La répartition des cultures dans la zone inondable de la Loire entre Saumur et St Florent le Vieil

Résumé

La répartition des cultures à l’intérieur d’une zone inondable s’explique par un certain nombre de contraintes. Certaines sont d’origine naturelle, comme les crues, alors que d’autres sont d’origine anthropique, comme les prix du marché ou les mesures réglementaires de protection des zones humides. En se basant sur une approche cartographique et statistique, cet article va détailler les facteurs les plus susceptibles d’expliquer la répartition des cultures dans le lit majeur de la Loire, entre Saumur et Saint-Florent-le-Vieil dans le département du Maine-et-Loire. Nous proposerons ensuite une méthode permettant de chiffrer l’influence des facteurs physiques et anthropiques sur les cultures par le biais de traitements statistiques.

Index

Mots-clés

zone humide, occupation du sol, SIG, Val de Loire

Plan

Texte

Introduction

À l’intérieur du Maine-et-Loire, le lit majeur de la Loire1 occupe plus de 400 km2 et constitue la plus grande zone inondable du département. Les spécificités de l’agriculture de la vallée de la Loire ont participé à y construire un riche patrimoine écologique et paysager. L’occupation agricole du sol (ODS) y dépend d’un certain nombre de contraintes physiques (nature des sols, topographie, crues…) et anthropiques (aménagements, règlementations…) qui varient beaucoup entre le Val d’Authion, de Saumur aux Ponts-de-Cé, et la Loire armoricaine, des Ponts-de-Cé à Saint-Florent-le-Vieil (fig. 1). La répartition des cultures est hétérogène dans la zone inondable.

Figure 1 – Le lit majeur de la Loire, principaux aménagements et limites communales

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Dans cet article, nous allons brosser un tableau des spécificités du lit majeur de la Loire dans le domaine de l’agriculture et du cadre physique. Ces spécificités permettent d’expliquer la répartition des cultures dans le fond de vallée. Nous proposerons ensuite une méthode permettant de quantifier l’influence des contraintes physiques et sociétales sur les cultures par le biais d’outils SIG et de traitements statistiques.

1. Présentation de la zone d’étude

Le paysage rural de la vallée de la Loire est le produit d’un ensemble d’influences historiques, naturelles et économiques. Sa compréhension passe par une vision globale des interactions entre facteurs physiques et humains, l’ensemble formant le géosystème (Bertrand, 2002) de la vallée de la Loire.

Les Hommes dans la vallée de la Loire

Historique de l’occupation du Val de Loire

La présence de l’homme dans la vallée de la Loire est avérée dès le Néolithique. Dès 6 600 ans avant note ère, des traces de déforestation sont visibles, notamment au niveau de Champtocé-sur-Loire (Cyprien et al, 2004). Vers le XIe siècle, l’optimum climatique médiéval favorise le développement de l’agriculture. À partir des buttes insubmersibles se développent, d’une part, l’élevage et, d’autre part, les cultures comme les vignes, les céréales ou le chanvre. Cet essor de l’agriculture contribue à augmenter le défrichement de la vallée. En parallèle, la tradition des communaux (parcelles utilisées collectivement pour faire pâturer le bétail) commence à générer un paysage de prairies, le bétail broutant les jeunes pousses et empêchant la reformation des forêts.

L’aménagement hydraulique de la vallée commence au XIIe siècle en Anjou (Dion, 1934) avec la construction de levées, dont l’objectif est de contenir les plus hautes crues de la Loire. La construction de levées de plus en plus importantes se poursuivra jusqu’au XIXe siècle où les trois grandes crues de 1846, 1856 et 1866 font apparaître clairement les problèmes liés à l’endiguement du fleuve. La réduction progressive du champ d’expansion des eaux par les levées entraîne une hausse de la vitesse du courant et de la hauteur d’eau lors des crues. À cette époque, les forêts ont presque entièrement disparu du Val de Loire, les arbres ne subsistant que par l’embocagement des zones très humides. La révolution agricole commence assez tardivement sur ces espaces (Gras, 1968) en raison de ce parcellaire bocager de petite taille et de sols saturés en eau lors des inondations (Montembault, 2002). À partir des années 1960, une série d’aménagements sur le cours de l’Authion (entre Saumur et Les Ponts-de-Cé) artificialise très fortement l’hydrosystème en régulant totalement les entrées d’eau et en permettant la poldérisation de la vallée. Ceci permet le développement de l’horticulture et du maraîchage dans le Val d’Authion, ce qui n’est pas sans accentuer les différences paysagères entre Val d’Authion et Loire armoricaine. Il faut ensuite attendre les années 90 pour que la valeur patrimoniale et écologique du système prairial et bocager soit mise en avant.

