Depuis les tempêtes Lothar et Martin de décembre 1999 et la tempête Xynthia de février 2010, la côte atlantique française fait l’objet d’une surveillance accrue. Des cartes d’évolution du trait de côte sur plusieurs dizaines d’années ont été dressées, puis un Indicateur National de l’Érosion Côtière a été créé, en lien avec l’instauration d’une Stratégie Nationale de Gestion Intégrée du Trait de Côte, en 2012, accompagnée par une Stratégie Nationale de Gestion des Risques d’Inondation, en 2014.
En de nombreux points du littoral, des Programme d’Actions de Prévention des Inondations (PAPI) associés à des Plans Submersions Rapides (PSR) ou de Gestion du Trait de Côte (GTC) ont également été mis en place, ainsi que des suivis réguliers des mouvements du trait de côte. L’objectif de ces suivis est de déterminer le temps de résilience des environnements sableux considérés, face à divers types d’aléas côtiers. C’est pourquoi ils sont réalisés sur plusieurs échelles de temps. Localement, ils mettent en évidence des tendances d’avancée ou de recul du trait de côte à long terme (plusieurs dizaines d’années), contrôlées d’une part par le contexte géologique et hydro-sédimentaire et d’autre part par les actions anthropiques. À ces tendances de long terme se surimposent des tendances de court terme (quelques mois/années), rythmées par l’alternance de phases d’érosion intense lors de tempêtes majeures, et de phases d’engraissement (progradation) lors de conditions météorologiques plus calmes.
Situés le long de la côte vendéenne, lourdement frappée en 1999 comme en 2010, Noirmoutier et les Pays de Monts bénéficient d’un PAPI. Un Observatoire Régional du Littoral a également été installé à Notre-Dame-de-Monts (Pays de Monts). Dans le cadre des missions de cet observatoire, un suivi très exhaustif de la côte a été instauré entre Saint-Gilles-Croix-de-Vie et Fromentine depuis 2010, valorisé dans la cadre de plusieurs études (Le Guern et al., 2011, 2012 ; Durand et al., 2013 ; Baltzer et al., 2014 ; Le Mauff et al., 2018), ainsi que 2 thèses en cours (Juigner, 2017 ; Le Mauff, in prep.) à l’IGARUN (Institut de Géographie et d’Aménagement Régional de l’Université de Nantes). Face aux Pays de Monts (fig. 1), de l’autre côté d’un bras de mer appelé le Coureau Islais, l’Île d’Yeu, a priori moins soumise aux risques d’inondation et de submersion, du fait de la prédominance de côtes rocheuses surélevées, ne bénéficie pas de tels dispositifs. Elle présente néanmoins également des systèmes de plages, massifs dunaires et marais littoraux soumis à des pressions naturelles et anthropiques, dont la gestion s’avère complexe.
De plus, la zone située entre Noirmoutier et l’Île d’Yeu, au nord du Coureau Islais, a été choisie pour abriter un parc éolien dont la construction devrait débuter en 2019 (fig. 1). Des demandes d’autorisations d’extraction et des permis exclusifs de recherche (PER) de granulats marins (Cairnstrath, Astrolabe, Granulats Nord Gascogne) sont également à l’étude à proximité. La concession Cairnstrath a déjà été accordée (décret du 8 mars 2017), ainsi que le PER Granulats Nord Gascogne (arrêté du 6 Novembre 2017). Le réaménagement du chenal du Goulet de Fromentine, qui permettrait de faciliter la liaison maritime entre Fromentine et l’Île d’Yeu est aussi envisagé.
Compte tenu de leurs position géographique, en amont des Pays de Monts par rapport aux houles et aux vents dominant de secteur nord-ouest à sud-ouest, la mise en œuvre de tels aménagements est à première vue susceptible d’avoir un impact sur la dynamique sédimentaire de tous les secteurs adjacents au Coureau Islais. Afin d’évaluer les risques afférents à ces travaux de génie civil, et d’être en capacité de mesurer et de contrôler leurs impacts éventuels, il est indispensable, de dresser un état des lieux actuel de la dynamique sédimentaire de ces secteurs. Or, si de nombreuses données ont été acquises directement au niveau des sites des futurs aménagements et sont aujourd’hui en cours de traitement, il existe relativement peu de données sur la zone du Coureau Islais à proprement parler et sur l’Île d’Yeu.
