Le marais de Goulaine et sa bordure bocagère

Héritages et évolutions contemporaines

Abstract

Cet article propose une synthèse de la trajectoire paysagère et spatiale du marais de Goulaine, zone humide de 1 200 hectares en rive gauche de la Loire, depuis le début du XIXe siècle. Le développement rend compte d’un travail exploratoire mené sur l’évolution de la bordure bocagère qui ceinture le marais. La connaissance de cet espace tampon entre le marais, les versants et le val nantais, exploités de manière intensive (viticulture, maraîchage) paraît aujourd’hui stratégique pour garantir la sauvegarde écologique de la zone humide mais aussi permettre sa gestion durable. La synthèse proposée ouvre des perspectives de recherche-action.

Index

Mots-clés

zone humide, aménagement, paysage, occupation du sol, Ouest de la France

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Text

Moins connu et moins étendu que le lac de Grand-Lieu et la Brière, le marais de Goulaine (Loire-Atlantique) est une zone humide importante en rive gauche de la Loire, en lisière sud-est de l’agglomération nantaise (fig. 1). Cette zone humide de 1 200 hectares, s’intègre dans un espace dominé par une agriculture intensive et marqué par les vagues de périurbanisation successives depuis une trentaine d’années. Un étroit bocage relique fait office de zone tampon entre les versants viticoles, les exploitations maraîchères et le marais. Celui-ci se trouve aujourd’hui aux portes du territoire métropolitain nantais, du fait de son extension. Après avoir suscité l’intérêt des sociétés savantes (intérêt botanique, site archéologique des Cléons, château de Goulaine) à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, ce marais est resté peu étudié1 jusqu’au retour des préoccupations environnementales dont il a fait l’objet à partir des années 1970 (site inscrit). Les inventaires naturalistes effectués dans une optique de renforcement de la protection de la zone humide (Marion, 1981) et les projets de valorisation touristique se sont multipliés par la suite sans pour autant contrecarrer le processus de marginalisation du marais lié à la déprise et à la mutation des orientations et systèmes d’exploitation agricoles l’entourant. Dans les années 1990, le marais a poursuivi sa fermeture (boisement) et sa dégradation écologique (Duperron, Kerrien, 1999) du fait, notamment, des pratiques agricoles intensives. Suite à la crue de 1982, un Syndicat mixte à vocation Multiple « Loire et Goulaine » est créé pour résoudre la difficile question de l’hydraulique, le gérer et valoriser le marais d’un point de vue touristique. L’année 1996 fut un tournant important dans l’histoire de la gestion de la zone humide puisque le marais de Goulaine a été à cette époque retenu comme site pilote dans le cadre de la mise en place du réseau Natura 2000.

Figure 1 : Le marais de Goulaine : physiographie, hydrologie et paysages.

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Dix années après le lancement de la concertation préalable à ce projet de gestion environnementale, cet article revient d’une manière synthétique sur la trajectoire paysagère du marais et de sa bordure bocagère. Cet article fait état d’une recherche exploratoire (Barraud, Chadenas, 2006) qui pourrait permettre de développer des études appliquées en collaboration avec les gestionnaires du marais de Goulaine. Les perspectives de recherches ouvertes dans cette contribution concernent :

  1. l’analyse à grande échelle des dynamiques spatiales et paysagères de la bordure bocagère du marais ;
  2. l’évolution des représentations sociales du marais à travers l’étude des projets émergents de mise en valeur de la zone humide à des fins de développement touristique, d’amélioration des cadres de vie et de construction des identités territoriales (communes, syndicat de pays, espace métropolitain).

La première partie de l’article rappelle les caractéristiques biogéographiques du marais ; puis la deuxième partie fait état de l’évolution de la bordure bocagère et de ses relations avec le marais depuis le début du XIXe siècle. Enfin, la troisième partie propose une discussion sur les enjeux émergents de mise en tourisme et d’intégration territoriale du marais de Goulaine.

1. Le marais, présentation biogéographique

Un aperçu topographique montre l’originalité première du marais : sa structure en deux bassins. La carte physiographique (fig. 1) met en évidence la zone basse formée par le marais. Elle révèle la liaison hydrologique qui existe entre la Loire et le marais de Goulaine. Celui-ci occupe une cuvette d’origine tectonique qui s’est comblée rapidement au cours des derniers millénaires par des alluvions. Cette cuvette est subdivisée en deux petites dépressions, issues de l’érosion tandis que les élévations autour du marais sont la trace des roches dures qui ont résisté. Aujourd’hui, les deux cuvettes des marais sont à seulement 2 ou 3 mètres d’altitude alors que la « Butte de la roche » atteint 47 mètres. Elles sont le réceptacle d’un bassin versant de près de 18 000 hectares (fig. 1).

