Au « pays de la pierre bleue » : appréhender le relief à travers l’utilisation d’une roche (Nozay, Loire-Atlantique)

Résumé

La pierre bleue de Nozay est un héritage culturel propre à cette commune et à ses environs, à l’origine d’une importante animation historique, encore à l’œuvre durant une partie du XXe siècle, autour des communautés de carriers et de tailleurs de pierre. L’utilisation de cet emblème communal comme point de départ d’une explication du relief appalachien, caractérisé par une alternance de hautes échines et de larges dépressions, s’intègre dans les actions de vulgarisation de la géomorphologie.

Index

Mots-clés

pierre bleue, schiste, relief appalachien, Massif armoricain, vulgarisation de la géomorphologie

Plan

Texte

Introduction

La présente étude, qui fait suite à la monographie de l’option Géomorphologie du cursus de Licence (Licence 3), préparée par M. Coutin et T. Warin au cours de l’année universitaire 2014-2015 à l’Institut de géographie et d’aménagement régional de l’université de Nantes (IGARUN), s’inscrit dans un double mouvement de vulgarisation de la géomorphologie. En premier lieu, ce mouvement part du constat que la géomorphologie, enseignée à l’université mais méconnue au dehors, gagne à être popularisée auprès de publics variés. En deuxième lieu, sous un angle épistémologique, ce mouvement s’intègre à l’approche nouvelle de la discipline que consacre l’expression patrimoine géomorphologique. L’objet de cette démarche est la promotion de géomorphosites, ou sites d’intérêt géomorphologique, à partir de critères scientifiques et d’autres critères, parmi lesquels des critères esthétiques et culturels. C’est dans cette dernière optique qu’est menée notre étude, dont le but est la vulgarisation de la discipline, indépendamment de la distinction de géomorphosites. Enfin, elle se place dans la lignée d’études similaires menées à l’université de Nantes sous l’impulsion de D. Sellier, suivi par d’autres chercheurs (C. Portal, R. Kerguillec, B. Comentale). L’utilisation de la « pierre bleue » de Nozay, variété de schiste, comme matériau de construction – à l’image des argiles des Mauges et des « pays » charentais (Comentale, 2011 ; 2011a ; 2013), comme des roches employées dans le bâti rural traditionnel du Haut-Bocage vendéen (Comentale, 2012b) – constitue donc l’introduction à une géomorphologie régionale a priori sans caractère spectaculaire, peu évidente au premier regard mais riche d’enseignements.

Un matériau omniprésent dans la construction et les pratiques passées

La pierre bleue de Nozay est volontiers déclinée sur un mode « identitaire » et les actions institutionnelles locales y font fréquemment référence. Pourtant, l’histoire de l’extraction de ce matériau singulier, à l’origine d’un paysage esthétique et social propre à la commune, est peu mise en avant, comme le constate Olivier Lavigne1, auteur de travaux sur l’histoire du façonnage de la pierre bleue de Nozay et auquel nous emprunterons les conclusions relatives à cet aspect de la question. Au sein du massif armoricain, la pierre bleue est un « schiste subardoisier » (Trautmann, 1988), en d’autres termes « un schiste semi-métamorphisé donc semi-fissile, impropre à la production d’ardoise mais produisant des plaques, nommées palis, et des blocs d’une épaisseur moyenne de 30 cm dont l’usage peut être très variable » (Lavigne, 2014, photo 1a). Dans la commune de Nozay, nombreuses sont les clôtures de « palis » (photo 1b), évoquant des palissades de bois. On remarque aussi son emploi comme pierres de construction, visibles dans les murs (photo 1c et 1d), et autres objets utilitaires tels des auges à cochon (O. Lavigne, comm. orale) ou bien cultuels et symboliques tel le calvaire de Montjouan à Issé, commune située à une quinzaine de kilomètres au nord-est (Lavigne, 2013). Cette qualité de pierre, qui in fine se travaille comme le bois (Lavigne, 2007), est d’affleurement restreint, ce qui semble conférer à Nozay une relative spécialité, qui n’est rencontrée que ponctuellement plus au nord (cf. infra).