Cette publication se donne donc pour objectif 1) de dresser un état des lieux du contexte géologique, hydrodynamique et géographique dans la zone comprise entre Noirmoutier, l’Île d’Yeu et Saint-Gilles-Croix-de-Vie, 2) d’identifier les lacunes à combler en termes de connaissance de la dynamique sédimentaire au sens large.
État des connaissances sur le contexte géologique et hydrodynamique
Contexte géologique
Du point de vue géologique, cette portion du littoral appartient à la bordure méridionale du Massif armoricain. La figure 2 montre un schéma structural et la coupe géologique proposés par Vanney (1977). La coupe débute à l’Île d’Yeu (α) par l’affleurement du socle métamorphique armoricain, recouvert de sables et de graviers au niveau des plages. Entre l’île et le continent (Coureau Islais), le soubassement armoricain, faillé, s’abaisse et est recouvert par un ensemble de calcaires dolomitisés, essentiellement d’âge Eocène moyen (46-37 Ma), formant une structure tabulaire à légèrement synclinale. L’affleurement ponctuel de ces calcaires le long de la côte vendéenne de Noirmoutier au Pays d’Olonne forme l’ensemble des plateaux vendéens (fig. 2a) qui s’étendent approximativement sur 100 km et forment l’une des surfaces rocheuses les plus vastes des côtes atlantiques françaises (Vanney, 1977). Parmi les plateaux vendéens, le plateau du Pont d’Yeu est singulier car il s’étend de l’Île d’Yeu à Notre-Dame-de-Monts, formant un haut fond perpendiculaire au Coureau Islais (fig. 2a). La couverture de sédiments meubles qui coiffe l’ensemble « socle – couverture calcaire tertiaire » est irrégulière. Elle a tendance à se concentrer dans les dépressions entre les plateaux vendéens, tandis qu’elle est souvent absente au toit des plateaux. Elle s’épaissit généralement aux abords des côtes. D’après la coupe (fig. 2b), dans le secteur du Pont d’Yeu, elle s’épaissit vers le continent, jusqu’à un cordon dunaire qui isole les Marais de Monts de la mer. Ces marais sont formés par une épaisse série d’argiles, mise en place par le colmatage des dépressions dans les plateaux calcaires vendéens les plus proximaux, lors de la remontée flandrienne du niveau marin (Vanney, 1977 ; Ters, 1961). Le cordon dunaire (fig. 2b) atteint souvent une hauteur d’une dizaine de mètres mais dépasse rarement 15 à 20 ètres. Sa largeur maximale est de 2 km au nord et de 3 km au sud. Elle est de 700 au niveau du Pont d’Yeu (GEOS-DHI, 2008).
Figure 2 - Schéma structural (a) et coupe géologique (b) proposé par Vanney (1977)
α et β font référence aux extrémités de la coupe
Contexte météorologique et hydrodynamique
Dans la zone étudiée, les conditions météorologiques sont enregistrées plusieurs fois par jour, au niveau de la station météorologique de l’Île d’Yeu. D’après les enregistrements, les vents de vitesses supérieures à 8 m/s (supérieures à force 5, sur l’échelle de Beaufort) représentent environ 15 % des observations (GEOS-DHI, 2008). Les vents dominants sont de secteur sud-ouest à nord-ouest, et les vents les plus violents viennent des secteurs ouest et sud-ouest (fig. 3). Les vents d’ouest (sud-ouest à nord-ouest), représentent 50 % des observations et constituent 75 % des vents supérieurs à force 5, alors que les vents de nord-est sont observés avec des fréquences de 24 %.
Figure 3 - Rose des vents synthétisant les données recueillies entre 1999 et 2010, sur l’Île d’Yeu et Noirmoutier (Juigner et al., 2012), montrant la prédominance des vents d’ouest
Les houles sont elles aussi suivies à haute fréquence à proximité de l’Île d’Yeu. Ces trente dernières années, trois bouées ont été déployées dans le secteur étudié pour mesurer la houle. Les deux premières, 08501 et 08503 ont été installées à quelques miles à l’ouest et au sud-ouest de l’Île d’Yeu (fig. 4a). Elles ont respectivement enregistré des données de 1992 à 1998 et de 2000 à 2005. La bouée 08504 est quant à elle mouillée entre l’Île d’Yeu et Noirmoutier depuis 2005. Elle enregistre, depuis lors, des données pour la partie nord du Coureau Islais.
