Le fait du prince » écrivait en 1989 André Vigarié pour relater les choix de réorientation industrielle de la Basse Loire. Cette idée a marqué l’histoire de l’industrie maritime de l’estuaire de la Loire et le processus se prolonge aujourd’hui, à l’heure où les régions prennent de plus en plus leur destin économique en main et que de nombreux exemples européens illustrent la dynamique d’accompagnement des filières maritimes. Plusieurs régions européennes se sont mobilisées autour des secteurs de l’économie maritime. Les stratégies sont relativement diversifiées. Un certain nombre d’entre elles visent une approche globale autour des activités maritimes alors que d’autres privilégient une action plus sectorielle via des pôles de compétences. Les démarches engagées font de plus en plus souvent appel aux réseaux et aux clusters. Pourtant, en Pays de la Loire, ces notions de réseaux d’intérêts, de mise en cohérence des politiques publiques, de synergie des acteurs, sont encore peu appliquées aux filières maritimes, du fait même de la structure des entreprises qui conditionne leur rapport au territoire régional. Notre article se base sur une étude réalisée par l’ISEMAR en octobre 2008 pour le Conseil régional sur les filières de l’économie de la mer en Pays de la Loire.
1. La démarche de cluster en Europe et en France
En 2006, la Commission européenne a engagé une stratégie maritime globale au travers du Livre Vert sur l’Europe de la mer. Parmi les propositions de ce document général, les « clusters maritimes » étaient cités comme des outils de développement à échelle des territoires européens. La Commission validait ainsi les démarches entreprises par les États et par certaines régions européennes en vue d’accroître l’efficacité économique des territoires par des politiques de mise en réseaux des acteurs. à cette même période, la France a engagé sa propre réflexion qui se concrétise aujourd’hui par une vision plus jacobine.
Les clusters nationaux et régionaux en Europe
Le concept de cluster a été défini en 2003 par le professeur Michael E. Porter de la Business Harvard School de l’Université de Harvard. Il s’agit d’une agrégation interactive et synergétique d’acteurs économiques interdépendants dans un secteur industriel spécifique et sur un espace territorial délimité. La valorisation globale de l’activité et sa pérennité passent alors par la recherche de la compétitivité et les efforts d’innovation pour la maintenir. Selon la définition de l’OCDE, « les clusters sont des réseaux d’entreprises spécialisées dans des industries de la même branche ou complémentaires. Les clusters ne sont pas de simples concentrations d’industries, mais des regroupements où les interactions entre les entreprises et les institutions sont réelles ». La stratégie de cluster répond à une démarche territorialisée. La pertinence géographique du cluster peut être de plusieurs ordres : agglomération métropolitaine, district industriel, province ou département, région. La dynamique sectorielle s’appuie en général sur des entreprises leaders de stature internationale mais néanmoins capables de s’adosser à une démarche collective territoriale. Cela exclut des sociétés multinationales dont l’attachement et le poids les éloignent de problématiques de développement local. L’objectif des démarches collaboratives est donc de créer de la transversalité afin d’engager ces actions entre partenaires de différents horizons. Le territoire comporte donc généralement un tissu de formation et de recherche (universités, écoles) répondant déjà aux attentes des acteurs économiques.
Le terme de cluster demeure souvent un peu confus. En Europe et à l’échelle des États, le principe de cluster national relève d’une stratégie de lobby et de communication de la part des acteurs professionnels afin d’illustrer la force collective et les attentes vis-à-vis de l’État et des politiques publiques. Organisé depuis 2005, le Cluster Maritime Français regroupe l’ensemble des branches économiques liées à la mer (production, service, enseignement, média) mais aussi la Défense nationale. Dans la plupart des pays européens, des travaux d’évaluation économique de l’ensemble des activités liées à la mer ont permis d’apprécier leur importance vis-à-vis de l’économie nationale. Les clusters néerlandais, allemand et anglais, et dans une moindre mesure italien, communiquent ainsi largement auprès des institutions nationales et européennes. Les clusters régionaux déclinent ce schéma en l’appliquant à un véritable territoire de projet. Ils dépassent la simple agrégation à visée lobbyiste et deviennent des outils d’aménagement des territoires et de renforcement de la compétitivité des entreprises au niveau régional. Un certain nombre de régions européennes mènent des politiques d’accompagnement de secteurs économiques, notamment dans des domaines liés à la mer. Naturellement, le niveau de déconcentration politique en faveur des régions est un élément important dans l’intensité des actions.
