Géographie des élections régionales de 2010 en Pays de la Loire

Résumé

Les auteurs examinent avec une méthode de représentation cartographique originale (cartes lissées) les résultats des élections régionales de 2010 en Pays de la Loire. Ils mettent ces résultats en perspective en comparant avec les scores obtenus aux régionales de 2004 et les présidentielles de 2007. Leur principale conclusion est l’accentuation de l’opposition entre agglomérations et espaces périurbains, favorables à la gauche, aux espaces ruraux traditionnels situés en bout de département faisant plus confiance à la droite. La vieille dichotomie territoriale qui tranchait la région en deux sous-ensembles clairement identifiés, héritage de la Révolution, et qui avait fondé et figé les visages politiques au long de près de deux siècles, et ce qu’André Siegfried avait souligné, s’atténue et s’étiole.

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Mots-clés

Pays de la Loire, élections régionales, visages politiques, villes et campagnes, cartes lissées

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Texte

« J’ai remarqué souvent, dans les élections, que les opinions politiques sont sujettes à une répartition géographique » André Siegfried

En 2004 la défaite de la droite aux élections régionales en Pays de la Loire avait été, à lire les commentaires, une énorme surprise. Le président sortant, François Fillon (UMP), avait même pu parler « d’un 21 avril (2002) à l’envers ». En revanche en 2010, la réélection de Jacques Auxiette (PS) a été une simple confirmation et elle était attendue.

Étrange renversement des logiques électorales et des pesanteurs historiques. Depuis toujours ces marges armoricaines étaient le modèle d’un bastion estimé inexpugnable de la droite. Nous ne serions donc plus au temps d’André Siegfried, voire des premières années de la Cinquième République. Désormais tout change et tout bouge !

Ces résultats bousculent les certitudes d’hier et les analyses des politologues. La géographie électorale régionale n’est plus du tout ce qu’elle était à relire les classiques. Certes il faut raison garder, la nature des élections et la conjoncture politique nationale expliquent pour partie la poussée des forces qui se revendiquent de gauche dans la région. Pour d’autres élections, présidentielles ou législatives, le rapport des forces n’est pas le même. Il n’empêche, ici comme ailleurs la géographie électorale bouge, contrairement aux idées reçues.

Pour mesurer ce qui a changé et ce qui demeure, et pour expliquer les mouvements enregistrés, nous disposons désormais, grâce à l’informatique, de données cartographiques immédiatement mobilisables. Les commentaires et cartes qui suivent résultent au sein de l’UMR ESO, de la collaboration entre les équipes du Mans et de Nantes.

Méthodologie de la production des cartes

Ces cartes ont été obtenues par un lissage des données communales en appliquant une discrétisation soit par quintiles soit par classes d’égale étendue. L’objectif du lissage est de proposer une représentation synthétique de phénomènes que l’hétérogénéité des données à visualiser risque de brouiller, tant en raison de l’ordre de grandeur des populations que des superficies communales. Cette représentation s’effectue parfois au prix d’un masquage de situations exceptionnelles lorsqu’elles concernent de petits effectifs.
La méthode utilisée consiste à calculer pour chaque point du territoire étudié une valeur obtenue à partir de la moyenne pondérée des données les plus proches de ce point. Concrètement, dans le cas des Pays de la Loire nous avons utilisé un maillage de 75 m de côté et avons déterminé la valeur de chacune des cellules de ce maillage comme étant la moyenne pondérée de toutes les cellules situées à moins de 7,5 km de la cellule centre.
Le choix de la discrétisation en quintiles permet de réaliser des comparaisons entre candidats et/ou scrutins en se focalisant sur l’aspect géographique plus que politique de la représentation. Selon cette méthode nous utilisons avant lissage cinq classes d’égal effectif (environ 300 communes par classe) ; ainsi le niveau le plus foncé correspond aux 20 % des communes ayant le score le plus élevé, le niveau le plus clair aux 20 % des communes ayant le score le plus bas pour l’indicateur concerné. La pondération et le découpage en classes s’effectuent à partir du nombre d’inscrits.
Le choix de la discrétisation par classes d’égale étendue est utilisé pour illustrer le rapport de force gauche – droite. La pondération et le découpage en classes s’effectuent dans ce cas à partir des suffrages exprimés. Les moyennes portées sur les cartes correspondent aux moyennes des scores communaux et non la moyenne régionale.
Site du ministère de l’Intérieur : http://www.interieur.gouv.fr/sections/a_votre_service/elections/resultats
Toutes les cartes sont en téléchargement dans la rubrique Actes Rapports en ligne du menu Publications du site ESO Le Mans : http://eso-gregum.univ-lemans.fr

