Le deuxième séminaire du projet « Prospectives agricoles locales et dynamiques urbaines » qui s’est déroulé à La Chapelle-sur-Erdre le 30 janvier 2009 a été l’occasion de mettre en valeur le rôle du foncier pour un développement agricole associé à celui des territoires péri-urbains1. Le foncier analysé aussi par les géographes est une notion complexe, une combinaison dynamique, qui concerne à la fois la propriété des sols, leur utilisation, leur gestion. Les différents acteurs fonciers (propriétaires, utilisateurs et en particulier agriculteurs, élus et aménageurs), participent donc à la construction et à l’organisation des territoires à différentes échelles. La commune d’Orvault, située au nord-ouest de Nantes, offre un bon exemple de l’intérêt de ces analyses foncières pour comprendre certaines évolutions territoriales et mieux gérer l’avenir.
1. Orvault : une ville à la campagne
Plusieurs fois étudiée par des géographes de l’IGARUN (Mesnard, 1972 ; Renard, 1976 ; Fernandez, 1984 ; Croix et Fernandez-Martin, 1985 ; Defert, 1995 ; Croix, 1998), Orvault a aussi été choisie par la chaîne de télévision Télénantes avec trois autres communes pour « Décrypter les territoires » de la Loire-Atlantique avant les élections municipales de 2008. Il s’agissait de faire intervenir, lors d’un débat public, habitants, professionnels, responsables d’associations, universitaires et candidats. Rappeler l’importance des facteurs fonciers a été la réponse de la géographe à la question des journalistes, « Comment expliquer les formes de l’urbanisation et la place de l’agriculture dans une commune si proche de Nantes ? ».
En effet à Orvault comme dans beaucoup de communes périurbaines nantaises, agriculture et urbanisation possèdent des caractéristiques structurelles qui méritent d’être analysées car elles peuvent être un atout pour l’avenir. En 2006 et alors que la population communale atteint 23 554 habitants, dix fois plus qu’en 1881, et que l’on compte 9 480 logements et 800 entreprises, la zone urbaine n’occupe que 826 hectares, soit 30 % de la surface communale (2 767 hectares). Avec 231 hectares de bois, 700 hectares de zone dite naturelle, c’est surtout la forte présence de l’agriculture qui donne à la commune urbaine une allure de « ville à la campagne » (photo 1).
Le répertoire des exploitations agricoles établi par la chambre d’Agriculture en 2004 indique 23 exploitations professionnelles, huit ont un siège hors commune, et 62 actifs agricoles travaillent à plein temps près de 1 000 hectares, plus du tiers du territoire communal2. Cette surface agricole est d’autant plus remarquable qu’elle est utilisée majoritairement pour un élevage laitier performant3, et forme un ensemble cohérent de terres au nord de la commune avec très peu de friches ou de boisement sauvage. Il n’est donc pas étonnant de trouver en 2008 un agriculteur candidat dans chacune des deux listes présentées aux élections municipales.
Plusieurs éléments du système socio-foncier permettent de comprendre le rythme et les formes de l’urbanisation orvaltaise comme la place importante de l’agriculture dans une commune périurbaine jointive de Nantes. Il faut d’abord rappeler le rôle des propriétaires de domaines agricoles qui ont contribué à bloquer l’urbanisation jusqu’aux années 1980, et permis le maintien de fermes bien structurées.
2. L’héritage : l’emprise des grands domaines jusqu’en 1980
Au début des années 1970, l’urbanisation orvaltaise n’est développée que le long de la limite communale nantaise au sud, de la route de Rennes à l’est et de celle de Vannes à l’ouest : maisons du Pont du Cens, atteint dès 1910 par l’ancien tramway nantais, et de la rue Félix Vincent, immeubles du Bois-Saint-Louis construits de 1963 à 1965 d’une part, quartier pavillonnaire du Petit-Chantilly créé en 1923, maisons du Val-d’Or, collectifs de Plaisance d’autre part.