Photo 1 – la pierre bleue et son utilisation (clichés : T. Warin)

Image

Il en résulte un paysage esthétique singulier, ainsi que des pratiques sociales nées autour des métiers d’extraction et de façonnage de la pierre bleue. Par ailleurs, la spécialisation extractive et productive des lieux dépasse le strict cadre de la commune : exploitation d’un schiste aux propriétés mécaniques proches de celles de la pierre bleue aux environs de Châteaubriant, où furent également exploitées des argiles réfractaires, encore à la fin du siècle dernier, ainsi que le fer des minières qui alimentait les forges locales ; exploitation de l’étain à Abbaretz immédiatement à l’est de Nozay (travaux du Pr L. Chauris, 1980), dont le terril, l’un des points hauts du département de la Loire-Atlantique, fait l’objet d’une mise en valeur touristique – à l’aide de panneaux in situ, utilisant précisément la pierre bleue en raison de ses qualités mécaniques. C’est dire que la « tradition » extractive et industrielle du nord du département de la Loire-Atlantique en fait une base précieuse pour aboutir à une analyse géomorphologique des lieux à partir d’une ressource, elle-même liée à une formation géologique, celle-ci débouchant sur la configuration singulière du relief appalachien (cf. infra).

Suivant O. Lavigne (2014), « les débuts de l’extraction remontent au XIIIe siècle », elle se développe à partir du XVIe siècle et, surtout, « avec l’arrivée du chemin de fer (1885) qui va permettre d’exporter à petits frais. Son « âge d’or » vers 1911 verra jusqu’à 176 personnes vivant de cette activité », c’est-à-dire bien en-deçà du nombre fréquemment avancé de 300 ouvriers en 1914, mais qui selon l’auteur ne repose sur aucun fondement, bien que repris dans la notice de la carte géologique Nozay (1/50 000). Les carrières se situaient au nord-est de la commune, aux lieux-dits les Grées et la Ville-au-Chef où subsistent quelques témoignages matériels de cette extraction, ainsi que d’anciennes carrières. Parmi elles, celle de la vallée du Cétrais, un ruisseau sous-affluent du Don, est la plus remarquable car elle a été considérablement élargie du fait de l’extraction. Elle est à présent convertie en terrain de moto-cross. Les roches étaient « acheminées dans tout le département [de Loire-Atlantique], mais aussi en Vendée, Mayenne, Sarthe et surtout Ille-et-Vilaine. L’hécatombe de la première guerre mondiale, la concurrence du béton ainsi que les fluctuations économiques auront raison de cette activité » (Lavigne, 2014).

Selon nous, l’attractivité géomorphologique des lieux peut trouver une amorce dans la permanence, même diffuse, de la pierre bleue dans la mémoire des habitants de la commune, ce que l’on peut expliquer par l’empreinte laissée par l’activité extractive au sein d’une micro-société qui était organisée, hiérarchisée et marquée par cette activité. La mise sur pied d’une coopérative ouvrière de production, au début du XXe siècle, est la concrétisation de cette structuration (Lavigne, 2014). Elle répond aux aspirations d’organisation d’une population croissante d’agriculteurs pauvres passant à l’extraction, ouverte aux idées socialistes, dans le contexte où « l’extraction et le façonnage de la pierre bleue s’intensifient », et suite à un accident mortel survenu en 1891. Selon l’auteur, « la coopérative a marqué les esprits des carriers et tailleurs de pierre, et ils ont maintenu leur souvenir jusqu’à la fin du XXe siècle », alors que, dans le même temps, les patrons de quelques entreprises tentaient de s’organiser en proposant des tarifs harmonisés. Cette organisation dont le souvenir est présent résulte elle-même de longues habitudes de regroupement professionnel, d’abord probablement confrérie, à tonalité religieuse (regroupement des tailleurs de pierre sous l’égide de Saint-Blaise, dont l’image est représentée dans la vieille église de Nozay du XVIe siècle), puis corporation (sur base urbaine), enfin compagnonnage, attesté par plusieurs documents au XIXe siècle : « un pas de plus sera fait avec la coopérative ouvrière de production et la ligue patronale. L’histoire des organisations professionnelles montre bien l’émancipation progressive de ses adhérents, patrons ou ouvriers, et des tensions et relations au sein de ces mêmes groupes » (Lavigne, 2014). C’est dans ce contexte culturel que nous inscrivons notre travail de vulgarisation de la géomorphologie. En effet, dans un contexte socio-culturel communal où s’estompe la connaissance d’une histoire qui a longtemps organisé les rapports sociaux à l’échelon local (disparition des derniers témoins, installation de nouveaux habitants, nouvelles orientations économiques) alors que, paradoxalement, l’appellation « pierre bleue » continue d’être utilisée comme argument de publicité (noms de voirie, enseignes commerciales,…), la redécouverte de cet héritage historique est aussi l’occasion de mettre en exergue l’environnement l.s. auquel il est associé. Cette perspective peut d’ailleurs être élargie aux communes voisines, où elle a été très utilisée, leur conférant une certaine unité : Puceul, Marsac, Vay, entre autres – d’où la dénomination de « Pays de la pierre bleue » pour désigner la communauté de communes les regroupant.

