Le Vendée Globe Challenge : un modèle de développement

Abstract

L’ambition de cet article est de présenter en quoi la course du Vendée Globe est une déclinaison maritime du modèle vendéen. Par son succès, sa médiatisation, ses acteurs et ses retombées économiques, cette course est la mise en scène d’un modèle de développement dont on peut retrouver d’autres déclinaisons au sein du département. à ce titre Le Vendée Globe illustre à sa façon l’esprit d’entreprise reconnu des Vendéens. Le mode de développement propre aux industriels des bocages vendéens, associant innovations technologiques, consensus social et enracinement, se retrouve sur le littoral. Le Vendée Globe est l’une des facettes contemporaines d’une même réalité vendéenne.

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Mots-clés

développement local, sport, littoral, marketing territorial, pouvoir local

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Introduction

Dans l’imaginaire et les représentations des Français, la Vendée est connue pour son épopée contre-révolutionnaire, et l’image qui en est donnée dans les manuels et les médias est encore et toujours associée à cet épisode. Parallèlement, et a contrario, les succès économiques du département depuis le dernier demi-siècle en font un exemple de réussite et de modernité endogène qui n’est pas sans surprendre nombre d’observateurs. On parle volontiers de miracle ou de mystère vendéen (Renard, 2008) pour expliquer ce retournement d’image. C’est surtout « le succès du bocage » qui est reconnu (Bonnet, 2008). En réalité le dynamisme du département repose sur deux piliers. Certes, il y a l’étonnante réussite de l’industrialisation en milieu rural du bocage, véritable système productif localisé (SPL) avant la lettre, mais il y a aussi le littoral dont l’essor touristique en a fait le deuxième département touristique de France.

Le département de la Vendée présente une longue façade maritime qui se situe au cœur de l’arc de la plaisance et de la voile qui s’étire du Finistère à la Gironde, et plus précisément de Port Fouesnant à La rochelle. La Vendée n’abrite pas les ports de plaisance les plus importants de ce littoral que sont le port des Minimes à la Rochelle avec 3 500 postes d’amarrage et l’ensemble Quiberon – La Trinité-sur-Mer – Port Crouesty, avec 3 700 postes. Au total ses ports, dont les principaux sont ceux des Sables d’Olonne (1 500 anneaux), Saint-Gilles-Croix-de-Vie (800), Yeu (648) et Talmont-Saint-Hilaire (580), peuvent abriter en 2009 environ 4 000 bateaux, et des projets sont à l’étude (Brétignolles). En revanche, elle abrite les entreprises de construction de bateaux de plaisance les plus importantes à l’échelle internationale, avec en particulier la firme Beneteau, leader mondial. Le département offre donc la filière complète de cette activité, depuis la conception et la construction des bateaux, jusqu’aux firmes diverses et variées d’accastillage et aux écoles de voile. On comprend dès lors que les stations balnéaires du département participent pleinement à la vogue des courses au large ou à l’accueil des étapes de différentes épreuves. En 2009, Saint-Gilles-Croix-de-Vie a été une étape de la course du Figaro. Dans ce cadre la course dite du Vendée Globe en est le fleuron. Cet « Everest des Mers » selon la formule imagée, est LA course au large par excellence, puisqu’il s’agit d’un tour du monde, en monocoque de 60 pieds, en solitaire, sans escale et sans assistance, qui se déroule tous les quatre ans depuis 1988. La dernière édition de 2008-2009 a donc été la sixième. Cette course connaît, sans doute du fait de sa démesure, un succès croissant. En outre elle a été largement médiatisée, et nous reviendrons sur les raisons de sa popularisation qui peuvent s’expliquer. Du moins nous tenterons de le faire.

En revanche, il ne s’agira pas ici de décrire ce qu’est cette course au large dans sa dimension sportive et dans la géographie maritime qu’elle permet de mieux comprendre ; cela a été fait et bien fait il y a peu par Camille Parrain (2009). Notre ambition est de présenter en quoi cette course et son organisation ont été mythifiées, utilisées, voire même instrumentalisées, afin d’en faire une déclinaison maritime du modèle vendéen. En d’autres termes en quoi cette course est représentative par son succès, sa médiatisation, ses acteurs et ses retombées économiques, de la mise en scène d’un système ou d’un modèle dont on peut retrouver d’autres déclinaisons, ne serait-ce que le Puy du Fou, érigé en lieu de mémoire, dans le haut-Bocage vendéen, à l’autre extrémité du département, qui a fêté l’an dernier ses trente années d’existence. À ce titre le Vendée Globe est l’une des deux faces contemporaines d’une même réalité.

