André Vigarié, disparu en décembre 2006, est à l’origine du développement au sein de la communauté géographique française d’une école de pensée maritimiste. Il avait été nommé en 1964 à l’Université de Nantes où il a fait toute sa carrière. Il n’est donc pas étonnant que plusieurs de ses publications concernent la Basse-Loire ; certaines ont été rédigées pour les Cahiers Nantais comme on peut le constater dans la liste suivante qui nous servira de base pour notre réflexion.
- L’austère cheminement du souhaitable au possible, présentation du SDAM Nantes-Saint-Nazaire, Cahiers Nantais, 1971 no 4, pp 5-54.
- Présentation morphologique de l’estuaire de la Basse Loire, les conséquences pour l’aménagement, Cahiers Nantais, 1977 no 13, pp 69-82.
- L’intervention de l’Établissement Public Régional des Pays de Loire dans le domaine maritime et littoral, La Nouvelle revue Maritime, 1981 no 366.
- Transport et Aménagement : la naissance d’un port en pays industriel : Montoir, Revue de Géographie de l’Est, 1989, no 3-4.
- Évolution et développement des activités portuaires dans la Basse Loire, Cahiers Nantais, 1989, no 33-34, pp. 199-227.
- Estuaire et littoral : l’utilisation des sables et granulats, le cas de la Basse Loire. In The Ocean change : Management Patterns and the Environment, Univ. de Séville – UGI, 1992, pp. 201-210.
- État des connaissances et problèmes d’aménagement des zones humides de l’estuaire de la Loire, Cahiers Nantais, 1993 no 39, pp 81-100.
- Aspects méconnus de la création d’une métropole : Nantes-Saint-Nazaire, Cahiers Nantais, 1993, no 40, pp 149-164.
L’article fondateur est celui de 1971. Pendant plusieurs années André Vigarié a été le conseiller technique géographe de l’OREAM (Organisation d’Etude pour l’Aménagement de l’Aire Métropolitaine) de Nantes -Saint-Nazaire. Nous sommes alors dans la période de mise en place des métropoles d’équilibre sur le territoire français après la phase de reconstruction de l’après guerre dans les années 50. L’article d’A. Vigarié est une réflexion a posteriori sur un travail d’organisation de l’espace. C’est, écrit l’auteur, « un compromis entre un but et des aspirations élevées d’une part et, d’autre part les conditions imposées par les circonstances et les résistances locales, régionales ou nationales ». Nous rappellerons d’abord le projet initial d’aménagement, nous verrons ensuite comment, dans les publications suivantes, la dimension environnementale prend de plus en plus de place. A près de cinquante ans de distance, les priorités ne sont plus les mêmes, la société et les mentalités évoluent. Les travaux d’A. Vigarié sont le reflet de ces changements.
1. Le SDAM de la Basse Loire conçu à la fin des années soixante
Les limites de l’aire d’étude englobent 78 communes de part et d’autre de l’estuaire. Un Livre Blanc contenant des propositions générales d’aménagement a été accepté par les instances gouvernementales en avril 1969 après consultation des représentants des municipalités et des populations locales ; ensuite le SDAM accepté par le Conseil des Ministres du 17 septembre 1970 donne une image de ce que peut être la Basse Loire à l’horizon 2000. Les deux têtes métropolitaines encadrent l’estuaire, cela donne une dimension maritime et portuaire à la construction envisagée. C’est donc essentiellement de l’aspect portuaire et estuarien qu’il sera question ici sans oublier qu’il en est d’autres.