Le principal modèle de cluster régional appliqué en Europe vient du Pays Basque. L’expérience basque est liée à la nécessité pour une région industrielle très durement touchée par la crise des années 1970 de se moderniser, se diversifier et se tertiariser. La stratégie de cluster développée par Michael Potter a été envisagée comme une nouvelle façon de penser le développement économique et la politique industrielle notamment par une « refonte » des fonctions des secteurs privés, du gouvernement régional et des associations professionnelles pour dégager des processus collaboratifs. Le modèle de compétitivité passe directement par la stratégie de clusters sectoriels visant au sauvetage de la sidérurgie, à la renaissance du secteur de la machine-outil, au développement de l’automobile et au démarrage de l’aéronautique. La dizaine de clusters couvre la moitié de l’industrie basque. Ils génèrent 45 % du PIB de la région et reçoivent 2 M€ de subvention avec un suivi direct par l’administration régionale. Dans ce contexte les clusters portuaires (Uniport) et de la construction navale (Forum Maritime Basque) ne sont qu’une partie de l’action régionale. L’autre modèle européen est lui spécifiquement maritime avec le land allemand du Schleswig-Holstein. Cette petite région de 232 000 habitants compte un cinquième des salariés lié à l’économie maritime allemande. Afin d’engager sa stratégie, le land a d’abord procédé en 2005 à une évaluation économique de l’ensemble des activités liées à la mer (8,5 % du PIB régional) puis envisage de soutenir les positionnements de marché de chacun des secteurs (marketing, attractivité, recherche et développement) mais aussi d’engager un plan de développement spatial conçu pour intégrer les espaces côtiers et maritimes. Par son importance et son excellente communication, la petite région allemande est désormais identifiée comme un exemple de mobilisation régionale autour de la mer, même si cela recouvre essentiellement des éléments de gouvernance et le soutien aux technopoles.
Les pôles de compétitivité en France
En 2006, la France a initié sa propre réflexion en matière de politique maritime intégrée. Le rapport du groupe d’experts Poséidon sur la Politique maritime de la France évoque la nécessité de « renforcer la place de la mer dans les stratégies de recherche et d’innovation » et notamment en « soutenant activement les acteurs combinant développement technologique, innovation et présence sur le marché ». Le document reconnaît une place éminente aux collectivités locales, mais essentiellement sur les questions d’espace et d’environnement. Le modèle français de soutien aux filières industrielles via l’innovation passe donc par une stratégie d’État avec depuis 2005 les pôles de compétitivité déclinés localement autour de filières économiques fortes dont plusieurs concernent la mer1. Ces pôles constituent une voie française dans la stratégie de démarche collaborative autour de l’innovation industrielle. Parallèlement, dans certaines régions de France, des filières possédant assez de force collective s’organisent en pôle sectoriel avec souvent l’appui des collectivités locales. Ces actions se rapprochent plus d’un modèle de cluster issu des territoires sans toutefois posséder la force des actions engagées par certaines régions européennes.
Le modèle des pôles de compétitivités français parait donc bien étatique. Il s’articule autour de spécialisations bien circonscrites territorialement en créant des structures de liens entre les acteurs de l’économie, de la recherche et de la formation supérieure afin de croiser et démultiplier leurs capacités d’innovation et de les inciter à mener ensemble des projets de recherche et développement (R. et D.). Le rôle de l’État a d’abord été de valider les pôles après appel à projet et d’établir plusieurs types de financements publics (exonérations fiscales et allègements de charges). Plusieurs ministères, organismes d’État et services de l’État en région sont appelés aussi à fournir des crédits d’intervention pour soutenir les projets de recherche et développement.
Le cluster maritime s’organise donc autour de la gouvernance des politiques publiques et de l’articulation des actions de développement en faveur de l’ensemble des filières maritimes. Il peut devenir une stratégie de développement régional. Le cluster maritime donne une image forte des moyens transversaux et des actions collaboratives avec le tissu privé. En pratique, le rassemblement des acteurs d’une filière afin d’engager plusieurs types d’actions collaboratives (R. et D., formation et emploi, promotion et marketing) est généralement considéré comme un atout. Le rôle de la région est généralement de faciliter le développement par diverses politiques financières (subventions, fiscalité, moyens directs). Les clusters ou pôles liés à la mer se concentrent essentiellement sur le secteur industriel naval et/ou nautique là où les besoins d’accompagnement (pérennité, innovation, internationalisation) sont les plus forts. L’articulation productive entre la R. et D. et l’industrie est considérée comme l’un des éléments premiers de la dynamique de cluster. Les cas européens montrent que les stratégies de cluster sont adaptées aux régions accueillant plutôt des chantiers de moyenne taille où l’adaptation au marché mondial est souvent plus difficile. Les pôles autour des activités portuaires sont plus rares : au Pays Basque, la communauté portuaire et le port ont créé un instrument de concertation et de promotion (Uniport). Un cluster logistique PACA tente d’organiser une politique sectorielle originale alors qu’en Haute-Normandie cela va passer par la dynamique de pôle de compétitivité. Moins industrielle, l’innovation notamment autour des techniques de l’information en termes de logistique est néanmoins une source de compétitivité. La recherche est une source nécessaire au processus de benchmarking et de marketing alors que les besoins d’emploi s’appuient sur des formations ciblées. En France, la Bretagne n’a pas de cluster régional autour de la mer mais dispose déjà d’éléments de politique (Mission mer au sein de l’exécutif régional) et de réflexions (via les travaux du CESR), une forme coopérative initiée par l’État (Pôle de compétitivité mer) et une issue du tissu local (pôle naval de Lorient).
