Si les questions foncières sont essentielles pour l’analyse des territoires, elles restent rarement abordées sous l’angle de la propriété. J. Renard, présentant récemment l’évolution des campagnes nantaises sur plus d’un demi-siècle, s’étonne « de la timidité, voire plus, et de l’occultation de cette question dans les débats actuels concernant l’étalement urbain, les grands chantiers d’aménagement, les effets de la saturation touristique et de bien d’autres questions, alors même que les changements d’affectation dans la nature des sols sont au cœur de la spéculation de la part d’acteurs sociaux » (2012).
Aussi, bien que la propriété foncière soit couramment abordée du point de vue des acteurs publics ou collectifs – au service des politiques d’aménagement ou de développement des territoires (Certu, 2008) – l’étude contemporaine des biens-fonds privatifs se fait beaucoup plus rare. Or le positionnement des acteurs physiques reste « indispensable à la compréhension des dynamiques à l’œuvre et à l’efficacité des dispositifs mis en place » (Guéringer, 2012) – et ce d’autant plus qu’ils possèdent la quasi-totalité des surfaces d’un territoire. Les particuliers représentent 95 % des 736 000 propriétaires du département de la Loire-Atlantique, et possèdent 80 % de la superficie cadastrée départementale, soit près de 654 000 ha. Ils détiennent aussi 75 % des surfaces cadastrées bâties, et représentent 98 % des 360 000 propriétaires de parcelles construites.
J. Renard s’étonne que la propriété foncière soit devenue « un domaine que la recherche en sciences sociales a abandonné » (2012), en remarquant combien la numérisation des fichiers cadastraux simplifie l’analyse de la répartition des biens fonciers. La base de données MAJIC (Mise à Jour des Informations Cadastrales), délivrée sous certaines conditions aux organismes du secteur public et à titre onéreux, regroupe ainsi les informations contenues dans la documentation cadastrale. Outil de la Direction Générale des Finances Publiques (DGFiP), elle permet de calculer et recouvrer les taxes foncières. Des personnes physiques et morales – dénommées et localisées par leurs adresses postales – y sont associées à des parcelles dont la nature, la taille et la localisation dans l’espace communal, déterminent le montant de l’impôt.
Quels enseignements géographiques sur la propriété foncière particulière nous livrent ces outils traditionnels qui, numérisés, peuvent être exploités à des échelles inédites ? A quels propriétaires physiques appartient la Loire-Atlantique ? Des types de propriétaires ou de propriétés peu-vent-ils être distingués ? Ces types sont-ils différents selon les territoires constituant le département ? Cet article souhaite répondre à ces interrogations, présentant les principaux résultats d’un mémoire de recherche de l’Institut de Géographie et d’Aménagement Régional de l’Université de Nantes mené en collaboration avec le Conseil général de Loire-Atlantique (Roux, 2013)1.
Après avoir déterminé « qui » sont les propriétaires physiques du département, il s’agira de déterminer « quelles » sont les propriétés particulières : c’est-à-dire « quoi », puis « où ».
1. Qui possède ?
Un propriétaire particulier de Loire-Atlantique possède, en moyenne, 790 m2 de surface parcellaire comprenant du bâti, et 1,4 ha de terres non bâties. Ces valeurs restent peu signifiantes au regard de la distribution inéquitable des surfaces détenues par les particuliers, notamment non bâties : 50 % des petits propriétaires possèdent 20 % des surfaces ; à l’opposé, les 20 % des plus grands propriétaires possèdent la moitié des surfaces (fig. 1). L’exploitation de la base MAJIC – permettant de définir l’âge, le genre, le lieu de résidence et le lieu de naissance des propriétaires particuliers – atteste d’une inégale répartition du foncier entre différentes classes démographiques et « spatialisées ».