Les zones les plus basses, c’est-à-dire celles sur lesquelles les pressions maraîchères s’exercent aujourd’hui le plus, sont notamment constituées par le « Val ». La connexion entre le Val et le Marais de Goulaine est bien nette. Elle s’est concrétisée, par exemple, lors de la grande inondation de 1910 au cours de laquelle l’eau a suivi les zones basses et est arrivée jusqu’au bourg de la Chapelle-Heulin. Inversement, la carte physiographique et celle des bassins versants (fig. 1) permet également de se représenter facilement le cheminement que suivent les pollutions éventuelles venant des versants. En effet, le marais en est le réceptacle, avant le passage des eaux en Loire. Le marais est drainé par, la Goulaine, petite rivière canalisée (fig. 2), et ses affluents.

Figure 2 : Schéma d’évolution historique de l’occupation du sol dans et autour du marais de Goulaine

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Du fait de cette configuration très spécifique, le marais de Goulaine est constitué d’une mosaïque de milieux, répartis en trois sous-ensembles, depuis le cœur du marais jusqu’à sa périphérie (Liorzou, 1996).

La roselière et les prairies inondables

Les roseaux (appelé localement « rouche ») sont composés par des phragmites, de la glycérie et de la baldingère. La roselière est très peu diversifiée en espèces car peu d’entre-elles sont capables de supporter alternativement l’assèchement estival que subit le marais, puis la longue inondation de novembre jusqu’à mai. Jusqu’au début du XXe siècle, ces roselières étaient d’une grande utilité pour l’exploitation agricole, puisqu’elles servaient de litière et de fourrage pour le bétail. Leur fauche permettait d’entretenir le milieu en empêchant sa fermeture. Ce manque d’entretien provoque un développement de la matière première entraînant notamment des modifications du milieu aquatique.

La saulaie

À la Révolution, ce territoire est devenu la propriété des communes grâce à l’abolition des droits seigneuriaux. Au début du XIXe, il a été partagé et vendu aux paysans en petites parcelles. Pour délimiter leur terrain, les paysans plantèrent des saules qui étaient émondés chaque année. Aujourd’hui, on compte environ 1 300 propriétaires pour 1 200 hectares… Après la Seconde Guerre mondiale, la disparition de la polyculture et du bétail dans le vignoble ainsi que le faible intérêt économique du marais ont accru le nombre de parcelles abandonnées. Consécutivement, l’entretien des saules a disparu et leur croissance anarchique entrave la circulation de l’eau dans le marais. Pour conserver un bon équilibre et préserver la diversité de ce milieu, le document d’objectifs Natura 2000 préconise de limiter la croissance de la saulaie.

Le bocage périphérique

L’inscription du marais de Goulaine en 1970 à l’inventaire supplémentaire des sites a en fait, reconnu l’intérêt de deux entités paysagères emboîtées : le marais (prairies inondables d’environ 1 200 ha) et une zone tampon hétérogène dans ses dimensions et dans son apparence, qualifiée dans les documents d’étude de « bocage périphérique ». Les relevés scientifiques élaborés dans le cadre de la préparation du document d’objectifs Natura 2000, ont révélé l’intérêt écologique de cette bordure irrégulière dont la diversité biologique apparaît supérieure à celle de la zone humide. Les bois, friches et prairies constituent l’essentiel de cette lisière. Toutefois, il s’agit d’un espace marqué par des changements d’occupation du sol et de modes d’exploitation de la terre très importants depuis le milieu du XIXe siècle. Les pressions contemporaines, à savoir, l’urbanisation et le développement du maraîchage ont été identifiées lors du lancement de la procédure de classement du marais en 2001 (tracé du site classé sur la fig. 3). Le classement des éléments les plus remarquables de la bordure sur le plan architectural et paysager (Château de Goulaine, l’Écalane, l’île Verdon, etc.) a partiellement renforcé la protection du bocage périphérique. Mais le maintien des prairies permanentes demeure avant tout dépendant de l’évolution des activités agricoles2. C’est en effet l’espace qui évolue le plus rapidement, du point de vue de la flore (voir photos de la fig 1). Le document d’objectifs a ainsi relevé de nombreux impacts sur les habitats naturels du fait du développement de la friche. Par exemple, l’emboisement menace directement un des habitats d’espèces d’intérêt communautaire : la prairie à Succise des prés qui assure l’espace privilégié pour la reproduction des populations de Damier de la Succise (Duperron, Kerrien, 1999). Dans le même ordre d’idées, les mares bocagères ne sont plus entretenues, ce qui est préjudiciable à la population de Triton crêté.