Ces exemples européens montrent comment il est possible de développer des stratégies d’accompagnement et de soutien des filières maritimes. Cependant le développement territorial et l’aménagement du territoire au travers de ses acteurs économiques sont toujours le fruit de processus géographique et historique complexes. à ce titre nous allons essayer de comprendre pourquoi en Pays de la Loire la structuration des filières maritimes est plus difficile.
2. L’organisation de l’industrie maritime en Pays de la Loire : le poids des grands donneurs d’ordre
L’organisation actuelle de l’industrie maritime en région Pays de la Loire repose sur de grands donneurs d’ordre. Dans leur sillage, une multitude de PME-PMI s’est développée. Deux cas de figure, l’un sur le port de Nantes-Saint-Nazaire, l’autre sur les chantiers navals établis à Saint-Nazaire, permettent de saisir la particularité de ces organismes et la façon dont ils conçoivent le territoire. La dynamique de partenariat, et plus avant, de cluster qui peut en découler est soit en gestation, soit en cours d’élaboration au niveau des entreprises qui gravitent autour de ces pôles économiques.
La place portuaire et le transport maritime
Le port autonome de Nantes-Saint-Nazaire, aujourd’hui Grand Port Maritime, a enregistré 34 Mt de marchandises en 2007 dont 26 millions en import et plus de 8 millions en export. Le trafic principal concerne les produits énergétiques (pétrole, produits raffinés, gaz, charbon) et agro-alimentaires (dont 2 Mt de nourriture pour animaux) liés à l’hinterland agricole important du grand Ouest. Ce chiffre, s’il est équivalent à ceux de Bilbao ou Liverpool, est réalisé avec une faible activité conteneur (150 000 EVP en 2007) et une forte dépendance envers des trafics plus captifs (approvisionnement énergétique). Presque 90 % de son activité se concentre à Donges et à Montoir. Nantes conserve des trafics de bois, engrais, céréales et sables. Saint-Nazaire abrite des terminaux fruitier, frigorifique et colis lourds et reste le principal site de construction navale de l’estuaire du fait de la présence des Chantiers STX, ex-chantiers de l’Atlantique, qui poursuivent la construction de grosses unités. 16 000 personnes gravitent aujourd’hui autour du grand port maritime de Nantes-Saint-Nazaire en prenant en compte les activités directes (2 089 emplois aux services des bateaux et de la marchandise, 717 au Port Autonome, 258 pour les transporteurs routiers et 116 chez les armateurs) et indirectes (énergie, métallurgie, agroalimentaire…) (Belkacem et al., 2008).