1. Les visages politiques des Pays de la Loire

Depuis le fameux tableau politique (Siegfried, 1913), la géographie électorale des Pays de la Loire a donné lieu à de nombreuses contributions. Outre le colloque sur l’Ouest, 75 ans après Siegfried (Nantes, 1987), on peut citer les contributions de J. Renard (1987, 1989) sur l’ensemble de la région, de D. Rapetti sur l’agglomération nantaise (1985), de J.-R. Bertrand et C. Pihet sur Angers (1987) et le Maine-et-Loire, de P. Leray sur le littoral (1998) et de M. Bussi (1998) pour l’ensemble de l’Ouest.

Les configurations politiques du passé reposaient sur une franche et caricaturale opposition entre de vastes espaces ruraux dans lesquels la droite était hégémonique, couvrant les deux-tiers du territoire, et des bastions de gauche associés soit à des agglomérations ouvrières, soit à de vieilles terres républicaines, ces dernières situées aux marges de la région. Les campagnes bocagères votant massivement à droite couvraient toute la Mayenne, l’ouest de la Sarthe, le Segréen et le Choletais, les campagnes de Loire-Atlantique ainsi que toute la Vendée bocagère et le Marais breton. Seules les campagnes orientales de la Sarthe, le Saumurois, une partie du Baugeois, la Plaine vendéenne et le Marais poitevin échappaient à ce modèle hérité de la Révolution et votaient à gauche, ou mieux républicaines et anticléricales. Quant aux villes, républicaines lors de la Révolution, elles avaient progressivement viré à droite, sauf en quelques forteresses ouvrières (Trélazé, Saint-Nazaire, Trignac, Le Mans).

Il a fallu attendre les élections municipales de 1977, les législatives de 1978 et enfin les présidentielles de 1981 pour que ces visages politiques qui semblaient jusqu’alors figés, s’effritent et se lézardent. Ainsi dès 1987, J. Renard avait souligné le mouvement de fond en faveur de la gauche socialiste dans les espaces ruraux jusqu’alors rétifs à toute évolution. Mouvement qui s’expliquait par des facteurs variés, notamment le basculement vers le socialisme d’une frange des catholiques, ainsi que l’étalement urbain provoqué par l’installation des classes populaires chassées de la ville par les prix du foncier. C’est en Loire-Atlantique que ces facteurs ont joué le plus précocement et le plus intensément ; d’où le basculement de la majorité du conseil général en 2004. Mais même dans le fameux « quadrilatère de la foi et de la fidélité », au sud du fleuve, de part et d’autre de l’axe de la Sèvre Nantaise, les majorités caricaturales en faveur de la droite et du conservatisme serein et permanent, s’effritaient peu à peu. La quatrième circonscription de Vendée, celle de Montaigu, longtemps la plus à droite du pays, détenue par V. Ansquer (RPR) puis P. De Villiers (MPF), perdait son rang au profit de celle de Neuilly (UMP) !

Comme en Bretagne, mais avec un décalage dans le temps, les visages politiques des Pays de la Loire ont évolué. Seul le « savant » découpage des circonscriptions législatives de C. Pasqua (UMP) masquait ces évolutions du corps électoral à l’échelle de la représentation nationale (Pihet, 1998). Aussi la « surprise » de 2004 et l’élection de Jacques Auxiette (PS) aux élections régionales étaient en réalité un aboutissement, que de bons observateurs avaient pressenti, compte tenu des mobilités de population enregistrées et des évolutions du corps social.