La pierre bleue, un matériau associé au relief appalachien du centre du massif armoricain

Figure 1 – les principales étapes du façonnement du relief appalachien de la région nozéenne : le plissement (étape 1), l’aplanissement (étape 2) et l’incision (étape 3).

Image

Sur le plan géographique, la pierre bleue de Nozay est attachée à une configuration autant géologique (une qualité de pierre aux propriétés mécaniques singulières qui lui sont léguées par son mode de formation) que géomorphologique (un domaine d’étroites échines au sommet plan et d’orientation zonale, séparées par de larges dépressions, le tout témoignant du morcellement d’une vaste surface par l’érosion). En effet, le paysage auquel introduit la pierre bleue est un relief appalachien typique, bien que moins marqué que plus au nord (région de Châteaubriant ; forêt de Domnaiche : Sellier, 2014). Il est issu du dégagement, du fait de l’encaissement des cours d’eau, d’un relief qui avait été plissé au cours de l’orogenèse hercynienne puis nivelé par la surface d’aplanissement précédemment citée, la surface post-hercynienne. Ainsi, le relief appalachien résulte de trois étapes (fig. 1) : d’abord un plissement (étape 1) qui met en place un relief différencié tel qu’une chaîne de montagne (ici le massif armoricain). Puis un aplanissement (étape 2) annule le relief précédent, faisant apparaître un relief plat ou aux dénivelées peu marquées (pénéplaine), qui place sur le même plan des structures géologiques différenciées, c’est-à-dire des roches de nature, et en l’occurrence de résistance, variées. Enfin, intervient le dégagement (étape 3) de ces roches de résistance différente, du fait de l’encaissement des cours d’eau ; les roches les plus résistantes restant en relief sous forme de crêtes dont le sommet conserve la planéité d’origine, les plus meubles étant affouillées par les cours d’eau, sous forme de dépressions. Ces deux conditions, le dégagement d’anciennes structures plissées et la différence de résistance des roches, sont représentées dans la région de Nozay (fig. 2).

Figure 2 – extrait de la feuille Nozay de la Carte géologique de la France au 1/50 000

Image

En effet, la région de Nozay se trouve à la charnière de deux ensembles du massif armoricain, le domaine sud-armoricain essentiellement marqué par la tectonique cassante (telle que représentée le long du Sillon de Bretagne plus au sud, et son prolongement jusque dans le département des Deux-Sèvres), et le domaine centrarmoricain marqué par la tectonique plissée. Le plissement, qui s’est opéré au cours de l’orogenèse hercynienne (aux alentours de 340-360 Ma – millions d’années : dernière partie de l’ère primaire, fig. 1) a affecté une série originellement sédimentaire, antérieure au plissement et composée pour l’essentiel de roches silicatées de granulométrie fine (argiles, pélites, sables). Cette série sédimentaire a été non seulement plissée mais également transformée par métamorphisme peu poussé (résultat des contraintes tectoniques et de l’échauffement de la croûte terrestre), en bandeaux de schistes, parmi lesquels la pierre bleue de Nozay. Dans le même temps, des remontées locales de magma granitique (datées à 325 ± 10 Ma par L. Chauris, 1980, cité in Trautmann, 1988) s’inséraient dans la croûte, prélude à l’affleurement, après refroidissement, du granite de Nozay, à l’ouest (le Houx) comme à l’est du bourg (la Ville-Foucré). Plus largement d’ailleurs, ces remontées s’intègrent dans une activité magmatique également marquée par la mise en place de filons de quartz, dont certains sont stannifères (Abbaretz), d’autres aurifères (Vay, par exemple : cf. Chauris, 2014). Ainsi se trouve établie l’une des conditions de mise en place du relief appalachien, qui est la diversité de résistance des roches permettant la dissection différentielle du relief.