Il n’y a pas, pour l’instant, de démarche collective construite autour du port et la logistique qui permettrait la naissance d’un pôle d’activité sectoriel comme il en existe en Provence-Alpes-Côte d’Azur ou en Haute-Normandie. Cependant, la réforme portuaire organisée par la loi du 4 juillet 2008 sur les Grands Ports Maritimes se traduit par la mise en place d’une nouvelle gouvernance du port. Celle-ci s’organise autour d’un conseil de surveillance (mission de contrôle), d’un directoire (organe de gestion) et d’un conseil de développement (assemblée consultative). Le rôle des acteurs économiques et institutionnels locaux sort grandi de la composition des deux conseils. La gouvernance du port se rapproche ainsi du tissu économique et politique local. Cette proximité retrouvée devrait permettre de relancer des schémas de travail plus collectifs, et faciliter la mise en place de projets communs, embryon des clusters. Les regroupements d’acteurs autour du port, même s’ils ont la volonté de dynamiser la place portuaire, sont plutôt professionnels comme l’Union Maritime Nantes Port (UMNP) ou institutionnels comme l’Association Communautaire de l’Estuaire de la Loire (ACEL). Mais dans le contexte de réforme, ils pourraient voir leur rôle prendre de l’ampleur. L’ACEL agit sur mandat du port et des collectivités locales pour conduire des projets d’envergure intéressant l’ensemble des partenaires impliqués. L’ACEL porte par exemple le dossier des autoroutes de la mer et pourrait jouer un rôle plus important sur la logistique. Quant à l’UNMP, sa fonction est appelée à évoluer avec la généralisation des conventions d’exploitation de terminal. Jusqu’à présent, cette union défendait principalement les intérêts comptables et commerciaux de ses membres face à l’administration portuaire. Demain, son action pourrait se faire plus stratégique, comme en témoigne des démarches commerciales venant des entreprises portuaires : dans un article consacré à l’avenir du pôle industriel et portuaire de l’estuaire de la Loire, Jacques Guillaume (2009) attire l’attention sur une tentative de structuration dans le secteur de la production de biocarburants. L’installation d’une usine d’estérification (Diester Industrie) sur le site de Montoir a précipité la décision du groupe agro-alimentaire américain Cargill d’investir dans une unité de trituration des graines de colza, venant compléter l’actuelle usine de Saint-Nazaire. La grande majorité de cette production sera transformée en biodiesel. Le projet, soutenu politiquement et fiscalement par l’Europe grâce à une directive sur les biocarburants, repose aussi sur des investisseurs solides comme Sofiprotéol et l’américain Bunge qui ont investi dans Diester Industrie.
Les perspectives de la place portuaire de Nantes-Saint-Nazaire sont certainement dans le renforcement de la fonction logistique qui s’appuie sur les trafics conteneurs et rouliers. Le conteneur semble se renforcer grâce à une manutention performante, pour preuve l’ouverture par Mediterranean Shipping Cy (MSC) depuis avril 2007 d’une ligne régulière vers l’océan Indien et une augmentation de 11 % pour cette activité entre 2007 et 2008. De plus, la valorisation du multi-modalisme permet de mieux soutenir le projet franco-espagnol d’une autoroute de la mer annoncé en février 2009 à Paris et acté depuis le 28 avril par la signature d’une convention internationale entre la France et l’Espagne. Ainsi deux lignes vont être mises en service fin 2009-début 2010, la première entre les ports de Nantes-Saint-Nazaire (Montoir) et Gijón (opérée par un navire de Grimaldi Louis Dreyfus Lines) et la deuxième entre les ports du Havre, de Montoir et celui de Vigo (renforcement de la ligne d’Acciona). Les perspectives sont aussi dans la capacité du port à disposer d’espaces supplémentaires, y compris hors de sa circonscription. Par définition le port a besoin d’espace et aujourd’hui tous les grands ports ont leur projet d’extension. Cependant le projet Donges-Est prévu initialement au contrat État-Région est requalifié dans la perspective de développement des activités logistiques.
La création d’un pôle sectoriel « Port et Logistique », engageant les entreprises portuaires et de la logistique, le GPM Nantes-St-Nazaire, les collectivités territoriales, peut apparaître souhaitable. Il doit prendre pour exemple le cluster logistique en cours d’organisation et soutenu par la Région PACA, lequel souhaite collaborer avec le pôle de compétitivité logistique haut-normand. Les deux grandes zones portuaires sont donc en phase d’organisation de pôle. Nantes-Saint-Nazaire constitue avec Dunkerque, les deux autres lieux d’importance du monde portuaire français après les couples Marseille-Fos et Rouen-Le Havre.
La construction navale
Les Chantiers STX sont réputés pour la construction de navires à passagers (paquebots et ferries) et les navires spécialisés avec comme activité centrale la fabrication des coques. La force des chantiers est liée à la présence locale d’un grand nombre de sous-traitants disposant d’une main-d’œuvre qualifiée et d’un réseau puissant d’équipementiers. En 2006, le chantier a été vendu au norvégien Aker Yards, puis, en octobre 2007, le groupe coréen STX Shipbuilding en a acquis 39,2 %. Depuis février 2009 il contrôle 100 % du capital du constructeur européen qui devient alors STX Europe. Même si l’État français s’est placé comme actionnaire de la filiale française (33,34 %) auprès des Coréens (50,01 %), et de Alstom (13,65 %), les salariés nazairiens redoutent un transfert des compétences et des savoir-faire et craignent pour leur avenir. Ce rachat permet à STX2 de conquérir le segment de marché qu’il ne maîtrisait pas : les paquebots et les car-ferries.