2. Les élections au Conseil Régional de 2010

L’examen des cartes du second tour des élections de 2010 est sans appel. Il y a bien un vote de l’électeur des champs en faveur de C. Béchu (UMP), lequel obtient ses meilleurs résultats (plus de 25 % des inscrits) dans les espaces ruraux situés en bout de département, loin des grandes agglomérations. Et un vote urbain et plus encore périurbain favorable à J. Auxiette (PS), notamment autour des cinq chefs-lieux des départements.

Figure 1 – Deuxième tour de l’élection régionale 2010 (pourcentage des suffrages exprimés)

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En première analyse la vieille dichotomie idéologique entre « blancs » et « bleus » sur laquelle s’appuyait A. Siegfried semble avoir vécu. Il y a désormais un vote urbain et un vote rural. Et l’urbanisation des campagnes par le processus de périurbanisation tend à réduire comme peau de chagrin les anciens bastions de la droite, héritages de la tradition contre-révolutionnaire. C’est ce que confirme la carte du rapport entre les deux candidats, UMP et PS, du second tour des présidentielles de 2007.

Figure 2 – Deuxième tour de l’élection présidentielle de 2007 (pourcentage des suffrages exprimés)

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Le constat est sans appel. Il y a bien un vote des grandes agglomérations majoritairement acquises à la gauche, y compris les auréoles péri-urbaines dont la taille est fonction de l’importance de l’agglomération, c’est l’effet de halo (Bussi, 1998). Quant aux espaces ruraux en périphérie des départements leur orientation politique est ancrée à droite. Les anciennes configurations sont gommées, même si le sud-est de la Vendée conserve une tonalité héritée du passé, alors que les vieilles terres de tradition républicaines et anticléricales de l’est de la Sarthe ne se détachent plus guère.

Le mode de représentation choisi par ce type de carte, avec lissage des données, homogénéise les résultats qui à grande échelle, feraient ressortir d’avantage les singularités (par exemple Avrillé près d’Angers, ou Sautron dans l’agglomération nantaise dont l’orientation politique à droite ne sont pas visibles ici).

3. Les évolutions récentes 2004-2010

La comparaison des deux élections régionales de 2004 et de 2010, selon le même schéma que pour les présidentielles de 2007, selon un rapport entre les deux candidats du second tour, est éloquente. Alors que J. Auxiette (PS) conforte et accentue ses bons résultats dans les grandes villes et si les auréoles périurbaines en sa faveur s’étalent. En revanche, C. Béchu (tête de liste UMP en 2010) fait moins bien que F. Fillon (tête de liste UMP en 2004) dans les fiefs acquis à la droite. C’est ce qui a permis à J. Auxiette (PS) d’obtenir la majorité d’une courte tête en Vendée, tandis que pratiquement toute la Loire-Atlantique lui est acquise, sauf sur les marges. Même en Mayenne les bastions de la droite s’étiolent : agréable surprise pour la gauche.

Figure 3 – Deuxième tour des élections régionales 2004 et 2010 (pourcentage des suffrages exprimés)

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Les cartes des résultats des autres candidats du premier tour, tant en 2010 qu’en 2004, ainsi que la mesure des taux d’abstention et des votes blancs et nuls aux deux élections, consultables sur internet sur le site d’ESO-Le Mans viennent compléter et affiner les analyses. Ainsi peut-on mesurer :

  • les espaces ruraux dans lesquels C. Béchu (UMP) en 2010, perd des positions par rapport à celles de son parti en 2004 ;
  • le rôle du vote écologique en Loire-Atlantique en relation avec le projet controversé d’un nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes dans le déficit des voix de J. Auxiette entre 2004 et 2010 ;
  • les secteurs géographiques dans lesquels le front national fait de bons scores : le littoral et les campagnes orientales de la Sarthe et du Saumurois ;
  • l’importance du facteur de proximité et d’origine des candidats dans ce type d’élection, que ce soit les résultats de J. Arthuis (Centre droit) au premier tour de 2004 en Mayenne, ou les bons scores de J. Auxiette (PS) en pays yonnais.