Bien que très ponctuelles, ces données alimentent des modèles numériques qui modélisent la houle sur toute la zone du Coureau Islais (par exemple le modèle WAVEWATCH-3, développé par le SHOM et Météo-France). D’après ces modèles et en accord avec les données de terrain, la majorité des houles au large de l’Île d’Yeu sont de secteur ouest, et les plus fortes houles viennent essentiellement du sud-ouest (fig. 4a). Avec des hauteurs de 9 m régulièrement enregistrées, ces houles font de l’Île d’Yeu, l’une des îles les plus exposées de la façade atlantique, avec Belle-Île (Feuillet et al., 2012).
En arrivant à hauteur des deux pointes nord-ouest (Pointe du But) et sud-est (Pointe des Corbeaux) de l’île, les trains de houles subissent une diffraction importante, bien visible (soulignée par les pointillés noirs) sur la photographie aérienne (fig. 4b). Cette diffraction provoque une modification de la trajectoire des trains de houles, qui convergent alors depuis les deux pointes, longeant la côte nord-est de l’île, et y générant des courants de dérive littorale opposés. Le phénomène de diffraction provoque également une nette atténuation des hauteurs de houles, le long d’un axe sud-ouest/nord-est, longeant le Pont d’Yeu. Les deux phénomènes (diffraction et atténuation) sont observables sur la figure 4a, dont le fond de carte représente un instantané des directions et des intensités de houle généré le 23 Novembre 2017 à 16h, par le modèle WAVEWATCH-3, dans des conditions météorologiques hivernales moyennes (vents de secteur sud-ouest de 30 à 60 km/h en rafales).
Figure 4 - a) Instantané des directions et intensités de houles, généré par le modèle WAVEWATCH-3 pour le 23/11/17 à 16h lors de conditions météorologiques hivernales moyennes. b) Vue aérienne Google Earth© montrant la direction des trains de houle venant de l’ouest et leur diffraction aux abords des pointes nord-ouest(Pointe du But) et sud-est (Pointe des Corbeaux) de l’Île d’Yeu.
À la carte a) sont surimposées les roses des houles proposées dans le rapport GEOS-DHI (2008).
L’angle d’incidence des houles à l’ouest de l’île impacte fortement l’amplitude de la diffraction générée au niveau de la Pointe du But et de la Pointe des Corbeaux. Par voie de conséquence, cet angle impacte également l’intensité relative des houles diffractées qui longent la côte nord-est de l’île et l’intensité des courants de dérive littorale qu’elles engendrent. Les données de houles acquises et modélisées montrent ainsi que l’Île d’Yeu agit tel un brise-lames, protégeant les Pays de Monts des houles les plus intenses.
Complémentaires aux données de houle, les données de marée disponibles sont essentiellement issues de modèles numériques, qui faute de points de calibration sur la zone, restent relativement peu précises. L’impact de la marée sur le transport sédimentaire est généralement considéré comme négligeable par rapport à l’action des houles (GEOS-DHI, 2008). Vanney (1977) note toutefois que l’action résultante de la marée sur le transport sédimentaire se fait en faveur du flot, c’est-à-dire en direction du nord-est. À l’heure actuelle, de nouveaux modèles hydrodynamiques intégrant à la fois houle, marée, conditions météorologiques, nature des fonds (etc.) sont en train de voir le jour (thèse de Le Mauff, à paraître). Ces modèles permettront d’identifier les conditions dans lesquelles houle et marée se combinent, engendrant un transport sédimentaire accru. Ils permettront alors de déterminer le sens des flux sédimentaires dans le Coureau Islais. L’acquisition de nouvelles données de terrain pour implémenter ces modèles reste néanmoins indispensable à ce jour.
Première approche de la dynamique sédimentaire
Cartographie de la couverture sédimentaire
La cartographie des sédiments proposée en figure 5, montre que les sédiments meubles et fins se répartissent dans le Coureau Islais (fig. 5b) selon quatre axes principaux 1) le long du littoral vendéen, au pied du cordon dunaire, 2) le long d’un axe NE-SO qui longe la partie méridionale du plateau du Pont d’Yeu, 3) le long de la côte nord-est de l’Île d’Yeu (dont le banc de la Sablaire) et 4) au sud de l’Île d’Yeu et du Coureau Islais. Dans cette dernière zone, la répartition des sédiments meubles apparaît moins structurée, mais recouvre une importante surface au sud de l’Île d’Yeu jusqu’à Saint-Gilles-Croix-de-Vie (exception faite du plateau des Petites Coutelines).
