Le diagnostic hydromorphologique : méthodologie et application professionnelle

Résumé

Que ce soit dans le cadre d’un travail de recherche ou pour répondre à une demande publique, le diagnostic hydromorphologique s’avère être une pratique couramment utilisée pour analyser les milieux aquatiques. L’analyse multicritère et l’indice de vulnérabilité qui en découlent sont deux outils qui permettent une analyse morphodynamique efficiente dans le cadre d’une gestion durable des cours d’eau et des milieux aquatiques. à travers différents exemples pris dans le Grand Ouest français, l’objectif de ce travail est de montrer que la recherche appliquée en matière d’étude morphodynamique de cours d’eau est particulièrement intéressante pour une utilisation opérationnelle en milieu professionnel.

Index

Mots-clés

diagnostic hydromorphologique, bassin versant, érosion, outil d’aide à la décision, gestion des milieux aquatiques

Plan

Texte

Introduction

Le diagnostic hydromorphologique est une procédure opérationnelle d’évaluation de l’état hydromorphologique des cours d’eau et des flux sédimentaires qui en découlent. Ce diagnostic permet donc d’appréhender la morphologie des cours d’eau et les variables hydrauliques qui les conditionnent (débits liquides, transits sédimentaires) ainsi que les altérations ou perturbations occasionnées par certains usages ou aménagements.

La composante hydromorphologique est régulièrement un indicateur déclassant dans le cadre des objectifs formulés par la Directive Cadre sur l’eau visant à un retour à un bon état écologique des masses d’eau d’ici à 2015 (Commission européenne, 2000). L’objectif de cette démarche est de proposer aux professionnels une méthode permettant d’appliquer de façon opérationnelle un outil de caractérisation hydromorphologique et d’aide au diagnostic pour les politiques de restauration des milieux aquatiques. En définitive, l’idée est de présenter un état des lieux du cours d’eau afin de recenser tous les éléments permettant de juger de son bon ou mauvais état d’un point de vue morphologique en vue de travaux de restauration. La mise en œuvre de cette méthode permet d’aboutir à la hiérarchisation de zones sources d’érosion, dans l’optique d’aider la prise de décision en matière de gestion de la qualité et de l’aménagement des milieux aquatiques.

Le présent article fait suite à différents travaux de recherche initiés en 2003 au sein de l’Institut Géographique et d’Aménagement Régional de l’Université de Nantes (IGARUN) et appliqués depuis dans un cadre professionnel. Il vise à faire un état des lieux de la méthode initiale et de ces évolutions successives.

La démarche mise en œuvre s’est décomposée en deux étapes. Dans un premier temps, deux monographies ont été réalisées (Rollo, 2004 ; Cellier, 2008). Ces études ont permis dans une première phase de constituer une fiche terrain destinée à renseigner chacun des facteurs potentiels d’érosion du milieu considéré. Cette fiche a ensuite été renseignée sur le terrain à partir de deux sites d’étude distincts. Ces reconnaissances terrain ont été une étape fondamentale dans la compréhension des différents hydrosystèmes locaux et ont permis d’apporter différentes évolutions notables à la fiche initiale. Dans un second temps, cette méthode a été appliquée dans le cadre d’un stage au sein du bureau d’étude Ginger Environnement lors de l’étude d’impact relative à la construction d’une nouvelle Ligne ferroviaire à Grande Vitesse (LGV) entre Tours et Bordeaux (Cellier, 2009). Ginger Environnement a été missionné dans le cadre de ce projet par Réseau Ferré de France pour établir un état initial de l’eau et des milieux aquatiques traversés par la nouvelle LGV Sud Europe Atlantique (http://www.lgvsudeuropeatlantique.org). Cette étape a permis de vérifier l’efficience de cette méthode pour une application dans un cadre professionnel et opérationnel.

Afin d’illustrer notre propos, nous prendrons donc comme exemple les cours d’eau ayant servis de support pour le développement de la méthode ainsi que le terrain étudié dans le cadre du projet de LGV Sud Europe Atlantique pour l’application professionnelle (fig. 1)

Figure 1 : Localisation des sites étudiés dans le cadre de cette démarche.