Comparer les deux opérations, opération entendue au sens d’une mise en œuvre stratégique, voir ce qui est commun, tel sera le fil rouge de cet exposé.

1. Aux origines du projet

Faire du Vendée Globe, un Puy du Fou de la mer !

La comparaison entre les deux initiatives n’est plus à faire, elle l’a été par Philippe de Villiers lors des débats du Conseil général conduisant en 1988 au soutien financier de l’opération, lorsqu’il affirme que « Pour la Vendée et pour Les Sables, le Globe challenge serait un Puy du Fou de la mer ! Avec les mêmes ingrédients : la mobilisation humaine, la fierté de la Vendée, le phénomène de masse, le public familial ».

Le parallèle que l’on peut faire entre les deux opérations exprimant l’identité vendéenne dans l’imaginaire des Français, le Puy du Fou et le Vendée Globe, tient en premier lieu à ce que les deux projets sont nés pratiquement en même temps, à la fin des années 1970, début des années 1980. C’est-à-dire au moment de la grande mutation du département qui passe du statut de département agricole et rural à un espace industriel et touristique. Cette révolution, longtemps retardée par les structures sociales et le poids des notables, engoncés dans leurs certitudes agrairiennes, va se faire avec une rapidité surprenante et déconcertante pour nombre d’observateurs. La diffusion des industries dans les bocages, à partir du pôle choletais voisin, utilisant une main-d’œuvre abondante et docile, et l’irruption d’un tourisme de masse sur le littoral dont le promoteur Merlin est l’image emblématique avec ses ensembles immobiliers à bas prix directement sur les plages, sont les deux phares de cette mutation brutale. Le grand spectacle historique relatant l’épopée vendéenne et le défi d’un tour du monde à la voile sont deux éléments exaltant la fierté des Vendéens et la preuve de leur savoir-faire.

Dans les deux cas ce sont des individus qui sont à l’origine et qui cristallisent le projet. Au Puy du Fou, c’est un sous-préfet sorti de l’ENA, originaire du département, fils de conseiller général et d’une ancienne famille d’aristocrates vendéens par sa mère. Refusant l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, il démissionne de son poste. Il imagine la mise en scène de la saga de la Vendée, en utilisant les ruines d’un château appartenant à un notaire du département voisin qui s’en servait comme résidence secondaire, en les faisant racheter par le Conseil général. Pour le Vendée Globe, c’est un navigateur expérimenté, déjà deux fois vainqueur du Boc Challenge, course en solitaire du tour du monde avec escale, qui aurait imaginé avec une poignée d’autres, dans un café de Sydney ou du Cap (?) d’aller plus loin encore en supprimant les escales et l’assistance, livrant à eux-mêmes les navigateurs, non plus dans un simple voyage à la manière de Bernard Moitessier, mais dans une course et une compétition. Il ne faisait que reprendre, rendons aux Anglais ce qui leur appartient, l’idée de Sir Francis Chichester d’une course autour du monde sans escale, parrainée par le Sunday Times. On dit également que le projet aurait été présenté au président du Conseil général de Charente-Maritime, lequel aurait répondu que ce n’était pas une priorité (Agnus et Lautron, 2004).

Se faire une place dans l’Arc atlantique de la voile

C’est que sur « l’arc atlantique de la voile » ou la « sailing valley », qui va de la Forêt Fouesnant à La Rochelle, véritable arc nautique des compétences (sans parler de Saint-Malo, du Havre ou du Pays basque), la concurrence pour organiser de grandes courses au large est féroce depuis une petite trentaine d’années, entre les différents ports. Lorient se veut le premier pôle européen, en réutilisant l’ancienne base sous-marine, et inaugure en 2008 la Cité de la voile au nom d’Éric Tabarly. La Trinité-sur-Mer se dit et se veut « la Mecque de la voile » et ouvre la saison par le spi Ouest-France dans la baie de Quiberon. La Rochelle est, avec le port des Minimes, le premier port de plaisance du littoral atlantique en capacité d’accueil. La ville des Sables d’Olonne devait se positionner dans cette compétition. Course du Rhum, Course du Café, Trophée Jules Verne, Transquadra, Transat en double, Mini-transat, Course du Figaro, il fallait trouver un créneau porteur et se distinguer des autres. De même quant à la nature des bateaux, entre les trimarans de 60 pieds pour les transats, les maxi multicoques de plus de 35 m, les monocoques de 11 m de la compétition du Figaro, les mini de 6,5 m des Mini-transats vers Bahia via les Açores, il fallait trouver le type de bateau et l’associer à un type de course. Ce fut le choix des monocoques de 60 pieds et d’une course sans escale et sans assistance en solitaire.

