Pourquoi s’interroger sur l’évolution des territoires ?
Le département de la Loire-Atlantique connaît sur la période 1955-2015 d’énormes bouleversements démographiques, économiques et sociaux. Il est passé d’un territoire « équilibré » à un territoire profondément transformé par la métropolisation Nantes-Saint-Nazaire.
Ce territoire se caractérisait par :
- un équilibre avec Nantes, grande ville qui rayonne sur des espaces ruraux bien reliés au chef-lieu, polarisés par de petites villes telles Châteaubriant, Ancenis, Clisson, Machecoul, et Saint-Nazaire, ville moyenne, portuaire et industrielle, proche des marais salants et de stations balnéaires en devenir de part et d’autre de l’estuaire (La Baule, Pornic) ;
- une agriculture forte qui occupe de vastes étendues, même dans les communes voisines de Nantes, faisant vivre de nombreuses personnes dans des exploitations encore largement en polyculture associée cependant à des spécialisations (vigne dans le sud-ouest, maraîchage autour de Nantes, lait et viande ailleurs).
Aujourd’hui, la forte métropolisation de Nantes - Saint-Nazaire qui concerne plus de la moitié de l’espace départemental a bouleversé le paysage et pose question sur le devenir :
- des petites villes et des territoires qui fonctionnaient avec et aux côtés de Nantes à l’exemple d’Ancenis qui a longtemps accueilli plus d’emplois que d’actifs ;
- sur le devenir de l’agriculture qui a longtemps résisté en se spécialisant, à partir d’exploitations familiales de taille moyenne relativement nombreuses grâce à une politique des structures bien appliquée, modernisées dans les décennies 1960 et 1970, liées à des industries agro-alimentaires dynamiques, à l’exemple de la CANA devenue Terrena à Ancenis, emblématique de cette structuration.
Premiers constats de Jean Renard et de Nicole Croix
Les bouleversements du département ont été très bien analysés, particulièrement pour la période 1950-2004, et il existe beaucoup de témoignages écrits d’acteurs politiques, syndicaux, universitaires, en particulier de géographes qui ont :
- rassemblé des sources et statistiques fort intéressantes tant agricoles que rurales, lu et utilisé les rares travaux universitaires de toute spécialité portant sur la région et participé aux nombreux colloques en France et à l’étranger traitant des questions rurales (liens avec l’Association des Ruralistes Français et la Commission de géographie rurale) ;
- travaillé avec d’autres chercheurs nantais particulièrement nombreux et dynamiques entre 1975 et 1995 tels le juriste Louis Lorvellec, ou les économistes Jean-Claude Lebossé et François Colson de l’INRA, Jean-Louis Lambert de l’ENITIAA ;
- participé à des contrats nationaux en utilisant l’exemple départemental (ministères de l’Agriculture, de l’Environnement, CNASEA, SAFER entre autres) ;
- multiplié les contacts avec les administrations, les chambres consulaires, en premier lieu la Chambre d’agriculture où travaillait tout un groupe d’élus agriculteurs et de techniciens proches des agriculteurs car souvent eux-mêmes issus de familles agricoles, les collectivités travaillant sur l’aménagement et le développement des territoires ruraux ;
- participé à des assises du monde rural, à de grandes réunions agricoles à l’initiative de l’État, de la Région ou de syndicats ;
- parcouru le département, seuls ou avec les étudiants, pour rencontrer élus, chefs d’entreprise, agriculteurs. Des fiches, des plans, des photos ont ainsi été réalisés et ont servi à nourrir les travaux universitaires1.