Population et agriculteurs dans le Val de Loire

Avec plus de 155 000 habitants et 20 % de la population du département en 2009, le Val de Loire est un espace densément peuplé (fig. 2). La densité de peuplement y est fonction de l’importance du risque d’inondation, la population se concentrant sur des buttes insubmersibles naturelles et derrière les levées qui offrent une protection efficace contre la plupart des crues. La part des agriculteurs dans la population active est quant à elle inférieure à ce qu’on peut retrouver dans les plateaux environnants. La population agricole a évolué de la même façon que dans le reste du département, à savoir une baisse régulière du nombre d’exploitants et en parallèle un agrandissement progressif de la taille moyenne des exploitations.

Figure 2 – Densité de population en 2009

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Un cadre règlementaire contraignant pour le monde agricole

Un ensemble de règlementations spécifiques au Val de Loire y entraînent des contraintes particulières pour la pratique de l’agriculture. Elles sont liées à la mise en avant du rôle clef que jouent les zones humides dans la préservation de la biodiversité et la nécessité d’une gestion efficace du risque d’inondation. Les grandes orientations pour la gestion de l’eau et l’entretien du milieu, à l’échelle du bassin versant, sont données par le Plan Loire grandeur Nature et par le SDAGE Loire. À une échelle plus locale, la gestion et la prévention des crues sont assurées par les plans de prévention des risques d’inondation (PPRI). Le potentiel écologique du Val de Loire est reconnu par son inscription en ZNIEFF. Le programme européen Natura 2000 participe quant à lui à la préservation du patrimoine naturel. Ces règlementations touchent de près le monde de l’agriculture, puisqu’elles financent des actions comme la revégétalisation des berges et l’entretien des prairies permanentes. Dans les zones les plus fréquemment inondées, l’utilisation d’intrants chimiques est limitée.

Contexte physique

Les Pont-de-Cé, une rupture géologique et topographique

La vallée de la Loire s’est formée au fil des siècles par une alternance entre le creusement du substrat géologique et le dépôt de sédiments par le cours d’eau. Le sol à l’intérieur du lit majeur est composé d’alluvions que la Loire a prélevées tout au long de son parcours. La vallée traverse la totalité du département d’est en ouest et coule à travers deux formations géologiques différentes, le Bassin parisien à l’est et le Massif armoricain à l’ouest. Cette frontière géologique modifie de façon importante l’apparence du lit majeur (fig. 3).

Figure 3 – Topographie du Val de Loire

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À l’est, la vallée présente un profil dissymétrique. La rive sud est bordée de falaises escarpées de craie et de tuffeau. Au nord c’est une large plaine alluviale sur un anticlinal de roches carbonatées tendres du Cénomanien fortement érodé par le fleuve. La largeur moyenne du lit majeur dans le Val d’Authion est supérieure à 6 km. Quand la Loire entre dans les roches plus dures du Massif armoricain, au niveau des Ponts de Cé, la vallée se rétrécit progressivement jusqu’à atteindre une largeur moyenne de 3 km. Les coteaux sont à présent symétriques avec des pentes régulières de part et d’autre de la Loire.

Dans la partie Est du département, la Loire présente un tracé en plan à chenal unique, la levée du Val d’Authion limitant les divagations du fleuve. Les îles sont d’assez faible superficie et sont souvent peu utilisées par l’agriculture. Lorsque la levée s’achève et que le fleuve pénètre le Massif armoricain, la Loire se divise alors en de multiples chenaux qui segmentent le fond de vallée en de nombreuses îles. Les plus vastes sont souvent reliées aux berges du fleuve par des ponts, comme l’île de Saint Florent et l’île de Chalonnes. Certaines, comme cette dernière, sont également en partie protégées par une levée.