Pour les aménageurs la question qui se pose au départ est qu’il n’existe pas de méthode type pour construire une métropole d’équilibre
Un des buts assignés est de renverser le processus cumulatif qui fonctionne en faveur de Paris. Dans l’Ouest, la situation démographique est préoccupante avec les campagnes surpeuplées, un exode rural et des migrations alternantes de large amplitude. Les marchés urbains de l’emploi, par insuffisance globale d’industrialisation répondent mal aux demandes latentes de main d’œuvre. L’Ouest, du fait de sa position sur la bordure atlantique de l’Europe pourrait s’appuyer sur une activité océanique vigoureuse. Une caractéristique de la problématique est qu’il s’agit d’une métropole à deux têtes d’un poids économique différent, Saint-Nazaire ne disposant pas alors d’attributs suffisants. Les aménageurs d’alors ont vu l’intérêt d’une telle situation : elle permet d’inscrire la conception métropolitaine autour de l’unité de l’estuaire avec des chances de rénover la vocation océanique à partir du moment où la décision de créer un port en eau profonde a été prise. Cette métropole à construire s’inscrit dans les perspectives nationales d’aménagement définies par la DATAR (Délégation à l’aménagement du Territoire et à l’Action Régionale) et internationales dans le cadre de la CEE : à l’époque où l’entrée du Royaume-Uni dans le Marché Commun était envisagée, il n’était pas utopique de penser que cet élargissement provoquerait une accélération du cabotage dans les mers bordières de l’Europe. Des études montraient que dans le cadre de l’Europe des Six, il risquait d’y avoir une pénurie de terrains disponibles dans les estuaires, ceux du delta du Rhin, alors le redéversement de la puissance industrielle se ferait vers la Basse Seine d’abord et dans un deuxième temps vers la façade atlantique. « Il importe de mettre en place les structures d’accueil susceptibles d’aider à emporter les décisions d’installations nouvelles ».
Les données sur lesquelles les concepteurs du Schéma vont s’appuyer sont d’abord celles du milieu géographique
Comme l’écrit André Vigarié « il y a de l’eau, de l’espace disponible surtout dans les nappes alluviales, les conditions générales sont propices ». Les nappes d’alluvions de l’estuaire, sauf pour la Brière, classée parc régional, peuvent être aménagées sous la seule réserve de fondations adaptées en cas de constructions lourdes, comme usines ou quais à pondéreux ; elles offrent en plus l’avantage de dragages aisés en cas de recreusement. L’estuaire est le trait morphologique qui domine, ce qui pose la question de la répartition des forces économiques. Faut-il urbaniser aussi au sud ? Ou concevoir l’expansion urbaine uniquement au nord ? Dans le premier cas il convient de prévoir un ou plusieurs ponts dont le tirant d’air doit dépasser 50 m puisqu’ils devront enjamber un couloir maritime. L’estuaire qui localise la voie maritime a la particularité d’être resserré en plusieurs endroits en goulets (notamment entre Donges et Paimboeuf avec le plateau rocheux des Brillantes) et barré par des affleurement de roches dures. L’hydrologie se trouve conditionnée par ces faits morphologiques et le recreuse-ment du chenal aussi. à l’époque on dispose de 8,25 m de profondeur jusqu’à Nantes et de 11,75 m à Donges.
Une autre donnée géographique, dans la perspective du développement des activités maritimes est la nécessité de constituer un arrière-pays consistant avec des dessertes terrestres de qualité. On ne peut que constater la discordance entre le tracé de la vallée de la Loire et les grands flux d’échanges. Il est d’autres données géographiques à prendre en compte, dont celle de l’organisation urbaine, de la politique nationale de « métropolisation » mais cette dernière ne dispose pas de tous les appuis souhaitables car elle ne s’inscrit dans aucun cadre structuré de régionalisation ; « faute d’organes locaux habitués à prendre des responsabilité, la construction des huit métropoles dépend de décisions gouvernementales ».
La détermination des éléments d’aménagements
Outre la démographie ce sont plusieurs éléments structurants et leurs relations interfonctionnelles qui vont être la clé de l’aménagement :
- création d’un centre de fonctions supérieures à Nantes mais de telle sorte que Saint-Nazaire ait une part de développement tertiaire.
- un port poly-industriel à Donges-Montoir et un complexe pétrochimique établi à partir de la raffinerie de Donges (fig. 1 où sont indiquées les différentes étapes du développement : 1, Montoir et son extension : 2, la zone du Carnet : 3, Donges-Est : 4 et Sud-Bilho : 5).