Près des deux-tiers de la commune sont des surfaces agricoles. Au nord-ouest il y a quelques villages d’agriculteurs avec des borderies, petites exploitations aux parcelles émiettées exploitées en partie en faire-valoir direct. Ailleurs l’espace agricole correspond à des fermes et d’anciennes métairies d’une trentaine d’hectares divisées en parcelles d’un à deux hectares, groupées à proximité de la demeure souvent imposante voire du château du propriétaire4 (photo 2).
À la tête d’un patrimoine de plusieurs dizaines voire de centaines d’hectares divisés en exploitations, de nombreux propriétaires considèrent comme au XIXe siècle que c’est la terre qui apporte richesse, prestige social voire domination auprès des fermiers, pouvoir politique et contrôle des évolutions de la commune5. C’est pourquoi les partages de propriétés lors de successions, les ventes de terres ont été limités, du moins jusqu’en 1970, et presque toujours en blocs correspondant à une unité d’exploitation.
Cette attitude des propriétaires explique que l’urbanisation qui s’amplifie dans les années 1970-1980 reste localisée au sud du bourg, et que l’agriculture continue à se développer dans le reste de la commune même si le nombre d’exploitations diminue beaucoup.
En 1982, plusieurs propriétaires bloquent encore l’urbanisation autour du chef-lieu qui conserve l’aspect d’un bourg rural peu équipé, et la trame agraire et foncière héritée reste proche, même amputée, de celle observée sur le cadastre de 1840 (fig. 1).
Si le comportement de certains propriétaires bailleurs a contribué à freiner l’urbanisation pour maintenir une agriculture importante, il faut insister aussi sur les actions des agriculteurs qui se sont organisés6 en particulier lorsque l’urbanisation s’accélère.
3. 1970-1990, luttes des agriculteurs pour maintenir une activité agricole performante
Face à la pression urbaine nantaise et à la montée des prix des terrains à bâtir et donc des terres agricoles, des propriétaires de plus en plus nombreux mettent en vente tout ou partie des domaines agricoles, et même de plus en plus de parcelles. Les agriculteurs, malgré des tensions parfois vives7, forment un réel groupe de pression pour contenir l’urbanisation et assurer le développement des exploitations modernisées dès les années 1960 pour produire du lait (aujourd’hui cette production valorise 90 % de la surface agricole communale), de la viande bovine ou faire du maraîchage8. À Orvault comme dans le reste du département, beaucoup ont lutté contre leurs propriétaires pour défendre le statut du fermage et le droit d’exploiter : la terre pour eux est d’abord un outil de travail qui doit être bien structuré afin d’utiliser au mieux le matériel motorisé, et l’espace agricole conservé doit former un ensemble d’un seul tenant.
Les agriculteurs se battent pour que le lotissement des terres agricoles soit cantonné dans les quartiers déjà urbanisés, ou dans les parcelles enclavées suite à la nouvelle voirie mise en place comme la construction du périphérique nantais ou le doublement de la route de Rennes (plan d’occupation des sols de 1970 et de 1979). L’urbanisation du bourg et du quartier du Bois-Raguenet (photos 7-8) est privilégiée : village de la Salle 1980, ferme du Landreau 1981, puis en 1984 celles du Petit-Moulin et de La Conraie. Au nord-ouest, le nouveau quartier résidentiel Bugallière, Madoire, Boisjouan est créé à l’emplacement des fermes éponymes. L’urbanisation continue à être structurée par l’ancien parcellaire agraire bocager propice au développement de lotissements aérés et verdoyants avec quelques collectifs (photos 3 et 4). La toponymie reprend celle d’anciens sièges d’exploitation ou rappelle leur activité9, et l’ancien bâtiment de ferme ou le château sont souvent utilisés comme équipement municipal après restauration (Bugallière, Petit-Moulin) (fig. 2, photos 6-9).