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1. Les principes du diagnostic hydromorphologique

Généralités

Les hydrosystèmes ont largement été influencés et modifiés par l’activité humaine. Depuis plusieurs années, dans une logique générale de réduction des atteintes et des impacts de l’Homme sur la ressource en eau, le Ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement Durable et de la Mer, et les Agences de l’Eau, ont demandé aux structures compétentes de mettre en œuvre des démarches permettant d’atteindre les objectifs fixés par la Directive Cadre sur l’Eau.

Le « bon état écologique », objectif commun assigné à l’ensemble des masses d’eau par cette directive, repose sur une évaluation des comportements biologiques et de certains paramètres chimiques. Les caractéristiques physiques des cours d’eau sont exclusivement étudiées pour atteindre le « très bon état hydro-morphologique ». Elles sont nécessaires par leurs incidences sur la qualité des habitats des biocénoses aquatiques (Chandesris et al., 2007).

En effet, les cours d’eau peuvent être décrits par une grande quantité de paramètres tels que la composition chimique de l’eau, leur hauteur, leur dynamique, ou encore la flore et la faune des rives et des lits. Dans une rivière en bon état, les valeurs de ces paramètres sont proches des conditions naturelles, qui dépendent de la géologie, du relief, du climat et donc de la région concernée.

Plus faciles à mettre en œuvre, et pour répondre aux exigences sanitaires des sociétés, les mesures de qualité physico-chimique, ont longtemps primé. Cependant, l’état fonctionnel d’un cours d’eau ne peut être établi sans mesures sur le milieu physique, comme les berges, le lit, les petits affluents ou les zones humides riveraines qui contribuent pour une part essentielle au bon fonctionnement des cours d’eau.

Le diagnostic hydromorphologique est aujourd’hui une procédure d’évaluation relativement répandue. Cette méthode d’expertise des milieux aquatiques nécessite néanmoins une réflexion avancée pour assurer son caractère opérationnel de façon optimale.

La dynamique fluviale et les transits sédimentaires

La morphologie d’un cours d’eau est étroitement liée à sa dynamique fluviale et est donc basée sur l’équilibrage entre les débits liquides et les transits sédimentaires. Les usages qui peuvent être fait des plaines alluviales et les aménagements qui ont pu être implantés sur les cours d’eau peuvent induire des perturbations qui dans certains cas peuvent aller jusqu’à déstabiliser l’équilibre dynamique du cours d’eau et donc modifier la morphologie de ce dernier ainsi que les habitats associés. Ces pressions anthropiques peuvent influer sur les débits mais aussi sur la charge sédimentaire (accentuation de l’érosion et donc des transits ou au contraire rétention sédimentaire). La méthode développée dans le cadre de ce travail est principalement axée sur la composante sédimentaire.

La charge sédimentaire d’un cours d’eau peut se subdiviser en deux catégories distinctes : les matières solides et les matières colloïdales. Parmi la charge solide, on distingue les matières en suspension (MES), légères, de petite taille et pouvant être maintenues en suspension dans l’eau, de la charge de fond, beaucoup plus lourde, qui nécessite d’autres processus de transport pour se déplacer (saltation, roulage, charriage).

Les colloïdes sont des substances sous formes liquide ou de gel qui contiennent en suspension dans un fluide des particules solides comprises entre 0,2 et 0,002 µm. Ces matières dissoutes peuvent représenter une part non négligeable de la charge totale transportée par une rivière : 38 % de la charge solide totale en moyenne transportée par l’ensemble des cours d’eau du monde (Bravard et Petit, 1997). Les rejets industriels et agricoles forment la majeure partie de ces substances dissoutes, ainsi que l’altération chimique des roches du bassin versant.

Cette charge sédimentaire intervient, selon sa nature, à plusieurs niveaux d’échelle spatiale allant du lit du cours d’eau jusqu’au bassin versant, en étroite relation avec les activités humaines et l’occupation des sols du milieu considéré. Comme nous l’avons précédemment énoncé, les différents aménagements et usages vont exercer des effets directs et indirects sur le fonctionnement général d’un cours d’eau et notamment les transits sédimentaires. Ainsi, certains équipements ou certaines pratiques peuvent par exemple conduire à des phénomènes de rétention sédimentaire (en arrière d’obstacles) ou d’accentuation des phénomènes d’érosion qui vont induire une modification des conditions d’habitats aquatiques et rivulaires.