Trouver des sponsors

Au départ de ces deux aventures ou défis, le Puy du Fou et le Vendée Globe, le soutien financier a été relevé par les deux organismes bancaires à caractère mutualiste concurrents et très présents dans le département que sont respectivement le Crédit Mutuel et le Crédit Agricole. Ceci n’est pas fortuit. Ils ont soutenu les projets et les ont fait connaître au travers de leurs succursales et bureaux dispersés dans le département et au-delà. Le Crédit Agricole était le sponsor du bateau de P. Jeantot, créateur de la course, lors de la première édition.

Les collectivités locales ont été également et rapidement sollicitées et se sont investies. Le Conseil général pour le Puy du Fou, puis pour le Globe challenge, la ville des Sables d’Olonne pour le Vendée Globe. Le moment était bien choisi dans la mesure où les élus de la station balnéaire entendaient en rénover l’image. La vieille station balnéaire, née dans la première moitié du XIXe siècle et lancée par l’arrivée du chemin de fer en 1866, avait progressivement perdu de son lustre. Son remblai sur l’océan et sa magnifique plage, fait d’hôtels jusque dans l’entre-deux-guerres, était transformé en une succession d’immeubles, tandis que dans l’intérieur de la cité prospéraient les meublés chez l’habitant, et qu’autour s’étalaient de vastes campings sans confort et des colonies de vacances. Seuls deux casinos de part et d’autre de la plage, entretenaient encore l’illusion d’une station bourgeoise alors que la clientèle parisienne avait disparu au profit d’une bourgeoisie régionale offrant ses villas aux promoteurs.

Créer un nouveau port aux Sables d’Olonne

Le projet de la construction d’un vaste port de plaisance dans l’ancien bassin des chasses, alors que les plaisanciers partageaient avec les professionnels de la pêche le bassin existant, va être l’élément clé du renouveau de la station. Concurrencée par les autres stations vendéennes qui avaient le vent en poupe, en particulier Saint-Jean-de-Monts, la station des Sables d’Olonne devait se singulariser par un projet ambitieux. Surfant sur la vague des sports de glisse, la popularité de la voile et le nouvel engouement des courses au large, les élus vont s’engouffrer vers le choix d’un pôle mer autour d’une station voile. La stabilité électorale, fait nouveau dans cette ville turbulente dans ses choix des édiles, va favoriser cette politique au long terme. Le député, maire depuis 1980 jusqu’à ce jour, et ses adjoints vont avoir le temps de construire une nouvelle image. La reconstruction du casino de la plage et sa transformation en centre d’accueil de congrès, la création d’une thalassothérapie, le festival Simenon en avant-saison, la mise en valeur du musée d’art contemporain, sont les autres facteurs de renouveau de l’image de la station. Mais c’est essentiellement Port-Olona qui va accélérer les choses. Creusé dans le vieux bassin des chasses, il supprime le pont-écluse reliant la ville au quartier de la Chaume, ce qui entraînera une longue polémique. Un service de passeur permet aujourd’hui de relier les deux rives. Une vaste opération immobilière accompagnera la réalisation du port, ainsi qu’une zone artisanale vouée à la plaisance. Le nouveau port régulièrement agrandi abrite aujourd’hui 1 400 anneaux. S’ajoute depuis 2008 des pontons réservés à la plaisance dans le port de pêche (119 anneaux). Ce sont ces nouvelles installations qui vont servir pour le Vendée Globe dont la première édition partira des Sables d’Olonne à l’automne 1989, sous la direction de P. Jeantot, lui-même participant. Il arrivera quatrième, laissant la première place à Titouan Lamazou qui rejoindra Port-Olona en 109 jours.

2. Le succès de la course : le Vendée Globe ça se vit !

L’affaire était lancée, elle est venue s’inscrire dans la longue liste des courses au large qui font la fortune de Saint-Malo, la Rochelle, le Havre et la Trinité-sur-Mer. Par sa démesure, elle a attiré les plus grands navigateurs. Le Globe challenge, devenu après les mésaventures financières de son promoteur, le Vendée Globe à l’instigation du président du Conseil général de Vendée et des élus sablais qui ont su racheter la marque déposée et l’ancrer aux Sables d’Olonne – un temps, d’autres ports de plaisance ont souhaité devenir le port de départ de la course – a entraîné pour la ville des retombées médiatiques difficiles à mesurer mais réelles.

