Depuis quelques années, l’alimentation est revenue au cœur des préoccupations alors que la société se questionne sur sa consommation alimentaire, et par ricochet, sur les modes de production agricole et de distribution. Les acteurs de la restauration collective se sont aussi emparés de cette question et on ne compte plus les établissements scolaires proposant dans leur cantine notamment du pain, des fruits ou légumes issus du local. Dans ce contexte, la commande publique devient motrice pour structurer durablement des micro-filières qui répondent aux enjeux du territoire, ce qui suppose un investissement des collectivités locales dans ces démarches d’économie de proximité. Du discours à la pratique, l’introduction de viande bovine dans les cantines scolaires de la communauté de communes d’Erdre et Gesvres va servir de fil conducteur pour montrer comment les collectivités locales parviennent à faire de la commande publique un moteur de développement territorial durable.
1. Pour la multiplication de circuits courts alimentaires de proximité
De manière générale, il est aujourd’hui admis que les circuits courts font références aux « formes de commercialisation où intervient au maximum un intermédiaire dans le cadre de deux grands types de commercialisation : la vente directe du producteur au consommateur et la vente indirecte avec un seul intermédiaire » (Chaffotte et Chiffoleau, 2007). Mais cette notion s’avère trop restrictive au regard des nouvelles démarches qui se structurent autour du débouché de la restauration collective. Et sont promus des circuits alimentaires de proximité qui tiennent moins compte du nombre d’intermédiaires que d’une distance géographique réduite entre producteur et consommateur. Correspondant au développement d’initiatives pour raccourcir les circuits de commercialisation au sein de filières de proximité1, ils font référence au principe du produire et consommer local, avec pour enjeu de relocaliser les pratiques alimentaires d’une part, et de conforter les agricultures locales d’autre part.
Ce raisonnement est mis en pratique par la communauté de communes d’Erdre et Gesvres (CCEG). Soucieuse de la préservation des terres agricoles et du maintien de systèmes de poly-culture-élevage sur son territoire, elle promeut un approvisionnement local pour la restauration collective institutionnelle, cette dernière assurant un débouché stable pour les agriculteurs. De manière concrète, cette démarche transversale, initiée au départ par l’Association des Agriculteurs d’Erdre et Gesvres, répond aux quatre enjeux inscrits dans l’Agenda 21 local2. La CCEG se donne les moyens d’agir, notamment en proposant de l’encadrer à la fois par un élu pilote, le vice-président en charge de l’aménagement, et un agent référent, le responsable du service développement durable.
En 2010, la CCEG a lancé une étude-action pour la structuration de micro-filières, en vue de devenir un territoire de consommation responsable (fig. 1). La première étape a consisté en un audit des trentes structures de restauration collective et en l’analyse des conditions favorables au développement d’un approvisionnement local de produits de qualité. Elle s’est conclue par une première expérimentation en mai 2011, le « repas local ». Les résultats étant prometteurs, la CCEG a souhaité aller plus loin.
Depuis 2012, la seconde étape est de nature opérationnelle, sous forme d’une étude de faisabilité conduite par CAP 443, structure dans laquelle Elsa Daniel a effectué un stage de six mois, avec l’appui du Groupement des Agriculteurs Biologiques de Loire-Atlantique et de Terroirs 444. Sa mission principale du stage à CAP 44 a été d’organiser des expérimentations d’approvisionnement en viande bovine dans les structures collectives.
2. De la viande bovine locale en restauration collective
2.1. Cadrage général
Au début de la seconde étape, il a fallu susciter une demande dans les restaurants collectifs et, parallèlement, structurer l’offre de viande pour répondre à ces besoins. Pour cela, plusieurs groupes de travail ont été mis en place, l’un avec les restaurants collectifs afin de déterminer leurs besoins et de connaître leurs contraintes ; un autre avec les élus pour travailler sur le renouvellement des cahiers des charges lors des appels d’offres sur les marchés publics ; un dernier avec les éleveurs en viande bovine.
La phase d’expérimentation en tant que telle a débuté courant 2013. Elle a consisté à mettre en synergie l’offre et la demande, dans l’optique de mieux cerner la faisabilité d’une micro-filière en viande bovine5. Ainsi, deux tests ont eu lieu, le premier sur la deuxième quinzaine de mars et le second au cours de la deuxième quinzaine de mai. Par la suite, un troisième test s’est déroulé courant du second semestre 2013 où l’on a élargi la gamme des produits aux légumes et aux volailles en plus de la viande bovine. Au regard des résultats de ces différents tests, des préconisations pour la structuration durable de micro-filières d’approvisionnement local ont été formulées.
Dans les circuits de commercialisation en viande bovine, la mobilisation territoriale ne peut pas émaner des seuls éleveurs et gestionnaires de restaurant. Le recours à un atelier de découpe s’avère incontournable. Localisée à Nozay, la structure De la Terre à l’Assiette a pleinement joué ce rôle. Seul intermédiaire actif, il a géré l’abattage (par un prestataire), la découpe et les livraisons de viande.