Présentation des sites pilotes

Dans un premier temps, deux sites pilotes ont été retenus afin de développer et d’affiner une méthode transposable permettant de réaliser des diagnostics hydromorphologiques.

Les deux secteurs correspondent aux sections centrales de l’Hocmard en Loire-Atlantique et de l’Auzance en Vendée. Les linéaires étudiés s’étendaient sur près de 3 000 m pour l’Hocmard et 1 600 m pour l’Auzance.

Le bassin versant de l’Hocmard

Situé dans le département de la Loire-Atlantique au nord de l’agglomération nantaise, l’Hocmard est un des affluents de l’Erdre. Ce ruisseau de 16 km de long est le plus septentrional du groupe des quatre derniers affluents de la rive droite de l’Erdre (Hocmard, Gesvres, Cens, Chézine). Son bassin versant de 49 km2 s’étend sur les communes de Grandchamp-des-Fontaines, la Chapelle-sur-Erdre, Sucé-sur-Erdre, Treillières et Casson.

L’Hocmard a, depuis plusieurs décennies, été plus ou moins laissé à l’abandon selon les secteurs. Le cours d’eau et ses rives ne sont plus régulièrement entretenus par les riverains. Ceci a d’ailleurs conduit au développement de la végétation rivulaire (saules, carex…), à la fermeture progressive du linéaire hydraulique, à la création d’embâcles, très nombreuses le long du cours du ruisseau, et à des reculs parfois très marqués des berges (fig. 2).

Figure 2 : Certains marqueurs tels que cet arbre, relique de l’ancienne ripisylve qui se retrouve aujourd’hui dans le lit du cours d’eau, permettent d’appréhender le recul des berges.

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(cliché : Nicolas Rollo)

De même, le ralentissement de la vitesse de l’eau a favorisé la formation d’atterrissements dans le lit de la rivière. De plus, une mauvaise oxygénation de l’eau a entraîné une dégradation de la qualité des eaux au détriment des espèces aquatiques, notamment des poissons. Dès 1986, des études relatives à l’Hocmard avaient souligné des problèmes d’écroulement des berges très importants (Croupie, 1986).

À ces problèmes relatifs aux rives du ruisseau et à son environnement s’ajoutent depuis quelques années d’importants problèmes de pollution des eaux liés pour partie aux importants flux sédimentaires. En effet, en 2001, l’Hocmard présentait des eaux de mauvaise qualité à l’amont et de très mauvaise qualité à l’aval quant à leur teneur en matières organiques et oxydables. De même, les concentrations en nitrates et en phosphates de ses eaux les classent parmi les eaux de mauvaise qualité selon la grille SEQ-Eau.

Toutes ces dégradations : érosion des berges, banalisation de la végétation par fermeture du milieu, embâcles et embroussaillements, atterrissements dans le lit du ruisseau, faible écoulement et mauvaise qualité des eaux, ont été étudiées et quantifiées en mars 2000 dans un rapport de l’EDEN. Ce bilan alarmant au niveau de la problématique érosion a poussé à la mise en œuvre de travaux de restauration et d’entretien qui se sont déroulés en 2001 et 2002 sur la partie aval du cours d’eau (Maisonneuve, 2003).

Le bassin versant de l’Auzance

L’Auzance est une rivière du littoral vendéen. Sa confluence avec la Ciboule au niveau du Petit Besson forme un chenal qui se jette dans l’océan Atlantique au Hâvre de la Gachère. L’Auzance, avec la Ciboule et la Vertonne, alimentent les marais des Olonnes qui sont classés site Natura 2000. Le bassin versant de l’Auzance, qui s’étend sur huit communes, a une superficie de 59 km2.