Une topographie de dissection, en lanières culminantes et dépressions

La topographie du nord du département de la Loire-Atlantique présente une série d’alignements de crêtes parallèles au sommet plan, d’orientation ouest-est, et séparées par des dépressions que drainent le Don et ses affluents. Sur le périmètre de la carte topographique de Nozay (carte IGN à l’échelle 1/50 000), ce sont, du sud vers le nord (fig. 1) : (a) la crête de Puceul, séparée par une courte dépression de (b) la crête de Nozay, qui domine la large dépression de Jans, laquelle passe à (c) la crête de Saint-Vincent-des-Landes, séparée par une courte dépression du (d) plateau de Lusanger. La régularité des altitudes culminantes (plus de 90 m à l’est immédiat du bourg de Nozay, jusqu’à 97 m près de l’hippodrome, et 77 m dans la partie orientale de la forêt de Domnaiche au nord) figure une surface, actuellement incisée par les cours d’eau, ce qui lui confère ce relief différencié où se succèdent lanières et couloirs, bien visibles à partir des points hauts – lieux exposés au vent, équipés de moulins, et pour certains d’éoliennes.

L’arrêt à l’un de ces panoramas culminants permet aisément de voir ces lambeaux de la surface post-hercynienne (fig. 1 – étape 2), actuellement en cours de démantèlement. C’est cette même surface qui, plus au nord-est, porte les altitudes les plus élevées du département de la Loire-Atlantique (110 m en forêt d’Araize à proximité de Châteaubriant). Élaborée sur le temps long de l’évolution géologique, elle a nivelé le relief plissé antérieur (hercynien), par des actions d’ameublissement et de décapage des roches, en grande partie produites sous conditions tropicales de climat chaud et humide. Ces conditions furent réalisées à plusieurs reprises au cours de l’ère secondaire et de la première partie de l’ère tertiaire. Cette surface est un élément de la « pénéplaine de l’Ouest de la France », de mise en place diachronique et de valeur régionale, qui a nivelé les bordures orientale et méridionale du massif armoricain ainsi que les marges sédimentaires de celui-ci (Klein, 1975). Des éléments prouvant l’évolution de la surface sous conditions tropicales sont apportés, entre autres, par la présence d’altérites ferrugineuses, contenant du minerai de fer (à teneur élevée, entre 42 et 56 %) et anciennement exploitées à Nozay et Abbaretz (Trautmann, 1988), provenant d’une cuirasse latéritique témoignant d’une altération tropicale de la roche. Participant à l’élaboration de la surface d’aplanissement, et supposées remonter à la première partie de l’ère tertiaire (Paléocène), sur la base d’observations régionales, ces altérites permettent de « caler » la dissection de la surface par les cours d’eau à la période suivante, en l’occurrence à partir de la fin du Tertiaire, approximativement depuis 4 ou 5 Ma (fig. 1, étape 3), et durant la totalité du Quaternaire.

L’apparition du relief appalachien de crêtes et de dépressions

Les trois étapes de la genèse du relief appalachien (fig. 1) conduisent à un plissement qui se fait sous forme de grandes ondulations orientées d’ouest en est, parallèles entre elles. Ce sont, du sud au nord : le synclinorium de Saint-Georges-sur-Loire, le synclinorium de Nozay, formes en creux ; puis l’anticlinorium de Lanvaux, forme bombée, auquel succèdent le synclinorium de Saint-Vincent-des-Landes et le bassin de Saint-Julien-de-Vouvantes séparés par un bombement de moindre ampleur. Le recoupement par la surface de ces roches préalablement plissées explique par ailleurs que l’on rencontre ailleurs des schistes analogues à la pierre bleue. L’attribution au schiste de Nozay d’un matériau schisteux utilisé dans la construction à Châteaubriant serait ainsi à revoir : cette pierre serait locale.