Conclusion

Les visages politiques des Pays de la Loire ont profondément évolué depuis une trentaine d’années. Il y a eu comme un alignement d’ordre sociologique au détriment des pesanteurs géographiques sur les moyennes nationales. En d’autre termes, la vieille dichotomie entre « bleus » et « blancs », qui avait fondé au long de près de deux siècles les comportements par héritage du traumatisme de la contre-révolution, tend à s’estomper. Désormais la distinction s’opèrent entre électeurs des zones urbaines et périurbaines élargies, et électeurs des périphéries. Le pari de l’équipe à la tête du Conseil régional des Pays de la Loire depuis 2004, qui a œuvré en faveur des territoires par des contrats (CTU), a reçu apparemment l’assentiment des populations. Même dans les fiefs de droite, les pourcentages en faveur de la liste de J. Auxiette ont progressé. Certes les résultats tiennent également à la conjoncture nationale et au rejet d’une politique qui dépasse le cadre régional. Des analyses complémentaires sont nécessaires pour interpréter l’augmentation des abstentions, plus forte dans les bastions de la droite et mesurer le réel degré d’adhésion des populations, en fonction des équipements et des aménagements réalisés ou projetés dans les territoires.

Figure 4 – Exemples du premier tour de l’élection régionale 2010

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Bibliographie

BERTRAND J.-R., 1982. Éléments de géographie électorale du Maine et Loire, Géographie sociale, no 0, pp. 20-26.

BUSSI M., 1998. Éléments de géographie électorale, à travers l’exemple de la France de l’Ouest, Éditions de l’université de Rouen, 399 p.

COLLECTIF, 1983. L’Ouest bouge t-il ? ATP du changement social et culturel, région Ouest, CNRS, Nantes, Éditions Reflets du passé, Vivant, 273 p.

COLLECTIF, 1987. L’Ouest 75 ans après le tableau politique. Colloque sur la géographie des comportements électoraux, Nantes, géographie sociale no 6.

LERAY PH., 1998. Géographie électorale des littoraux de la France de l’Ouest, thèse de doctorat, Université de Nantes (dir. J. Renard).

PIHET C., 1987. L’exemple des découpages électoraux en Maine et Loire. In L’État et les stratégies de territoire, CNRS, Paris.

RAPETTI D., 1985. Vote et société dans la région nantaise : étude de géographie électorale 1945-1983, Éditions du CNRS, Paris, 210 p.

RENARD J., 1986. La géopolitique de Pays de la Loire. In Géopolitique des régions françaises (Dir. Yves Lacoste) Éditions Fayard, Paris.

RENARD J., 1989. Géopolitique de Pays de la Loire : à la recherche d’une région perdue et retrouvée, Éditions ACL-Crocus, Saint-Sébastien, 236 p.

SIEGFRIED A., 1913. Tableau politique de la France de l’Ouest sous la Troisième République, Paris, Colin, 536 p.

Illustrations

Figure 1 – Deuxième tour de l’élection régionale 2010 (pourcentage des suffrages exprimés)

Figure 1 – Deuxième tour de l’élection régionale 2010 (pourcentage des suffrages exprimés)

Figure 2 – Deuxième tour de l’élection présidentielle de 2007 (pourcentage des suffrages exprimés)

Figure 2 – Deuxième tour de l’élection présidentielle de 2007 (pourcentage des suffrages exprimés)

Figure 3 – Deuxième tour des élections régionales 2004 et 2010 (pourcentage des suffrages exprimés)

Figure 3 – Deuxième tour des élections régionales 2004 et 2010 (pourcentage des suffrages exprimés)

Figure 4 – Exemples du premier tour de l’élection régionale 2010

Figure 4 – Exemples du premier tour de l’élection régionale 2010

Citer cet article

Référence électronique

Jean Renard, Alain Wrobel et Sébastien Angonnet, « Géographie des élections régionales de 2010 en Pays de la Loire », Cahiers Nantais [En ligne], 1-2 | 2010, mis en ligne le 21 janvier 2021, consulté le 26 avril 2024. URL : http://cahiers-nantais.fr/index.php?id=490

Auteurs

Jean Renard

Géographe, Université de Nantes, ESO Nantes -UMR 6590 CNRS

Articles du même auteur

Alain Wrobel

Ingénieur d’étude CNRS, Université du Maine, ESO Le Mans -UMR 6590 CNRS

Sébastien Angonnet

Cartographe, Université du Maine, ESO Le Mans -UMR 6590 CNRS

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