Des propriétaires plus âgés que la population départementale
Les caractéristiques démographiques des propriétaires sont relativement indépendantes des structures démographiques de la population locale (fig. 2). Hormis l’observation de classes creuses et d’une relative symétrie entre les genres, peu d’éléments communs peuvent être diagnostiqués. Les populations les plus jeunes sont sous-représentées parmi les propriétaires fonciers ; aussi, certaines classes d’âge supérieures à 60 ans comprennent des effectifs légèrement plus nombreux que n’en décompte la population départementale totale. Un nombre important de personnes âgées masculines extérieures au département expliquerait cette situation.
Figure 2 – Pyramide des âges des propriétaires en 2011, comparée à celle de la population départementale
Si les populations les plus âgées sont surreprésentées en nombre, elles concentrent aussi la majorité des surfaces : les plus de 60 ans réunissent 39 % des effectifs mais détiennent 52 % des terres attribuées aux particuliers. Les propriétaires féminins, bien qu’aussi nombreux que les propriétaires masculins (près de 335 000 individus contre 348 000 ayant-droits masculins), ne possèdent que 44 % des surfaces. Ils se partagent de fait des surfaces parcellaires plus restreintes : les femmes détiennent en moyenne 6 800 m2, contre 8 500 m2 pour les hommes.
La distinction entre le foncier bâti et non bâti est fondamentale. Le premier concerne des populations plus jeunes et connaît des répartitions plus équilibrées entre les genres : les femmes représentent 50 % des effectifs et détiennent 47 % des surfaces bâties. La propriété foncière bâtie est aussi caractérisée par d’importants effectifs de propriétaires âgés dont la résidence principale est extérieure au département, et par des surfaces moyennes possédées d’autant plus importantes que leurs détenteurs sont âgés. Concernant le foncier non bâti, ces surfaces moyennes sont maximales pour les hommes quinquagénaires (fig. 3).
Des propriétaires autochtones
Le foncier des propriétaires particuliers est réparti en proportions distinctes selon les lieux de résidence et de naissance des ayant-droits. Ceux-ci sont majoritairement « autochtones » – ou « locaux » le cas échéant (tab. 1). 85,6 % des propriétaires résident dans le département ; 66,1 % résident dans le département et sont nés en Loire-Atlantique ou dans un de ses cinq départements limitrophes. Les personnes nées hors de ces derniers départements (25,8 % des propriétaires) sont plus nombreuses que celles y étant domiciliées (9,5 %). Elles habitent essentiellement dans la commune de leur bien-fonds (c’est le cas de 66 % d’entre elles). Les personnes nées en Loire-Atlantique ou dans un département limitrophe, mais qui n’y résident pas, représentent 4,1 % des propriétaires. La propriété apparaît davantage comme le fait d’« immigrants » que celui d’« émigrants ».
Tableau 1 – Distribution des propriétaires et des surfaces qu’ils possèdent, selon leurs lieux de résidence et de naissance
Cette distribution du nombre de propriétaires est sensiblement modifiée selon la nature de la propriété. Les biens-fonds bâtis concernent des parts plus importantes de personnes possédant uniquement des biens-fonds sur leur commune de résidence, et de propriétaires nés hors de la région. À l’inverse, le partage des propriétés non bâties accentue l’importance relative des propriétaires résidant en France hors de la commune de la propriété, et celles nées dans la région.
La répartition des surfaces témoigne également de logiques d’appropriation distinctes selon la nature du foncier (fig. 4). Si les superficies sont majoritairement possédées par des « autochtones » -78,7 % des surfaces sont détenues par des propriétaires résidant en Loire-Atlantique et nés dans la région (tab. 1) – ceux-là se partagent les surfaces moyennes non bâties les plus faibles, mais les surfaces moyennes bâties parmi les plus fortes (et ce d’autant plus si les propriétaires sont nés dans la région). À cette logique du propriétaire « résidentiel », peuvent être confrontées : d’une part, celle du propriétaire « multi-communal » aux plus vastes propriétés bâties, possédant de l’immobilier dans plusieurs communes de son département de résidence ; d’autre part, celle du « résident secondaire éloigné » dont les parcelles bâties sont les plus modestes ; et enfin, celle du grand propriétaire foncier, citadin ou agriculteur, héritier ou investisseur, détenteur d’une vaste propriété non bâtie s’étendant sur plusieurs communes.