L’Auzance s’écoule dans un environnement aux conditions climatiques et géologiques peu favorables, qui lui confèrent de faibles débits toute l’année (Ters, 1961). De plus, les pressions et les prélèvements d’eau sont toujours plus importants, avec l’accroissement démographique du département, essentiellement en période estivale où la population est multipliée par dix sur la région du Pays des Olonnes. Depuis une dizaine d’années, la partie aval de l’Auzance est soumise à de nombreuses études, notamment géologiques, pour l’élaboration de retenues d’eau sur ce secteur qui viseraient à fournir une eau potable en quantité suffisante pour la période touristique estivale (HYDRATEC, 2004). Le bureau d’étude HYDRATEC, chargé de l’étude hydrologique de ce cours d’eau, a estimé à l’horizon 2015 un déficit dans la zone côtière d’environ dix millions de m3/an, (HYDRATEC, 2000). Ces barrages représentent une issue possible à ces risques de pénuries.

L’implantation de ce type d’aménagement dans ce genre d’espace bocager et agricole risque de profondément modifier le milieu, que ce soit au niveau environnemental ou au niveau de la mise en valeur des sols environnants. En effet, l’édification des barrages risque de bouleverser la dynamique sédimentaires, tant en amont qu’en aval des ouvrages. Ce bouleversement pourrait aboutir à une modification majeure voire à une détérioration notable de l’écosystème local.

2. Méthodologie

La segmentation en tronçons homogènes

Le diagnostic des dysfonctionnements d’origine hydromorphologique en milieu d’eau douce doit nécessairement intégrer une analyse hiérarchique et multi-scalaire du fonctionnement des hydrosystèmes. Ainsi, les secteurs étudiés ont été compartimentés en tronçons de taille relativement proche. Par exemple les linéaires fluviaux étudiés ont été segmentés en six tronçons pour l’Hocmard et cinq pour l’Auzance.

L’objectif principal de cette sectorisation est la possibilité, par un niveau d’analyse fin, d’établir des comparaisons détaillées entre les tronçons. Le but est donc d’étudier avec précision la variabilité géographique de la production de particules sédimentaires transmissibles au cours d’eau.

De ce qui précède, les tronçons ont été déterminés de façon à ce que chacun soit le plus homogène possible sur le plan de la morphologie (largeur, pente du versant, hauteur des berges, sinuosité, occupation des sols…). La largeur des tronçons est fixée de manière relativement semblable. Cependant, elle peut légèrement varier en fonction des paramètres topographiques et d’occupation des sols. Globalement, les limites ont été fixées immédiatement en amont de la plus haute courbe de niveau du versant, et tenant compte de l’orientation des courbes de niveau (et donc des pentes). Celles-ci ont pu être dépassées lorsque le parcellaire l’exigeait. En effet, lorsque les courbes de niveau ne correspondaient pas avec les délimitations des cultures ou si elles étaient d’altitude plus basse, nous avons fixé les bornes du tronçon aux limites des parcelles et non aux limites altitudinales.

D’autres secteurs en dehors de ces limites pourraient éventuellement faire l’objet de production de particules par les agents d’érosion. Mais d’une part, la charge grossière ne semble être que peu mobilisable pour un trajet plus long de la source d’érosion au cours d’eau, sauf cas exceptionnel de tempêtes ou d’activités anthropiques (roulages et saltations répétés des particules par le passage d’engins agricoles). D’autre part, les particules plus fines semblent également moins facilement transportables par ruissellement sur des pentes plus faibles et sur de longues distances. En somme, le rôle des zones éloignées du lit ne semblent participer à l’activité sédimentaire du cours d’eau que de manière marginale.

La fiche terrain

Afin de faire un état des lieux représentatif des sections étudiées, une fiche terrain a été réalisée. Cette fiche évolutive a été complétée au gré des applications successives afin d’intégrer des conditions nouvelles et d’assurer sa transposabilité. Elle se présente finalement sous la forme d’une grille multicritères composée de plusieurs indicateurs qui permettront de caractériser avec précision chaque tronçon. Une liste à choix multiples pour chaque indicateur a été créée et peut-être complétée au besoin. Elle permet de faciliter la saisie sur le terrain, et d’assurer l’exploitation des résultats. Les données sont renseignées pour chacune des rives du tronçon considéré. Ces critères s’organisent en six thématiques principales susceptibles d’agir sur l’érosion et les transits sédimentaires (fig. 3).