Premier port morutier de France au XVIIIe siècle, grand port sardinier vivant au rythme des marées et des conserveries au XIXe et enfin grande station balnéaire du littoral atlantique au début du XXe siècle, la ville est désormais liée à l’aventure du Vendée Globe et reconnue comme le port d’attache de cette course mythique.

Le succès ne se dément pas, nous en sommes à la sixième édition. Des treize participants de la première épreuve, on est passé à trente. Chaque édition apporte son lot d’avatars et de mésaventures, avec un nombre élevé d’abandons, de non classés, voire de drames.

Les médias

Le succès tient pour l’essentiel à la médiatisation de mieux en mieux organisée. Entre chaque édition, le suspense est entretenu. Qui sera partant ? Sur quel nouveau type de bateau ? Quels seront les sponsors ? Plusieurs mois à l’avance, les inscriptions sont enregistrées. Un village du Vendée Globe regroupe les entreprises des sponsors et de Vendée. C’est l’occasion rêvée pour vanter les mérites et l’esprit d’entreprise des industriels du département.

Le départ fin novembre, souvent par un temps exécrable, est une fête grandiose qui attire sur les quais et les digues, une foule estimée à plusieurs centaines de milliers de personnes. Tous les hébergements sont pleins jusqu’à Nantes, Cholet et la Rochelle. Compte tenu de la saison, les premières mésaventures des navigateurs surgissent dès le golfe de Gascogne ; ce qui ajoute au piment. Démâtages, avaries, retours au port se succèdent. Ce fut le lot du vainqueur de la dernière édition, Michel Desjoyaux.

La télévision et internet sont constamment utilisés pour entretenir les spectateurs en haleine. Avec les progrès de la technique, chaque navigateur est relié en permanence à la terre et l’on peut suivre chaque soir aux actualités régionales le parcours des concurrents, leur classement respectif, le nombre de milles parcourus, etc. des écoles du primaire de Vendée et d’ailleurs, organisent des blogs avec l’un des partenaires de la course, skipper et sponsor, et les enfants apprennent leur géographie par ce biais.

Au retour, l’arrivée de chaque concurrent est saluée par une foule qui participe pleinement en se pressant sur les quais, peu importe l’heure, même si pour les vainqueurs tout est fait pour que leur retour coïncide avec les heures de grande écoute des radios et télévisions. Puis les événements se poursuivent jusqu’à la remise des prix au printemps suivant, autour d’une grande foule et d’un spectacle pyrotechnique sur la plage. Les explications d’un tel succès tiennent au fait que toutes ces animations, d’avant et d’après course sont gratuites. on a donc la même ferveur que celle rencontrée en d’autres sports, en particulier autour du Tour de France cycliste. Le Vendée Globe ne se raconte pas, il se vit.

La population vendéenne

Le plus remarquable dans le succès de l’événement qui a lieu tous les 4 ans, est l’engouement des Vendéens qui ont fait de la course du Vendée Globe. Cela a été la réussite des organisateurs, et en premier lieu du président du Conseil général de Vendée, Philippe de Villiers. Une sorte de consensus s’est établi autour de valeurs partagées par substitution. Chaque Vendéen s’identifie à ces héros que sont ces navigateurs qui défient la nature, se dépassent et se surpassent. On retrouve les mêmes valeurs et les mêmes identifications que celles que l’on fait jouer aux discours qui agrémentent les scènes du spectacle du Puy du Fou. Et il n’est pas neutre que ce soient les mêmes personnes, qui sont à l’origine des deux indéniables réussites culturelles et sportives que sont respectivement la grande machinerie du Puy du Fou et l’aventure du Vendée Globe, en les transformant en une sorte de mythe dont chacun peut rêver. On ne peut s’empêcher ici d’évoquer ce que dit Roland Barthes dans Mythologies (1957) :

Le mythe est une parole dépolitisée. Le mythe ne nie pas les choses, sa fonction est au contraire d’en parler : simplement il les purifie, il les innocente, les fonde en nature et en éternité, il leur donne une clarté qui n’est pas celle de l’explication, mais celle du constat (…) En passant de l’histoire à la nature, le mythe fait une économie : il abolit la complexité des actes humains, leur donne la simplicité des essences (…) Il organise un monde sans contradictions parce que sans profondeur, un monde étalé dans l’évidence : les choses ont l’air de signifier toutes seules.