Dans la discussion, Jean Renard souligne l’importance de la documentation en Loire-Atlantique (Croix, 1998) qui n’est pas systématiquement présente partout, et qui existe jusqu’à la thèse de doctorat de Valérie Jousseaume (1996) et la thèse d’État de Nicole Croix (1999). Il relie son existence d’universitaire dès 1964 à la présence d’un laboratoire de recherche à l’IGARUN centré sur cette entrée, relayée par l’appartenance à une équipe CNRS de l’Ouest. C’est à cette documentation qu’il a pu accéder dès le début de ses travaux dans le département dans les années 1960 :
- les documents de la DDA (Direction Départementale de l’Agriculture) : l’Enquête agricole de 1929 décrivant les campagnes nantaises entre les deux-guerres ; les recensements agricoles (RGA) à partir de 1955 avec les statistiques classées par commune et par exploitation, permettant d’avoir une idée précise des spécificités des exploitations à différentes échelles ;
- le Registre des exploitations agricoles (REA)2 de la Chambre d’agriculture s’appuyant sur un système participatif avec constitution d’un jury communal composé d’agriculteurs, à l’échelle du département ;
- le rapport dit « rapport CAILLOT » complété d’un atlas, publié en 1962 dans la collection Économie et Humanisme, portant entre autres sur « La Loire-Atlantique et la Vendée face à leur avenir3 », s’appuyant sur une enquête participative menée au niveau national dans quelques départements, réalisée canton par canton, mettant en exergue des déficiences ou des difficultés (Ménard Lebeau pour la Loire-Atlantique). Autre rapport d’importance, le rapport Dumont de 1964 relatif à la modernisation de l’agriculture.
Ces divers documents et d’autres ont permis d’étudier l’évolution des territoires depuis les années 1960 et d’identifier de grandes étapes.
Quelles sont les grandes étapes de cette évolution ? À deux voix
Un monde rural figé à la fin des années 1950
En 1955, il existe 45 000 exploitations agricoles en Loire-Atlantique, dont seulement 50 de plus de 50 ha. Aucune politique d’aménagement rural n’est encore mise en place ; l’aménagement des campagnes est presque exclusivement agricole et le principal outil, le remembrement, est mal adapté à la situation foncière et agricole du département, ce qui explique que les travaux sont conduits parfois très difficilement comme à Fégréac au début des années 19504.
Les bourgs et petites villes vivotent. La société rurale est essentiellement agricole, beaucoup de ruraux non agricoles ont migré vers les villes dès la fin de la Première Guerre mondiale. Les familles agricoles, encore nombreuses dans les campagnes, sont marquées par la pesanteur des structures agraires, avec des « métairies » isolées de plateau et des borderies de villages en fermage direct, utilisant plusieurs terroirs, le poids de l’Église et de l’école privée, la pesanteur des grands propriétaires, souvent élus et très conservateurs. Les propriétaires ont tout pouvoir et les relations sociales sont dures et déséquilibrées, même si des familles propriétaires sont estimées. Si on reprend les écrits de Julien Gracq ou de Pierre Flatrès, dès que l’on sort de Nantes vers Rennes, brutalement, on plonge dans les campagnes profondes…
Mais des ferments d’évolution sont là, en particulier toute une jeunesse formée par les mouvements d’action catholique dont la Jeunesse agricole catholique (JAC), avec un idéal de nouvelle société rurale et d’un monde agricole renouvelé. Tous ces ferments éclosent à la fin des années 1950 au moment où se mettent en place le Marché commun (traité de Rome 1957) et la Politique agricole commune (PAC, 1962) à l’échelle européenne, et les lois d’orientation de l’agriculture française de 1960 et 1962, qui promeuvent toute une série de nouvelles structures pour moderniser l’agriculture (création de la SAFER et des groupements agricoles fonciers, du label rouge, etc.).
