Quelques jalons pour évaluer les enjeux des littoraux français à l’échéance 2030-2040

Résumé

Ce texte se propose de faire l’inventaire des quelques enjeux majeurs qui se posent et se poseront aux littoraux de la France métropolitaine dans les trente prochaines années. Il s’appuie pour cela sur les documents officiels récemment diffusés en vue d’élaborer une véritable stratégie nationale pour la mer et le littoral.

Index

Mots-clés

littoral, mer côtière, gestion intégrée de la mer et du littoral

Plan

Texte

À l’heure où ces lignes sont écrites, la Stratégie nationale pour la mer et le littoral n’est pas encore définitivement arrêtée pour les prochaines années. Cependant, cette stratégie est suffisamment connue et diffusée dans sa version provisoire pour qu’il soit possible de se faire une idée des grandes orientations de la future politique maritime et littorale de la France, même s’il ne s’agit en aucun cas d’un programme normatif et réglementaire, mais plutôt d’une déclinaison d’intentions dans le sillage de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement pour l’environnement. Par ailleurs, ce texte fait suite à suffisamment de déclarations générales ou de propositions émises dans diverses instances (Assises de la mer et du littoral, Conseil national de la mer et des littoraux notamment), pour qu’il soit nécessaire de se référer à leurs conclusions convergentes, d’autant qu’elles sont inspirées par un cadre d’appui d’échelle européenne, décliné en diverses directives, dont celle de 2008 portant sur la stratégie pour le milieu marin (DCSMM) et celle de 2014 sur la planification de l’espace maritime. La référence explicite au bon état écologique du milieu marin et à la croissance durable des activités littorales et maritimes fait donc partie des axes directeurs des politiques à venir et toute vision prospective à propos de la mer et des littoraux doit en tenir compte.

À vrai dire, de telles préoccupations ne sont pas vraiment nouvelles et le sentiment que le littoral est une ressource rare et fragile a été maintes fois évoqué depuis la publication du rapport Piquard en 1973, jetant ainsi les bases d’une véritable « philosophie des rivages », pour reprendre le titre d’un article d’A. Guilcher, paru dans ces mêmes Cahiers Nantais en 1990, en introduction d’un numéro thématique intitulé « Gros temps sur les côtes… le littoral au péril de la mer… et des hommes ». Mais depuis ces trente dernières années, et ceci malgré des efforts réglementaires qui sont loin d’être négligeables, les enjeux se sont durcis, les risques se sont aggravés, les contradictions se sont accentuées entre une « croissance verte » et le développement d’une « économie bleue », souvent évoquée dans une logique tout aussi volontariste qu’inconstante, de sorte qu’il devient urgent de revenir à une certaine cohérence pour les trente prochaines années, la visibilité des enjeux s’améliorant considérablement avec leur péjoration, et dessinant par la force des choses la priorité des objectifs et des moyens pour y parvenir.

Une pression persistante sur les littoraux

Depuis le lointain point d’inflexion que certains historiens font remonter à la fin du XVIIIe siècle, les littoraux sont affectés par une pression constante des populations métropolitaines et rien n’indique que cette tendance s’inversera de manière significative dans les prochaines années. La densité des communes littorales était déjà de 195 hab. au km2 en 1936. Elle était de 260 à la fin du dernier siècle et de 285 en 2010. Elle se prépare sans nul doute à franchir le seuil des 300 hab. au km2, dans la mesure où les causes de cette pression ne s’atténuent pas : aménités particulièrement attractives, associées au tourisme et aux occupations des populations retraitées, emplois des actifs fondamentalement tournés vers une économie « présentielle », liée aux services de proximité et aux besoins de résidents généralement plus aisés que la moyenne, socle encore important d’activités liées à l’interface terre-mer. On en devine aussi les conséquences : vieillissement des populations littorales par le renouvellement incessant des candidats à la retraite, ségrégation sociale au profit des plus aisés au contact même de la côte, provoquant un épaississement relatif de la pression démographique sur les espaces rétro-littoraux, arbitrage en faveur des fonctions touristiques et de loisirs qui représentent d’ores et déjà plus de la moitié des 450 000 emplois « maritimes » français, difficultés des collectivités territoriales à faire face aux besoins des populations résidantes et des populations fluctuantes des saisons touristiques, grignotage ou altération des espaces de nature, les résidences secondaires continuant leur progression dans les communes littorales, au point de représenter pratiquement un logement sur trois (contre un sur dix à l’échelle de l’espace métropolitain).