Figure 3 : Thématiques et principaux indicateurs de sensibilité à l’érosion retenus pour l’élaboration de la fiche terrain.

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L’indice de vulnérabilité

Afin de compléter le diagnostic, un indice synthétique de vulnérabilité a été crée. Après l’établissement de la grille multicritères, nous avons constitué cet indice afin de représenter la vulnérabilité du tronçon face à l’érosion et donc aux transferts sédimentaires. Celui-ci a pour objectif de hiérarchiser les différents tronçons étudiés selon leur potentialité à soumettre des particules sédimentaires à la dynamique de l’écoulement. Un deuxième objectif est de tenter d’évaluer la contribution de chaque secteur (versants, lit majeur, lit mineur) dans les transports solides. L’idée est de désigner des secteurs d’intervention prioritaires pour l’application de mesures ou d’aménagements susceptibles de remédier aux dysfonctionnements constatés lors du diagnostic. Cette analyse qui se cantonne pour le moment à une approche qualitative pourrait éventuellement servir de base afin d’aboutir à la mise en œuvre d’analyses spatiales quantitatives des processus d’érosion.

Afin de constituer ces indices, des notes ont été attribuées à chacun des indicateurs en fonction de l’impact qu’ils pouvaient avoir sur les flux sédimentaires. Cette méthode de notation a été établie à partir d’un certain nombre de littératures grises et d’observations de terrain. Elle n’a pas pour vocation d’être exhaustive mais elle présente cependant un intérêt réel pour les politiques de gestion car elle permet de discrétiser le risque d’érosion selon le tronçon considéré.

Ces notes peuvent être positives dans le cas de facteurs favorables à l’érosion ou négatives dans le cas inverse. Par exemple, pour l’indicateur « largeur moyenne de la zone inondable », un lit majeur de faible dimension aura tendance à accroître les transports solides vers le cours d’eau par ruissellement car celui-ci aura une distance de « freinage » très faible. Au contraire, un écoulement venant d’une forte pente qui arrivera sur un lit majeur de largeur élevée aura une distance plus importante pour déposer les sédiments, par l’augmentation du nombre d’obstacles, mais aussi par la baisse de la gravité. Ainsi, plus la pente du versant est forte, plus le risque d’érosion sera important et donc plus la note attribuée sera élevée. Néanmoins, certains indicateurs comme la présence d’un obstacle au ruissellement (haie, talus…) sont intégrés en négatif car au contraire ils limiteront les flux sédimentaires.

3. Résultats

La mise en œuvre de la méthode sur les deux sites pilotes de l’Hocmard et de l’Auzance a permis de faire un inventaire complet des différents éléments constitutifs du corridor fluvial (usage du lit majeur, berges, ripisylve, réseau hydrographique et aménagements).

Concernant les usages, les principaux types d’occupation du sol observés sur les parcelles riveraines des cours d’eau ont été les bois, les landes et les friches, les prairies et dans une moindre mesure les cultures. Cette mise en valeur s’explique par la forte vocation agricole des secteurs étudiés. La quasi-absence de cultures peut-être expliquée par le caractère hydro-morphe de ces parcelles qui se prêtent peu à la mise en culture. De même, les bois et les friches ont surtout été observés sur des sections dont la forte pente ne permettait pas le fauchage ou le pâturage.

Pour ce qui est du réseau hydrographique, l’élément principal qui est apparu lors des relevés terrain concerne les actions de recalibrage et de reprofilage du lit du cours d’eau qui ont dû être réalisées lors de la période des remembrements. En effet, la majorité du linéaire fluvial étudié a clairement subi ce type d’intervention. Cet élément explique vraisemblablement que certaines portions soient totalement dépourvues de végétation rivulaire. L’inventaire de l’état des berges a révélé des disparités importantes entre les secteurs. D’une manière générale, les sections les plus rectilignes ont semblé beaucoup plus stables. Néanmoins, la présence d’embâcles, dues au mauvais entretien de la ripisylve, a parfois déstabilisé les berges du fait des turbulences hydrauliques induites. Ainsi, des phénomènes de glissements ou d’effondrements ont été observés y compris sur des sections parfaitement rectilignes. L’influence de la ripisylve sur la tenue des berges a aussi été particulièrement remarquée. En effet, les berges à la ripisylve bien développée ont présenté en général un lit plus profond et des pentes de berge plus fortes, marquant une morphologie naturelle plus équilibrée et une meilleure stabilité.