Une zone d’inondation faiblement identifiée

Le débit moyen annuel de la Loire est de 683 m3/s à Saumur et de 849 m3/s à Montjean sur Loire. Cette différence est surtout due à la confluence de la Loire avec la Maine (Archambeau, 2005) dans laquelle se jettent les principaux cours d’eau des basses vallées angevines (la Mayenne, la Sarthe et le Loir). Ces moyennes annuelles ne traduisent pas l’irrégularité des débits de la Loire qui varient de façon importante selon les saisons (fig. 3). Durant l’étiage d’été, son débit est fréquemment inférieur à 300 m3/s et est même descendu à 59 m3/s à Montjean sur Loire en août 1949 (de Marsily, 2006). Durant les mois d’hiver et de printemps, les précipitations sont plus importantes et les débits mensuels dépassent alors souvent les 1 000 m3/s. Lors des crues, qui se produisent principalement au printemps, les débits peuvent être beaucoup plus importants, supérieur à 5 000 m3/s lors des crues d’occurrence décennale. Elles peuvent parfois être encore plus violentes, avec des débits supérieurs à 7 000 m3/s comme lors des trois crues centennales du XIXe siècle. Malgré tout, la perception du risque d’inondation par les riverains est aujourd’hui toute relative, les riverains se sentant protégés par des levées qui n’ont pas été submergées depuis des décennies (Gueydon, 2009).

La mosaïque agricole du fond de vallée

Le paysage du fond de vallée a été en grande partie construit par l’agriculture. Néanmoins, son apparence est loin d’être uniforme, du fait de contraintes naturelles et anthropiques différentes entre l’amont et l’aval des Pont-de-Cé. Nous avons vu que le contexte géologique, hydrographique et l’aménagement du lit majeur par l’homme permettent de distinguer clairement le Val d’Authion de la partie armoricaine de la Loire. Ces différences sont particulièrement visibles en termes d’occupation agricole du sol (fig. 4) et s’expliquent par des pratiques culturales radicalement différentes.

Figure 4 – Répartition des cultures dans le lit majeur

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Agriculture intensive dans le Val d’Authion

Avec près de 640 exploitations dans la production d’arbres fruitiers, de légumes, de fleurs et de semences, le Val d’Authion est l’un des principaux pôles horticoles français (Mazas, 1999). La culture de céréales, essentiellement du maïs semence, est également très présente et occupe la majeure partie des terres arables du val (fig. 5a). L’apparence générale de la vallée est celle d’un paysage plat, assez ouvert, avec de grandes parcelles aux séparations peu marquées. Les sites inondables par remontée des eaux de l’Authion étaient autrefois utilisés en prairie pour l’élevage, mais c’est une activité en déclin peu à peu remplacée par la polyculture depuis que l’Authion a été aménagé. La trame des haies est également en recul et aboutit à une banalisation progressive du paysage.

Figures 5a et 5b – Diagrammes de l’occupation du sol des différentes parties du lit majeur

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Élevage extensif en Loire armoricaine

Avec la fin de la levée du Val d’Authion et l’entrée dans le Massif armoricain, le visage de la vallée change radicalement. Les grandes prairies parsemées de frênes, de peupleraies et de chênes têtards succèdent aux serres et aux grands champs de céréales (fig. 5b). Et c’est l’élevage qui prédomine. Zone sensible aux inondations, les levées sont moins développées que dans le Val d’Authion, et la prairie prospère en raison de sa bonne tolérance à la submersion. Le bocage est nettement plus présent qu’en amont, et, s’il connaît un recul avec la mécanisation de l’agriculture dans les années 50, par la suite, l’aspect écologique est mis en avant et l’utilisation des broyeurs et des lamiers permet de faciliter l’entretien des haies (Montembault, 2004). La populiculture a connu un essor important dans les années 90 dans le cadre des contrats de plan État-Région qui cherchaient à promouvoir une « forêt paysanne ». La populiculture ne fait cependant pas l’unanimité et est aujourd’hui l’objet de critiques de la part d’un certains nombres d’écologistes (Montembault 2002).

Une rapide présentation des particularités du Val de Loire permet de constater les importantes différences entre le Val d’Authion et la Loire armoricaine, l’agriculture n’y subissant pas les mêmes influences : le risque de crue, l’artificialisation du lit et la règlementation n’y ont pas le même impact et le paysage produit par l’agriculture est donc différent. Si le Val d’Authion est le théâtre d’une agriculture intensive à l’intérieur d’un espace fortement artificialisé, par comparaison, la Loire armoricaine présente un paysage moins maîtrisé et encore soumis aux contraintes naturelles d’une zone inondable.