- un système de liaisons rapides à l’intérieur de l’aire et vers les grands centres nationaux
- un mode de franchissement du bas estuaire (non retenu par le comité interministériel du 1er avril 1969, il sera à la charge des autorités locales)
- un aérodrome de classe A pour long-courriers (non retenu car il doit s’intégrer dans un plan national de desserte aérienne qui n’est pas encore défini)
Le Port autonome a été associé aux études géologiques et hydrologiques de l’estuaire d’autant qu’il reste le maître d’œuvre dans un domaine où il a l’autorité : les secteur Montoir-Donges pourra accueillir des minéraliers de 125 000 tpl, Donges des pétroliers de 250 000 tpl à demi-allégés ; un front portuaire de plus de 6 km pourra sortir de terre. à l’amont de Paimboeuf, du fait de la plature rocheuse des Brillantes une petite zone industrielle sera aménagée au Carnet accessible à des navires de 30 000 à 40 000 tpl. L’extension se fera ensuite entre Donges et Lavau où 2 000 ha sont utilisables « mais les conditions géologiques sont encore mal connues ».
L’accès de grands navires avec des taux de fret avantageux, dans un secteur où l’on dispose de vastes espaces, crée des conditions propices au développement de productions lourdes : engrais, produits chimiques, pétrochimie, aliments pour le bétail. Afin de tirer le meilleur parti de l’espace du bas estuaire, un projet de darse est envisagé induisant le transfert de l’aérodrome de Montoir (fig. 1).
En appliquant un coefficient de 16 salariés à l’hectare, la zone de Montoir peut provoquer la création de 16 000 emplois nouveaux ; ces emplois augmentés de ceux provenant des activités induites du développement de tertiaire quotidien et de services, vont contribuer à doubler l’agglomération nazairienne. Cela ne fait pas disparaître le problème des relations fonctionnelles avec Nantes ainsi qu’avec le tourisme littoral baulois.
Cela étant, le SDAM n’a pas ignoré les problème d’environnement « contrairement à ce qui est parfois affirmé » écrit André Vigarié. La protection des milieux « naturels » agricoles fait partie de ses préoccupations ; dans le schéma, les vallées sont traitées en espaces de loisirs et de détente, c’est le début du concept « d’écharpe verte » qui s’étend de la Brière au lac de Grand-lieu inclusivement.
2. À partir des années 80 une meilleure prise en compte des milieux naturels estuariens
Dans ses conclusions sur l’application du schéma et les chances d’avenir de la Métropole, André Vigarié porte un regard lucide. « Le SDAM ne peut être une vérité conçue une fois pour toutes, il ne peut être qu’une invention et une adaptation permanente ». En effet, les responsables des aménagements industriels et portuaires, au cours de la décennie 70, en parallèle avec les réactions de la communauté scientifique sensible aux équilibres fragiles des milieux naturels vont prendre conscience de la nécessité de connaître, au-delà des caractéristiques physiques des estuaires, les lois biologiques qui régissent les biotopes estuariens et leur zone humide riveraine. Les premières études de laboratoires datent du « contrat État zéro » de 1976-1977. Écrivant sur cette période, André Vigarié note (Cahiers Nantais, 1993 no 40, p. 163) : « La connaissance des mécanismes biologiques spécifiques de l’estuaire était encore très incomplète. Le rôle des nourrisseries pour la pêche en mer, le rôle du banc de Bilho comme reposoir et comme élément limitatif des vasières de la Fosse de Mindin, les dépôts de dragages sur 170 ha de Donges-Est faits dans des conditions cependant parfaitement réglementaires du point de vue des décisions ministérielles, tout cela créait des conditions dont les conséquences écologiques étaient insuffisamment appréciées dans l’état des connaissances estuariennes du moment ».