Figure 3 : Organisation des unités paysagères du bassin versant du marais de Goulaine.

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L’ensemble formé par la saulaie et le bocage périphérique du marais de Goulaine constitue un véritable écotone « espace de contact entre deux écosystèmes » (Simon, 2007). C’est un espace très riche du fait des échanges entre ces différents milieux. Dès lors, comprendre ce mécanisme naturel est primordial pour assurer la « bonne » conservation écologique de l’ensemble du marais, objectif affiché du document d’objectifs Natura 2000. Cette diversité biologique est le fait de l’entretien des milieux par l’homme. L’abandon de certaines pratiques agricoles entraînent l’enfrichement, puis à long terme le boisement, préjudiciable au maintien de la diversité et propice à une banalisation des milieux. L’entretien des haies, des prairies, des mares bocagères faisaient partie des propositions émises dans le Document d’Objectifs. La multiplication des propriétaires privés, l’abandon de l’agriculture, le morcellement parcellaire et la complexité du montage des dossiers pour la contractualisation (mesures agro-environnementales) expliquent l’évolution de la périphérie du marais de Goulaine vers une friche arbustive et arborée, intéressante, certes, sur le plan écologique, mais moins diversifiée.

2. Deux entités paysagères solidaires, marais et bordure bocagère

Héritages et processus de transformation (fig. 2)

Le cadastre Napoléonien (1807-1830) et à plus petite échelle l’Atlas cantonal de Pinson et Tollenare (1/40 000e) permettent d’engager la reconstitution diachronique de l’organisation spatiale et des paysages de la bordure du marais de Goulaine. La comparaison de cet état avec les cartes topographiques au 1/25 000e (1964, 1976, 2000), les photographies aériennes (IGN, 2004) et les mises à jour cadastrales permet d’avancer dans cette voie. Ce travail d’analyse géohistorique n’est pas encore achevé mais les héritages les plus nets et rémanents ainsi que les mutations les plus évidentes peuvent êtres présentés ici. Ce qui frappe à la vue des feuilles de l’Atlas de Tollenare dépasse la stricte analyse de la bordure. Il s’agit de l’ancienne continuité des marais riverains de la Loire, soit l’espace aujourd’hui appelé « val nantais », avec les marais de Goulaine déconnectés du fleuve depuis la mise en place de la levée de la Divatte (1846-1856). Parmi cet ensemble, le marais de Goulaine bien qu’aménagé, fait figure d’entité préservée puisque les marais de Basse-Goulaine et ceux du Chêne (actuel plan d’eau et camping de Saint-Julien de Concelles) ont été asséchés d’une manière plus drastique et en partie urbanisés. Le Val Nantais a accueilli le développement du maraîchage suite à l’extension de l’urbanisation au sud de l’agglomération nantaise après la Seconde Guerre mondiale, sur les communes de la Chapelle-Basse-Mer et de Saint-Julien de-Concelles. D’autre part, on remarque sur ces plans anciens la très petite part faite à l’espace boisé dans la bordure bocagère et la présence de parcelles de vigne au contact de la zone humide.