Figure 5 - a) Distribution des dépôts sédimentaires dans la zone d’étude d’après Vanney (1977). b) Distribution des dépôts sédimentaires dans la zone d’étude d’après le SHOM en 2017.
La position des profils sismiques acquis en 2013 lors de la campagne « Pays de Monts » a été surimposée à la carte a). Les segments en pointillés de la carte b) indiquent les axes des principales zones d’accumulation des sédiments fins mentionnées dans le texte.
La carte b) a été établie d’après la carte «Natures de fond» du SHOM, autorisation n° S- 59/2017.
La comparaison des cartes a et b de la figure 5, respectivement proposées par Vanney en 1977 et établie par le SHOM en 2010, révèle qu’en 40 ans, l’organisation des sédiments meubles n’a pratiquement pas changé. En 2013, Durand et al. (2013) fait la même observation lors de l’échantillonnage sédimentaire réalisé pour caler la bathymétrie au cours de la campagne sismique « Pays de Monts » (voir paragraphe suivant). L’une des explications les plus plausibles de cette « stabilité » sédimentaire pourrait être liée à la combinaison des deux facteurs suivants : la bathymétrie spécifique de l’Île d’Yeu prolongée par le Pont d’Yeu et les houles d’ouest/sud-ouest dominantes. Ainsi, ces houles se diffractant de part et d’autre de l’île pourraient-elles rabattre les sédiments meubles vers le Pont d’Yeu, en direction des Pays de Monts. L’hypothèse est que les dépôts sableux pourraient alors rester piégés dans une cellule complexe comprise entre l’Île d’Yeu et les Pays de Monts. Ainsi même si l’érosion peut être importante sur les plages jouxtant le Coureau Islais à l’occasion des tempêtes, le sable reste potentiellement stocké en domaine inter ou subtidal, mais ne sort pas du système, constituant un stock qui favorise la résilience par temps calme (Baltzer et al., 2014). Afin de d’étayer cette hypothèse, il apparaît à présent primordial de déterminer plus clairement le sens des transits sédimentaires dans le Coureau Islais et aux abords de l’Île d’Yeu. Il est important de comprendre si, sous l’action des houles notamment, du sable provenant du sud-ouest de l’Île d’Yeu est susceptible d’entrer dans le Coureau Islais et d’alimenter le stock sédimentaire déjà présent. La question de l’origine de ce sable se pose également, l’érosion des orthogneiss de la côte sud de l’île serait-elle une importante source de sable dans le Coureau Islais et en particulier le long de la côte sud-est de l’île ?
Reconnaissance sismique
La zone du Coureau Islais est caractérisée par des eaux peu profondes (< 15 m, fig. 2b, cf. fiche 2) et jalonnée par une alternance de fonds rocheux et sableux (fig. 5a et 5b). Cette hétérogénéité des fonds est liée à la présence de plusieurs plateaux calcaires, décrits précédemment (cf. Contexte géologique p. 53 ). Afin de mieux définir l’épaisseur des dépôts sédimentaires de surface, la campagne embarquée « Pays de Monts » , réalisée en mai 2013, a fait partie des actions engagées pour mieux comprendre la dynamique littorale dans le cadre du projet RS2E (Réseau de Suivi et de Surveillance Environnemental) de l’OSUNA (Observatoire des Sciences de l’Univers de Nantes et Angers).
Cinquante-huit profils sismiques (fig. 5a) ont été acquis à l’aide du Boomer Seistec (Boomer IKB – Seistec) de l’Université de Caen (http://zbar.free.fr). Ce dernier permet d’acquérir des profils sismiques très haute résolution, de l’ordre de quelques dizaines de centimètres pour une pénétration maximum de 20 dans le sable et 80 dans les argiles. La source d’émission de l’onde acoustique (fréquence de 1 à 10 kHz) est électromécanique : une plaque (un boomer) se déforme sous l’effet d’une décharge électrique de haute tension de 4 000 V. Les échos de l’onde émise dans l’eau sont réceptionnés par des hydrophones placés près de la plaque. Le boomer, fixé à un petit catamaran de 3 m, est tracté derrière le bateau à une vitesse de 3 nœuds. Les profils Seistec ainsi acquis sont ensuite traités grâce au logiciel Delph Seismic® de Edgetech.
