. Les couverts végétaux en interculture ont été quant à eux initialement perçus comme une contrainte environnementale (sous le vocable considéré comme maladroit par de nombreux acteurs agricoles, de « culture intermédiaire piège à nitrates »), leur intérêt agronomique est de mieux en mieux reconnu par les agriculteurs, ce qui renforce leur diffusion et améliore leurs performances.

Les agriculteurs qui s’engagent en AC ne disposent pas d’aides publiques, ils s’organisent en réseau et partagent leurs connaissances et leurs expériences lors de rencontres, au travers de sites Internet et d’une revue spécialisée, ce qui les aide dans le raisonnement des pratiques et donne un sens à leurs actions qui dépasse celui de la conduite économique de l’exploitation.

La conversion à l’agriculture de conservation, comme d’autres innovations, passe le plus souvent par la participation à des réseaux professionnels organisés qui partagent l’information, débattent d’expériences et cherchent à dégager de nouvelles règles techniques (Darré, 1999 ; Marie, 2009). Nous sommes en présence d’une production et d’un renouvellement de connaissances par les agriculteurs organisés en réseaux qui expérimentent, discutent et évaluent leurs expériences de façon empirique mais également en s’appuyant sur les savoirs agronomiques ou environnementaux grâce à des experts qu’ils associent à leurs réflexions. Cette dynamique diffère des démarches descendantes, normées, des connaissances produites par les institutions (Darré, 1996). Les agriculteurs en AC critiquent le modèle dominant qui vise à substituer les processus naturels par des actions mécaniques comme le travail du sol, mais ils cherchent à mieux comprendre et à utiliser l’activité biologique du sol pour améliorer sa structure. Ils souhaitent se dégager du modèle dominant en produisant des règles techniques dans le cadre de réseaux professionnels établissant de nouvelles normes, en rupture avec les normes dominantes. Ce positionnement est une critique du modèle conventionnel que Prével a qualifié d’« usine à la campagne », réduisant l’agriculteur à un « homme machinal » (Prével, 2006). Nous sommes en présence d’une conception différente des pratiques. Elles sont produites collectivement par des groupes qui s’apparentent aux Groupes Professionnels Localisés (Darré et al., 1989), mais qui s’en distinguent aujourd’hui par l’appropriation des outils internet permettant, dans une certaine mesure, de s’affranchir de la proximité spatiale.

À l’équipe de rédaction de la revue TCS – Agronomie, écologie et innovation, pour nous avoir fourni la base de données de leurs abonnés. À Alain Wrobel, ingénieur CNRS à l’UMR ESO, pour l’extraction de données Agreste et la réalisation des tests statistiques.

Bibliography

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Illustrations

Photo 1 – Blé sur précédent maïs en semis direct (Sarthe, novembre 2013)

Photo 1 – Blé sur précédent maïs en semis direct (Sarthe, novembre 2013)

Photo 2 – Couvert végétal de radis chinois et phacélie (Sarthe, novembre 2011)

Photo 2 – Couvert végétal de radis chinois et phacélie (Sarthe, novembre 2011)

Photo 3 – Résidus de maïs grain, laissés en surface du sol après récolte (Sarthe, novembre 2013)

Photo 3 – Résidus de maïs grain, laissés en surface du sol après récolte (Sarthe, novembre 2013)

Figure 1 – Abonnés à la revue TCS – Agronomie, écologie et innovation, en avril 2013

Figure 1 – Abonnés à la revue TCS – Agronomie, écologie et innovation, en avril 2013

Figure 2 – Part des grandes cultures dans la SAU cantonnale

Figure 2 – Part des grandes cultures dans la SAU cantonnale

Figure 3 – Part des grandes cultures et maïs fourrage dans la SAU cantonnale

Figure 3 – Part des grandes cultures et maïs fourrage dans la SAU cantonnale

Figure 4 – Variation des indicateurs de pratiques de conservation en fonction de la part de grandes cultures et de maïs fourrage dans la SAU

Figure 4 – Variation des indicateurs de pratiques de conservation en fonction de la part de grandes cultures et de maïs fourrage dans la SAU

Figure 5 – Part de couverts végétaux et de cultures dérobées dans les surfaces en grandes cultures et maïs fourrage

Figure 5 – Part de couverts végétaux et de cultures dérobées dans les surfaces en grandes cultures et maïs fourrage

Figure 6 – Part des surfaces couvertes en hiver de résidus du précédent cultural dans les surfaces en grandes cultures et maïs fourrage

Figure 6 – Part des surfaces couvertes en hiver de résidus du précédent cultural dans les surfaces en grandes cultures et maïs fourrage

Figure 7 – Part des surfaces non labourées (Techniques Culturales Simplifiées ou Semi Direct) dans les surfaces en grandes cultures et maïs fourrage

Figure 7 – Part des surfaces non labourées (Techniques Culturales Simplifiées ou Semi Direct) dans les surfaces en grandes cultures et maïs fourrage

Figure 8 – Part des cultures sans rotation pendant les trois dernières campagnes dans les surfaces en grandes cultures et en maïs fourrage

Figure 8 – Part des cultures sans rotation pendant les trois dernières campagnes dans les surfaces en grandes cultures et en maïs fourrage

Figure 9 – Indicateur agrégé de conservation des sols

Figure 9 – Indicateur agrégé de conservation des sols

Figure 10 – Abonnement à la revue TCS – Agronomie, écologie et innovation, et part de TCS et de SD dans les surfaces en grandes cultures et maïs fourrage

Figure 10 – Abonnement à la revue TCS – Agronomie, écologie et innovation, et part de TCS et de SD dans les surfaces en grandes cultures et maïs fourrage

Figure 11 – Abonnement à la revue TCS – Agronomie, écologie et innovation, et indicateur de conservation des sols

Figure 11 – Abonnement à la revue TCS – Agronomie, écologie et innovation, et indicateur de conservation des sols

References

Electronic reference

François Laurent, « L’agriculture de conservation et le non-travail du sol : répartition spatiale dans les Pays de la Loire », Cahiers Nantais [Online], 1 | 2014, Online since 05 March 2021, connection on 11 November 2024. URL : http://cahiers-nantais.fr/index.php?id=1246

Author

François Laurent

Géographe, université du Maine, UMR ESO

Copyright

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