2. Apport des Systèmes d’Informations Géographiques à l’analyse du Val de Loire

Les cartes d’occupation du sol disponibles pour le Val de Loire et l’utilisation de SIG permettent aujourd’hui d’étudier de façon précise la répartition des cultures (Robin, 2002). Cela en fait des outils précieux pour étudier l’impact des contraintes naturelles et artificielles.

Des sources d’information multiples

La présentation du fond de vallée montre que les forçages sur l’agriculture sont multiples. Leur étude demande des méthodes différenciées selon qu’elles soient localisables dans l’espace ou non. Ainsi les crues ou les levées vont affecter uniquement certaines parties du fond de vallée, leur étude au moyen de cartographies est donc possible. À l’inverse, d’autres forçages comme la rentabilité économique ou les subventions agissent de façon diffuse dans l’ensemble du lit majeur et sont donc difficilement observables uniquement à partir de cartes. Une autre approche est alors nécessaire.

Variables spatialisables

Plusieurs campagnes de cartographie du fond de vallée, essentiellement réalisées par photo-interprétation, sont disponibles grâce au travail des collectivités territoriales. Les sources étant multiples, nous avons privilégié les travaux produits par la DIREN, le Conservatoire de la Loire, le GIP Loire estuaire et le programme Corine land Cover. En intégrant l’ensemble de ces informations dans une base de données SIG, il est possible de connaître précisément l’occupation du sol (ODS) de toute la zone inondable. Un simple découpage permet ensuite d’observer plus en détail la répartition des cultures dans des zones précises, les terres les plus inondées ou celles protégées par une levée par exemple. L’information ainsi obtenue permet d’observer à quel point une contrainte précise va affecter la répartition des cultures. Cette méthode permet d’étudier les contraintes localisées dans l’espace comme les crues et les aménagements.

Variables non spatialisables

Pour les variables plus locales ou moins visibles à partir de cartes d’occupation du sol (ODS), une autre méthode est nécessaire. La personnalité d’un exploitant, le matériel dont il dispose, sa perception des subventions ou encore la réglementation sont autant de facteurs qui influencent la répartition des cultures bien que cela n’apparaisse pas clairement sur une carte. Une consultation des acteurs de terrain, par le biais d’une enquête réalisée auprès des agriculteurs apparaît comme un bon complément d’information pour estimer l’influence de ces contraintes non spatialisables. La méthode de collecte la plus fiable reste l’entretien direct mais il pose des problèmes de temps et de coût (Blanchet, 1991). Nous avons donc privilégié l’entretien téléphonique, plus rapide et surtout bien accueilli par des agriculteurs prêts à donner 10 minutes de leur temps pour répondre inopinément à une enquête, alors qu’un entretien sur rendez-vous impose davantage de contraintes. L’utilisation d’un questionnaire ciblant des domaines précis permet de limiter les biais de l’entretien par téléphone.

Utilisation des statistiques pour quantifier les forçages sur les cultures

En appoint des données obtenues sur la répartition des cultures dans la zone inondable, un traitement statistique à été réalisé. Des coefficients de similitude, notés Cs, permettent d’évaluer à quel point la répartition des cultures est similaire entre deux entités du lit majeur, qui peuvent se recouvrir partiellement ou être totalement distinctes. L’identification dans le lit majeur de plusieurs zones s’est faite à l’aide d’un système d’information géographique, en se basant sur les forçages dominants dans des parties précises du fond de vallée. Nous avons ainsi pu chiffrer les différences dans la répartition des cultures entre les zones protégées par les levées, celles des zones les plus sujettes aux crues ou encore le périmètre Natura 2000. L’ensemble des Cs sont regroupés dans une matrice qui permet d’identifier et de quantifier facilement les différences d’ODS à l’intérieur du lit majeur en fonction de la contrainte dominante, et de caractériser les différences entre les diverses zones géographiques considérées (Gueydon, 2009).

Facteurs influents mis en évidence

L’influence sur la répartition des cultures de certaines variables a ainsi pu être étudiée en se basant sur l’occupation du sol et sur les résultats d’une enquête auprès des agriculteurs.