Six profils acquis lors de cette campagne sont présentés sur la figure 6 (la localisation des profils est donnée sur la figure 5a). Les profondeurs sont exprimées en milliseconde temps double, c’est à dire le temps que met l’onde acoustique pour faire le trajet aller/retour entre l’émetteur-récepteur et l’interface sédimentaire. Les estimations des profondeurs et épaisseurs données dans le texte à suivre sont calculées pour une vitesse du son dans les sédiments de 1 600 /s, vitesse généralement estimée pour les sédiments marins superficiels. Cette vitesse peut être modifiée en fonction de la nature des sédiments, et peut atteindre jusqu’à 1 800 /s. Étant donné les épaisseurs et les profondeurs ici considérées, la marge d’incertitude générée par ce phénomène est de l’ordre de 50 cm au maximum. Réalisés entre Notre-Dame-de-Monts et Saint-Gilles-Croix-de-Vie, les profils sismiques 9 et 10 (fig. 6) montrent que la couverture sableuse holocène (faciès jaune) est de faible épaisseur (< 2,50 ) en bordure du cordon littoral, et recouvre à la fois le socle (faciès marron) et la couverture calcaire paléogène (faciès vert). On note que l’épaisseur de sable décroit en direction du large le long du profil 10.
Dans la zone du Pont d’Yeu, seuls les profils 47 et 48 (fig. 6) ont pu être exploités en raison des conditions météorologiques défavorables (vent et houle) lors de la campagne d’acquisition. Leur interprétation (fig. 6) montre que, comme sur les deux profils précédents, la couverture sableuse reste mince (< 2 m). Localement discontinue (profil 48), elle tapisse essentiellement le fond des dépressions du socle, conformément à la répartition sédimentaire cartographiée sur les figures 5a et 5b.
Les profils 41 et 42 (fig. 6), acquis le long de la côte nord de l’île, sur le banc de la Sablaire (fig. 5a), révèlent que le socle y est irrégulier et incisé à plusieurs endroits (profil 42). La couverture sableuse qui le coiffe est discontinue, interrompue par des affleurements sous-marins du socle, dans le prolongement des pointes rocheuses qui jalonnent la côte (Pointe de Gilberge sur le profil 41). Le long de ces profils, la couverture présente généralement une épaisseur inférieure à 3 m. Le banc de la Sablaire apparaît clairement comme un relief positif et sa morphologie bombée semble indépendante de la morphologie du socle sous-jacent. Les profils ayant été réalisés dans la zone la plus proximale du banc de la Sablaire (fig. 5a), il est possible que des épaisseurs plus importantes de sable existent dans les parties plus distales, mais aucune donnée ne permet de les mettre en évidence pour l’instant.
Les profils sismiques interprétés confirment donc une relation étroite entre la répartition des sédiments meubles et les irrégularités topographiques des plateaux calcaires vendéens et du socle métamorphique, dans le Coureau Islais. En outre, ils montrent que cette couverture présente une faible épaisseur, généralement inférieure à 3 m, sauf au niveau du banc de la Sablaire qui constitue une accumulation en relief.