Les lambeaux de prairies encloses de la bordure du marais et les pentes de petits tertres occupées par la vigne sont des héritages du système de polyculture qui dominait dans cette partie de la Loire-Inférieure au XIXe siècle (altitude, 5 à 20 mètres). L’association vigne-polyculture-élevage s’est maintenue assez durablement, jusqu’aux années 1960 (fig. 2), en favorisant les solidarités entre le marais (pâturage -fauchage), le bocage de bordure et de fond de vallée (affluents du marais) et les versants viticoles. La densité relativement élevée des implantations humaines relevée sur l’Atlas de Tollenare est représentative d’un « monde plein » et de l’intensité de l’exploitation agricole. Les petits tertres qui dominent le marais de quelques mètres étaient pour la plupart occupés par des borderies au parcellaire morcelé et partagé en fines lanières comme autour du hameau de la Gagnerie à la Chapelle-Heulin (micropropriété)3. On retrouve également des métairies plus importantes en bord de marais présentant un parcellaire plus aéré et quelques domaines liés à des châteaux ou à des maisons bourgeoises (implantations modernes et contemporaines pour la plupart : La Malonière, Guérande, Le Poyet par exemple). Comme les prairies inondables, certaines parcelles de la bordure bocagère sont découpées en parcelles longues de plusieurs centaines de mètres et larges de quelques pas seulement. Dans certaines zones le morcellement foncier résulte aussi des partages successifs liés aux transmissions par héritage.

Ce découpage et le réseau de « grands chemins » desservant le bocage est une conséquence tardive du changement de statut du marais suite à l’abolition des droits seigneuriaux (Maillard, 2003)4. Les travaux hydrauliques réalisés alors ont permis le développement d’un trafic fluvial de faible ampleur, mais suffisant pour dynamiser les petits ports communaux aménagés à l’extrémité des douves principales.

La mise en valeur de la bordure du marais, en bas de versant, contraste fortement jusqu’à la seconde partie du XIXe siècle avec les landes « incultes » qui s’étendent sur les plateaux5. Ces derniers ne sont que progressivement exploités en libérant ainsi de l’espace pour la vigne, les prairies artificielles et quelques cultures (Schirmer, 2001). Le four à chaux du Montru mis en service en 1825 (La Chapelle-Heulin) est accessible depuis un petit port. Il témoigne de l’entreprise de défrichement et de mise en valeur des landes (amendement des terres) en même temps qu’il rappelle l’utilisation du canal principal du marais pour le commerce fluvial (chaux, vin, sable, etc.). Cette vocation du marais s’éteint suite à la construction de la levée de la Divatte et l’installation des « portes » hydrauliques de Basse-Goulaine, d’Embreil et du Pont de l’Ouen. À partir des années 1960, le marais est marginalisé, au profit de sa bordure et du val.

Un espace sensible sous pression

Les évolutions les plus frappantes de ce territoire ont lieu depuis les années 1990. L’identité périurbaine et la progression des surfaces urbanisées s’affirment de plus en plus, notamment autour de Haute-Goulaine et de Vallet. Le visage du bassin versant a changé. Outre l’accroissement des surfaces viticoles (+ 13 % pour les cantons de Vallet, Vertou/vignoble et Le Loroux-Bottereau soit 902 hectares), on notera l’important recul des prairies permanentes (- 1 886 hectares en tout) et la multiplication par six des surfaces en maïs grain, ainsi que l’extension du maïs fourrage (+ 50 % sur l’ensemble des cantons), et ce malgré la forte baisse du nombre d’exploitations d’élevage et donc du nombre de bovins à nourrir (le cheptel vif a perdu 2 133 têtes de bétail entre les recensements de 1988 et 2001). Le maraîchage, assez marginal sur le plan des surfaces occupées, n’en n’est pas moins en nette progression. Celle-ci se fait en tâche d’huile autour de chaque îlot originel, sur des surfaces sensibles écologiquement, en bordure du marais et du site classé ou même sur des pentes fortes (Moulin du Pé).

Progressivement, le déclin des systèmes agricoles fondés sur l’association polyculture-vigne et élevage a laissé place à la monoculture de la vigne et au maraîchage. Aujourd’hui, la bordure bocagère continue à enregistrer les mutations socio-économiques micro-régionales engagées depuis une trentaine d’années. La périurbanisation a d’abord fait « déborder » les bourgs sur les plateaux, mais elle tend aujourd’hui à gonfler les villages de la bordure. Le maraîchage est contraint dans son extension spatiale faute de terres adéquates mais évolue de plus en plus nettement du plein-champ à la culture hors-sol sous serres, accentuant la pression sur la gestion quantitative et qualitative de la ressource en eau. En termes de surfaces, E. Joyeux (2004) estime que pour une surface du Val nantais de 3 725 ha (en incluant dans le calcul, le marais de Goulaine, la commune de Basse-Goulaine et le lit mineur de la Loire), 20 % des surfaces étaient cultivées en 1850, 31 % en 1960, 43 % en 1981, pour atteindre 46 % en 1999. En plus d’un siècle, de 1850 à 1960, les surfaces cultivées se sont multipliées par 1,5, passant de 745 ha à 1 150 ha. En vingt années seulement, de 1960 à 1981, les surfaces agricoles ont été multipliées par 1,4, gagnant 450 ha, pour atteindre un total de 1 600 ha depuis La Chapelle-Basse-Mer jusqu’à Basse-Goulaine (Jousseaume et al., 2005). Ces chiffres montrent la conquête des terres cultivées au détriment des prairies humides.