À ces pressions progressant de manière homothétique, s’ajoutent de nouvelles fonctions « intrusives » qui renouvellent ainsi les enjeux et les risques d’asphyxie, en matière de « capacité de charge ». Précisons tout d’abord que les fonctions touristiques ne sont pas immuables et qu’elles doivent se renouveler constamment, selon les pratiques émergentes et désirs nouveaux de la clientèle. Les sociologues nous ont bien montré que les « élites » sont animées d’un désir d’extraction des habitudes de la masse et que toute consommation, arrivée au point de saturation du marché, est condamnée au délaissement par les classes aisées. C’est une des clés du succès des sports nautiques, voire du tourisme de nature, parce qu’éloignés des pratiques balnéaires les plus populaires. Cette dynamique met à rude épreuve les territoires et leurs équipements, mobilisant de nouveaux espaces pour en délaisser d’autres, au risque de produire de véritables friches touristiques qu’il faut ensuite traiter avec doigté (depuis la réhabilitation fonctionnelle jusqu’à la patrimonialisation). Ajoutons ensuite que de nouvelles fonctions, encore modestes aujourd’hui, vont se développer fortement, si l’on en croit les impulsions qui leur seront données dans un avenir plus ou moins rapproché. Ainsi, les énergies renouvelables doivent croître selon les orientations de la dernière loi sur la transition énergétique du 17 août 2015, l’objectif étant d’amener les énergies renouvelables à 32  % de la consommation d’énergie finale à l’échéance 2030. Or les littoraux sont idéalement placés pour répondre à de tels objectifs dans la mesure où leur potentiel éolien est élevé, sans parler des divers mouvements de la mer susceptibles de produire de l’énergie (marées, courants, houle). Néanmoins, la faible puissance unitaire des capteurs ou leur production assez modeste en proportion de leur puissance théorique exigent de consommer beaucoup d’espace, provoquant des réactions sociétales ou des conflits d’usages qui les obligent à « décoller » de la côte et à investir la mer côtière, avant de partir à plus long terme à la conquête des eaux du grand large. On sait par exemple que l’inventaire préalable des sites potentiels de l’éolien posé a conduit à penser que la mer côtière était décidément déjà bien pleine et qu’il n’y aurait guère plus d’une dizaine de sites à proposer aux investisseurs. Les deux premiers appels d’offres de 2011 et de 2013 n’ont finalement retenu qu’une demi-douzaine de sites, l’objectif des 6 000 MW installés en mer paraissant désormais totalement irréalisable pour 2020. On atteindra à cette date le cap espéré des 2 000 MW, avant de songer à 15 000, voire 20 000 MW à l’horizon 2030, en mobilisant d’autres moyens de production, dans l’éolien flottant et surtout l’hydrolien, dont la France dispose d’un des meilleurs potentiels au monde. 

La montée des usages en mer côtière

Avec ses charges d’humanisation croissante, le littoral cessera d’être une frontière ou un front sur lequel s’accumulaient des populations et activités en recherche de contacts avec la mer, pour devenir un point d’appui à partir duquel sera durablement occupée la mer côtière, le littoral devenant alors une véritable interface humaine, rejoignant ainsi ce qu’il a toujours été sur le plan physique. En effet, si la mer côtière reste le champ d’investigation d’activités traditionnelles (pêche, cabotage) ou le lieu d’atterrissement des grands navires, elle est et sera fréquentée par de nouveaux usages (loisirs nautiques, élevages marins, énergies marines), dont l’irruption justifiera l’ordonnancement raisonné au sein d’espaces de plus en plus réglementés. La priorité accordée à la protection environnementale conduit à penser que les aires marines protégées vont s’imposer, sans bien sûr exclure d’autres formes d’occupation ou d’usage, mais en les contraignant fortement. La loi du 14 avril 2006 en a stabilisé diverses catégories, selon les enjeux à traiter et les objectifs à atteindre, tout en créant la nouvelle formule des parcs naturels marins, dont la France métropolitaine dispose déjà de six exemplaires en 2016 (Iroise, golfe du Lion, estuaires picards et mer d’Opale, bassin d’Arcachon, estuaire de la Gironde et mer des Pertuis, cap Corse et Agriate). La liste n’est évidemment pas close et s’allongera sans doute, puisque les aires protégées devront atteindre 20  % au moins des eaux sous contrôle national en 2020.