Figure 4 – Surfaces moyennes possédées par les particuliers, selon leurs lieux de résidence et de naissance
La nature du foncier – bâtie ou non bâtie – détermine les caractéristiques des propriétés et propriétaires particuliers, soit des modalités d’appropriation distinctes. Néanmoins, le patrimoine foncier s’accumule avec l’âge et se révèle d’autant plus important qu’il est détenu par des hommes ou des personnes originaires de la région.
Cinq types de propriétaires
Si le patrimoine foncier semble lié aux trajectoires de vie des individus et à leurs caractéristiques physiques également sociales, observe-t-on des relations entre l’âge et le lieu de résidence des ayant-droits ? Entre le genre et le lieu de naissance ? L’utilisation de la base MAJIC ne s’avère pas seulement précieuse pour la richesse des informations qu’elle fournit, mais par les possibilités offertes de traitements multivariés. L’application d’une Analyse à Correspondances Multiples affine la caractérisation des propriétaires par l’observation de modalités statistiquement liées. Cinq types de propriétaires – distingués par Classification Ascendante Hiérarchique – se dégagent d’un profil moyen.
Le premier d’entre eux regroupe des personnes âgées « enracinées », ayant accumulé du patrimoine foncier. Il est marqué par une forte proportion de propriétaires âgés de plus de 75 ans, nés en Loire-Atlantique ou dans un département limitrophe, résidant sur la commune de leurs biens et possédant plus de 50 ha. Il renvoie à l’accumulation du patrimoine au cours d’une vie humaine, et à l’inscription de ce patrimoine dans des lieux familiers.
Les jeunes « immigrants » accédant à la propriété constituent le second type. Celui-ci rassemble une forte proportion de jeunes propriétaires (moins de 45 ans), nés hors de la Loire-Atlantique et de ses départements limitrophes, résidant dans la commune de la propriété, et dont le patrimoine reste inférieur au demi-hectare. Il soulève l’hypothèse d’une mobilité résidentielle plus importante pour les jeunes générations.
Le troisième type de propriétaire regroupe les jeunes retraités investissant dans des résidences secondaires, soit de fortes proportions de propriétaires sexagénaires, nés et résidant hors de la Loire-Atlantique et de ses départements limitrophes, au relativement faible patrimoine (moins de 1 000 m2).
Les héritiers éloignés de leurs biens incarneraient un quatrième type d’ayant-droit, défini par de fortes proportions de propriétaires féminins âgés de 45 à 75 ans, nés en Loire-Atlantique ou dans un département limitrophe, domiciliés dans la région hors de la commune de la propriété, et possédant entre 5 000 m2 et 10 ha.
Le dernier type rappelle la figure de l’agriculteur maître de son capital foncier. Il est marqué par une forte proportion de propriétaires masculins âgés de 45 à 75 ans, nés en Loire-Atlantique ou dans un département limitrophe, résidant sur la commune de la propriété, et dont le patrimoine s’étend de 10 à 50 ha.
Cet essai de typologie – dont l’interprétation resterait à consolider par d’autres types d’études – confirme dans une certaine mesure des normes sociales relatives à l’accession du foncier. Nous le confronterons à des types de possessions.
2. Qui possède quoi ?
La propriété particulière – définie comme l’ensemble des parcelles rattachées à une personne physique par le droit de la propriété – peut être caractérisée par des variables de taille, de nature, de localisation et d’appropriation.