Les contributions d’André Vigarié au sein du CSEEL et de l’APEEL
Le Conseil d’Administration du Port, en partenariat avec les collectivités locales, les Ministères de l’environnement et de la Mer, EDF, et le CNEXO, constitua en 1980 un Comité Scientifique pour l’Environnement de l’Estuaire de la Loire, le CSEEL dont André Vigarié sera membre. Le CSEEL a travaillé 3 ans, et a rendu un rapport exposant les éléments de l’équilibre des milieux naturels et aquatiques de l’estuaire ; ce rapport expose des recommandations pour l’avenir afin d’assurer la mise en application des recommandations du CSEEL et de donner un avis concerté, étayé par des études scientifiques, autour de tout projet susceptible d’avoir un impact sur le milieu naturel.
L’APEEL, l’Association pour la Protection de l’Environnement de l’Estuaire de la Loire, créée en 1984, a gardé en son conseil scientifique les spécialistes du CSEEL dont André Vigarié. Cette structure est une initiative du Ministère de l’environnement, elle regroupe l’ensemble des intérêts (collectivités locales, services publics, usagers) concernés par les multiples usages de l’estuaire. C’est l’APEEL qui va être chargée par le Ministère de l’environnement du dossier scientifique de l’application à l’estuaire de la directive européenne 79/409 pour la conservation des oiseaux sauvages et de leur habitat. L’application de la directive interfère directement avec les projets d’aménagement portuaire, illustrant un cas concret de recherche d’équilibre entre les actions en faveur des milieux naturels et celles en faveur du développement industrialo-portuaire. L’APEEL décide d’établir un bilan de l’état de l’estuaire en 1994 afin de préciser l’évolution subie par les milieux naturels depuis 10 ans, lors d’un colloque où intervient André Vigarié sur le thème des zones humides de l’estuaire. En parallèle au colloque, cinq rapports de synthèse ont été établis sur l’hydrosédimentaire, la qualité des eaux, les ressources vivantes, les zones humides et sur l’hydrobiologie de l’estuaire de la Loire. Lorsque l’APEEL est dissoute en 1997 les études faites ont contribué à la prise en considération de la richesse écologique des milieux naturels de l’estuaire et de leur valeur économique.
Ainsi, des années 60 aux années 90, pendant une trentaine d’années, A. Vigarié a mené un rôle actif d’expert sur les questions touchant à l’aménagement de l’estuaire. Ses publications datées de 1993 soulignent la prise en compte de la dimension environnementale. « L’interdépendance est complète entre, d’une part les caractères hydro-sédimentaires de l’estuaire lui-même, liés aux rythmes combinés du flot, du jusant, du régime fluvial, et, d’autre part, l’organisation des formes de vie dans et sur les zones humides, depuis la faune et la flore jusqu’à l’activité des hommes ; et l’eau demeure le vecteur de cette interdépendance » (Cahiers Nantais no 39, p 87). Il montre que l’estuaire a fait l’objet de grandes campagnes d’études : d’abord entre 1966 et 1971, l’OREAM, avec l’établissement du SDAM a suscité la connaissance des paléo-lits de la Loire et du « bed-rock » en rapport avec la faisabilité de la construction du premier poste à quai de Montoir. à partir de 1976, quand la décision politique est prise de construire le terminal méthanier à Montoir, les aspects de la biologie estuarienne et des zones humides sont désormais pris en compte, avec la mise en lumière du rôle des vasières et des roselières notamment. Il souligne aussi les répercussions du recreusement du chenal de navigation et des dragages consécutifs : « le bouchon vaseux a doublé en dimension et en poids de matériaux contenus ». Il montre l’importance dans l’écosystème estuarien des marais, des prairies de Loire, de la maîtrise de l’eau, « la maîtrise de l’herbe et de la couverture végétale est également nécessaire… ». Il plaide pour « l’urgente nécessité d’une politique d’aménagement et de gestion des zones humides » (p. 94). Il rappelle que les années 1991-92 ont été marquées par la multiplication des conflits d’opinion et d’intérêts des pêcheurs, des agriculteurs, des écologistes, des élus autour des projets de développement du Port Autonome, dans le contexte des effets des directives communautaires de protection des zones humides de l’estuaire. « Les scientifiques sont partagés, mais bon nombre appuient par orientation de leur discipline les thèses des écologistes ».