Les levées

En termes d’occupation du sol, les levées ont un impact très important sur le lit majeur. Elles ont permis le développement de cultures qu’il aurait été autrement impossible de mettre en place dans la vallée. La répartition des cultures est très différente entre les zones protégées (fig. 5c) et celles non protégées par les levées (fig. 5d). Aussi bien à l’est qu’à l’ouest du département on constate une forte hausse des cultures céréalières derrière les levées. Au contraire les surfaces en prairie, mais aussi les forêts, les peupleraies et le bocage y sont moins présents que dans le reste du lit majeur. L’effet protecteur des levées joue ici son rôle en « supprimant » l’impact des crues sur l’occupation des sols. Le premier constat est donc qu’on ne peut sortir d’une logique de fonctionnement en système où chaque élément est influencé par d’autres.

L’exemple de l’île de Chalonnes est typique de l’influence des levées. Située en Loire armoricaine, pays de l’élevage, toute sa partie amont est protégée par une levée (fig. 4). La conséquence est une île à deux visages, les prairies inondables à l’ouest succédant aux cultures céréalières regroupées derrière la levée à l’est.

En plus de leur effet concret sur l’importance de l’aléa inondation, les levées vont avoir un effet sur la perception du risque de crue qu’a l’agriculteur. Leur impact sur l’occupation du sol est plus palpable dans le Val d’Authion, les riverains et les agriculteurs sont rarement conscients de se situer dans une zone potentiellement inondable. Dans la Loire armoricaine au contraire, le fleuve paraît plus sauvage, moins contenu par les aménagements et, même s’ils se situent derrière une levée, les exploitants sont conscients de se situer en zone inondable.

Inondabilité

Contrairement aux grandes plaines du Val d’Authion, une partie du lit majeur ne bénéficie pas de la protection des levées et reste donc soumise à des crues fréquentes. Les sols saturés en eau et les crues de printemps font de cette partie de la vallée un environnement qui correspond plus à l’image classique d’une zone inondable. Les conditions étant peu favorables à la céréaliculture, l’élevage y a donc prospéré (fig. 5e).

Figures 5c, 5d et 5e – Diagrammes de l’occupation du sol des différentes parties du lit majeur

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Les peupleraies, qui comme les prairies tolèrent assez bien les inondations de printemps, sont elles aussi bien représentées dans les zones sujettes aux crues. Les forêts sont, quant à elles, nombreuses là où les crues sont fréquentes et de forte intensité, symptômes d’un certain abandon de la zone inondable lorsque les conditions sont peu propices à l’agriculture intensive.

La partie du fond de vallée la plus représentative de l’influence des crues est située devant la levée du Val d’Authion. La levée qui est ici parallèle au fleuve augmente artificiellement la vitesse du courant et la hauteur d’eau, les conditions sont donc particulièrement hostiles à la céréaliculture. La répartition des cultures présente ici les mêmes caractéristiques que dans les autres zones souvent inondées, mais de façon plus accentuée. Les prairies, les peupleraies et les forêts y sont encore plus présentes, alors que les céréales sont au contraire quasiment absentes. Cela montre bien comment l’agriculture s’adapte de façon presque automatique au risque de crue en fonction de son importance.

Règlementation et économie

La nécessité d’une rentabilité économique est un dénominateur commun à l’ensemble des exploitations du département. Ce qui a commencé il y a des siècles avec l’exportation du chanvre vers la ville d’Angers s’est poursuivi et amplifié jusqu’à la situation actuelle. Les cours des céréales, du lait et de la viande sont autant de facteurs qui vont avoir un effet déterminant sur les revenus de l’agriculteur.

L’exploitant favorisera donc naturellement la culture susceptible d’engendrer des bénéfices importants. Interrogés sur ce qui les a poussés à choisir une culture plutôt qu’une autre, 52 % des agriculteurs ont répondu : la rentabilité économique (fig. 6). Les cultures pratiquées vont donc en partie dépendre de la demande mondiale.