Depuis l’extérieur du marais, le poids économique des cultures spécialisées du Val Nantais influe également sur la gestion hydraulique du marais en période de crue. En 1990, des investissements lourds ont été pris en charges par le Syndicat Loire et Goulaine pour l’installation de pompes destinées à évacuer plus rapidement l’eau du Val Nantais vers la Loire. Cet équipement vise à préserver les exploitations maraîchères, mais le Val comprend également des sections urbanisées vulnérables, particulièrement à Saint-Julien-de-Concelles (Jousseaume et al., 2005) et à Basse-Goulaine. Enfin la déprise de l’élevage entraîne un boisement du bocage et d’une manière secondaire la requalification de certaines prairies en terrain d’agrément (chevaux).

Les premiers efforts de restauration et de gestion

La gestion écologique du marais et de sa bordure a été engagée depuis la validation du document d’objectifs Natura 2000 en 1999. Les opérations pilotées par le SIVOM Loire et Goulaine sont avant tout des actions d’entretien courant et de restauration du réseau hydraulique. Parallèlement à ces travaux, la gestion hydraulique du marais, et plus précisément la mise en place d’un calendrier de gestion des niveaux de l’eau est l’enjeu crucial qui doit conduire à solidariser les différents usagers concernés (agriculteurs, maraîchers, pêcheurs, chasseurs, etc). La volonté de maintenir un paysage ouvert au cœur de la zone humide et des prairies bocagères s’est traduite par des travaux forestiers de limitation de la saulaie et de débroussaillage des parcelles en cours de boisement en bordure. La lutte contre la fermeture du bocage périphérique vise en particulier la préservation des habitats naturels, des prairies accueillant le Damier de la Succise ou les mares à Triton crêté. Le morcellement foncier complexifie et ralentit la mise en œuvre de ces actions. Par ailleurs, si l’entretien des parcelles de marais intéresse encore les agriculteurs, notamment lors des années où ils doivent faire face à une pénurie de foin, l’entretien de petites parcelles de prairies isolées dans la bordure est plus difficile à garantir. Le syndicat intervient avec les agriculteurs encore en activité par le biais des mesures agroenvironnementales. Parmi les mesures du cahier des charges établi figure l’entretien des prairies par fauche annuelle ou pâturage, l’interdiction éventuelle de produits phyto-sanitaires. Ces aides garantissent la protection des milieux tout en rétribuant l’agriculteur sur des zones où la pratique agricole est difficile avec des rendements faibles.

3. Discussion - mise en tourisme et intégration territoriale : projets et enjeux émergents

De manière complémentaire à la gestion écologique de la zone humide et de sa marge bocagère, c’est le mode de développement touristique du marais qui est mis en débat (fig. 3). Dans les années 1970, un projet de base de loisirs implantée sur les rives du plan d’eau central du Pont de l’Ouen avait suscité de vives protestations entraînant son rejet par l’administration de l’environnement et la population locale (constitution d’une association de défense des marais, Pergeline, 1988). Depuis, les communes riveraines ont mené des actions légères de mise en valeur et de communication où le marais est davantage mobilisé dans la construction des identités territoriales que dans une volonté de réel développement touristique. Toutefois, dans les années 1980, le Syndicat Intercommunal de Découverte et d’Étude des Marais de Goulaine (SIDEMG) a été créé avec pour activité principale le développement de balades en barques (location) depuis les petits ports communaux (Millau, le Montru, l’Anglessort), complétant les actions de développement touristique pilotées par le Syndicat Loire et Goulaine. L’objectif principal de cette location de barques est de canaliser l’usage des bateaux sur le plan d’eau. La promotion de ce réseau est restée modérée en raison de contraintes écologiques (nidification notamment) et des risques de conflits avec les usages en place (chasse au gibier d’eau, pêche)6. Le SIDEMG a poursuivi ses actions d’aide à la découverte du marais durant les dernières années en diffusant une notice de présentation historique du marais et des sites d’intérêt patrimoniaux qui ponctuent sa bordure. Cette structure a aussi régulièrement accompagné des projets d’études naturalistes, historiques ou géographiques (BTS Gestion et Protection de la Nature de Briacé, Université de Nantes).