2.2. Démarche
Pour chacune des expériences, huit restaurants collectifs, répartis entre une cuisine centrale (Treillières en mars et Nantes6 en mai) et sept restaurants en gestion déléguée avec trois sociétés de restauration en mars et deux en mai (fig. 2) ont participés. Mobiliser des établissements en gestion déléguée est peu évident car, de manière générale, leurs circuits d’approvisionnement ne sont pas organisés sur des bases territoriales (sauf explicitées dans le cahier des charges), mais s’appuient principalement sur de grands distributeurs multi-pro-duits qui travaillent à petite échelle essentiellement en fonction du critère prix. Ces derniers méconnaissent d’ailleurs les contraintes du monde de l’élevage.
Globalement, les volumes ont été les suivants :
- en mars (3 390 repas/jour), 550 kg de viande ont été consommés dont 60 % de quartiers avant tel que des bourguignons, et 40 % de quartiers arrière, essentiellement du rôti ;
- en mai (2 360 repas/jour et 2 500 repas/jour le mercredi pour Nantes), 700 kg de viande ont été travaillés, dont 55 % de quartiers avant et 45 % de quartiers arrière, dont 550 kg pour la cuisine centrale de Nantes seule.
Au regard des besoins des restaurants, il a fallu trois vaches pour le premier test et quatre pour le second, en sachant qu’une demi carcasse était destinée à un artisan boucher à Treillières.
3. Quelques enseignements de l’expérimentation conduite
Plusieurs remarques ressortent à l’issue de ces deux expérimentations, qui renvoient à la fois à l’organisation interne de la filière en émergence et aux jeux des acteurs. Mais, remarque préalable, tous les restaurants ont été satisfaits tant par le déroulement du test que par la qualité de la viande livrée, ce que soulignent aussi les convives.
3.1. La restauration collective ne peut pas être le seul débouché
Après abattage, on a obtenu 990 kg de viande pour les trois vaches en mars, puis 952 kg pour les trois vaches et demi en mai. Or, les besoins de la restauration collective se sont élevés respectivement à 550 kg et 700 kg. Ce débouché ne consommant pas l’ensemble du tonnage disponible, il faut obligatoirement le conjuguer avec d’autres circuits de commercialisation (vente de caissettes pour les proches des convives, vente chez les artisans et commerçants, vente directe) (fig. 3).
Ainsi, en valeur relative, la restauration collective a consommé 56 % du volume en mars contre 76 % en mai. Parallèlement, en mars, 19 % a été écoulé via l’économie de proximité, c’est-à-dire la vente en caissettes et chez les restaurateurs (1 % en mai). Et les éleveurs ont réalisé 25 % de la commercialisation en vente directe en mars contre 15% en mai.
3.2. La question du prix
Pour le premier test, le prix payé par la restauration collective s’élevait à 9€/kg de viande contre 9,25€/kg dans la deuxième expérience. En effet, au regard des résultats techniques, il s’est avéré indispensable d’augmenter de 0,25€/kg le prix pour les restaurants collectifs.
Pour les éleveurs, la valorisation s’est élevée à 5,01€/kg de carcasse en mars pour un prix de marché qui était situé entre 4,80 et 5,10€. Lors de la seconde expérience, ils ont été rémunérés 4,32€/kg de carcasse pour un prix de marché atteignant 4,75€ sur cette conformation. Au final, dans les deux cas, ce débouché s’avère en dessous du prix du marché, ce qui explique la proposition faite aux restaurants collectifs, d’une augmentation de 0,40€/kg pour atteindre le prix du marché. Ces chiffres et leur variabilité reflètent la difficulté à estimer au plus près le taux de rendement de l’animal (initialement prévu à 75 %)7 ou les coûts des maillons abattage/découpe/logistique (2,69 €/kg au lieu de 2,50 €/kg). En effet, les multiples livraisons nécessaires n’avaient pas toutes été planifiées (cinq tournées et douze points de livraison).
Indispensable pour la rentabilité des éleveurs, cette hausse n’a pourtant pas été complètement validée par les gestionnaires de la restauration collective, qui ont estimé qu’elle serait trop lourde à supporter au regard de leurs propres contraintes budgétaires.
3.3. Quelles perspectives ?
Globalement, ces deux tests permettent de montrer qu’il y a un lien entre la part consommée par la restauration collective et la rémunération finale pour les éleveurs. En effet, en comparant les deux expérimentations, on constate une hausse de la consommation par la restauration (700 kg contre 550 kg), mais une baisse du rendement de viande lié à la découpe8, et par conséquent moins de viande à valoriser dans les autres circuits. On observe ainsi une baisse de valorisation finale dans un contexte où les cours du marché sont à la hausse, ce qui ne favorise pas la poursuite de cette construction de filières de proximité sans réelle motivation ou conviction des éleveurs.