Analyse sédimentologique préliminaire
Complétant les données sismiques présentées dans le paragraphe précédent, des prélèvements de sables d’arrière-plage ont été réalisés sur toutes les plages de l’Île d’Yeu en 2017. Pour le moment, tous les échantillons n’ont pas été analysés en détails. Néanmoins, un premier examen rapide montre que si toutes les plages contiennent bien un sédiment globalement riche en quartz, feldspaths et micas, ce qui indique l’érosion des orthogneiss du socle armoricain comme source majeure (Laurent et Sylvain, 2009), trois secteurs autour de l’île se distinguent par des compositions singulièrement différentes. Les sables des plages à l’ouest de l’île [Sables Rouis (8), Belle Maison et Plage du But (1)] sont grossiers mais généralement bien triés, et largement composés de débris de coquilles roux, qui leur confèrent une couleur très reconnaissable. Au contraire, les plages du nord de l’île [la Pulante (2), les Bossilles (3)] présentent des sables très hétérogènes en terme de tri granulométrique. Ils sont caractérisés par la présence de très nombreux lithoclastes d’orthogneiss et par des débris de coquilles grossiers et peu oxydés. Les sables des plages des Sapins (4), des Grandes Conches (5), des Corbeaux (6) et des Soux (7) montrent des granulométries beaucoup plus fines, un excellent tri granulométrique, et une composition très riche en quartz. Si les différences granulométriques traduisent partiellement les conditions hydrodynamiques différentes qui affectent les plages, les différences de composition du sable et en particulier le degré de maturité des grains (lithoclastes ou cristaux indépendants, coquilles plus ou moins fragmentées et altérées) mettent probablement en évidence des sources, des âges et des temps de résidence variables pour ces trois secteurs. La superposition des courbes bathymétriques à la photo aérienne sur la figure 7 met en évidence le relief positif du banc de la Sablaire à proximité immédiate de la côte nord-est de l’île. Directement en connexion avec ce banc, un second stock sédimentaire d’axe nord-ouest sud-est semble longer la côte depuis la plage des Sapins (4) jusqu’à la Pointe des Corbeaux (6), plus proximal mais parallèle à l’axe 3 de la figure 5b. L’homogénéité des sables des plages des Sapins (4), des grandes Conches (5) et des Corbeaux (6) suggère qu’il pourrait y avoir des échanges entres ce stock et les trois plages. Les similitudes avec le sable de la plage des Soux (7) restent à qualifier en détail, mais elles pourraient accréditer l’hypothèse de transferts de sables de part et d’autre de la Pointe des Corbeaux.
Figure 7 - Photographie aérienne de la zone d’étude
Photo prise le 28/09/11, Ortho Littorale V2-MEDDE.
Toutes ces observations montrent que les côtes de l’Île d’Yeu et des Pays de Monts font partie d’un seul et même système (le Coureau Islais) où transitent les sédiments meubles, sous un régime hydrodynamique différent du reste des côtes vendéennes, influencé par la présence de l’Île d’Yeu. Des analyses sédimentaires plus approfondies, étendues à toutes les plages de l’île et du pourtour du Coureau Islais, complétées par des prélèvements en mer, ainsi que de nouvelles acquisitions de données bathymétriques et sismiques « haute résolution » sont programmées en 2018. Ces nouvelles données devraient permettre de répondre à des questions telles que : d’où vient le sable du banc de la Sablaire ? Arrive-t-il directement des littoraux vendéens, ou provient-il de la côte sud de l’Île d’Yeu ? Est-ce un sable fossile stocké sur le Pont d’Yeu lors de la remontée du niveau marin ou provenant de l’érosion d’un paléosystème dunaire situé le long des plages du nord de l’île ? Ce banc évolue-t-il, est-il alimenté, s’érode-t-il ? L’érosion des plages du nord-est de l’île est-elle inéluctable ou peuvent-elles se recharger sous certaines conditions ? De la même façon, le sable issu de l’érosion des plages vendéennes fait-il simplement des va-et-vient dans le Coureau Islais ou peut-il s’échapper du système ? Ces futures données alimenteront les modèles hydrodynamiques et permettront de mieux décrire les phénomènes hydro-sédimentaires afin d’évaluer les stocks sédimentaires disponibles pour localiser les zones où des processus de résilience sont possibles et à quelles échelles de temps.
Conclusion
La zone dite du Coureau Islais, comprise entre l’Île d’Yeu et le continent, sera bientôt à proximité immédiate d’importants aménagements (ferme éolienne, extraction de granulats). La synthèse des données hydrologiques et sédimentaires accessibles au public dans cette zone suggère l’existence de transferts sédimentaires au sein du système « Île d’Yeu - Coureau Islais - Pays de Monts » mais met également en évidence des lacunes importantes sur la reconnaissance du stock sédimentaire disponible et son renouvellement. Or, la capacité de résilience des côtes sableuses coté continent comme coté insulaire, est largement influencée par le potentiel de stockage des volumes sédimentaires à l’intérieur de ce système. Les travaux en cours, auxquels vont s’ajouter de nouvelles acquisitions en 2018 et dans les années à venir, devraient permettre d’accéder à cette connaissance essentielle pour mettre en place une stratégie de gestion du littoral durable aussi bien pour l’Île d’Yeu que pour les Pays de Monts.