65 % des propriétés bâties départementales sont inférieures à 1 000 m2 et la moitié d’entre elles recouvrent moins de 500 m2 ; près de 6 biens-fonds bâtis sur 10 comprennent une construction datée des 40 dernières années, et plus des neuf dixièmes comportent une maison. 60 % des parcelles bâties sont appropriées par deux personnes (33 % sont en monopropriété) ; et 85 % sont déclarées occupées par leurs propriétaires à titre de résidence principale.
Les trois quarts des propriétés non bâties sont inférieures à moins de 1 ha, alors que 0,5 % dépassent les 50 ha. 60 % des surfaces non bâties sont exploitées en terres arables, 19 % en prairies ; et 46 % des parcelles non bâties sont en monopropriété (40 % sont en indivision de deux personnes).
Cette distribution des caractéristiques foncières départementales peut diverger selon les types de parcelles ou de propriétaires étudiés. Des biens-fonds et des propriétés définis par un ensemble de modalités propres se distinguent ainsi d’un profil moyen. Ils allouent aux propriétaires départementaux des ambitions et des statuts distincts.
Des types de biens
L’analyse multivariée attributs parcellaires distingue trois principaux types de biens bâtis.
Un « modèle résidentiel » – proche de la référence pavillonnaire – rassemble des parcelles possédées et occupées par deux particuliers, dont la période de construction du bâti est similaire à celle de la dernière mutation notariale. Plus celle-ci est récente, plus la surface moyenne des biens-fonds diminue.
Un deuxième type de parcelle bâtie d’une maison – regroupant deux cas de figures – se forme par opposition au premier : une période de construction antérieure à celle de l’appropriation juridique est associée à de petites surfaces parcellaires, caractéristiques des agglomérations les plus anciennes ; une période de construction ultérieure à celle de la mutation distingue à l’inverse de vastes parcelles bâties (2 500 à 5 000 m2).
Et enfin, des dépendances anciennes et déclarées vacantes, des appartements possédés par un unique propriétaire bailleur et des locaux industriels et commerciaux occupant de vastes parcelles distinguent les biens bâtis les plus éloignés du profil dominant de la propriété bâtie sur le département.
La détermination de types de biens-fonds non bâtis confirme l’importance de l’occupation du foncier sur les caractéristiques parcellaires. De très faibles surfaces cadastrales et des indivisions de couples caractérisent d’abord des terres non agricoles, dites terrains d’agrément par le jargon du Cadastre. De vastes parcelles appropriées par plus de deux personnes individualisent ensuite les biens sylvicoles. Un troisième type rassemble des parcelles de vigne, de prés et de terres labourables, distinguées par leur surface et les modalités de leur appropriation (nombre d’ayant-droits, date du dernier acte de mutation).
Trois types d’appropriation
La confrontation de ces types de biens bâtis et non bâtis avec les cinq figures de propriétaires précédemment exposées, permet de vérifier de fortes relations statistiques. Le « modèle résidentiel » est surreprésenté parmi les propriétés des jeunes « immigrants » (nés hors de la Loire-Atlantique et de ses départements limitrophes, résidant uniquement sur la commune de leur bien) ; les parcelles de vignes sont aussi statistiquement liées aux propriétaires de 45 à 60 ans, « éloignés » de leurs biens-fonds ; ou encore, les grandes parcelles de terres labourables sont fortement surreprésentées parmi le patrimoine des personnes âgées « autochtones ».
En définitive, l’analyse des relations statistiques de l’ensemble des modalités attribuées aux parcelles et aux propriétaires confirme trois grands types d’appropriation. Ceux-ci sont déterminés par trois statuts ou trois logiques de propriétaires : l’accession à la propriété par des jeunes couples sans patrimoine préalable ; la résidence de retraite occupée temporairement ; la possession d’un bien proche d’une métairie – de par sa localisation, sa surface, sa vocation agricole, la diversité de ses composantes – attribuée à une majorité de locaux.