1960-1980 : un monde agricole bouleversé mais encore très solidaire et le début de l’aménagement de territoires ruraux encore largement agricoles
Le monde agricole change au début des années 1960 avec l’arrivée d’une nouvelle génération, même si l’organisation foncière opposant métairies isolées dépendant des grands propriétaires aux borderies au faire valoir direct a perduré jusque vers 1975. Le poids des propriétaires était considérable jusque-là, même s’il n’empêchait pas dès les années 1960 des actions en sous-main comme l’arrachage de haies qui pouvaient finir au tribunal parfois. La chape de plomb n’a éclaté que dans les années 1970-80. À ce moment-là, il y a eu une véritable rupture foncière : d’un côté, la disparition des borderies, occupées par des retraités ou rachetées par un seul repreneur, et de l’autre, les métairies servent d’assise pour la constitution de GAEC de 80 à 200 ha5. Les pouvoirs publics, dans ces années, ont contribué à l’évolution des structures. Le département connaît dès lors un développement et une modernisation des exploitations agricoles dont le nombre diminue fortement, mais moins que dans d’autres départements.
Le maillage des exploitations agricoles est resté dense jusque vers les années 1970, du fait d’une volonté forte et majoritaire des exploitants de maintenir ce tissu. En effet, cette période a connu une grande mobilisation d’exploitants souvent issus de la JAC, avec des leaders charismatiques activistes tels Raphaël Rialland, Henri Baron ou Bernard Lambert, à l’origine de la Confédération paysanne, qui se sont lancés à la conquête de la Chambre d’Agriculture. C’est devenu un lieu d’innovation qui a réfléchi aux liens villes-campagnes, avec les syndicats ouvriers. De plus, les agriculteurs étaient souvent abonnés à de la presse spécialisée. Ainsi, cette mobilisation s’est appuyée sur la volonté de maintenir un tissu humain vivant et un tissu économique actif, d’une certaine manière une société agricole idéale avec un système d’exploitations viables et de taille humaine, familiales, solidaires.
Il faut attendre 1965 pour voir apparaître des politiques d’aménagement rural. Les données statistiques des études conduites dans les années 1960-1970 ont pu servir à l’élaboration de Plans d’aménagement rural (PAR), conduits par le Ministère de l’agriculture. Ainsi, Jean Renard a été associé au premier PAR du département sur le Pays d’Ancenis (1975), un territoire toujours en avance. Mais les deux universitaires pensent que ces politiques n’ont pas vraiment contribué à maintenir les agriculteurs, ni les ruraux. Ainsi, la multiplication des équipements en milieu rural a parfois davantage permis aux élus locaux de conserver leurs pouvoirs que de favoriser le maintien des agriculteurs. En continuité, l’objectif des contrats de Pays des années 1975-1980 était de maintenir les populations à rester dans le monde rural par le financement d’investissements et d’équipements. Les premiers territoires à élaborer un programme de contrat de Pays avec l’État, la Région et le département ont été les Pays de Châteaubriant et d’Ancenis. Il est difficile de faire le bilan de ces politiques et de mesurer l’impact de ces investissements à l’aune du maintien démographique dans les campagnes.
Durant cette période, la Chambre d’agriculture a été un lieu d’innovation, entretenant des rapports avec la ville, les universitaires, les syndicats ouvriers. De nombreux ténors agricoles, dont Henri Baron ou Bernard Lambert, déjà évoqués, ont écrits sur le syndicalisme agricole (Bourrigaud, 2001), les difficultés, les réussites, des portraits de parcours…, ce qui n’est pas le cas partout. D’où la richesse de la documentation.
1980-2000 : la périurbanisation, la rurbanisation et le développement métropolitain transforment une société et des territoires ruraux où les agriculteurs deviennent minoritaires
La fin des années 1970 est marquée par deux évolutions dans le monde agricole ligérien.
D’une part, l’agrandissement des exploitations agricoles résulte de la multiplication de formes sociétaires (Groupement agricole en commun : GAEC) et de la pression du marché, bien que plus tardivement que dans les départements voisins, notamment en raison du rôle spécifique de la Confédération paysanne. En Vendée par exemple, les exploitants sont entrés beaucoup plus tôt dans le système productiviste ; aujourd’hui, ces différences n’existent plus. Sur ce point, Jean Renard s’interroge sur les liens entre le monde agricole original, jeune, la présence de la Confédération paysanne et l’évolution constatée des structures agricoles : il pourrait faire l’objet d’une étude comparative – voire d’une thèse ? – mettant en regard la Loire-Atlantique et les autres départements.