Le site central de la Butte de la Roche et du Pont de l’Ouen (plan d’eau et point de vue), avec celui du château de Goulaine7 sont les plus visités. La fête annuelle du Pont de l’Ouen organisé par le comité des fêtes de Haute-Goulaine, les sentiers pédestres et surtout la pêche de loisir8 participent à l’animation du Pont-de-l’Ouen. Ce site s’est enrichi d’un centre d’interprétation du marais en 2007, en projet depuis une dizaine d’années. En rive gauche du plan d’eau, « la maison bleue » (fig. 3) accueille désormais le Syndicat Loire et Goulaine qui y développe ses différentes activités : gestion du site Natura 2000, animation pédagogique, tourisme de nature. Les communes riveraines se sont investies de manière inégale, dans la mise en valeur touristique et dans l’intégration identitaire de leur part de marais à travers des journées de découvertes, des expositions photographiques et des projets de développement plus poussés. Quelques petits ports ont été réaménagés tel celui du Millau au Landreau. À l’image du « circuit du marais » de Haute-Goulaine, ces chemins empruntent uniquement des parcelles de la bordure bocagère sans jamais véritablement pénétrer dans la zone humide, car il est très difficile, pour les élus d’obtenir l’autorisation des propriétaires.

À l’amont de la zone humide, un autre projet de mise en valeur initialement porté par la commune de la Chapelle-Heulin et le SIDEMG était fondé sur la création d’un marais pédagogique. Une parcelle de 6 hectares, au contact de la bordure boisée (le Mortier, le Bois de l’Île) et alimentée par un réseau de canaux secondaires9 devait être aménagée (sentier botanique, observatoire ornithologique, roselière de lagunage). Cette action aurait dû être couplée avec la valorisation du port et du four à chaux du Montru. La création d’un Centre Permanent d’Initiation à l’Environnement avait même été évoquée lors de l’élaboration du document d’objectifs (état des lieux). Ce projet n’a pas été réalisé mais plusieurs initiatives ont été prises pour le faire vivre : sensibilisation auprès des enseignants du sud Loire, édition d’un CD-ROM. L’Association Du Marais Pédagogique (ADMP), créée en 2002, poursuit l’action de sensibilisation sur le marais en animant chaque année dans les communes riveraines une journée de découverte de la zone humide et de ses abords. Cette association avait aussi pour objectif de relancer la concertation entre les différents usagers afin de concrétiser le projet de marais pédagogique.

Même sur sa lisière, ces projets « d’ouverture » du marais sont acceptés avec réticence. Les craintes sont liées au risque d’une fréquentation excessive pouvant générer des perturbations écologiques. Mais les réticences révèlent aussi la crispation de certains modes d’appropriation de l’espace (chasse, pêche) alors que la demande sociale d’accès au marais est en constante augmentation. Cette demande et les initiatives qui en découlent sont d’origine locale mais elles émanent également de territoires proches (agglomération nantaise et vignoble nantais). La valeur écologique du marais et sa proximité de l’agglomération nantaise suscitent l’intérêt des naturalistes (LPO, SEPNB) et des structures d’éducation et de sensibilisation à l’environnement (écopôle) qui organisent régulièrement des sorties encadrées dans les marais de Goulaine.

La préservation du marais s’accompagne également d’une intégration du marais à différents niveaux d’organisation territoriale et de gouvernance. Une première cohérence est à affiner à l’échelle locale, entre les actions communales et celle du Syndicat Loire et Goulaine, structure de référence sur le plan de la gestion hydraulique, écologique et du développement touristique du marais. La mise en œuvre du Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux de l’estuaire de la Loire10, dans lequel le marais de Goulaine est intégré via la commission géographique « Loire amont », devrait favoriser le développement de programmes de restauration (Contrat Restauration Entretien par exemple) permettant d’intervenir à l’échelle du bassin versant. Le SAGE a identifié le bassin du marais de Goulaine comme l’un des plus vulnérables aux pollutions par ruissellement et produits phytosanitaires. Il prévoit un plan de réduction de cette vulnérabilité et prescrit plus largement la mise en œuvre, dans les quatre ans suivant son approbation, d’un Schéma d’Aménagement de l’Espace.

