Cet article présente les principaux résultats d’un mémoire de recherche de l’Institut de Géographie et d’Aménagement Régional de l’Université de Nantes (IGARUN), mené en collaboration avec le Département de Loire-Atlantique (Roux, 2013). Se questionnant sur la propriété foncière départementale, cette étude analyse les informations délivrées par la base de données MAJIC 2011 (Mise à Jour des Informations Cadastrales), outil de la Direction Générale des Finances Publiques servant à recouvrir les taxes foncières. Exhaustive, cette base de données se distingue des nombreuses sources exploitables pour analyser le foncier, recensées par plusieurs auteurs (notamment N. Croix, 1999).
Parce que les variables caractérisant les propriétaires physiques et moraux sont en grande partie propres à chacun de ces types d’ayant-droits, leur description est restituée en deux écrits (Roux, 2013). Sont ainsi distingués des êtres humains vivants dont la naissance justifie la personnalité juridique ; et des groupements « pourvus d’une possibilité d’expression collective pour la défense d’intérêts dignes d’être reconnus et protégés par la loi » (arrêt du 28 janvier 1954) dont la personnalité juridique est concédée par des formalités administratives.
Les propriétaires moraux représentent 6 % des propriétaires du département et possèdent près de 20 % de sa superficie. Leur patrimoine – nettement plus important, en surface moyenne, que celui des propriétaires particuliers – soulève plusieurs enjeux : les vastes propriétés sont plus facilement mobilisables pour des aménagements fonciers, et le devenir d’une de ces larges emprises aurait davantage de conséquences sur le territoire. L’identification du patrimoine public constitue une première étape de la démarche de mobilisation, de valorisation et de gestion du stock des terrains publics ; mais aussi de maîtrise foncière des secteurs à risques ou à préserver. C’est dans cette optique que la base MAJIC est le plus souvent utilisée par les aménageurs (Certu, 2008) – mais la spatialisation du foncier public reste rarement divulguée en dehors d’études foncières pré-opérationnelles. La propriété des personnes morales privées reste à définir, à classifier, à évaluer. Si son analyse a pu saisir un certain « théâtre d’acteurs fonciers » représentatif de l’histoire française postrévolutionnaire (Moncan, 2002), elle s’est réduite au cœur des grandes villes et s’est appuyée sur des sources non exhaustives. Aussi, depuis les années 1980, l’étude de la propriété en tant que telle est abandonnée par les géographes au profit d’une approche systémique (Croix, 1999) dans laquelle s’inscrivent plusieurs travaux visant à caractériser les possessions foncières d’un territoire (Guéringer, 2001). Notre article, à visée descriptive, propose de restituer les enseignements d’une base exhaustive sur la propriété foncière, encore peu exploitée par les sciences sociales.
À quels propriétaires moraux, privés et publics, appartient la Loire-Atlantique ? Comment se caractérisent leurs biens-fonds ? L’analyse des propriétés morales distingue-t-elle, comme celle des propriétés particulières, des territoires infra-départementaux aux attributs spécifiques ? Après avoir déterminé « qui » sont les propriétaires moraux du département, il s’agira de déterminer « quelles » sont les propriétés morales : c’est-à-dire « quoi » et « où ».
1. Qui possède ? Nature et implantation des propriétaires moraux
43 350 propriétaires moraux possèdent 123 000 ha de surfaces cadastrées sur le département – dont 15 700 ha de parcelles bâties – soit 18 % des terrains non bâtis et 25 % des superficies construites. L’inégale répartition de ces terres entre les personnes concernées est remarquable. 90 % des 42 920 propriétaires moraux privés se partagent 10 % de la surface détenue par l’ensemble de ce groupe ; et un centième des 430 propriétaires publics détient la moitié du foncier public. L’écart-type des surfaces possédées témoigne de la dispersion statistique des patrimoines : il s’élève à 630 ha pour les biens-fonds publics. L’analyse de ces possessions hétéroclites nécessite un premier travail de typologie.