D’autre part, dans le même temps, les rapports politiques se complexifient, avec des divisions au sein des syndicats agricoles. L’accentuation de la spécialisation dans une diversité de systèmes de production agricole a pour effet induit des changements à la Chambre d’Agriculture, avec l’arrivée de maraîchers et de viticulteurs, particulièrement confrontés au marché et qui faisaient bande à part, aux côtés d’éleveurs ou de producteurs laitiers confrontés à des crises récurrentes et plus engagés dans le système coopératif. Cette scission relative va s’exprimer par la suite, avec la génération suivante qui a éclatée par rapport aux années 1960, s’orientant vers la coordination rurale ou la FNSEA.
Dans les années 2000, c’est la rupture, la fin d’un monde. Se développe une agriculture modernisée, classique, c’est-à-dire spécialisée, « industrielle », avec une politique des structures détournée ou même abandonnée. De plus en plus de critiques sont émises et ce malgré les PAC 2 et 3 de 1992 puis de 1999. Cette période marque la fin de la relative entente entre acteurs agricoles et para-agricoles dans le département.
Cette fin d’un monde vaut pour le peuplement. En 2000, les représentations cartographiques de la démographie font apparaître la métropole et un grand vide... alors que la Loire-Atlantique était encore un département bien équilibré dans les années 1980-1990, entre bourgs, villes et métropole, ainsi que le démontre Valérie Jousseaume (1996, fig. 1). Ces « campagnes vivantes » (Croix, 2000) se sont effacées, et on voit apparaître des débuts de déserts sur les marges du département (nord-est de Châteaubriant). Pour autant, le modèle de Christaller n’est plus d’actualité. Si l’effet métropolitain crée du vide, les campagnes vivantes n’ont pas disparu ; elles restent densément peuplées, toujours structurées autour de bourgs et de petites villes prospères.
Figure 1 - Exemples de publications en géographie rurale (références en bibliographie) qui illustrent les années 1980 à 2000
Après 2004 ?
Quelques travaux ont poursuivi, parfois en continuité (travaux de Valérie Jousseaume, qualité des produits), parfois de manière différente (alimentation à l’échelle de l’aire urbaine de Nantes). Pour autant, le contexte des années 2010 conduit Nicole Croix à s’interroger sur trois entrées en particulier :
1 - Qu’en est-il des agricultures différentes qui commencent à se développer face à des exploitations modernisées et à la montée des préoccupations environnementales (années 1990) ? Quelle est leur pérennité économique et humaine ?
D’un côté, le modèle du bassin parisien s’est imposé avec de grandes exploitations d’un seul tenant, modifiant les systèmes de production, regroupant 3-4 métairies historiques. Plutôt que de privilégier un remembrement coûteux, pas adapté à l’ouest, il aurait été plus judicieux de favoriser les restructurations foncières...
De l’autre, on assiste actuellement à un renouveau des très petites exploitations, diversifiées dans le maraîchage, l’élevage, la transformation du lait, l’agriculture biologique, pluriactives. Quel impact a ce mouvement ? Quelle durabilité ont ces activités (à rapprocher des néo-ruraux post 1968 qui n’ont pas survécus ) ? Quel poids économique ont-elles ?
Une étude sur les systèmes d’exploitation commune par commune permettrait de traiter de ce sujet. Le prochain recensement général de l’agriculture (RGA) va se dérouler en 2020, et il serait temps d’introduire des questions en ce sens. Cependant, l’enquête de terrain est un élément complémentaire indispensable aux statistiques. Les conseillers agricoles des DRAAF, les techniciens SAFER, les ADASEA (maintenant les ASF) entre autres connaissaient très bien le terrain et la prise en compte de leurs attentes et de leurs besoins et les chercheurs, ce dont profitaient les scientifiques économistes, juristes, géographes.