L’âge des propriétaires et leur lieu de résidence constituent les modalités les plus discriminantes lors des essais de typologies de propriétés. Les relations observées entre l’accession à la propriété et le cycle de vie (Bonvalet, 1988) sont confirmées. Aussi, parce que liée à des héritages individuels et sociaux localisés, la possession foncière atteste sa dimension géographique.
3. Qui possède quel territoire ?
Les biens-fonds particuliers s’inscrivent dans des territoires infra-départementaux aux structures foncières distinctes, ce dont témoigne la répartition des propriétaires sur le département (fig. 5). Le maillage de propriétés est dense en milieu urbain, y étant associé aux fortes densités de population. Également partagé entre de forts effectifs de propriétaires sur le littoral, il confirme l’attractivité de cet espace pour des investisseurs extérieurs, le nombre de propriétaires y excédant largement le nombre d’habitants. Dans le Pays de Redon2, sur les marges du Castelbriantais, dans quelques communes du Pays de Retz et des « prés de Loire », il y exprime la permanence et l’importance des héritages – ou celle d’investissements agricoles extérieurs – accordés à des propriétaires plus nombreux que la population locale. Sur le reste du département, la situation se rapproche d’une moyenne nationale évaluant à 62 % la part des ménages disposant d’un bien immobilier (Chaput et al., 2010).
Si les propriétés se répartissent en volumes distincts sur le département, leurs attributs à l’échelle communale (évalués en parts communales d’effectifs ou de surfaces possédées) s’écartent aussi remarquablement du profil moyen observé à l’échelle départementale. Le degré d’urbanité des territoires est une variable fondamentale : il distingue trois grands types d’espaces selon les attributs de leurs propriétés. Seront ici étudiés le patrimoine, le genre, l’âge, le lieu de résidence et de naissance des propriétaires détenteurs de biens-fonds sur les communes de la Loire-Atlantique.
Petits propriétaires des villes, grands propriétaires des plateaux
Les territoires les plus urbains connaissent d’abord une surreprésentation des ayant-droits les moins pourvus en surface foncière sur l’ensemble du département (fig. 6). Un phénomène aréolaire se dessine, la part relative des effectifs de petits propriétaires diminuant avec la distance au cœur de la métropole Nantes-Saint-Nazaire. Le vignoble nantais se rapproche d’un profil moyen. Le Castelbriantais et le nord du bocage angevin connaissent de fortes proportions relatives de propriétaires les plus riches en surface. Si les grands propriétaires ne sont pas surreprésentés dans le Pays de Retz, ce territoire comporte les propriétés les plus vastes du département, déterminant les profils communaux (fig. 7). Les observations de J. Renard sur la grande propriété foncière (1976) pourraient être réitérées si le seuil des 50 ha – limite supérieure de la propriété paysanne, et limite inférieure des grandes métairies – était de nouveau adopté. Ces biens-fonds de plus de 50 ha recouvrent 17 % de la surface départementale non bâtie, et se concentrent dans le Castelbriantais, le bocage angevin et le Pays de Retz – au sein des bocages de labours – où ils représentant plus de 25 % des terres. Dans le marais breton, les régions de vignes et de prémarais – traditionnellement exploités en faire-valoir direct par la petite paysannerie – ils occupent moins de 10 % des surfaces non bâties. Les marais de Guérande – dont le parcellaire a été extrêmement fragmenté par les crises agro-salicoles du XIXe (Vigarié, 1978) – sont partagés par d’étroites propriétés dont une partie reste indéterminée (aucun ayant-droit ne pouvant y être associé). Les grandes propriétaires y détiennent moins de 5 % des terres non bâties.
Propriétaires féminins et territoires urbains
Les effectifs de propriétaires féminins sont majoritaires dans les milieux urbains (au cœur de la métropole) et dans les communes du littoral. Cette répartition tient à la nature du parcellaire, puisqu’une répartition des terres plus équilibrée entre les genres caractérise les propriétés bâties. Aussi, les parts surfaciques détenues par les femmes se révèlent proportionnelles à l’importance du parc bâti communal.