Le « MSC Poesia », un des paquebots de luxe commandé par MSC et livré en avril 2008.
(cliché ISEMAR, 2008)
D’autant plus qu’au plan local Aker Yards s’était fortement investi. Il a acheté les Ateliers de Montoir qui sont devenus Aker Yards Cabins, créé aussi Aker Yards Solutions à Saint-Nazaire pour des études industrielles de l’ensemble du groupe, où travaillent 150 ingénieurs et techniciens. Si Aker Yards a filialisé, il a responsabilisé également de plus en plus ses sous-traitants en leur confiant des marchés plus importants. STX a récupéré un groupe qui compte plus de 3 000 salariés et qui doit en recruter un millier d’ici fin 2009. Sous-traitants compris (soudeurs, charpentiers métaux, dessinateurs, cadres), la filière comptera localement plus de 8 000 employés. Cependant ces perspectives de recrutement affichées avant la crise financière sont certainement aujourd’hui à nuancer.
La filière construction navale, en lien avec la filière métallurgique, s’est également organisée autour de pôles de compétitivité regroupant des entreprises qui veulent dynamiser et renforcer leurs positions au travers d’actions transversales. Ainsi, le pôle Marine est créé en janvier 2000 et le pôle compétitivité EMC2 (Ensembles Métalliques et Composites Complexes), initié en 2004. Ce dernier, labellisé en 2007, se place sur les marchés de la plaisance, de l’aéronautique, de la construction navale et de l’automobile. Airbus, Aker Yards, DCNS ou Bénéteau, associés à une soixantaine d’entreprises partenaires et appuyés par une vingtaine d’organismes de recherche et de formation de la région, ambitionnent de développer un système productif local (cluster) basé sur des technologies innovantes et le savoir-faire dans le domaine de la fabrication (Guillaume, 2009). Également en 2007, le pôle Marine est devenu Néopolia Pole Industriel Atlantique, afin de mieux rendre compte de son action autour de quatre filières industrielles des Pays de la Loire : le ferroviaire, la construction navale, l’aéronautique et l’off-shore. Ce réseau regroupe aujourd’hui 90 entreprises représentant 9 000 emplois. Néopolia représente le pôle industriel de Nantes-Saint-Nazaire. Il revendique un rôle dans la structuration et la valorisation d’un espace économique et industriel pertinent au travers du réseau d’entreprises qui l’anime. Il représente donc un outil de présentation et de valorisation des savoir-faire industriels au service de la compétitivité du territoire. Il se veut un instrument commercial car la question centrale est la taille des entreprises pour répondre aux appels d’offres internationaux (recherche de leaders, cautions financières). Néopolia propose une mutualisation des capacités techniques et d’études (par exemple concernant les engins flottants de moins de 45 m).
Les industries de construction de navires de transport (marchandises, passagers) ou de plaisance sont une des forces industrielles de notre région et les seules à l’échelle du pays a être de dimension internationale avec deux grands groupes, STX Europe pour la construction navale et Bénéteau pour la plaisance. Le reste du tissu industriel se compose de quelques fournisseurs d’importance (notamment les motoristes Man Diesel et DCNS), d’un vaste réseau de sous-traitants, de quelques petits constructeurs et d’un chantier de réparation navale. Les deux secteurs industriels des constructions nautique et navale sont dominés par deux grands groupes de dimension internationale qui, en eux-mêmes, n’ont pas véritablement besoin d’une dynamique de pôle. Dans les régions européennes mobilisées sur différentes formes de cluster, les secteurs sont plutôt marqués par des acteurs de taille plus modeste, voire en voie de fragilisation. STX Europe et Bénéteau n’ont pas besoin de l’aspect marketing de la démarche de pôle collaboratif. Le constructeur naval utilise par ailleurs un certain nombre d’outils déjà mis en place pour des coopérations de R. et D. de sa stratégie green ship (EMC2, Atlanpole) et des politiques de recrutement (« 6 000 compétences pour l’estuaire »).
Le 10 décembre 2008, le MSC Fantasia, classé au sommet des standards des navires de luxe, quittait le quai des chantiers. Il témoigne des années « records » de 2006-2007 pour tous les chantiers européens et asiatiques avec respectivement 169 et 277 millions de tonnes de port en lourd en commande (Lanthiez & Tourret, 2008). Cependant, entre structuration territoriale et internationalisation, la filière est à un tournant. Si depuis 2003 le carnet de commande des chantiers de l’Atlantique était plein, aujourd’hui la crise financière et la surcapacité des navires de croisière sur le marché renversent la tendance et annonce des temps plus difficiles.