2 - Qu’en est-il des territoires périurbains et des trois couronnes au niveau des équipements, de l’agriculture et des agriculteurs ?
L’emploi agricole a disparu dans les campagnes de l’ouest, ce que montre la représentation cartographique (Jousseaume, 2014). Depuis 1955, on a assisté à un effondrement de 90 % des exploitations agricoles, passées de 45 000 à 5 000-6 000 au début des années 2000, avec une multiplication des friches (Croix, 1999). De même, l’évolution de la population entre 1999 et 2014 est frappante avec la montée de la métropole nantaise et la stagnation ou la baisse sur le reste du territoire. L’ouvrage sur La-Chapelle-Basse-Mer montre bien ces dynamiques (Jousseaume et al., 2002), que l’on retrouve sur Saint-Fulgent (Renard, 2005) ou sur Nort-sur-Erdre (Jalaber, 1971). Les comportements sociaux ont évolué avec une couronne urbaine de plus en plus éloignée pour des motifs économiques (coût, disponibilité de terrains à bâtir) et le désir de maisons individuelles. Le tissu communal est déchiré entre agriculteurs et urbains de retour à la campagne.
Aujourd’hui, la troisième couronne pose question comme les territoires en limite du département qui connaissent les mêmes difficultés.
3 - Qu’en est-il de l’armature urbaine des petites et moyennes villes et de leur dynamisme face à la métropolisation ?
Dans les bourgs (Derval, Nozay...), la fermeture des commerces ou les déplacements quotidiens donnent une impression de grand vide et de tristesse. La problématique du commerce en milieu rural est dramatique même si elle n’est pas propre à la Loire-Atlantique.
Tout n’est pas négatif ! Récemment sur certains secteurs géographiques, on assiste à une inversion des tendances. Par exemple, depuis 2000, on constate un retour de population sur le pays de Châteaubriant sous l’influence de Nantes et de Rennes. De même, Saint-Philbert de Bouaine en 3e couronne de Nantes et localisée en Vendée se porte très bien actuellement.
Pour l’avenir de la recherche, des constats formulés de manière rapide :
En « Loire-Inférieure », il existait un seul article de A.-M. Charraud à l’arrivée de Jean Renard en 1958. Si ensuite, beaucoup d’études très documentées ont été réalisées, plusieurs géographes regrettaient récemment de ne plus être impliqués dans la réflexion sur l’évolution des exploitations.
Aujourd’hui, l’étude du foncier devient quasi impossible. Les données cadastrales sont difficiles à décrypter, impersonnelles du fait de l’existence de sociétés propriétaires, de grosses fortunes foncières éparpillées sur la France entière.
Concernant l’évolution du monde rural, le changement de nom et de limite des structures communales est une transformation fondamentale.
De manière un peu abrupte, on peut dire que, actuellement, il y a une forme de désintérêt dans le domaine de la recherche sur le rural au niveau local. Alors que depuis les années 1965, on collaborait avec les autres collègues universitaires dont on connaissait les travaux, avec les administrations, aujourd’hui, on répond surtout à des appels à projets ou à des commandes de structures comme Nantes Métropole ou la Chambre d’agriculture, et les thématiques concernées portent sur le problème récurrent des sciences sociales. De plus, alors que les sources sont de plus en plus complexes à mobiliser, les thématiques universitaires de recherche changent tous les 3 ans au rythme des contrats obtenus, remettant en cause la continuité des travaux.
Au travers des travaux personnels, des mémoires, des thèses, il existe une somme de documents, d’études conduites avec la profession pas très faciles d’accès car peu ou mal archivés. Des destructions ont eu lieu, comme celle dramatique de toutes les fichiers du REA.