Figure 6 – Principaux motifs de culture pour certaines catégories d’agriculteurs de la zone inondable

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Les mesures de soutien des prix et les subventions de l’agriculture dans le cadre de la PAC jouent elles aussi un rôle déterminant : plus de 40 % des agriculteurs interrogés ne pensent pas pouvoir continuer à exercer leur métier sans l’apport des subventions. L’exploitant aura donc tendance à favoriser les cultures les mieux subventionnées. Or il ressort de l’enquête que les céréaliers sont globalement davantage satisfaits du montant de leurs subventions que les éleveurs. Ces dernières auront donc tendance à orienter les systèmes de production vers la culture de céréales. En définitive, la règlementation revêt un double aspect, avec d’un coté des primes à la productivité et de l’autre des mesures de protection de l’environnement qui imposent ou interdisent à l’exploitant certaines pratiques (par exemple les bandes enherbées en bord de cours d’eau que l’agriculteur est obligé de respecter). Il y également de nombreuses mesures incitatives avec primes à la clef pour le respect de certaines méthodes de cultures, comme la fauche tardive des prairies. Ces mesures semblent avoir un certain effet sur le terrain, notamment en raison des diverses primes qui apportent un revenu d’appoint intéressant. Ainsi, dans 25 % des cas les personnes interrogées ont répondu qu’elles avaient choisi leur culture dominante en raison des primes qu’elle leur permettait de toucher (fig. 6).

Évolution et spécialisation de l’agriculture

Les transformations qu’a connues l’agriculture depuis le XIXe siècle ont progressivement modifié les habitudes culturales (Charvet, 1994). L’agrandissement de la taille moyenne des exploitations se fait au détriment de la diversité des espèces cultivées. La polyculture semble ainsi surtout pratiquée par les agriculteurs les plus âgés dont l’exploitation est de taille plus modeste. Les grandes exploitations ont, elles, tendance à être tenues par des agriculteurs plus jeunes qui pratiquent peu la polyculture. Ce recul de la diversité des cultures est lié au fait que les agriculteurs subissent une pression économique de plus en plus forte, pression qui exige des exploitations plus productives pour qu’elles soient viables. Or, ce gain de productivité passe par la spécialisation et l’amélioration des moyens techniques ce qui demande d’importants investissements. Ces investissements incitent de plus en plus l’agriculteur à se spécialiser dans un petit nombre de cultures, accentuant la distinction entre céréaliers et éleveurs.

La céréaliculture et l’élevage entraînent des choix de cultures forts différents. Dans la majorité des cas rencontrés, l’exploitation de l’éleveur aura une superficie supérieure à 60 hectares et sera dominée par les prairies. Le céréalier aura lui une exploitation de taille plus modeste dominée par des céréales cultivées de façon intensive. Le choix d’un mode de production ne dépend pas uniquement des préférences de l’exploitant. Plus de 60 % des exploitants interrogés avaient repris l’exploitation familiale et devaient donc prendre en compte le poids de la tradition et du matériel hérité. Ce fait entraîne souvent une perpétuation du mode de production déjà en place, la reconversion vers un autre type de culture étant trop onéreuse. Il y a donc un paradoxe entre un monde agricole en perpétuelle évolution où les investissements de plus en plus lourds empêchent les changements.

Des paysages au fonctionnement très différent

Observer et mettre en évidence les influences que subit l’agriculture à partir de cartes et d’enquêtes de terrain est finalement assez aisé. Quantifier cette influence par des traitements statistiques permet ensuite de hiérarchiser ces forçages sur l’agriculture. Il est alors possible d’expliquer les importantes différences paysagères entre l’est et l’ouest de la vallée de la Loire. En effet, en l’espace de quelques kilomètres le visage du fleuve change radicalement passant d’un agrosystème2 au biotope très artificialisé pour répondre aux besoins de l’agriculture dans le Val d’Authion, à un agrosystème à l’apparence plus naturelle et « sauvage » en aval des Ponts de Cé.

Le Val d’Authion : un agrosytème construit pour la productivité

L’impact de l’homme a bouleversé le fonctionnement naturel de cet espace dans une tentative de poldériser (Humeau, 1975) ce qui était à l’origine une zone humide, pour en faire un agrosystème tourné vers la productivité. En nous basant sur le coefficient de similitude (tab. 1) entre l’occupation du sol dans le Val d’Authion et les zones protégées par les levées (Cs = 0,99), nous confirmons quantitativement que les levées sont bien la principale cause du développement d’une agriculture intensive dans cette partie de la vallée de la Loire. Néanmoins celles-ci agissent de manière indirecte : ce ne sont pas les levées en elles mêmes qui influencent les cultures mais le fait qu’elles limitent le risque de crues (Cs = 0,08). Ces levées ont ainsi permis de faire émerger les potentialités d’une zone autrefois trop inondée pour y pratiquer une agriculture intensive. La grande plaine d’inondation, fertile et historiquement peu urbanisée en raison des crues, est devenue le terrain idéal pour l’agriculture, une fois les levées en place. L’oubli de la sensibilité de ces espaces aux inondations, généré par la présence de ces levées, peut ainsi s’inscrire durablement dans les mentalités locales et permettre le développement de cultures ne prenant quasiment pas en compte le risque d’inondation malgré la proximité du fleuve. L’agriculteur se permet alors de cultiver sans se préoccuper des crues, et les paysages se réorganisent autour d’éléments incompatibles habituellement avec la proximité du fleuve (représentés par l’ODS du lit majeur en périmètre Natura 2000).