Les documents de gestion, les planifications sectorielles ou les documents stratégiques vont donc se multiplier en zones côtières. Il est souhaitable évidemment qu’ils ne s’y empilent pas en mille-feuille, sans tenir compte des plus élémentaires cohérences entre eux. On peut déjà remarquer que les plans d’action pour le milieu marin (PAMM), déclinés par région et sous-région marines selon les cadres établis par la DCSMM ne sont pas « conformes » aux limites des documents stratégiques de façade (DSF), préparés par les Directions interrégionales de la Mer. C’est un mauvais signal qui oblige les PAMM à réserver des chapitres spécifiques aux façades qu’ils recoupent, les DSF devant à l’inverse tenir compte des PAMM qui les concernent. Par ailleurs, il serait souhaitable de veiller à la coordination des documents terrestres et maritimes, afin de tenir compte des besoins réciproques de la terre et de la mer, à des échelles variées, dans une logique de réelle intégration dialectique et itérative. On devine aussi les difficultés de l’entreprise, puisque le littoral, point d’équilibre de cette dialectique terre-mer, ne cesse de subir des pressions humaines et fonctionnelles, dont la source d’inspiration reste encore éminemment continentale.

Les littoraux, plaque sensible du changement global

C’est précisément au moment où beaucoup d’activités « descendent » vers la mer qu’en retour, se profilent des menaces maritimes directement dérivées du changement global et de la montée des eaux par eustatisme. Selon les projections diffusées par le GIEC, l’élévation du niveau moyen de la mer, provoquée par la dilatation thermique des océans et la fonte d’une partie des glaces continentales, entre les périodes 1986-2005 d’une part et 2081-2100 d’autre part, pourrait être de l’ordre de 26 à 55 cm selon les scénarios les plus optimistes et de 45 à 82 cm pour les plus pessimistes. À n’en pas douter, cette montée moyenne des eaux s’accompagnera en même temps d’une menace aggravée de submersions marines sur les côtes basses dont la surface en métropole peut être estimée, en tenant compte des espaces rétro-littoraux, à 7 000 km2. Là, résident 850 000 personnes, pour 570 000 logements environ. Par ailleurs, même si les causes ne sont pas forcément strictement liées à l’élévation du niveau marin, les côtes en recul sont nombreuses : le quart du trait de côte métropolitain est concerné, principalement sur les côtes sableuses qui reculent sur pratiquement la moitié de leur linéaire. Il y a là des urgences qui concernent dans l’immédiat 140 000 à 150 000 personnes (et 153 000 résidences secondaires), celles-là mêmes qui sont implantées à moins de 250 m d’une côte en recul.

La montée des risques est donc réelle et oblige à des stratégies adaptatives qui passent en premier lieu par une révolution des esprits, dans la mesure où le coût de la défense contre la mer va devenir prohibitif, sans pour autant garantir un retour à la sécurité. Aussi, de véritables plans de repli des populations exposées finiront par s’imposer, allant jusqu’à l’abandon des biens menacés. Il est évident que la potion peut être amère, d’autant que la baisse de la valeur du foncier sur les côtes sensibles se fera en proportion inverse de l’intérêt porté aux côtes faiblement impactées.

La mondialisation, porteuse d’évolutions erratiques des littoraux

En tant qu’épiderme des territoires continentaux, les littoraux ont toujours été affectés par des influences extérieures : les afflux de capitaux, de biens nouveaux, de comportements innovants, et à l’inverse, la projection vers le monde de toutes les énergies et initiatives humaines, sont la marque des villes portuaires, en France comme ailleurs. Cependant, l’affirmation contemporaine du système-Monde, non seulement renforce considérablement le rôle des influences extérieures, mais facilite leur affranchissement de tout rapport avec les besoins intrinsèques du pays, pour atteindre à une véritable autonomie, libérée des « contingences » locales ou nationales. Et l’intégration européenne, peu regardante à l’égard des flux qui lui sont extérieurs et totalement transparente à l’égard de ses flux intérieurs depuis l’adoption du marché unique, renforce très largement cette impression.