La méthode : une classification empirique
Deux variables de classification des propriétaires moraux sont proposées par la base MAJIC : l’une est fiscale, distinguant les ayant-droits bénéficiaires d’exonérations ; l’autre juridique ou de vocation inter-administrative, s’appuyant sur la nomenclature retenue dans SIRENE (Système d’Identification du Répertoire des Entreprises et des Établissements). Non seulement lacunaire, l’information transmise peut être imprécise voire inexacte dans la mesure où les besoins du système fiscal restent satisfaits.
Une démarche empirique s’est d’abord appuyée sur des requêtes sémantiques, permises par l’étude préalable des matrices cadastrales. Les requêtes ont ciblé des personnes morales jugées particulièrement intéressantes : à titre d’exemple, l’identification des congrégations permettait d’évaluer le patrimoine de l’Église. Cette classification s’est affinée par l’identification de propriétés pouvant significativement influencer les résultats statistiques à différentes échelles spatiales. Ainsi, des parts surfaciques de propriétés morales nettement supérieures à la moyenne ont pu justifier la création de nouvelles catégories de propriétaires. Cette démarche dresse une typologie relativement inédite des personnes morales, propre au contexte foncier du département.
Cinq groupes de propriétaires moraux ont pu être déterminés : trois d’entre eux sont en grande majorité de Droit privé, et les deux autres de Droit public. Sont ensuite constitués des groupes de personnes morales privées dont les pratiques ou ambitions sont jugées homogènes. Les propriétaires publics sont différenciés selon l’échelle spatiale de leur domaine d’application de compétences.
Effectifs et surfaces possédées : des propriétaires moraux difficilement comparables
L’ampleur d’un bien-fonds caractérise son propriétaire : la présentation des propriétaires moraux de Loire-Atlantique nécessite celle de leurs patrimoines surfaciques (fig. 1).
Les communes du département sont les propriétaires moraux les plus importants, possédant plus de 17 % de la surface parcellaire appropriée par les personnes morales – soit 3,5 % de la superficie départementale parcellaire. Le patrimoine étatique – quatrième au classement des propriétés morales – est supplanté par celui des communes, des groupements fonciers agricoles (GFA) et des sociétés civiles immobilières (SCI).
La majorité des effectifs de propriétaires moraux (syndicats de copropriété ; associations de propriétaires) se partage une part relativement infime du département – moins de 3 500 ha. A l’inverse, quelques propriétés justifiées par des espaces semi-naturels (forêt domaniale, Commission Syndicale de la Grande Brière Mottière, Conservatoire du littoral et des rivages lacustres) occupent des superficies remarquables – respectivement 4 400 ha, 6 700 ha et 1 700 ha. Des propriétés non déterminées (DPI, BND) égalent en surface les biens-fonds détenus par près de 11 900 syndicats de copropriété.
La nature du foncier observé modifie sensiblement la distribution des terres entre personnes morales. La comparaison des propriétés bâties renforce ainsi le poids des associations de loi 1901 et des établissements publics à caractère industriel ou commercial (EPIC) – alors que disparaît celui des GFA, des entreprises du domaine agricole et des syndicats de marais.
De la même manière, l’étude des surfaces moyennes pose un autre regard sur ces patrimoines. Les groupements de confession catholique et les entreprises non agricoles – propriétaires moraux emblématiques s’il en est – ne détiennent, en moyenne, que 5 ha pour les premiers, 1 ha pour les secondes. Les SCI auxquelles auraient recours les grands propriétaires soucieux de leurs legs, recouvrent en moyenne moins de 1 ha. A l’inverse, des personnes morales au statut ambivalent, souvent mal identifiées par la plupart des citoyens, se révèlent parmi les mieux dotées. Le patrimoine moyen des entreprises publiques locales (64 ha) représente plus de 160 fois celui de l’ensemble des propriétaires moraux privés ; celui des ODAC (174 ha) et des EPIC (101 ha, comptabilisant la SNCF avec plus de 1 200 ha) est supérieur à celui des communes (83 ha).