Le plissement a déformé une série sédimentaire comportant des roches de résistances variées. Schématiquement, ce sont, au sommet, des grès (d’âge silurien : milieu de l’ère primaire), roches cohérentes (dures) consolidées à partir d’un sable initial ; en-dessous, des argilites (d’âge ordovicien et cambrien : première partie de l’ère primaire), roches formées à partir d’argiles, consolidées mais moins cohérentes que les précédentes. Les schistes subardoisiers de la pierre de Nozay, d’âge ordovicien (en vert sur la carte géologique, fig. 2), en font partie : ils sont décrits par les géologues à l’est du bourg (les Grées, la Ville-au-Chef), comme des « siltstones micacés noir verdâtre à chloritoïdes, d’aspect massif » (Trautmann, 1988, p. 19). Littéralement, il s’agit bien de roches résultant de la consolidation d’un silt (sédiment composé de fragments microscopiques), contenant du mica, dont la teinte peut varier du vert au bleu et dont le caractère massif lui confère son débit particulier.

Certes, le faciès des roches – grosso modo leur aspect extérieur, qui dépend de leur composition – est variable d’une extrémité à l’autre de l’aire représentée, cependant les grandes différences de résistance sont telles que, une fois la structure plissée aplanie (étape 2), la surface post-hercynienne voit la juxtaposition d’affleurements de résistance contrastée (cf. supra). La dissection de la surface (étape 3) se fait prioritairement aux dépens des roches les plus meubles, en l’occurrence les argilites affleurant à la faveur du bombement de l’anticlinorium de Lanvaux, en donnant l’ample dépression de Jans, large de 7 km environ, surcreusée à 10-15 m d’altitude et drainée par le Don. Cette dépression est encadrée au nord par la crête de Saint-Vincent-des-Landes (60-70 m d’altitude), au sud par la crête de Nozay (jusqu’à près de 100 m : cf. supra). Il s’agit d’une inversion de relief : systématiquement, les crêtes correspondent aux points bas du relief plissé initial et sont préservées par leurs affleurements de roches résistantes, qui leur permettent de conserver à leur sommet la planéité de la surface d’aplanissement d’origine, alors que les bombements sont surcreusés en dépressions dans les roches meubles. Dans le détail, sur la crête de Nozay, les altitudes les plus élevées se rencontrent sur les affleurements de granite ou de quartz filonien, ou encore de quartzite, roche encore plus résistante, siliceuse (contenant du quartz), qui résulte du métamorphisme d’un grès ordovicien au contact du granite précédent. À l’est du bourg, la crête conserve la planéité d’origine, mais la moindre résistance de la roche coïncide avec des altitudes inférieures, de l’ordre de 70 m (Beaulieu). Sur les affleurements de pierre bleue, le lieu-dit les Grées est à 50 m environ.