3. Une organisation par à-coups orchestrée par des intérêts extra-territoriaux
Dans les deux exemples présentés précédemment, la stratégie de mise en réseau des compétences et de partage des savoirs techniques et scientifiques, ainsi que le développement de projets communs émanent d’abord des petites entreprises, avant d’être parfois consolidés par les organismes institutionnels à l’échelle régionale ou nationale (exemple de Néopolia). Les grands donneurs d’ordres n’éprouvent pas le besoin de créer du partenariat pour améliorer leur compétitivité et leur pouvoir de marché, et la démarche qui va les associer émane alors de la puissance publique (exemple des pôles de compétitivité). La structure économique des industries navales en Pays de la Loire, qui s’appuie sur des très grandes entreprises, prend racine dans une lente évolution marquée par trois phases, d’un capitalisme local à un actionnariat et à un pouvoir de décision extra-territorial en passant par une forte présence de l’État. Le négoce, l’industrie, les activités portuaires, la construction navale, les compagnies maritimes ont tous été touchés par cette évolution.
L’histoire de l’industrie maritime dans l’estuaire de la Loire a largement été retracée, notamment dans les Cahiers Nantais, par André Vigarié et Jacques Marcadon. Nous nous attacherons donc à faire un bref rappel des quelques moments forts de cette histoire qui font aujourd’hui la particularité de cette industrie estuarienne.
Le rôle de l’État dans l’aménagement et la gestion du port
L’histoire portuaire récente de Nantes débute au point de rupture de charge des navires, au niveau de l’actuel quai de la Fosse. Elle se poursuit sur les sites de Roche-Maurice et de Cheviré, malgré la fermeture du quai Wilson (2005). Celle du port actuel de Saint-Nazaire débute le 25 décembre 1856 avec l’ouverture à la navigation du bassin de Saint-Nazaire, avant-port destiné aux lignes régulières transatlantiques postales et de passagers3. Plus tard, l’essor rapide du port a rendu indispensable le creusement d’un second bassin, celui de Penhoët. Les travaux durèrent de 1862 à 1885. Pendant ce temps, la sous-préfecture de Savenay avait été transférée à Saint-Nazaire et une chambre de commerce était créée.
Si le XIXe siècle a lancé les bases du glissement vers l’aval, celui-ci s’est affirmé au XXe. En quittant la ville, le port prend son aspect contemporain, les dragages s’intensifient au rythme des comblements des bras de Loire. Le site de Donges émerge de la Première Guerre mondiale, celui de Montoir voit le jour dans les années 1970. Ils vont très vite faire figure de port en eau profonde de la basse-Loire. Des travaux de lancement de zones industrielles en périphérie des villes seront lancés dans les années 1960. Vidée de ses industries liées à l’activité portuaire, et de ses places commerciales, il ne restera ainsi à Nantes que le bois, suite à l’implantation d’une plate-forme de distribution et de transformation à Cheviré.
Le 1er avril 1966, en application de la loi de juin 1965, sur l’autonomie des ports, toutes les installations portuaires de l’estuaire de la Loire forment le port autonome de Nantes-Saint-Nazaire, mettant fin ainsi à un siècle de flottement entre concurrence et complémentarité. Mais ce statut éloigne aussi l’autorité portuaire des cercles économiques locaux. Le nouveau port d’État doit affronter très vite des problèmes conjoncturels. En effet, « les chocs pétroliers des années 1970 font disparaître l’espoir de créer un complexe pétrochimique de plein exercice en Basse-Loire » (Marcadon, 2008) et, par là même l’occasion de développer une grande filière industrielle qui manque aujourd’hui pour dynamiser les trafics. Ces crises ont également été à l’origine de la décision d’EDF (1970) d’alimenter en charbon les centrales électriques de la basse-Loire et de la décision interministérielle de 1976 d’implanter un terminal méthanier à Montoir. Ces réorientations stratégiques paraissent plutôt comme une politique de rattrapage puisqu’elles sont hors du champ des vastes développements industrialo-portuaires sous l’autorité de l’État et menées par la DATAR (créée en 1963). L’estuaire de la Seine et le delta du Rhône seront les interfaces prioritaires de la politique d’aménagement du territoire de l’État alors que sur l’Atlantique, Nantes et Bordeaux sont hors du champ national des aménagements massifs mais bénéficient de l’appui de leurs leaders politiques (O. Guichard4, J. Chaban-Delmas) (Tourret, 2009). Dès lors, un pôle énergétique, « rassemblant les installations de réception, de stockage, de traitement et de redistribution des grandes énergies : le pétrole brut, le charbon, et le gaz naturel liquéfié » (Lacoste, 1998), voit le jour en Basse-Loire et apporte, entre autres, les 10 % de fournitures énergétiques nécessaires à la population de la Bretagne et des Pays de la Loire.