Dans les deux-tiers nord de la commune là où l’espace agricole est préservé, les exploitants veulent maintenir voire développer des outils de travail performants en particulier en améliorant la taille et le parcellaire des exploitations. La surface exploitée par agriculteur est ainsi agrandie par récupération des terres des agriculteurs âgés sans successeur ou restées disponibles après construction de lotissements et d’équipements. Cet agrandissement conduit d’ailleurs certains agriculteurs à chercher des terres sur les communes voisines, et parfois un siège d’exploitation ou un atelier agricole plus modernes (8 sièges sur 23). Le partage des terres agricoles récupérées est décidé en intersyndicale qui veille à ce que la disparition des exploitations serve à l’agrandissement des plus petites, à l’installation de jeunes et au maintien d’une surface agricole communale importante.
La SAFER10 intervient aussi de manière efficace dans le processus d’agrandissement et de restructuration des parcellaires agricoles11 en réalisant des réserves foncières et en revendant une partie des terres préemptées aux agriculteurs ce qui favorise le faire-valoir mixte (location, parfois précaire, et propriété). Elle surveille également le processus de spéculation et la montée des prix des terres agricoles qu’elle essaie de limiter avec succès lors des préemptions d’exploitations, plus difficilement voire pas du tout lorsque la vente concerne des parcelles ou des blocs de terre de petite taille. Vu l’importance des enjeux financiers (décalage de plus en grand entre le prix du mètre carré de terrain à bâtir et le prix de l’hectare de terre agricole12, et rapport du fermage devenu dérisoire en particulier autour du bourg) des conflits éclatent entre agriculteurs qui ont des intérêts différents suivant leur âge, la succession assurée ou non, le statut de propriétaire ou de fermier13.
Mais à partir des années 1980, des outils publics de gestion du foncier sont mis en place par les collectivités territoriales qui prennent en main le contrôle du foncier pour urbaniser et valoriser l’agriculture dans l’occupation des sols.
4. Depuis les années 1980, la terre un bien d’intérêt public
Au fil des plans d’occupation des sols (POS 1970, 1979, 1988), la place laissée à l’urbanisation dans la commune d’Orvault devient de plus en plus importante ; à chaque révision la surface des zones urbanisées (U) et à urbaniser (NA) progresse et à l’inverse celle de la zone agricole (NC) diminue. Pourtant la comparaison du POS d’Orvault de 1988 avec celui de Treillières en 1992 confirme bien l’importance de la trame foncière et agraire héritée du XIXe siècle, et le rôle joué par certains propriétaires fonciers et par les agriculteurs en particulier de 1965 à 1985 pour limiter l’emprise spatiale des nouveaux équipements et constructions (fig. 3).
À partir de 2000 (loi SRU, solidarité et renouvellement urbain), le POS est remplacé par le plan local d’urbanisme (PLU)14 qui doit respecter les règles générales d’urbanisme et se conformer aux orientations d’un schéma de cohérence territoriale (SCOT)15. Le PLU d’Orvault a été approuvé en octobre 2007 par le conseil communautaire de Nantes-Métropole, et parmi les priorités d’aménagement, figurent toujours la maîtrise spatiale de l’urbanisation et le maintien d’un espace agricole cohérent. Sont programmés le réaménagement du bourg et du Petit Chantilly, la création de la ZAC de La Mulonnière au-delà du Pont du Cens, celle du Vallon des Garettes près du bourg, la réhabilitation de la ferme du Bignon avec le label HQE (haute qualité environnementale), ainsi que la valorisation de l’agriculture dans la zone agricole (A), et sa protection dans les zones naturelles (N) et aussi dans les zones à urbaniser (AU) et même urbaines (U) (photo 5). La dynamique agricole est reconnue comme nécessaire à la fois pour son intérêt socioéconomique et la valeur patrimoniale des paysages bocagers qu’elle contribue à construire. Elle est donc confortée aussi bien pour les agriculteurs qui dirigent les unités de production performantes que pour ceux qui utilisent des « niches » bénéficiant de la proximité des consommateurs : vente directe et AMAP (association pour le maintien de l’agriculture paysanne), contrats passés avec la municipalité pour certains services (fauche autour des villages, entretien des zones naturelles le long des vallées du Cens et de La Rousselière), productions spéciales (horticulture et maraîchage bio, élevage de poulinières, photo 10). Mais des difficultés importantes (recherche de terres, installation, succession), subsistent pour les agriculteurs tant la pression urbaine est devenue forte engendrant spéculation et conflits d’usages.