Un réseau hydrographique qui reflète l’organisation du relief appalachien

Dans le relief appalachien, le réseau hydrographique se compose fréquemment de tronçons perpendiculaires les uns aux autres : originellement adapté à la pente de la surface, il peut dans le détail comporter de courtes gorges. Ici, le drainage d’ensemble s’effectue vers l’ouest, organisé en fonction du Don qui est un affluent de la Vilaine. Mais le ruisseau de Cétrais, sous-affluent de rive gauche du Don, provient de la crête de Nozay, sur laquelle il prend sa source avant de s’y encaisser sous forme d’étroites gorges, inscrites d’une vingtaine de mètres en contrebas de la surface, en recoupant des roches résistantes. À l’échelle d’une chaîne de montagnes, ce dispositif est insignifiant, mais à l’échelle de la région nozéenne, où les variations d’altitudes importantes sont de l’ordre de 80 m (dénivelée entre le fond de la dépression de Jans et le sommet de la crête de Nozay), il est notable. L’écoulement de tels ruisseaux au sein de roches résistantes, alors qu’il existe des terrains meubles plus faciles à surcreuser à proximité, apparaît aberrant au vu de la topographie actuelle. Mais il s’explique par le fait que, antérieurement à la dissection de la surface, le drainage s’effectuait sur la topographie plane de celle-ci, sans contrainte liée à la résistance des roches. Ce n’est qu’au cours de leur encaissement que les ruisseaux affluents du Don (lequel, lui, n’est pas tributaire de ces contraintes puisqu’il s’écoule le long d’un axe armé par des roches meubles, ce qui lui a permis de creuser un véritable couloir) ont dû, pour conserver leur tracé initial, creuser dans les roches cohérentes dans lesquelles ils commençaient à s’encaisser en fonction du niveau de base régional. Ce dispositif est d’ailleurs incomplet puisque ces ruisseaux sont trop courts pour traverser la crête de part en part, comme cela se rencontre dans les reliefs appalachiens plus aboutis. Enfin, le fait que ces ruisseaux (à Nozay le ruisseau de Cétrais et son affluent le ruisseau de la Mare à l’Aune qui prend sa source non loin du terril d’Abbaretz ; à Abbaretz, les affluents du ruisseau du Paradel) prennent leur source très au sud suggère que la surface d’aplanissement originelle possédait une double pente : la pente régionale vers l’ouest, en direction de la Vilaine, et la pente vers le nord, que l’analyse des variations d’altitude à l’échelle de la carte (de 90 à 70 m : cf. supra) mettait en évidence.

Conclusion

Cette étude illustre la richesse de la démarche patrimoniale (au sens d’un patrimoine matériel et culturel susceptible de déboucher sur un patrimoine géomorphologique, lequel reste ici à inventer et à structurer), qui consiste à montrer qu’un fait culturel marquant est un moyen d’introduire à la géomorphologie. L’utilisation d’un matériau de construction localisé à une aire réduite, pour des raisons liées à un faciès géologique particulier qui imprime une qualité mécanique précise à la roche, a conféré une tonalité paysagère et sociale propre à cette aire : de là une mise en valeur de la géomorphologie locale, qui peut être élargie aux échelles régionale, puis générale par approfondissement de l’exposé. Cette démarche est d’abord d’essence pédagogique, et procède de la méthode scalaire d’observation spécifique de la géographie : ce qui est donné à voir sur place est une roche, dont la mise en place est d’ordre géologique. Mais cette observation localisée conduit à des paysages, observés à partir de points hauts comme la crête de Nozay (ou, mieux, le terril d’Abbaretz), et relève de la géomorphologie. À l’inverse, la prise de conscience, par les habitants des lieux comme par les visiteurs, d’un relief particulier alors qu’il apparaît peu significatif au premier regard, permet de raviver la « mémoire » de cette société nozéenne passée, fondée sur l’exploitation de l’emblématique pierre bleue.

Les auteurs remercient leurs correspondants nozéens, Loïc Daubas et en particulier Olivier Lavigne, qui nous a présenté oralement les résultats de ses recherches et donné accès à ses publications, pour leur précieux et chaleureux accueil. Ils remercient également C. Portal (université de Poitiers) pour ses remarques utiles qui ont permis d’éclairer certains des points abordés dans l’article.

1 Olivier Lavigne, auteur d’une thèse sur la pierre bleue, est également tailleur de pierre, Compagnon du Tour de France des Devoirs Unis, et

Bibliographie

CHAURIS L., 1980. Le district stannifère d’Abbaretz (Massif armoricain) : un gisement d’étain syncinématique. 26e Congr. Géol. Intern., Gisements français, fasc. E.1, pp. 7-29.

CHAURIS L., 2014. L’or en Loire-Atlantique, Bulletin de la Société des Sciences Naturelles de l’Ouest de la France, 36 (3), pp. 180-188.

COMENTALE B., 2011. Géomorphologie et paysages de l’argile, L’exemple des Mauges et des aires limitrophes de Loire-Atlantique, 2011-2, pp. 65-73.

COMENTALE B., 2012a. Géomorphologie des Mauges, Les Cahiers Nantais, 2012-1, pp. 81-86.