Du manque d’adaptation du négoce et de l’industrie à la mutation économique de l’après-guerre
Le commerce triangulaire (ou circuiteux) des négriers entre Nantes, l’Afrique et les îles des Caraïbes (en particulier Saint-Domingue, actuellement Haïti), porte, au début du XVIIIe siècle, le port de Nantes au rang de premier port colonial de la métropole. Le sucre, le cacao, le tabac arrivèrent en masse à son avant-port de Paimbœuf puis sur les quais de Nantes. La ville comptait jusqu’à une vingtaine de raffineries artisanales du sucre de canne à la veille de la Révolution5. Les engagements extra-territoriaux bâtissent la puissance du port et de son industrie. Aujourd’hui il existe toujours un courant d’échange très important entre le port et les DOM-TOM. Finalement, ce lien avec l’outre-mer est resté gravé dans l’organisation des avant-pays du port de Nantes-Saint-Nazaire.
Tout au long du XVIIIe et jusqu’à l’entre-deux-guerres le négoce est l’initiateur de l’activité industrielle nantaise et donc du port de Nantes. De la conserverie de poissons et légumes (Amieux, Saupiquet) à la biscuiterie industrielle (Lefèvre-Utile 1850-1987, Biscuiterie Nantaise 1896-19636) l’industrie agroalimentaire a longtemps chapeauté l’activité portuaire nantaise. Elle a également impulsé l’implantation d’une métallurgie du fer blanc (Les Forges de Basse-Indre, 1822), pour alimenter les besoins croissants de l’industrie de la conserverie (Labatous, Lespagnol & Péron, 2005). Avec la fonderie de cuivre et de plomb de Couëron (1821) et les forges et aciéries de Trignac (1879) les bases d’un cœur d’activité dans la métallurgie se mettent en place en basse-Loire qui fait dès lors « figure d’exception dans un Ouest peu industrialisé » (Geslin, 1997). Le XXe entérinera cette spécialisation avec le développement des constructions ferroviaire et aéronautique. Mais la plupart des milieux d’affaires commerciaux et industriels n’ont pas su s’adapter à temps aux grandes évolutions manufacturières et logistiques. Ils seront rachetés, dans le cas de l’agroalimentaire et de la métallurgie, ou disparaîtront. à ce titre, l’exemple de la navale est éclairant.
La construction navale, de la concentration à l’internationalisation
Ce n’est pas avant le XVIe siècle que Nantes fit sa renommée avec la construction de grands vaisseaux, comme le Grand Henry et le Grand Carraque. Au XVIIe siècle, le site de construction de la Fosse est le lieu principal du radoubage et de calfatage des goélettes, gabarres, bricks, chasse-marée... Le 5 décembre 1664 un arrêt du Conseil Commercial crée les premières primes à la construction de navires. L’activité, alors en plein essor, prend son envol. Deux siècles plus tard, Nantes dénombre plus de 100 constructeurs. La propulsion à hélice et les premières constructions en acier vont apporter l’innovation et la spécialisation mais aussi la concentration des constructeurs. Les Chantiers Dubigeon à Chantenay (1780), les Ateliers et Chantiers de la Loire (1881) et les Ateliers et Chantiers de Bretagne sur la Prairie-au-Duc (1895-1909) vont lancer des vapeurs en acier, des torpilleurs, des remorqueurs, des dragues, des chalands, et également des cap-horniers. C’est du chantier Dubigeon que sera lancé en 1896 le trois-mâts Belem.
La fin du XIXe siècle est également marquée par le développement de compagnies nantaises qui armèrent une flotte immatriculée au port de Nantes et affectée aux trafics vers l’Europe, les États-Unis, l’Amérique du Sud, l’Indochine. La Compagnie Nantaise des Chargeurs de l’Ouest7 fondée en 1902 est l’héritière des armements nantais Compagnie Nantaise de Navigation à Vapeur (créée en 1882), Voiliers Nantais (1894), et des Chargeurs de l’Ouest (1902).