Quinquagénaires des villes, jeunes retraités du littoral
De forts effectifs de quinquagénaires distinguent également les territoires les plus urbains (fig. 8). Les communes du littoral se singularisent par d’importantes proportions de propriétaires jeunes retraités. Une surreprésentation d’ayant-droits âgés de plus de 75 ans distingue le Pays de Redon et quelques communes au cœur de la presqu’île guérandaise, mais aussi Saint-Mars-la-Jaille et Saint-Sulpice-des-Landes sur le Plateau nantais. Cette situation témoigne de relations statistiques positives entre les « locaux » les plus âgés et les vastes parcelles de bois, de prés et de landes. Aussi, des parts surfaciques importantes des territoires des « prés de Loire » sont détenues par des propriétaires de plus de 75 ans. Cependant, la spécificité observée du Pays de Redon ne peut être associée à aucun autre attribut de la propriété.
Propriétaires « distants » sur le littoral et dans les campagnes nantaises
La distribution spatiale des effectifs de propriétaires « résidents communaux », apparaît très nettement liée aux degrés d’urbanité des territoires – rejoignant la relation positive entre la résidence du propriétaire dans la commune de la propriété et la nature bâtie de son bien-fonds (fig. 9). Les communes du littoral sont celles qui se distinguent le plus du profil moyen. Leurs valeurs statistiques sont si spécifiques, que le traitement par CAH y distingue plusieurs classes : ainsi les communes côtières du Croisic à Pornichet se démarquent par leurs fortes proportions de propriétaires les plus « éloignés ». Les effectifs de propriétaires habitant dans un pays étranger sont également surreprésentés dans le nord du Castelbriantais. Aux marges du département, l’importance relative des propriétaires de départements limitrophes pose l’hypothèse de propriétés agricoles outrepassant les limites administratives – laquelle doit être conjuguée au degré d’urbanité et à la nature plus ou moins extensive des cultures (ainsi le vignoble nantais n’est pas concerné). Le Pays de Redon, inscrit dans une communauté de communes interdépartementale, confirmerait par ailleurs ses appartenances bretonnes. La surreprésentation des propriétaires « multi-communaux » dans les territoires les plus agricoles (au nord du Castelbriantais, dans la vallée de l’Erdre amont, dans le Pays de Retz, au rebord du Plateau Nantais et dans quelques communes éparses du vignoble) rappelle que les grandes propriétés des départementaux sont avant tout non bâties et constituées de terres labourables. L’analyse des parts surfaciques communales distingue singulièrement le Pays de Retz, lequel connaît de fortes proportions de surfaces appartenant à des ayant-droits français non régionaux, essentiellement parisiens. De fortes proportions relatives de surfaces appartenant aux régionaux non-résidents caractérisent l’espace interstitiel entre Nantes et Saint-Nazaire. Ces communes ont fait l’objet de placements spéculatifs de la bourgeoisie nantaise au XIXe siècle. Leurs « prés de Loire » pouvaient se louer à des taux très élevés avant la révolution fourragère des bocages dans les années 1950 (Renard, 1976), et se conservaient « jalousement » par les citadins-héritiers des années 1970 (ouvriers, fils d’anciens exploitants, ingénieurs ou docteurs) malgré leur morcellement (Croix, 1978).
Les propriétaires nés hors de la Loire-Atlantique et de ses départements limitrophes sont proportionnellement plus importants dans les communes littorales et de l’agglomération nantaise, renvoyant aux relations statistiques entre le lieu de naissance hors de la région et les petites propriétés exclusivement bâties de maisons. D’importantes parts surfaciques communales possédées par des propriétaires « nés au loin » distinguent la presqu’île guérandaise, mais aussi quelques communes du Pays de Retz, terre de grandes propriétés citadines.