Ces premiers résultats interpellent quant à la pérennité d’une telle filière (fig. 4) d’autant que les acteurs sont confrontés à une diversité de contraintes, telles que l’adaptation nécessaire des exploitations aux volumes et aux rythmes de la restauration collective, ses budgets restreints, mais aussi le manque d’interconnaissance entre acteurs, ou encore le peu d’habitude de s’approvisionner en produits de qualité et de proximité.
Pour autant, les bénéfices apportés au territoire sont indéniables, et, malgré les contraintes, les collectivités parviennent à initier des démarches grâce à différents leviers d’impulsion (fig. 5).
Figure 5 – Les leviers d’impulsion pour une démarche d’approvisionnement local pour la restauration collective
Tout d’abord, les collectivités locales ont un rôle moteur dans l’émergence de circuits de commercialisation innovants puisque ce sont elles qui sont en mesure d’intégrer un projet d’approvisionnement local dans une politique agricole, voire même dans une politique territoriale via un projet de territoire. Elles sont aussi en charge de la commande publique, et par conséquent, elles peuvent l’infléchir. Pour cela, elles travaillent leurs cahiers des charges lors du renouvellement des appels d’offre sur les marchés publics en inscrivant clairement un approvisionnement local et de qualité.
Ensuite, les évolutions du code des marchés publics ont notamment permis de réduire le nombre d’intermédiaires et d’intégrer des critères environnementaux et de développement durable, ce qui encourage davantage les inflexions de plus en plus souhaitées de la part de commanditaires réceptifs aux attentes des parents d’élèves. Pour cela, il faut un relais politique fort et continu dans le temps.
Enfin, un des leviers majeurs s’avère l’expérimentation car elle permet de se confronter à la réalité, de souligner les difficultés, de créer l’interconnaissance, et donc d’avancer de manière construite dans la démarche.
3.4. Quelques préconisations
En termes pratiques, à l’issue des deux tests, on peut initier les bases d’un modèle d’un tel circuit. La part consommée par la restauration collective doit se situer autour de 65 % pour ne pas pénaliser la valorisation globale pour les éleveurs. En continuité, la valorisation par les artisans bouchers se situe à hauteur de 10 % des volumes de viande, et la vente directe tant en caissettes pour les proches qu’à destination d’une clientèle générique doit représenter 25 % des volumes.
Pour parvenir à cet équilibre, il faut que la restauration collective soit intégrée au cœur d’une démarche globale en économie de proximité. La restauration collective institutionnelle est un levier pour sécuriser et développer l’économie de proximité ; mais, inversement ce nouveau débouché ne pourra perdurer sans l’apport de l’économie de proximité. Il s’agit alors de trouver le juste équilibre entre la restauration collective qui permet d’écouler du volume et la valorisation par les autres types de commercialisation, dont la boucherie traditionnelle. Pour cela, les micro-filières doivent être créées et structurées autour d’un triptyque éleveurs, restauration collective, artisans-commerçants. Dans ce cadre, il s’agit de dépasser certains clivages (éleveurs pratiquant la vente directe « concurrents » de la boucherie traditionnelle) au sein même du monde agricole (penser collectivement le débouché). Les collectivités doivent ainsi jouer ce rôle d’impulsion et de régulation de la commande publique, mais aussi de coordination et surtout de médiation entre les différents acteurs partie prenante.
Les collectivités doivent aussi privilégier des opérations de sensibilisation et de pédagogie auprès des acteurs en vue de devenir un territoire de consommation responsable. Ceci passe par une communication importante autour de la démarche : diffusion de tracts, articles dans les bulletins communaux et intercommunaux, site internet, presse locale… Ce volet suppose aussi des événements de promotion (portes ouvertes, visites de fermes, …). Par exemple, pour la vente de caissettes, il a été proposé aux communes de diffuser un tract informant de la vente et de la démarche. Et il a pu être constaté que les consommateurs ont été d’autant plus nombreux à acheter des caissettes que les municipalités avaient bien relayé l’information. Mais ce travail de longue haleine doit encore être conforté pour sensibiliser davantage les consommateurs du territoire.
Conclusion
D’actualité, ce travail pose en définitive la question de la gouvernance alimentaire territoriale. Définie en 2008 par l’association Terres en Villes comme « un nouvel ensemble de coopération entre les différents acteurs et les échelons d’interventions géographiques, dont l’arène commune est l’enjeu alimentaire », elle mobilise de manière originale à la fois des acteurs institutionnels (collectivités, État), des acteurs du secteur économique (éleveurs, artisans) et les citoyens. Dans un contexte national où les démarches sont encore souvent centrées sur une « simple » relocalisation agricole, elle donne à lire autrement le développement territorial.