Concernant les aménagements, dans le cas de l’Auzance et de l’Hocmard, les sections étudiées n’ont présenté que peu d’ouvrages. Dans les deux cas, les cours d’eau paraissaient plutôt souffrir d’un manque d’entretien que d’une mise en valeur excessive.

L’influence du lit majeur et surtout des versants a semblé beaucoup moins contribuer aux transferts vers le cours d’eau. Le transport des particules semble uniquement favorisé lorsque les conditions topographiques (forte pente) et d’occupation des sols (cultures) sont réunies. Toutefois, de telles situations n’ont été observées que de manière très marginale. Ainsi, pour les exemples étudiés, nous pouvons supposer que les particules proviennent essentiellement des berges et des zones jouxtant le lit du cours d’eau.

L’exploitation de ces différentes observations répertoriées dans les fiches terrain a été valorisée sous deux formes. Dans un premier temps, le calcul des indices synthétiques de vulnérabilité a permis d’établir des tableaux récapitulatifs pour chaque tronçon en fonction des thématiques retenues (fig. 4). L’intérêt majeur de ces indices est de pouvoir hiérarchiser l’ensemble des tronçons du cours d’eau les uns par rapport aux autres en fonction de leur vulnérabilité à l’érosion. Ainsi, il est possible d’identifier les secteurs qui semblent les plus sensibles et de les soumettre aux gestionnaires pour une intervention prioritaire dans le cadre d’opérations d’entretien ou de restauration.

Figure 4 : Tableau récapitulatif des indicateurs et des indices synthétiques de vulnérabilité pour chacun des tronçons de l’Hocmard.

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Dans un second temps, des cartes de synthèse ont été réalisées pour chaque tronçon étudié (fig. 5). Ces cartes qui répertorient la plupart des observations et mesures effectuées sur le terrain permettent d’établir un état des lieux précis et pourraient servir de base pour la planification d’actions de restauration et d’entretien du cours d’eau.

Figure 5 : Exemple de carte de synthèse établie à partir des relevés terrain réalisés sur un tronçon de l’Hocmard.

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4. Discussion et perspectives

Intérêts et limites de la méthodologie

La fiche terrain multicritères

Dans le cadre des différentes études qui ont été menées, l’utilisation d’une grille multicritères pour diagnostiquer l’état morphologique d’un cours d’eau s’est avérée efficace, notamment pour la rapidité de la saisie.

Néanmoins, afin de réaliser une fiche terrain complète et adaptée aux caractéristiques du terrain étudié, il serait intéressant de procéder à une réflexion supplémentaire quant au découpage en tronçons hydromorphologiques homogènes et à la nature des indicateurs utilisés afin d’assurer une transposabilité complète et de pouvoir effectuer des comparaisons directes entre les différents secteurs investis.

L’indice de vulnérabilité

La notation de tendances favorables ou au contraire défavorables à l’érosion se retrouve parfois compensée dans les indices globaux. En effet, la compensation possible entre les différents indicateurs est fortement dépendante du poids attribué à chaque thématique. Par exemple la présence d’un abreuvoir a pu sur certains tronçons nettement augmenter la note globale, alors que la section apparaissait globalement peu vulnérable. Cela représente une certaine limite de la méthode de calcul qui ici privilégie un objet ponctuel à une tendance plus générale. Toutefois, cela reste représentatif dans la mesure où même dans un milieu globalement défavorable aux transferts, la seule présence d’un abreuvoir peut contribuer à accentuer considérablement le risque d’érosion. Nous avons donc essayé dans la mesure du possible de prendre en considération chaque indicateur afin de limiter les dérives des regroupements par thématiques.