À l’échelle micro-régionale, le Pays du Vignoble nantais pourrait être un partenaire important du Syndicat dans le cadre du SCot. Le marais de Goulaine est précisément considéré comme un espace naturel sensible majeur dans le Schéma de Cohérence Territoriale approuvé en février 200711. De fait, il reprend les préconisations du SAGE et introduit également la notion de corridor écologique.

Conclusion

La sélection du marais de Goulaine comme site pilote Natura 2000 a favorisé la redécouverte de l’héritage paysager issu des différents projets d’aménagements et d’exploitation agricole du marais, de sa bordure et des versants. La reconnaissance de sa richesse naturelle a également contribué à une meilleure valorisation du marais, à la prise en compte des pressions externes qui le menacent mais aussi internes (la déprise agricole, la déshérence du réseau hydraulique et le boisement) qui se combinent et contribuent à la redéfinition du mode d’intégration territoriale de la zone humide au sein du bassin versant. Au-delà, de cette prise de conscience et du lancement des premières opérations de restauration, la procédure Natura 2000 a conduit les acteurs du marais de Goulaine à s’engager dans une démarche d’élaboration d’un projet de gestion intégrée à partir de 1996. Des efforts sont faits pour se démarquer des approches sectorielles (hydraulique, tourisme, pêche, chasse) mais ce processus est encore jeune et fragile. Des solidarités territoriales sont encore à développer à l’échelle de ce bassin.

Parallèlement, des démarches d’amélioration des pratiques agricoles (en particulier en viticulture) et des efforts de mise aux normes des systèmes d’assainissement (sous contrainte réglementaire) ont été lancés dans les communes riveraines du marais. Pourtant il demeure sensible aux pollutions et aux crises de botulisme (2000, 2005, 2007). De plus, la limitation de la fermeture du marais et du bocage périphérique est rendue délicate par le manque de maîtrise foncière de la collectivité publique et le morcellement de la propriété. Une stratégie d’acquisition de parcelles au titre de la politique des Espaces Naturels Sensibles départementaux se met en place progressivement en lien avec la gestion du site Natura 2000. La mise en œuvre du SCoT du « Pays du vignoble nantais », de la charte paysagère de cette même structure et enfin du SAGE de l’estuaire de la Loire apparaissent comme de nouveaux leviers pour créer des synergies entre les différentes collectivités locales et élaborer, à l’échelle du bassin versant de Goulaine, un véritable projet de valorisation de cet espace à haute valeur écologique et paysagère. La reconnaissance de cette valeur devrait, en retour, influer sur l’évolution des pratiques agricoles et des modes d’aménagement de l’espace à l’échelle du bassin versant.

Pour soutenir cette dynamique, de nombreuses thématiques de recherche-action pourraient êtres développées. La poursuite de la reconstitution, à grande échelle, des dynamiques paysagères et spatiales affectant la bordure bocagère et la réactualisation de l’état des lieux de cet espace sensible paraissent prioritaires. Ce travail pourrait être étendu aux vallées des affluents de la Goulaine. Ce premier axe de travail pourrait constituer un préalable à la mise en œuvre de mesures contractuelles de type « Contrat régional de Bassin versant » (région) ou Contrat Restauration Entretien (Agence de l’Eau). Il pourrait aussi compléter le Schéma d’Aménagement de l’Espace prévu dans le SAGE Estuaire. L’étude de l’évolution des représentations et de la demande sociale concernant le marais de Goulaine est un second axe de recherche à développer. Ce volet permettrait d’éclairer certaines dynamiques contemporaines – à évaluer avec précision -qui orientent l’évolution paysagère de la bordure bocagère, renouvellent l’image du marais et des lieux comme les petits ports (accès au marais, sites locaux emblématiques, lieux de sociabilité). Ce second chantier pourrait aussi alimenter les processus de concertation en cours.

Les auteurs remercient chaleureusement Sylviane KERRIEN, chargée de mission au Syndicat Loire et Goulaine, pour la transmission de nombreuses informations sur le marais de Goulaine et sa participation active à la relecture et à la correction de cet article.

1 À l’exception de la contribution d’André Guilcher (1946) en géomorphologie sur la formation des marais.