Les industriels vendéens

Une autre mobilisation est celle des industriels du département qui mettent volontiers la main à la poche pour sponsoriser les concurrents et ainsi faire connaître leurs produits en attachant leur nom à un bateau. Depuis la première édition une dizaine d’industriels ont investi des sommes de plus en plus importantes, après Fleury-Michon, Maître Coq, c’est VM matériaux, puis Akena, VMI, ou encore PRB et SODEBO. Lors de la dernière édition, l’entreprise de la Mothe-Achard, PRB (revêtement de façades) a investi 3 millions d’euros dans le bateau de Vincent Riou, et un total de 7 millions d’euros sur 4 années, alors qu’en 1992 elle s’était contentée de 400 000 francs. Toujours en 2008, SODEBO (charcuterie industrielle près de Montaigu) aurait investi 2,65 millions d’euros et Akena (vérandas industrielles) 2 millions d’euros. Tous les industriels consultés parlent d’un retour sur investissement très positif et leurs enseignes sont reconnues pour leur identité voile ! Selon le PDG de VM Matériaux en trois semaines, au village du Vendée Globe installé sur le port, il y a eu 5 000 personnes invitées, 1 500 collaborateurs de l’entreprise qui sont montés sur le bateau, et 1 000 qui ont assisté en mer au départ. Cette stratégie de marketing des firmes se double d’un merchandising avec offre d’écharpes ou de blousons avec le sigle de l’entreprise. On retrouve les mêmes ingrédients qu’autour d’une équipe de football de ligue 1.

Cette professionnalisation de l’événement explique la mise en place d’un « village » plusieurs semaines avant chaque départ. En 2008, c’est 15 000 m2 qui sont offerts à plus d’une centaine d’exposants, tandis que 132 chefs d’entreprise du pays d’Olonne proposent des emplois non pourvus aux visiteurs dont le nombre total était estimé à près de 800 000 sur un mois. Une agence vendéenne spécialisée dans la communication événementielle a été chargée d’organiser les festivités, tandis qu’une autre a eu en charge la gestion matérielle du village. Là encore, le choix s’est porté sur une entreprise vendéenne, originaire d’une commune de la banlieue de la Roche-sur-Yon. Et une dernière, spécialisée dans les spectacles pyrotechniques, également vendéenne, a été retenue.

La filière nautique très présente en Vendée est une autre explication du succès de l’épreuve. Rappelons en effet que l’entreprise de construction navale pour la plaisance Bénéteau est le leader mondial de plaisance. La firme née à la fin du XXe siècle en tant que chantier naval pour la pêche, se lance dans la plaisance en 1964 à l’occasion du passage de témoin au sein de la famille. C’est Annette Bénéteau épouse Roux, qui innove avec l’utilisation du polyester pour des bateaux de pêche promenade. Le succès sera fulgurant. Le chiffre d’affaires passe de 178 millions d’euros en 1996 à plus d’un milliard en 2007. Dès 1982, l’entreprise est au premier rang mondial avec la gamme des First, l’introduction en bourse se fait en 1984, et dès 1986 une unité de production est créée en Caroline du Nord. Fusions, reprises, rachats, prises de participation vont se succéder, notamment des chantiers Jeanneau des herbiers, le concurrent vendéen. Aujourd’hui l’entreprise emploie 4 500 salariés, essentiellement en Vendée en plusieurs unités dispersées dans tout le département, et se diversifie avec la construction de mobil-homes sous la marque O’Hara. Le siège social est à Saint-Gilles-Croix-de-Vie. C’est un exemple parmi d’autres de la réussite de ces entrepreneurs vendéens, issus de l’artisanat local et qui conservent des liens étroits avec leur milieu d’origine tout en ayant des ateliers aux États-Unis, en Pologne, au Portugal et au Canada.

D’autres chantiers, une petite vingtaine, prospèrent aux côtés de Bénéteau en Vendée, dont Alubat, Alliaura marine (ex Jeantot-marine) Kingcat, Kirié et Océa dans l’agglomération des Sables d’Olonne. En outre, toute la filière est présente, depuis les ingénieurs et experts navals jusqu’à l’accastillage, la peinture et la réparation, l’entretien et la vente des bateaux d’occasion. Sur les 10 000 salariés de la plaisance en France plus de 4 500 sont en Pays de la Loire, l’essentiel en Vendée. On retrouve dans la plaisance, les caractères du modèle vendéen d’industrialisation endogène fait d’un mélange subtil d’innovations et de rapports sociaux consensuels au nom d’une identité vendéenne affirmée.