Désormais, les impératifs de protection de la nature sont placés au cœur de la réflexion
Le Comité Interministériel d’Aménagement du Territoire du 20 septembre 1994 a retenu le principe de la mise en œuvre d’un Programme Concerté d’Aménagement, de Développement et de Protection pour les trois principaux estuaires français dont celui de la Loire : l’objectif est de mettre en cohérence les actions publiques dans l’estuaire en conciliant les projets économiques et les impératifs de protection des zones les plus sensibles. Il doit notamment prendre en compte les orientations déjà définies dans le « Plan Loire Grandeur Nature » du 4 janvier 1994 et dans la Charte d’objectifs pour Nantes-Saint-Nazaire du 28 mars 1994. Le Plan Loire déborde le secteur estuarien puisque son action concerne l’ensemble du bassin, et porte sur les volets suivants : la sécurité des populations et des activités, la restauration des milieux aquatiques et la valorisation du patrimoine. Le GIP « Loire Estuaire » a été mis en place dans ce contexte avec comme missions des observations sur le secteur de la Maine à la mer, et des études prospectives portant sur l’estuaire ; ce GIP réunit l’État et ses établissements publics ainsi que les collectivités. Le problème, pour le GIP « Loire Estuaire », est de fixer des pondérations entre les fonctions. Le programme concerté fera l’objet, le moment venu, d’une Directive Territoriale d’Aménagement. La démarche concertée réunit les représentants de l’État et les autres partenaires au sein de l’ACEL (Association Communautaire de l’Estuaire de la Loire). Des études-diagnostics autour des enjeux environnementaux du développement dans l’estuaire sont produites, comme celle du bureau « Tétra ». De 2000 à 2002, le projet de DTA a été progressivement élaboré avec une large concertation locale et soumis à enquête publique au printemps 2004. Les thématiques retenues portent notamment sur de grands équipements structurants : l’aéroport Notre-Dame des Landes, Donges-Est, la production d’électricité, les routes, les voies ferrées, le franchissement de la Loire, la desserte multimodale (plate-forme), et aussi sur la protection de l’environnement : la trame verte, les espaces boisés péri-urbains, la pérennisation des espaces agricoles, le développement devant être « équilibré ». Comme dans les années 70, le port autonome se trouve au centre de l’action de développement, seulement le facteur environnemental est désormais un élément majeur dans l’élaboration des projets.
3. Le port autonome et la mise en œuvre du principe de développement équilibré de l’estuaire de la Loire
Le Conseil d’Administration du Port autonome décide de créer une Commission « Environnement » qui va siéger à partir de 1997 ; son mandat achevé, le Conseil d’Administration, en 2005, met en place la Commission « Aménagement des territoires et Environnement ». Une Charte environnementale du Port est adoptée en 2001. On peut lire dans le préambule « Le Port autonome doit mettre en place et appliquer une politique d’environnement volontariste plutôt que de subir au quotidien son environnement comme une contrainte ». Pour mettre en œuvre sa politique environnementale le port se réfère au principe de Management de l’environnement proposé par la norme internationale ISO 14 001. Une attention particulière est portée sur l’amélioration de la gestion des activités de dragage, des déchets de toute nature, des rejets d’effluents dans la Loire, des émissions de poussières… et aussi sur la conception de nouvelles activités et de nouveaux sites qui touchent directement à l’environnement.