Tableau 1 – Types d’occupation du sol (ODS)

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Ceci est confirmé mais relativisé par la valeur de 0,39 que prend le Cs entre l’ODS du Val d’Authion et du périmètre Natura 2000. Il s’avère en effet que le Val d’Authion est propice à l’agriculture intensive car la proximité de la Loire et l’irrigation permettent un apport en eau aisé et peu coûteux. Cet accès à l’eau a permis le développement de l’horticulture et des productions céréalières qui, en l’absence de risques naturels, assurent une forte rentabilité économique en associant productivité et subventions intéressantes dans le cadre de la PAC.

Bien que ce soit de façon moins flagrante qu’en Loire armoricaine, les contraintes naturelles ont tout de même un impact sur la répartition des cultures (Cs = 0,43 entre ODS du Val d’Authion et des zones non-protégées). Les sols fertiles, faits d’alluvions, et la proximité de la nappe d’accompagnement de la Loire permettent une bonne productivité, ce qui incite les agriculteurs à valoriser une partie de leurs terres en zone exposée, en dépit des risques encourus. Rappelons également qu’une bande de terre très influencée par les crues existe toujours entre le chenal de la Loire et la levée du val d’Authion, ce qui contribue à augmenter la valeur de ce Cs.

La Loire armoricaine : un agrosystème au fort potentiel écologique

L’idée assez répandue que la Loire est le dernier fleuve sauvage d’Europe est bien sûr en grande partie fausse. On peut cependant dire qu’avec la fin de la levée du Val d’Authion, l’artificialisation du biotope par l’agriculture se fait plus discrète (Cs = 0,27 entre l’ODS du Val d’Authion et de la Loire armoricaine). Le biotope de l’agrosystème des bords de Loire est en effet moins artificialisé à l’aval des Pont-de-Cé. Les levées moins présentes et l’absence de stations de pompage font que les contraintes liées à l’eau sont encore très présentes (Cs = 0,98 entre l’ODS de la Loire armoricaine et des zones non protégées).

La mosaïque de cultures nous est ici apparue comme très adaptée à l’eau, contrairement au Val d’Authion : les zones les plus inondées et l’ensemble du lit majeur ont un Cs = 0,97 contre 0,08 pour le Val d’Authion. En l’absence de levées, la topographie joue aussi un rôle important puisque c’est l’altitude d’une parcelle par rapport à la Loire qui conditionnera le risque de crue.

Contrairement au Val d’Authion, les mesures de protection de la biodiversité, comme le périmètre Natura 2000, recouvrent ici la majorité de la zone inondable (Cs = 0,99), ce qui leur permet d’avoir sur les cultures un impact plus marqué. Plutôt que de modifier la répartition des cultures, ces mesures vont avoir pour principal effet de la faire se maintenir dans l’état actuel, et en valorisant l’intérêt écologique, de maintenir un système prairial. Les contrats d’agriculture durable et les mesures agro-environnementales vont ainsi améliorer l’intérêt économique des prairies, les pratiques « durables » des agriculteurs étant favorisées par des subventions.

Enfin la rentabilité économique reste bien sûr l’objectif principal, mais ici cela se fait en s’adaptant aux contraintes du milieu, en l’occurrence principalement les crues, et non en adaptant le milieu aux besoins de l’homme.