Des pans entiers de l’activité littorale sont lourdement affectés par cette évolution, tout aussi profonde qu’imprévisible. En France, la dépendance à l’égard des capitaux étrangers est forte dans de nombreuses activités maritimes, comme la construction navale, la réparation navale, la flotte pétrolière, la logistique portuaire, la production de matériel éolien ou de câbles sous-marins. C’est un signe de vulnérabilité et d’instabilité pour de nombreux territoires littoraux. Qu’arriverait-il si d’aventure le site de la construction navale nazairienne, chahuté par de profondes recompositions capitalistiques depuis 2006, était libéré de ses usages industriels ? Nul ne peut le dire, même s’il est facile de percevoir d’évidentes turbulences en matière d’affaiblissement industriel du pays, de réinvestissement local par d’autres usages et de réadaptation progressive de l’estuaire de la Loire dans le système portuaire national. Plus largement, des secteurs entiers de l’économie littorale souffrent de la mondialisation : la flotte marchande est en recul au point de ne plus réellement exister à l’échelle mondiale, les ports stagnent, même si leur trafic se recompose profondément, en perdant à l’occasion une partie des trafics lourds qui avaient fait la force de leurs zones industrialo-portuaires, la pêche est progressivement déconnectée des besoins de son marché intérieur, massivement alimenté par des importations mondialisées. Au total, le littoral, sur les lieux les plus affectés par ces mouvements erratiques, souffre et souffrira davantage si les politiques d’encadrement de l’« économie bleue » sont trop timides. Il est aisé aujourd’hui de constater que les villes littorales les plus sensibles aux activités maritimes sont aussi les plus vulnérables et qu’il n’y a pas « un » littoral mais de très nombreux socio-systèmes territoriaux, dont beaucoup sont en difficulté, même si la prime aux écosystèmes « maquille » les états des lieux et unifie les enjeux sous le doux velours de la gestion de la « nature ».

Une gestion qui doit s’adapter aux enjeux locaux

La conception unitaire du littoral qui a connu son apogée au moment de la promulgation de la loi Littoral (3 janvier 1986) et qui est justifiée par la souveraineté sans partage de l’État sur le domaine public maritime et la mer territoriale, est aujourd’hui écornée par de multiples acteurs dont l’entrée en lice s’appuie précisément sur la variété des situations locales. Par ailleurs, l’européanisation des politiques maritimes pousse à des actions partagées ou concertées, voire à des transferts de compétences, même si l’ombre du Brexit risque d’obscurcir l’avenir des mers européennes, en particulier pour la politique commune des pêches. De son côté, l’État est engagé depuis plus de trente ans dans la déconcentration ou la décentralisation de l’action publique, comme en témoigne par exemple le transfert des tutelles portuaires aux collectivités territoriales, à la seule exception des sept Grands Ports Maritimes. Ce transfert s’est réalisé par étapes successives, depuis les deux lois de décentralisation du 7 janvier et 22 juillet 1983 qui ont confié aux Départements et aux communes 532 ports (304 pour les ports de commerce et de pêche confiés exclusivement aux départements, 228 ports de plaisance destinés aux communes). Ce transfert important n’avait pas modifié pour autant les rapports de force au sein du système portuaire, puisque les plus grands ports restaient sous la tutelle de l’État (ports autonomes et ports d’intérêt national). Mais en deuxième étape, la loi du 13 août 2004 a confié les ports d’intérêt national aux collectivités territoriales se portant candidates avant le 1er janvier 2006. Cette révolution majeure qui a finalement privilégié l’échelon régional dans la réalité des faits, mais sans exclusive institutionnelle, est aujourd’hui poursuivie par la loi NOTRe du 7 août 2015, la préférence revenant alors à l’échelon régional. En effet, la loi admet que le département ou le groupement dont il est membre peut demander le maintien de sa compétence pour les ports dont il a la charge, celle-ci lui étant attribuée d’office s’il n’y a pas d’autre candidat. Mais, à l’inverse, s’il n’y a pas de candidat ou de demande du Département à maintenir la sienne au 31 mars 2016, le préfet de Région est tenu de désigner la Région comme l’attributaire exclusif. Cette « découverte » de l’efficacité régionale pourrait être renforcée à termes plus ou moins rapprochés, par une sélection plus sévère des ports d’État, devenus Grands Ports Maritimes par la loi du 4 juillet 2008, certains n’ayant objectivement qu’un rayonnement régional.