4. Les contraintes environnementales réglementaires dans l’estuaire, et les enjeux de l’activité portuaire.
L’estuaire forme un espace naturel d’importance international, objet de la mise en œuvre de la politique Natura 2000 avec deux types de sites. Le site d’importance communautaire (SIC) au titre de la directive « Habitats » et la zone de protection spéciale (ZPS) de 18 700 ha, au titre de la directive « Oiseaux ». Natura 2000 joue un rôle en tant qu’outil d’aménagement du territoire et de promotion d’une utilisation durable de l’espace. Les aménageurs des années 60 et 70 n’avaient pas ce type de paramètre en tête dans leurs propositions. En 2004, le Ministère de l’Écologie et du Développement Durable, afin de se situer dans les normes européennes a demandé à ce que les sites protégés de l’estuaire soient élargis ce qui a une incidence sur les activités portuaires (fig. 2). C’est le cas avec l’intégration du chenal de navigation à l’aval de la percée du Carnet, à l’exception d’une bande de 100 m au droit des installations portuaires entre la raffinerie de Donges et le pont de Saint-Nazaire. Sur le secteur amont, l’extension du périmètre concerne la totalité du lit de la Loire sans exclusion au droit des installations portuaires. Cette disposition renforce les contraintes pour toute intervention sur les ouvrages, les berges et les souilles.
Face aux impératifs environnementaux, le port autonome a pour objectif d’assurer les fonctions suivantes.
- Maintenir et développer les activités portuaires aval (90 % du trafic du port) ce qui signifie : pouvoir accueillir de grands navires à la cote nominale de dragage de - 12,85 m, offrir de nouveaux espaces pour le développement des activités portuaires (sites de Donges-Est et Le Carnet), rester dans une économie acceptable pour les dragages à l’aval, favoriser le développement des zones d’activités, notamment des zones logistiques en connexion avec les activités portuaires.
- Maintenir le niveau d’activité pour les activités portuaires amont : permettre le passage des navires jusqu’à Nantes ainsi que leur évitage devant Trentemoult, ceci au moins autour de la pleine mer, tenir compte de l’évolution de la taille des navires accueillis à Nantes à long terme mais ne pas descendre en dessous d’un tirant d’eau maximal admissible de 7,50 m pour 98 % des marées et un tirant d’air de 40 m aux plus basses mer, garantir le quasi auto-entretien de la cote du chenal entre Paimboeuf et Nantes pour le tirant d’eau retenu.
Le projet d’aménagement de Donges-Est, un exemple du mariage délicat entre développement et souci environnemental.
Ce souci environnemental n’apparaissait pas dans le SDAM des années 70. L’idée majeure était alors la création d’usines induisant des emplois, c’est ce qui était mis en avant plus que l’activité portuaire elle-même. Les emplois industriels ne sont pas venus mais le port est une réalité économique qui génère environ 24 000 emplois et 1,7 milliards d’euros de valeur ajoutée dans les régions de l’ouest de la France. Le développement des trafics entraîne progressivement la saturation des sites existants, d’autant que les exigences environnementales portent aussi sur la traçabilité des produits, le besoin de transport dans le respect des objectifs liés à la sécurité, à la réduction des nuisances. Cette politique vise à promouvoir des alternatives performantes au transport routier notamment par le développement des potentialités du transport maritime.
Le site de Donges-Est à l’issue de la première phase présentera un terre-plein de 50 ha, et un quai de 500 m, deux postes à quai avec un tirant d’eau de 12 m pour un coût de 58 millions d’euros. Le projet, pris en considération par décision ministérielle le 1er juillet 1991 a fait l’objet d’un vaste débat. Le « Plan Loire Grandeur Nature » comporte un volet relatif à la « décision d’extension des aménagements du port autonome sur la zone de Donges-Est ainsi que sur la zone du Carnet ». En 1996, deux missions d’expertises ont été confiées par l’ACEL et par l’État respectivement à messieurs Essig et Valls, elles ont validé les perspectives de développement des sites potentiels d’extension du port sur Donges-Est.
Conformément au « Plan Loire Grandeur Nature », le Port a transféré le 26 avril 2000 la gestion de 1 617 ha au Conservatoire de l’Espace Littoral (fig. 2). La première phase du projet a fait l’objet de consultations et d’une concertation sur les mesures compensatoires à l’extension portuaire : réserves conventionnelles entre l’État et le Port (1 350 ha au sud du Banc de Bilho + 180 ha en aval de Donges-Est), reconstitution de 26 ha de vasières en amont de Donges-Est, réalisation de mares dans la partie centrale du remblai, gestion du pâturage à l’amont de Donges-Est pour favoriser l’extension de la roselière (22 ha).