Conclusion

Nous avons pu au fil de cet article mettre en évidence les facteurs naturels et anthropiques qui permettent d’expliquer l’occupation des sols. Les causes de la profonde disparité dans la répartition des cultures entre l’agrosystème du Val d’Authion et celui de la Loire armoricaine ont pu ainsi être étudiées. Il est clair que la transition entre deux formations géologiques différentes influe sur la nature du substrat, la topographie et même sur l’aspect du chenal de la Loire. La profonde disparité paysagère entre l’est et l’ouest du lit majeur est cependant avant tout d’origine anthropique. La construction des levées et l’aménagement de l’Authion ont entièrement transformé le paysage. En limitant les risques naturels l’homme a pu développer le potentiel économique du Val d’Authion au point de le rendre méconnaissable. Rien ne rappelle aujourd’hui l’ancienne présence de marais et de forêts (Burnouf et Carcaud, 1999). La Loire armoricaine n’a pas bénéficié d’aménagements aussi importants et l’agriculture s’est adaptée à un milieu humide sous la forme de prairies. Ce contraste entre l’est et l’ouest est appelé à se perpétuer et même à s’accentuer dans les décennies à venir.

En effet, la pérennité de l’agrosystème du Val d’Authion semble assurée. Son statut de pôle horticole est appelé à se renforcer avec des initiatives récentes comme la charte du Val d’Anjou qui vise à favoriser le développement d’entreprises spécialisées dans la production végétale. Au contraire l’avenir de l’agrosystème prairial semble encore incertain en Loire armoricaine. La suppression des quotas laitiers en 2015 risque de remettre en cause la rentabilité des prairies alors que c’est une culture peu prédatrice envers l’environnement, qui produit un milieu favorable à la biodiversité. Les subventions perçues pour le respect de pratiques écologiques et l’entretien du paysage sont encore loin d’égaler celles de la PAC. Même si des initiatives comme Natura 2000 existent déjà, la mise en valeur économique du rôle écologique de l’agriculture reste encore à faire. L’idée que l’agriculture peut, en complément de son rôle de production de denrées alimentaires, servir à entretenir ou même à créer un écosystème riche en biodiversité (les prairies inondables en sont le parfait exemple) fait déjà l’objet d’un certain nombre de recherches (Altieri, 2002). Cette idée d’une agriculture dont le rôle ne se bornerait plus à la production de ressources semble une alternative intéressante pour une partie de la vallée de la Loire toujours menacée par l’enfrichement et la populiculture.

1 Qui suit le tracé des plus hautes eaux connues, celles de la crue de 1856

2 Écosystème dont le biotope a été modifié par l’homme pour l’exploitation de la biocénose par l’agriculture

Bibliographie

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Notes

1 Qui suit le tracé des plus hautes eaux connues, celles de la crue de 1856

2 Écosystème dont le biotope a été modifié par l’homme pour l’exploitation de la biocénose par l’agriculture

Illustrations

Figure 1 – Le lit majeur de la Loire, principaux aménagements et limites communales

Figure 1 – Le lit majeur de la Loire, principaux aménagements et limites communales

Figure 2 – Densité de population en 2009

Figure 2 – Densité de population en 2009

Figure 3 – Topographie du Val de Loire

Figure 3 – Topographie du Val de Loire

Figure 4 – Répartition des cultures dans le lit majeur

Figure 4 – Répartition des cultures dans le lit majeur

Figures 5a et 5b – Diagrammes de l’occupation du sol des différentes parties du lit majeur

Figures 5a et 5b – Diagrammes de l’occupation du sol des différentes parties du lit majeur

Figures 5c, 5d et 5e – Diagrammes de l’occupation du sol des différentes parties du lit majeur

Figures 5c, 5d et 5e – Diagrammes de l’occupation du sol des différentes parties du lit majeur

Figure 6 – Principaux motifs de culture pour certaines catégories d’agriculteurs de la zone inondable

Figure 6 – Principaux motifs de culture pour certaines catégories d’agriculteurs de la zone inondable

Tableau 1 – Types d’occupation du sol (ODS)

Tableau 1 – Types d’occupation du sol (ODS)

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Référence électronique

François Gueydon et Grégoire Maillet, « La répartition des cultures dans la zone inondable de la Loire entre Saumur et St Florent le Vieil », Cahiers Nantais [En ligne], 1-2 | 2010, mis en ligne le 21 janvier 2021, consulté le 19 mars 2024. URL : http://cahiers-nantais.fr/index.php?id=499

Auteurs

François Gueydon

Géographe, Pays des Vals de Saintonge

Grégoire Maillet

Géographe, Université d’Angers

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