Sur les différents secteurs d’étude, lesquels sont en majeure partie agricoles, les particules sédimentaires proviennent essentiellement de la dégradation du chenal sous l’action des forces hydrauliques d’une part, et du piétinement des bovins venant s’abreuver entraînant une quantité considérable de particules dans le cours d’eau d’autre part (et une remise en suspension des sédiments). Les abreuvoirs semblent plus vulnérables encore lors des pâtures, à partir du printemps, et montrent que l’érosion des berges n’est donc pas uniquement liée aux processus hydrologiques. Afin de réaliser une étude de vulnérabilité complète, il est essentiel de pouvoir effectuer plusieurs observations de terrain, à des périodes différentes au cours d’une année, que ce soit pour observer les différentes pratiques, mais aussi par exemple pour mesurer les éléments nécessitant une chronique (débit, puissance du cours d’eau, pluviométrie) et mieux appréhender la dynamique sédimentaire générale.

Finalement, concernant les interprétations des données liées à l’écoulement, aux berges et aux versants, la méthode de l’indice demeure fiable. Malgré certaines limites inhérentes à ce type de méthodologie semi-qualitative, elle demeure tout à fait adaptée pour établir des disparités entre tronçons dans la mesure où sa vocation est d’établir des tendances et non de quantifier à proprement parlé les « départs » sédimentaires.

Perspectives professionnelles

Transposition de la méthode en milieu professionnel

Depuis le développement de cette méthode, une étude morphodynamique des milieux aquatiques a été réalisée dans le cadre de la réalisation du dossier loi sur l’eau du projet LGV Sud Europe Atlantique. Cette étude qui s’est fortement appuyée sur la méthode développée au sein de l’IGARUN a non seulement permis d’intégrer de nouveaux apports à l’approche mais a aussi permis de tester son application dans un cadre professionnel.

Les principaux apports liés à cette application résident dans l’approche pluridisciplinaire qui y a été développée et dans l’informatisation de la fiche de diagnostic et de la base de données associée.

En effet, les reconnaissances terrain ont été menées par des équipes pluridisciplinaires, composées notamment de techniciens écologues et de techniciens hydrauliciens ce qui a permis d’enrichir le diagnostic de nouveaux indicateurs et d’apporter un regard différent sur la méthode.

De plus, l’étendue de la zone d’étude (142 cours d’eau et 34 plans d’eau) a amené à travailler sur de nouveaux supports afin de faciliter la gestion des paramètres intégrés à l’approche. Ainsi, les observations terrain ont été saisies sur un PDA (Personal Digital Assistant), dans lequel la fiche terrain avait été préalablement intégrée, de manière à saisir directement les paramètres sur un support informatique. Ce procédé a fiabilisé et optimisé le travail de recueil de données. Ces dernières ont ensuite été incorporées dans un Système de Gestion de Base de Données afin de favoriser le stockage et l’exploitation des résultats. Cet apport nouveau, particulièrement adapté à de vastes zones d’étude permet notamment de réaliser des requêtes, de trier les sections par indicateurs et ainsi de disposer instantanément des données associées.

Finalement, la transposition de la méthode initiale, enrichie de ces divers apports dans un cadre professionnel, s’est avérée être un succès. Ce test semble même très encourageant pour la suite. En effet, la multiplication des appels d’offre issus des collectivités territoriales concernant des études hydromorphologiques, que ce soit pour la réalisation de dossiers loi sur l’eau, d’études d’incidences et d’études d’impact sur les milieux aquatiques, mais aussi pour étudier les risques d’inondation, amène de nombreux bureaux d’études à développer des compétences sur le sujet. La structure développée pour cette approche peut représenter un complément aux différentes démarches déjà mises en œuvre dans le cadre de ces études.

Intégration d’une composante SIG à l’approche multicritères

La méthode multicritère permet de replacer les cours d’eau dans un contexte plus général d’étude hydromorphologique de bassin versant.

Ce type d’approche basé sur la compilation de différents indicateurs est particulièrement adapté aux applications SIG (Bolo et Brachet, 2001).

L’information géographique tirée de ce genre d’étude permet la production de nombreuses cartes thématiques susceptibles d’apporter une vue transversale du corridor fluvial. De plus, la réalisation de cartes reflétant la hiérarchie des secteurs sources à partir de l’indice de vulnérabilité préalablement établi permet de discrétiser le risque d’érosion.