Ainsi, comme l’écrivait André Vigarié à propos du SDAM de 1970 « les recommandations contenues dans le schéma directeur sont souvent issues de compromis ; aussi n’est-il pas surprenant qu’elle ne coïncident pas toujours parfaitement avec les intérêts immédiats de tous ». à l’époque il était envisagé dans le SDAM le transfert de l’aérodrome de Montoir « une opération dont on a montré le caractère nécessaire à cause de la possibilité d’avoir une darse valorisant l’intégralité des terrains disponibles… L’abandon de la darse est une renonciation volontaire à quelques 8 000 emplois dans des industries d’entraînement, ce qui signifie beaucoup plus du point de vue de l’organisation de l’espace ». André Vigarié avait peut-être en tête les réalisations anversoise, rotterdamoise, brémoise, hambourgeoise, havraise ou fossienne qui, à l’époque se traduisaient par de grandes darses, des bassins creusés dans les alluvions estuariennes ou deltaïques pour des usines les pieds dans l’eau et des espaces de stockage. C’était une époque où les aménageurs dans les pays du Bénélux n’hésitaient pas à rayer de la carte des villages entiers dans les riches terres de polder pour le développement industrialo-portuaire. Dans l’ouest de la France, l’objectif majeur en 1970, était de réussir à construire une métropole, et le port, du fait des inductions industrielles, était au centre du dispositif. Seulement la conjoncture a changé dès les années 80 on assiste à l’arrêt du développement des ZIP de 1ère et de 2ème générations, les chocs pétroliers des années 70 font disparaître l’espoir de créer un complexe pétrochimique de plein exercice en Basse Loire, les objectifs de la DATAR changent avec la remise en question de la politique de planification économique, alors que le chômage devient un problème prioritaire. On lance la politique des pôles de conversion, la grande politique d’aménagement du territoire est oubliée et l’écologie devient un élément de l’aménagement. Comme il a été souligné, les objectifs se sont modifiés et le développement durable dans des territoires naturels à protéger doit désormais intégrer de nouveaux paramètre.
Conclusion
André Vigarié co-artisan du SDAM de 1970 comme géographe du groupe d’experts, a su intégrer dans ses réflexions, au fil des décennies, les exigences environnementales qui n’étaient pas très présentes dans les réflexions des aménageurs au départ. Il était conscient de la part d’adaptabilité du schéma d’aménagement. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Les grosses usines têtes de cycle n’ont pas été installées à Montoir. En revanche, un bel outil portuaire a été créé qui, entre Liverpool au nord et Bilbao au sud, anime la façade atlantique européenne et l’ouest français. Même en incluant le projet Donges-Est, la période des grands travaux autour du chenal paraît achevée. Mais l’ouverture maritime reste l’atout premier de la région. Il s’agit d’éclairer l’opinion publique à propos du port sur le plan de la bonne compréhension des problèmes actuels dans leur environnement contemporain. Ainsi les autoroutes de la mer comme l’autoroute transgascogne qui vise à décongestionner le réseau autoroutier de l’ouest français s’inscrivent à la fois dans une perspective de développement durable et d’animation portuaire source d’emplois et de valeur ajoutée pour la région.
Le discours scientifique d’André Vigarié a évolué, le binôme géographie-aménagement s’inscrit, dans ses publications plus récentes, dans le triptyque géographie-aménagement-environne-ment. Au départ, jusqu’en 1970, la problématique est celle du couple infrastructure/développement régional, celle des relations entre industries et territoires dans un contexte de métropolisation. Avec le temps, la prise de conscience de la dimension environnementale des problèmes change la façon de concevoir l’aménagement. Le développement portuaire se trouve de plus en plus intégré à des systèmes où l’aspect organisationnel (gestion des flux) et réglementaire (sécurité, normes environnementales) joue un rôle fondamental. André Vigarié, à travers ses écrits a toujours montré le rôle moteur du port dans l’aménagement régional, rôle dans la logique de la maritimisation du monde, une tendance lourde de la fin du XIXe et du début du XXe.