Les élus vendéens

Enfin, les élus et la population dans sa quasi-totalité, portent également leur part de responsabilité dans le succès du Vendée Globe. On l’a dit plus haut, la mobilisation des élus de la ville et du pays des Olonnes a été décisive. Un adjoint à la mairie des Sables d’Olonne, issu du milieu maritime, a tout de suite compris l’intérêt d’une telle course au large pour la médiatisation de la ville et de son récent port de plaisance. Offrir à l’organisateur d’origine toutes les conditions matérielles pour la réussite du défi a été le mot d’ordre. Ensuite les problèmes de gestion inhérents à ce type d’entreprise ont été pris en charge par le Conseil général, et au premier chef par son président, qui a vite saisi que le fait d’attacher le nom du département et de déposer la marque assurait l’avenir.

En 1988 il fait voter une importante subvention et en retour demande à l’organisateur de baptiser la course Vendée Globe challenge, ce qui est accepté. Dès 1993 le président de Villiers propose le rachat du Globe challenge par le Conseil général mais il essuie un refus de la préfecture et de la cour des comptes régionale. Le 22 février 2004 le Conseil général rachète le Vendée Globe, suite aux difficultés fiscales rencontrées par Philippe Jeantot, et crée une SAEM Vendée, organisateur du Vendée Globe, avec la ville des Sables d’Olonne, le Conseil régional et le concours de 30 industriels du département. Et pas des moindres. Le tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon attribue la marque Vendée Globe à la SAEM, dont l’actionnaire majoritaire (54%) est le Conseil général. Ainsi on attache définitivement le nom du département à la course du Globe challenge. Le président du Conseil général peut alors affirmer que « c’est une journée historique, les vendéens sont ce soir propriétaires du Vendée Globe ».

En même temps l’entreprise SODEBO, numéro un du marché du traiteur français, de Saint-Georges-de-Montaigu, devient le sponsor titre, et son sigle figure aux côtés de celui du Conseil général et de la ville des Sables d’Olonne sur toutes les publicités vantant la course. Il y a eu une démarche voisine de celle entreprise pour le spectacle du Puy du Fou.

Le succès de ces deux opérations repose sur la médiatisation, le consensus, la mobilisation de tous les acteurs et en particulier des populations, la qualité des prestations, le renouvellement régulier de l’intérêt suscité, ici par de nouveaux spectacles qui ont de moins en moins à voir avec la geste vendéenne d’origine, avec la création en 1989 du Grand Parc, là en entretenant le suspense d’une édition à l’autre par des opérations médiatiques.

3. Les retombées du Vendée Globe

Cette étonnante synergie et consensus autour du Vendée Globe vont avoir des retombées économiques et médiatiques à plusieurs échelles. La ville des Sables d’Olonne va en être la première bénéficiaire. La mairie a tenté, avec l’aide d’un consultant de mesurer, l’impact de l’événement. Chaque édition voit le nombre de spectateurs progresser, même si les chiffres sont sujets à caution. Visite des bateaux sur les pontons plusieurs semaines avant le départ, fréquentation du village de toile abritant le PC courses et les stands des industriels et autres partenaires, village agrandi d’une édition à l’autre, nombre de personnes présentes lors du départ et des retours des différents coureurs, les additions des chiffres montrent l’incontestable succès populaire. C’est par centaines de milliers qu’il faut comptabiliser les visiteurs. Hôtellerie et restauration de la ville et de tout le département font le plein hors saison pendant plusieurs semaines. C’est un autre apport difficilement quantifiable. Une enquête effectuée lors du départ en novembre 1996 a montré l’origine géographique des spectateurs : un tiers venait de Vendée, un autre tiers des départements des régions voisines, 17 % de l’Ile de France et 20 % des autres régions françaises. Bon nombre de ces visiteurs sont des résidents secondaires qui viennent occuper pour l’événement leurs appartements, mais il y aussi tous les mordus de la voile de la France entière. Ces animations d’octobre à avril, donc hors saison, tous les quatre ans, constituent un apport financier incontestable pour les acteurs de la station. Et surtout, d’une édition à l’autre, il y a une croissance considérable de tous les indicateurs, le succès ne se dément pas.