Par cet exemple particulier, on se rend bien compte que l’État est en recherche des meilleurs échelons pour l’animation de l’action publique et que sa réflexion le conduit à privilégier assez régulièrement le niveau régional. S’il n’est pas question de contester la pertinence de l’échelle locale qui devrait s’exprimer au travers de la systématisation des schémas de cohérence territoriale (SCoT) valant schémas de mise en valeur de la mer (SMVM), la Région devrait mieux asseoir ses prérogatives d’aménagement en mer côtière, au travers de schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) résolument maritimisés. Beaucoup de régions sont sensibles à de tels enjeux, la Bretagne en tête qui entend porter sa politique au travers de sa propre conférence régionale pour la mer et le littoral. De manière générale, les institutions régionales devront s’habituer au dialogue permanent avec les services déconcentrés de l’État à propos des zones côtières, l’État devant lui-même infléchir sa position à l’égard de la mer territoriale, dont les enjeux divergent progressivement de la zone plus distante des 200 milles. On peut songer par exemple à un sensible recentrage des délégations de compétence des préfectures maritimes pour ne les réserver qu’aux seuls 200 milles, à l’exception bien sûr de toutes les missions de l’action de l’État en mer. À l’inverse, l’État doit conserver ses compétences d’animation stratégique et préserver les cadres généraux de l’action réglementaire. Il doit veiller à la parfaite cohérence entre ses actions sectorielles et sa promotion plus globale d’une économie durable, en évitant les querelles de chapelles entre les diverses directions ministérielles disposant d’attributions littorales ou maritimes. C’est un objectif qui n’est pas si facile à atteindre et qui est curieusement reproduit par les services de la commission européenne, les buts de la DG Mare (pêche, politique maritime intégrée) n’étant pas forcément convergents avec ceux de la DG Move, en charge d’activités aussi fondamentales que les ports et les transports maritimes. À la complexité des enjeux, devraient correspondre une certaine clarté, simplicité et transversalité institutionnelle. 

L’avenir des littoraux sera donc celui de la complexité. Complexité des enjeux, dans lesquels se mêlent les contraintes du changement global et les mouvements erratiques de la mondialisation, sur un fond tendanciel de pressions locales, progressivement freinées par la perception des fragilités environnementales et les modifications des comportements socio-culturels. Complexité des objectifs, tous les littoraux ne marchant pas forcément vers l’avenir radieux d’une durabilité maîtrisée, certains connaissant même de graves difficultés économiques, dont ils doivent urgemment sortir par l’issue classique de la solidarité sociale et de la réinjection d’emplois, complexité des moyens, les initiatives locales prenant le soin de colorer par leur propre orchestration les thèmes, les rythmes et les règles du pouvoir central. De ce point de vue, la stratégie nationale est nette : il s’agit d’assurer la transition écologique pour la mer et le littoral, en étant en phase avec les orientations d’une politique maritime intégrée. Mais cette politique maritime intégrée n’est acceptable qu’à trois conditions. Qu’elle soit d’abord intégrale, c’est-à-dire sans contestation majeure de la part de forces adverses, exogènes ou centrifuges, fort nombreuses sur les littoraux et rebelles aux prétentions des États côtiers à préserver leur bon droit. Qu’elle soit intègre, c’est-à-dire qu’elle respecte les grands équilibres de la durabilité, la « transition écologique » n’étant soutenable qu’en poussant à part égale les trois pôles de l’éco-socio-système et qu’en préservant les conditions d’épanouissement de l’économie bleue, son avenir étant sans commune mesure avec ce qu’elle peut offrir aujourd’hui. Pour cela, il convient d’équilibrer en permanence les rapports de l’économie sectorielle avec l’économie de la durabilité, ces deux aspects paraissant souvent trop éloignés, voire opposés. Enfin qu’elle soit intégrée, non seulement entre ses composantes, on vient de le rappeler, mais avec les attentes et les potentiels des territoires encadrants. C’est en respectant ces trois conditions que la France pourra enfin atteindre ce qu’elle a toujours rêvé, du moins en paroles (et pas toujours en actes) : assurer son rayonnement de grande nation maritime.

Bibliographie

GUILCHER A., 1990. Vers une philosophie des rivages, Gros temps sur les côtes… Le littoral au péril de la mer…et des hommes, Les Cahiers Nantais, n° 35-36, pp. 3-15.

Ministère de l’Écologie, du Développement Durable et de l’Énergie, 2014. Rapport d’état des lieux «Mer et Littoral », Rapport final, 341 p. [URL http://webissimo.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_-_Etat_des_lieux_mer_et_littoral_cle76f2cb.pdf].

PIQUARD M., 1974. Perspectives pour l’aménagement du littoral français, Rapport au gouvernement, DATAR, La Documentation française, 266 p.

Citer cet article

Référence électronique

Jacques Guillaume, « Quelques jalons pour évaluer les enjeux des littoraux français à l’échéance 2030-2040 », Cahiers Nantais [En ligne], 2 | 2016, mis en ligne le 16 février 2021, consulté le 28 mars 2024. URL : http://cahiers-nantais.fr/index.php?id=998

Auteur

Jacques Guillaume

Géographe, Professeur émérite, LETG-Nantes Géolittomer UMR 6554-CNRS

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