L’intégration de ce type d’analyse dans un Système d’Information Géographique permettrait, pour le gestionnaire, de disposer d’informations géoréférencées. Ainsi, il serait plus aisé de localiser et d’identifier les pressions à l’origine des dysfonctionnements géomorphologiques observés, et d’y apporter des réponses opérationnelles.

De plus, combinées avec les données sur la qualité des eaux, les données hydromorphologiques contenues dans ce type de SIG permettraient d’identifier les secteurs susceptibles de se situer en « très bon état » au sens de la Directive Cadre sur l’Eau et donc à préserver en priorité. À l’inverse, l’identification de secteurs très sensibles permettrait d’établir et de planifier des actions de restauration.

Conclusion

La méthode présentée dans cet article a subi de nombreux remaniement depuis son élaboration au sein de l’IGARUN. Néanmoins, la structure même de cette approche reste aujourd’hui proche de celle du départ. Les applications successives ont permis à la fois de l’enrichir et de démontrer son efficacité. De plus, les potentialités d’évolution quant à sa mise en œuvre sont nombreuses. Compte tenu du contexte actuel qui accorde une place de plus en plus importante à la composante hydromorphologique dans les politiques de gestion des milieux aquatiques, ce type d’approche représente un outil efficace pour réaliser un diagnostic de l’état morphologique des corridors fluviaux. Enfin, l’identification des secteurs les plus sensibles est un apport non négligeable qui peut représenter un outil d’aide à la décision précieux pour les gestionnaires en charge de ces problématiques.

Bibliographie

BOLO P., BRACHET C., 2001. SIG et gestion des pollutions agricoles diffuses. Information Géographique et Aménagement du Territoire, Hermès, Paris, pp. 97-113.

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CELLIER M., 2008. Origines de la charge solide en milieu agricole : étude d’un secteur de l’Auzance. Monographie de Licence 3, IGARUN, Université de Nantes, 80 p.

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CHANDESRIS A., MALAVOI J.R., SOUCHON Y., WASSON J.G., MENGIN N., 2008. Système Relationnel d’Audit de l’Hydromorphologie des Cours d’Eau – Principes et Méthodes. Rapport du Cemagref, 64 p.

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Illustrations

Figure 1 : Localisation des sites étudiés dans le cadre de cette démarche.

Figure 1 : Localisation des sites étudiés dans le cadre de cette démarche.

Figure 2 : Certains marqueurs tels que cet arbre, relique de l’ancienne ripisylve qui se retrouve aujourd’hui dans le lit du cours d’eau, permettent d’appréhender le recul des berges.

Figure 2 : Certains marqueurs tels que cet arbre, relique de l’ancienne ripisylve qui se retrouve aujourd’hui dans le lit du cours d’eau, permettent d’appréhender le recul des berges.

(cliché : Nicolas Rollo)

Figure 3 : Thématiques et principaux indicateurs de sensibilité à l’érosion retenus pour l’élaboration de la fiche terrain.

Figure 3 : Thématiques et principaux indicateurs de sensibilité à l’érosion retenus pour l’élaboration de la fiche terrain.

Figure 4 : Tableau récapitulatif des indicateurs et des indices synthétiques de vulnérabilité pour chacun des tronçons de l’Hocmard.

Figure 4 : Tableau récapitulatif des indicateurs et des indices synthétiques de vulnérabilité pour chacun des tronçons de l’Hocmard.

Figure 5 : Exemple de carte de synthèse établie à partir des relevés terrain réalisés sur un tronçon de l’Hocmard.

Figure 5 : Exemple de carte de synthèse établie à partir des relevés terrain réalisés sur un tronçon de l’Hocmard.

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Référence électronique

Mathieu Cellier et Nicolas Rollo, « Le diagnostic hydromorphologique : méthodologie et application professionnelle », Cahiers Nantais [En ligne], 2 | 2009, mis en ligne le 15 février 2021, consulté le 24 avril 2024. URL : http://cahiers-nantais.fr/index.php?id=759

Auteurs

Mathieu Cellier

Géographe, Université de Montpellier, étudiant en Master

Nicolas Rollo

Géographe, Université de Nantes, Géolittomer LETG-UMR 6554 CNRS

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