Avec 30 participants en 2008-2009 on atteint un sommet. Le déficit de notoriété de la station par rapport à ses grandes voisines du littoral atlantique (La Baule, Royan, Arcachon ou Biarritz), a été balayé par le succès du Vendée Globe.

On assiste à une mutation de l’image de la station. Station balnéaire familiale et population permanente de retraités (la ville abritait 20,6 % de plus de 75 ans en 1999 (Renard, 2009) un record national !), cette réalité cohabite avec l’image sportive portée par le Club Nautique Sablais, dont les membres bénévoles s’investissent dans la préparation et l’organisation de la course, un peu comme ce qui se passe au Puy du Fou avec la population locale (les Puyfolais). En 2004, la station remporte le trophée du marketing sportif et le maire annonce qu’il entend faire des Sables d’Olonne « la capitale du nautisme ».

Parallèlement la station se positionne sur le créneau des énergies renouvelables et la protection de l’environnement. Un ancien concurrent Raphaèl Dinelli crée Océan Vital, une fondation parrainée par Nicolas hulot, et construit à l’entrée du port un bâtiment bioclimatique modèle, associant panneaux bois, éolienne et cellules photovoltaïques. Un autre participant, Van den Heede, fait des Sables d’Olonne son port d’attache et avec le soutien de la ville réussit en 2003 un tour du monde à l’envers, contre les vents dominants, en solitaire et sans escale, et pulvérise le record en 122 jours. C’est dans le même esprit qu’un port à sec doit voir le jour en 2010. Un nouveau lycée technique et professionnel, dénommé Lycée Eric Tabarly (encore !) qui joue également la carte des technologies nouvelles et du développement durable avec un toit en panneaux solaires, ouvre en septembre 2009. Le renforcement, à tout le moins le maintien dans la conjoncture actuelle, du pôle industriel de la plaisance dans l’agglomération, avec cinq entreprises de construction, est un autre volet des retombées économiques. Un projet autour de l’équipement, l’entretien et les améliorations techniques des grands voiliers de 60 pieds dans le port des Sables d’Olonne serait envisagé.

Une autre façon de mesurer les choses est le constat des prix de l’immobilier dont la progression est supérieure aux autres stations du littoral selon les dires des agents de la profession. Il y aurait même un effet de rattrapage sur La Baule qui est régionalement au sommet des prix. L’arrivée du TGV en décembre 2008, avec l’électrification de la ligne depuis Nantes, la transformation du remblai en une esplanade en front de mer, le projet d’un port à sec pour près de 500 embarcations, devraient contribuer à l’image de marque de la station.

La couverture de la course par les différents médias est sans conteste un autre élément pour la notoriété de la station. C’est une publicité gratuite considérable. Le consultant chargé de mesurer les retombées médiatiques pour l’édition 2000-2001, a estimé le nombre de citations à 18 100 dans la presse écrite et à 9 700 dans les médias audiovisuels, soit un équivalent publicitaire estimé à 200 millions d’euros ! Il y a un effet de synergie entre la course et le territoire. Ceci est également vrai pour le littoral vendéen dans son ensemble et pour le département. Et à chaque édition la couverture médiatique croît très fortement. Il en va de même pour la consultation des sites internet. Chaque concurrent a son site. Désormais, la Vendée est connue et reconnue hors du département pour le Puy du Fou et le Vendée Globe. L’image du département en sort profondément changée.