2 L’habitat naturel d’intérêt communautaire principalement préservé de cette bordure bocagère dans le cadre de la mise en œuvre du document d’

3 Ces petites borderies de tertre sont aussi présentes dans le Val Nantais à la même époque (Jousseaume, Croix, Mercier, 2003 ; Jousseaume, Landrein

4 Un syndicat de propriétaires a pris la charge de l’entretien du marais à partir de 1830.

5 La situation varie selon les communes (répartition des terres entre plateaux/versants/marais). Ainsi en 1843, la Chapelle-Heulin ne compte plus que

6 Entre 1995 et 1998, environ 160 barques étaient louées chaque année, et la fréquentation maximale du marais liée à la promenade en barque était

7 Le château de Goulaine accueille 15 000 visiteurs par an en moyenne.

8 La gestion halieutique du plan d’eau est assurée par la puissante association de pêche, « la Gaule nantaise ».

9 Un aménagement hydraulique léger avait été envisagé pour rendre fonctionnel l’habitat « marais calcaire ».

10 Validé par la Commission Locale de l’Eau en 2007, actuellement en phase d’approbation définitive.

11 Le marais de Goulaine est également compris dans le périmètre de la DTA « Estuaire de la Loire » et la partie avale de la Goulaine (Basse-Goulaine)

Bibliography

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Notes

1 À l’exception de la contribution d’André Guilcher (1946) en géomorphologie sur la formation des marais.

2 L’habitat naturel d’intérêt communautaire principalement préservé de cette bordure bocagère dans le cadre de la mise en œuvre du document d’objectifs Natura 2000 est la prairie maigre de fauche (Duperron, Kerrien, 1999).

3 Ces petites borderies de tertre sont aussi présentes dans le Val Nantais à la même époque (Jousseaume, Croix, Mercier, 2003 ; Jousseaume, Landrein, Mercier, 2004).

4 Un syndicat de propriétaires a pris la charge de l’entretien du marais à partir de 1830.

5 La situation varie selon les communes (répartition des terres entre plateaux/versants/marais). Ainsi en 1843, la Chapelle-Heulin ne compte plus que 2 hectares de terres incultes (les 70 ha de marais ne sont pas inclus dans ce poste), tandis que le Loroux-Bottereau vers 1830 comptait encore 534 hectares de « landes infertiles » (Ogée, 1843).

6 Entre 1995 et 1998, environ 160 barques étaient louées chaque année, et la fréquentation maximale du marais liée à la promenade en barque était évaluée à un maximum de 200 personnes pour le mois le plus prisé (Document d’Objectifs, 1999).

7 Le château de Goulaine accueille 15 000 visiteurs par an en moyenne.

8 La gestion halieutique du plan d’eau est assurée par la puissante association de pêche, « la Gaule nantaise ».

9 Un aménagement hydraulique léger avait été envisagé pour rendre fonctionnel l’habitat « marais calcaire ».

10 Validé par la Commission Locale de l’Eau en 2007, actuellement en phase d’approbation définitive.

11 Le marais de Goulaine est également compris dans le périmètre de la DTA « Estuaire de la Loire » et la partie avale de la Goulaine (Basse-Goulaine) se trouve dans le périmètre du SCoT « Nantes – Saint-Nazaire ».

Illustrations

Figure 1 : Le marais de Goulaine : physiographie, hydrologie et paysages.

Figure 1 : Le marais de Goulaine : physiographie, hydrologie et paysages.

Figure 2 : Schéma d’évolution historique de l’occupation du sol dans et autour du marais de Goulaine

Figure 2 : Schéma d’évolution historique de l’occupation du sol dans et autour du marais de Goulaine

Figure 3 : Organisation des unités paysagères du bassin versant du marais de Goulaine.

Figure 3 : Organisation des unités paysagères du bassin versant du marais de Goulaine.

References

Electronic reference

Régis Barraud and Céline CHADENAS, « Le marais de Goulaine et sa bordure bocagère », Cahiers Nantais [Online], 2 | 2008, Online since 25 January 2021, connection on 04 November 2024. URL : http://cahiers-nantais.fr/index.php?id=652

Authors

Régis Barraud

Géographe, Université de Nantes, Géolittomer LETG UMR 6554 CNRS

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Céline CHADENAS

Géographe, Université de Nantes, Géolittomer LETG UMR 6554 CNRS

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