Trois logiques d’appropriation, trois territoires
L’analyse multivariée des précédentes variables propres aux ayant-droits particuliers (âge, genre, lieux de résidence et de naissance, surfaces possédées) synthétise les relations entre le degré d’urbanité et les attributs de la propriété des particuliers. Trois territoires se distinguent fortement (fig. 10) :
- la Loire-Atlantique « urbaine »;
- la Loire-Atlantique « littorale »;
- et la Loire-Atlantique « rurale », définie par défaut.
Si les grands propriétaires fonciers sont surreprésentés dans le Castelbriantais et le Pays-de-Retz, les autres ensembles communaux ne présentent aucun ensemble de variables homogène s’écartant du profil moyen.
Cette répartition spatiale souligne les relations entre la nature des propriétés et des propriétaires. Elle témoigne de trois grands types d’appropriation, reliant respectivement : l’âge relativement jeune, une certaine « mobilité résidentielle » (résumée par l’analyse du lieu de naissance) et le faible patrimoine bâti ; l’âge avancé et la résidence secondaire éloignée de l’habitation principale ; la proximité géographique, l’origine locale et de vastes biens-fonds à vocation agricole. La propriété départementale répond ainsi aux grands "objets géographiques" du département, à savoir : la ville et la campagne (plus ou moins agricole) ; le littoral ou encore les emprises naturelles, semi-naturelles ou forestières, sujettes aux propriétés morales.
Conclusion : une géographie ordinaire
La propriété foncière des particuliers en Loire-Atlantique apparaît étroitement liée à l’occupation des sols, mais n’est appréhendable que par l’analyse des relations entre un parcellaire, des propriétaires et un territoire. Celui-ci constitue parfois le seul angle d’approche possible pour décrire une situation. Les grandes propriétés étudiées par J. Renard (1976) semblent se perpétuer, leurs caractéristiques restant distinctes selon les terres de plateaux. Le Pays de Redon, non individualisé par les attributs de son parcellaire (Jousseaume et Roux, 2013), se distingue par une surreprésentation des propriétaires les plus âgés. À l’inverse, de fortes proportions de propriétaires résidant à l’étranger singularisent les marges septentrionales du Castelbriantais, alors que ce « pays » présente une structure parcellaire particulière et relativement homogène.
Parallèlement, la répartition des attributs de la propriété sur le département témoigne de mécanismes sociaux outrepassant ce territoire. Une certaine unité du périurbain peut ainsi être retrouvée par le positionnement des ménages dans le cycle de vie, alors que la migration des jeunes retraités vers le littoral serait motivée par la volonté de « vivre mieux » (Lelièvre, 1988).
La propriété foncière des particuliers de Loire-Atlantique n’a au final rien de très surprenant : elle dessine une géographie écrite par le peuplement, l’urbanisation, la valorisation agricole, et laisse amplement s’exprimer la société contemporaine. Le portrait des propriétaires départementaux est assez proche de celui de sa population, puisque majoritairement « privatif » et « endogène ». Aussi, le bien-fonds particulier confirme sa nature d’objet « socio-spatial », reliant des logiques d’accumulation aux trajectoires de vie. Les enjeux fonciers peuvent donc être appréciés par une grande majorité de propriétaires-occupants dont les stratégies résidentielles (temporelles et spatiales) et la constitution du mode d’habiter (fortement liée aux héritages familiaux) définissent l’étalement urbain ou encore l’occupation des campagnes.
Les auteures remercient la Direction de l’Observation et de la Prospective du Département de Loire-Atlantique qui dispose de la base de données MAJIC (DGFiP) renseignant l’intégralité du territoire départemental, et a motivé l’étude de cette source d’informations. Elles remercient particulièrement Mme Marie RENAC et M. Olivier CHUPIN, ainsi que Jean-Yves BUREL, inspecteur divisionnaire à la DGFiP de Loire-Atlantique et des Pays de la Loire.