Conclusion : Le Vendée Globe, une facette du modèle de développement vendéen

Le Vendée Globe illustre à sa façon l’esprit d’entreprise reconnu des Vendéens. Le mode de développement propre aux industriels des bocages vendéens, associant innovations technologiques, consensus social et enracinement, se retrouve sur le littoral. On l’a vu avec l’indéniable succès de la saga Bénéteau. On pourrait également citer le groupe Tesson, aux Sables d’Olonne, né du froid et lié aux activités de la pêche (fabrique de glace et entrepôt frigorifique), ou encore la conserverie Gendreau de Saint-Gilles-sur-Vie, dernière entreprise familiale du littoral atlantique, mais aussi un certain nombre d’artisans du bâtiment passé au stade industriel grâce aux nombreux lotissements de résidences secondaires. La dynamique vendéenne a saisi également le littoral et les élus l’ont accompagnée. C’est une évidence dans le cas du Vendée Globe. D’une édition à l’autre, les progrès technologiques sont incontestables au plan des bateaux, de plus en plus sophistiqués, fragiles et rapides (on est passé d’un périple de 110 jours à 85). Les améliorations se mesurent aussi dans la préparation physique des concurrents, leur alimentation, leur habillement, leur santé et les moyens de communication avec la terre. La course est l’occasion de tester de nouvelles technologies. Le Conseil général en a fait le porte-drapeau de l’identité vendéenne, versant maritime et touristique, alors que le Puy du Fou, l’historial de Vendée des Lucs-sur-Boulogne, et les abbayes du sud du département, Nieul-sur-l’Autize et Maillezais, désormais dans le giron du même Conseil général, en sont le versant terrestre, historique et culturel. Les risques de dérive existent : l’exemple du Puy du Fou, devenu avec le Grand Parcours, un parc d’attraction comme les autres, guette l’aventure sportive du Vendée Globe (Martin et Suaud, 1996). La place prise par le village des entreprises dans Port-Olona, le show médiatique avec la présence de vedettes, comme Zinedine Zidane en 2008, interroge.

Cette construction politique autour d’une identité proclamée couvre l’ensemble des domaines : économique avec la mise en place de « vendéopôles » sur les axes autoroutiers ; culturel dans des lieux emblématiques ; sportifs et touristiques au travers du Vendée Globe ou des étapes du Tour de France cycliste de Merlin plage au Puy du Fou. Cette volonté se retrouve également dans le domaine de l’enseignement supérieur avec l’institut catholique d’enseignement supérieur (ICES) de la Roche-sur-Yon qui accueille plus de 800 étudiants. La ville de moins de 50 000 habitants abrite ainsi deux antennes universitaires, l’une privée et l’autre publique. Il faut aussi citer la dizaine d’instituts spécialisés conduisant à un niveau bac + 3, mis en place par le Conseil général sous la responsabilité de l’école privée d’agriculture des Etablières, dans le conditionnement des produits, la logistique, le tourisme ou l’environnement, réparties dans les petites villes (Pouzauges, Montaigu, Luçon, Brétignolles, etc.) et formant un dense réseau en lien étroit avec le monde des entreprises.

De même que l’on a pu parler à propos de la Corrèze d’un « système Chirac » quant à la territorialisation des actions en faveur du département, on peut parler d’un « système de Villiers » pour la Vendée, dont le Vendée Globe est une facette. Cet événement sportif est devenu un symbole politique. On comprend dès lors la résistance du Conseil général de Vendée aux propositions de la commission Balladur quant au projet de supprimer la clause de compétence générale du département. « En Vendée, affirme le président du Conseil général, c’est grâce à cette clause que nous avons pu, sur le seul fondement de l’intérêt général, lancer de nombreuses innovations, par exemple les « Vendéopôles », l’ICES, les instituts décentralisés, le Vendée Globe ». La banderole largement déployée lors des arrivées des concurrents de la dernière édition disant : « Non à la suppression du département : les Vendéens veulent garder le Vendée Globe », signée Conseil général de Vendée, était tout un symbole.

Bibliography

AGNUS C. et LAUTROU P.Y., 2004. Le roman du Vendée Globe, Paris, Grasset, 381 p.

BARTHES R, 1957. Mythologies, éditions du Seuil.

BONNET N., 2008. Le succès du bocage, l’histoire des industries du sud-Loire (Loire-Atlantique, Maine-et-Loire, Vendée), la Roche-sur-Yon, Éditions du CVRH, 228 p.

MARTIN J.C., SUAUD C., 1996, Le Puy du Fou en Vendée, l’histoire mise en scène, Paris, l’Harmattan.

PARRAIN C., 2009. Le Vendée Globe ou l’« Éverest des mers » : comment revisiter le « sixième continent », http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=1509&var_recherche=recherchercamille+parrain

RENARD J., 2008. La Vendée : entre mystère et miracle, Les Cahiers Nantais, no 2-2008, p. 77-86.

RENARD J., 2009. L’impact du tourisme sur les évolutions des populations du littoral vendéen (1954-2007), in Les Vendéens et la mer, la Roche-sur-Yon, Éditions du CVRH, p. 663-686.

References

Electronic reference

Jean Renard, « Le Vendée Globe Challenge : un modèle de développement », Cahiers Nantais [Online], 1 | 2011, Online since 16 February 2021, connection on 21 November 2024. URL : http://cahiers-nantais.fr/index.php?id=828

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Jean Renard

Géographe, Université de Nantes, ESO Nantes – UMR 6590 CNRS

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