Pourtant la question de la place de l’agriculture dans les espaces périurbains et même urbains est désormais d’intérêt public, et il apparaît bien que l’avenir de l’agriculture urbaine et périurbaine est d’abord lié au foncier. De nouveaux outils fonciers ont été créés par la loi comme la zone agricole protégée (ZAP), le périmètre de protection et de mise en valeur des espaces agricoles et naturels (PEAN), l’association de propriétaires fonciers (AFA) pour louer avec un bail de longue durée une entité foncière agricole viable. Ces dispositifs commencent à être utilisés à Orvault pour conforter « l’une des zones agricoles les plus cohérentes », contrairement à certaines communes de l’agglomération où le mitage par l’urbanisation ne permet plus de maintenir une agriculture viable.
Pourtant à l’échelle de l’agglomération nantaise et du département, des partenariats se nouent depuis plus de vingt ans pour répondre aux besoins fonciers des agriculteurs. Le quotidien Ouest-France signale régulièrement les actions de concertation et les conventions signées entre d’une part, le district devenu communauté urbaine Nantes-Métropole, le conseil général de Loire-Atlantique et d’autre part, la chambre d’Agriculture de Loire-Atlantique et la SAFER afin d’assurer aux agriculteurs une sécurité foncière face à l’urbanisation16.
Le zonage est nécessaire mais pas suffisant pour valoriser l’agriculture et faire cohabiter campagne et ville. En effet il faut aussi observer comment ce zonage est appliqué17. Ce ne sont pas les mêmes agriculteurs, ni le même type d’agriculture qui peuvent se maintenir de manière économiquement viable, et en respectant les nombreuses règles environnementales, dans les zones agricoles, les zones naturelles, et les zones à urbaniser ou même déjà urbanisées, ce qui devrait conduire à différencier les aides. Les habitants ne sont pas toujours assez informés des contraintes agricoles auxquelles les agriculteurs sont confrontés. Inversement ces derniers ne prennent pas toujours assez en compte les demandes des consommateurs et des élus en faveur d’une agriculture de qualité, respectueuse de l’environnement.
L’exemple orvaltais montre une nouvelle fois l’intérêt des études foncières pour les élus et aménageurs comme pour les géographes. Les premiers, qui souhaitent assurer l’aménagement et le développement durable des territoires dont ils ont la charge en associant urbanisation et développement agricole, sont d’ailleurs de plus en plus conscients de l’intérêt de rappeler, dans le diagnostic communal, le système socio-foncier et la trame parcellaire hérités ; c’est un préalable pour adapter les nouveaux outils fonciers et les partenariats aux évolutions projetées. Les seconds engagés dans l’étude et la compréhension des constructions territoriales et des paysages, ont toujours besoin d’analyser le système socio-foncier, sans doute avec une méthodologie différente adaptée à la demande sociale et aux outils informatiques ; la question foncière reste une question vive de la recherche géographique.
Photo 6 : Le château de La Gobinière (1872), acheté par la municipalité en 1976 pour devenir centre culturel.
(cliché A. CROIX, 2009)
Photo 8 : Aire de jeux du Bois Raguenet aménagée par les propriétaires du lotissement dans le parc de l’ancien château.
(cliché A. CROIX, 2009)
Photo 9 : Ferme de La Bugallière, centre socio-culturel et d’accueil pour la distribution de produits agricoles (AMAP).
(cliché A. CROIX, 2009)