Du côté de Saint-Nazaire, en 1881, la Compagnie Générale Transatlantique reconstruit son chantier à Penhoët au fond du nouveau bassin. Par ailleurs, sont créés les Ateliers et Chantiers de la Loire à Saint-Nazaire qui serviront d’abord à la réparation et à l’entretien de la flotte de la compagnie. Le 5 mai 1935 le Normandie quitte la forme-écluse Joubert. La construction de cette nouvelle cale (1929-1934) et le lancement de ce géant des mers témoignent du dynamisme de la construction navale et de ses perspectives à Saint-Nazaire. En 1950, elle est à son apogée avec 7 300 employés à Nantes (Ateliers et Chantiers de la Loire 2 600, Dubigeon 1 200, Ateliers et Chantiers de Bretagne 3 500) et 11 200 à Saint-Nazaire. Mais la concurrence étrangère, et la baisse des aides de l’État (renforcées après la Seconde Guerre mondiale) incitèrent à de nouvelles restructurations. En 1955, les Ateliers et Chantiers de la Loire Saint-Nazaire apportent, sous l’égide de l’État, leur établissement à la société des Chantiers de l’Atlantique formant alors les Chantiers de l’Atlantique Penhoët-Loire. Ces derniers fusionnent à leur tour avec la société Alsthom en 19768 et échappent ainsi à la disparition comme l’essentiel de la construction navale française (Belser, 2003). En 1987, le Bougainville quitte Nantes pour être achevé à Saint-Nazaire, c’est la fin du chantier Dubigeon dont le nom avait survécu depuis 1738 (De Brossard, 1983).
Dans les années 1990, les Chantiers de l’Atlantique, en se positionnant dans le secteur des paquebots, deviennent « un des rares spécialistes mondiaux des navires de croisière tout en continuant à construire méthaniers, ferries, et navires spéciaux » (Lanthiez & Tourret, 2008). Dès lors, les chantiers livrent pour les plus grands armateurs mondiaux. Cependant la période post-septembre 2001, qui mènera jusqu’au rachat par Aker Yards, est marqué par le gel des commandes compensé en partie par des demandes émanant du secteur public (Lanthiez & Tourret, 2008). Aujourd’hui les chantiers sont dans le giron des Coréens, et même si l’État est là, en appuyant certainement la construction par des commandes militaires9, que se passera-t-il quand la pression des constructeurs chinois sera devenue trop grande et quand les Coréens auront acquis le savoir-faire de cette industrie de pointe ?
L’État a marqué de son empreinte l’évolution des industries maritimes en basse-Loire dès les années 1930, aux côtés des entreprises familiales. Celles-ci, fragilisées dans un contexte de concurrence internationale dans les années 1960 à 1980, finiront par disparaître au profit d’un actionnariat national, puis européen et enfin international dans les années 2000.
Conclusion
L’identité estuarienne s’est construite par une accumulation d’activités, de crises, de prises de décisions. Une grande partie de l’équilibre de la basse-Loire dépend toujours de son industrie, et seule une politique économique solide, basée sur l’épanouissement des forces déjà en place, sera garante de la stabilité sociale de ce territoire qui est aujourd’hui le quatrième bassin d’emploi portuaire de France et le premier de l’Atlantique. Si l’État a impulsé, parfois aidé, les filières maritimes en Pays de la Loire, il n’en a jamais fait des interfaces prioritaires comme le sont les GPM de Marseille ou du Havre.
Au regard de la nature des filières et des mobilisations collectives déjà engagées, la Région des Pays de la Loire peut faire le choix d’un système visant à la structuration plus forte de sa stratégie d’appui aux filières de l’économie de la mer elle-même de plus en plus intégrée autour de pôles sectoriels collaboratifs et transversaux. Toutefois, cela dépend aussi des acteurs et de leur volonté de participer à cette dynamique. Dans le cadre de clusters les grandes entreprises de niveau international apprécient l’accompagnement public mais, elles montrent généralement une certaine distance quand il s’agit d’action plus locale.
En dehors de la construction navale, pour les autres filières, la mobilisation en est au stade d’une simple ébauche ou est encore ignorée par les acteurs. La Région, avec d’autres acteurs (collectivités, CCI), peut aider à la structuration de ces pôles qui néanmoins dépendront de la motivation et de l’engagement des acteurs professionnels. Les mobilisations déjà engagées ou ébauchées démontrent néanmoins la volonté des acteurs d’impulser des politiques sectorielles fortes. Celles-ci demandent généralement de la transversalité (R et D, formation, marketing territorial, etc). La Région peut apporter, par ses capacités de mobilisation et de financement, les éléments nécessaires à la construction de pôles sectoriels forts et lisibles. Ces derniers devront être inclus dans une démarche régionale globale autour de larges actions et valorisés à l’échelle internationale. L’objectif final est d’affirmer la place des Pays de la Loire comme grande région maritime européenne.