COMENTALE B., 2012b. Du patrimoine artisanal au patrimoine géomorphologique sur la marge méridionale du Massif armoricain, Géocarrefour, 87 (3-4), pp. 229-238.

COMENTALE B., 2013. Le travail de l’argile, clé d’accès à la géomorphologie dans l’ouest de la France, Gestion des géosites dans les espaces protégés, Collection EDYTEM, 15, pp. 127-134.

KLEIN C., 1975. Massif armoricain et bassin parisien. Contribution à l’étude géologique et géomorphologique d’un massif ancien et de ses enveloppes sédimentaires, Thèse de Doctorat d’État, Gap, Éditions Ophrys, 882 p.

LAVIGNE O., 2007. Un outil oublié de la taille de pierre : le marteau à tailler le schiste métamorphisé, l’exemple de Nozay, Tiez Breiz – Maisons et Paysages de Bretagne, 26, pp. 8-14 [consulté sur academia.fr le 03/09/2015].

LAVIGNE O., 2013. Et pourtant, elle tourne. Petite histoire du tournage de la pierre dite « de Nozay », Tiez Breiz – Maisons et Paysages de Bretagne, 32, pp. 48-51 [consulté sur academia.fr le 03/09/2015].

LAVIGNE O., 2014. Les organisations professionnelles dans le monde rural. L’exemple de Nozay et des Métiers de la pierre, Tiez Breiz – Maisons et Paysages de Bretagne, 33, pp. 16-18 [consulté sur academia.fr le 03/09/2015].

SELLIER D., 2009. La vulgarisation du patrimoine géomorphologique : objets, moyens et perspectives, Bulletin de l’Association des Géographes Français, 2009-1, pp. 67-81.

SELLIER D., 2010. L’analyse intégrée du relief et la sélection déductive des géomorphosites : application à la Charente-Maritime (France). Géomorphologie : relief, processus, environnement, 2, pp. 199-214.

SELLIER D., 2014. Le relief appalachien de la forêt de Domnaiche et de ses abords (Loire-Atlantique), Bulletin de la Société des Sciences Naturelles de l’Ouest de la France, 36 (1), pp. 5-12.

TRAUTMANN F., 1988. Notice explicative, Carte géologique de la France (1/50 000), feuille Nozay (420), Orléans, BRGM, 57 p.

Notes

1 Olivier Lavigne, auteur d’une thèse sur la pierre bleue, est également tailleur de pierre, Compagnon du Tour de France des Devoirs Unis, et historien des techniques.

Illustrations

Photo 1 – la pierre bleue et son utilisation (clichés : T. Warin)

Photo 1 – la pierre bleue et son utilisation (clichés : T. Warin)

Figure 1 – les principales étapes du façonnement du relief appalachien de la région nozéenne : le plissement (étape 1), l’aplanissement (étape 2) et l’incision (étape 3).

Figure 1 – les principales étapes du façonnement du relief appalachien de la région nozéenne : le plissement (étape 1), l’aplanissement (étape 2) et l’incision (étape 3).

Figure 2 – extrait de la feuille Nozay de la Carte géologique de la France au 1/50 000

Figure 2 – extrait de la feuille Nozay de la Carte géologique de la France au 1/50 000

Citer cet article

Référence électronique

Bruno COMENTALE, Agnès BALTZER, Maxime Coutin et Till Warin, « Au « pays de la pierre bleue » : appréhender le relief à travers l’utilisation d’une roche (Nozay, Loire-Atlantique) », Cahiers Nantais [En ligne], 2 | 2015, mis en ligne le 05 mars 2021, consulté le 28 mars 2024. URL : http://cahiers-nantais.fr/index.php?id=1360

Auteurs

Bruno COMENTALE

Géographe, Université de Nantes, LETG-Nantes Géolittomer UMR 6554

Articles du même auteur

Agnès BALTZER

Géographe, Université de Nantes, LETG-Nantes Géolittomer UMR 6554

Articles du même auteur

Maxime Coutin

Étudiant de géographie, IGARUN, Université de Nantes

Till Warin

Étudiant de géographie, IGARUN, Université de Nantes

Droits d'auteur

© Copyright