Quelques idées pour poursuivre ces travaux :
- Sur la base de monographies communales ou cantonales réalisées il y a 50 ans, il serait intéressant d’en reprendre certaines et de comparer avec la situation actuelle sur le même espace. La thèse d’État de Nicole Croix liste ces travaux historiques avec la méthode géographique ;
- conduire une comparaison entre deux communes, l’une remembrée et l’autre non ;
- établir pour les mémoires une note de lecture, ce qui est le cas maintenant dans certains numéros des Cahiers nantais ;
- ne pas perdre la mémoire des personnes qui ont connues les grands changements du XXe siècle. Il est nécessaire de poursuivre cette récollection engagée eu printemps 2017 ;
- établir un corpus de photos du monde rural en Loire-Atlantique des origines de la photo à nos jours en faisant appel aux collections privées des universitaires géographes d’abord, puis de familles des agriculteurs. Leur numérisation alimenterait un fond documentaire original. Mais cette démarche intéressante nécessite du temps, des moyens humains et financiers et des lieux de stockage ;
- un élargissement aux baux et aux journaux des agriculteurs pourrait s’envisager avec les historiens. L’idée d’un travail partenarial avec les services de l’État, du Conseil départemental, de la Chambre d’agriculture et du monde associatif pourrait émerger.
Conclusion
Les évolutions récentes ont été bénéfiques et ont permis de maintenir des exploitants en Loire-Atlantique, par exemple en facilitant l’accès aux parcelles. La question en suspens est plutôt de savoir quelle évolution et à quelle vitesse.
Alors qu’au XIXe siècle, les campagnes avaient connu de grands changements avec l’arrivée des routes, du chemin de fer, du matériel agricole, entre les années 1910 et 1960, on assiste à leur endormissement avec peu de grands changements du fait du mode de propriété, de l’Église, des périodes post-guerre, de l’exode rural après la Première Guerre mondiale et de l’exode agricole dans les années 1950. Il y a 55 ans, le monde rural, c’était les agriculteurs et très peu d’autres métiers.
Durant la période 1960-2010, le monde agricole, ainsi que le monde rural, ont connu une évolution considérable, rendant méconnaissables ces espaces. Des solidarités ancrées autour de l’Église et de la JAC ont laissé la place à des mouvements syndicaux, au parti socialiste, puis, plus récemment, à une montée d’un certain individualisme. Sur cette période, dans les campagnes, la révolution a été plus importante que dans les villes, et le paysage rural a bien plus évolué que le paysage urbain. Les bouleversements passent aussi par les mobilités souvent très fortes et rapides. Ainsi, les campagnes se sont transformées sur tous les plans, économique, religieux et social.
Les bouleversements s’imbriquent et font système. L’ouest voudrait garder l’esprit collectif, le dynamisme des campagnes et le productif par idéologie héritée du passé, mais cela existe-t-il encore ? Auparavant, l’esprit solidaire était très fort (Église, mouvements politiques, syndicaux), cette solidarité perdure-t-elle encore ?
Enseignant à l’Université de Nantes de 1964 à 1999, auteur d’une thèse remarquée sur Les évolutions de la vie rurale dans les campagnes nantaises et les bocages vendéens en 1975 (médaille de bronze du CNRS et prix O. de Serres), Jean Renard a été successivement directeur de l’Institut de géographie de l’université de Nantes (IGARUN), du laboratoire CESTAN (UMR 6590 du CNRS, actuel ESO-NANTES), responsable des études doctorales de géographie et du DESS villes et territoires (actuel Master UA).
Étudiante en géographie à l’Université de Nantes de 1962 à 1966, Nicole Croix a soutenu le premier mémoire de maîtrise de l’IGARUN (1965). Enseignante de géographie dans cette même université de 1969 à 2004, elle a réalisé de nombreux travaux en géographie rurale avec Jean Renard, des collègues ruralistes (juristes, sociologues, historiens et membres de l’INRA) et de nombreux professionnels du monde rural. Toutes ces collaborations, ainsi que les recherches des étudiants qu’elle a encadrées, lui permettent de soutenir en 1999 une thèse d’État sur La terre entre terroir et territoire qui analyse les mutations foncières et l’organisation des campagnes nantaises de 1968 à 1998.