Des propriétaires moraux endogènes
Les adresses des contribuables renseignées dans la base MAJIC précisent la caractérisation des personnes morales. Parce que les propriétaires publics du département se situent dans une grande majorité des cas à Nantes ou dans la région parisienne ; et parce que leur localisation prête à discussion (un même établissement se trouvant renseigné à des adresses distinctes) ; notre attention s’est concentrée sur les personnes morales privées (tab. 1). Moins de 9 % des propriétaires moraux privés détiendraient un siège à l’extérieur de la Loire-Atlantique. Les syndicats de copropriété et les EPL sont exclusivement basés sur le département. Parmi les autres personnes morales privées (et à l’exception des BND), moins de 0,2 % possèdent des adresses étrangères et seulement 16,5 % se situent dans un département français autre que la Loire-Atlantique.
Tableau 1 – Distribution du nombre de propriétaires moraux privés selon la localisation de leurs sièges
Les entreprises non agricoles se présentent comme les propriétaires moraux les plus exogènes : au moins un tiers de leurs effectifs serait localisé à l’extérieur de la Loire-Atlantique. Une faible part des SCI (moins de 2 %) regroupe la moitié des personnes morales extra-départe-mentales : ces sociétés sont éparpillées dans de multiples départements français et à l’étranger (notamment au Royaume-Uni et à Monaco, puis en Allemagne, aux États-Unis et en Chine). Les GFA et les groupements forestiers basés à l’extérieur de la Loire-Atlantique sont en majorité situés dans le Grand Ouest et en région parisienne. Les entreprises agricoles extra-départementales restent régionales (Vendée, Sarthe, Mayenne, Deux-Sèvres, Maine-et-Loire, Finistère).
Se distinguent donc des propriétaires moraux essentiellement locaux (associations de loi 1901, associations et syndicats de propriétaires, entreprises agricoles), et d’autres pouvant éventuellement se caractériser par une certaine distance à leurs propriétés (entreprises non agricoles, sociétés civiles immobilières, groupements de confession catholique). Celle-ci reste exceptionnelle, mobilisant des effectifs dérisoires.
2. Qui possède quoi ?
Types de propriétés morales et spatialisation des biens-fonds
La propriété morale – définie par l’ensemble des parcelles rattachées à une personne morale par le droit de la propriété – peut être caractérisée par la nature, le mode d’appropriation et la situation des biens-fonds.
Les spécificités des propriétés morales
Si la structure parcellaire et certains effets de taille rendent similaires la composition des possessions particulières et morales, ces dernières se distinguent néanmoins par trois types d’attributs (tab. 2).
D’une part, elles sont caractérisées par la rareté des situations indivisaires, la monopropriété concernant 98 % des parcelles détenues. Certaines formes de personnes morales (GFA, SCI), ont justement été initiées pour éviter les indivisions. D’autre part, elles connaissent une surreprésentation des plus petites parcelles (moins de 500 m2) et des plus grandes parcelles bâties (plus de 5 000 m2). Enfin, la nature des constructions les singularise – du fait de l’importance des locaux industriels et commerciaux – comme celle des biens-fonds non bâtis – au regard des parts surfaciques recouvertes de bois, landes et terrains non agricoles. Ces observations témoignent en partie de relations positives entre les modalités du parcellaire : par exemple, la taille importante des parcelles bâties est associée aux constructions de locaux industriels ou commerciaux, et la petite taille des parcelles non bâties à la vocation non agricole des sols.
De par leurs formes, leurs natures et les modalités de leurs appropriations, les biens-fonds moraux apparaissant « fonctionnels » – dédiés à des usages productifs, et non partagés entre plusieurs ayant-droits.
Des propriétés morales répondant aux fonctions de leurs possesseurs
Chaque type de propriétaire peut être associé à un type de bien-fonds. Ces associations renvoient à des évidences, c’est-à-dire à ce qui est l’objet même des structures propriétaires.
Les associations de loi 1901 se distinguent ainsi par une surreprésentation des situations indivisaires : 70 % d’entre elles sont partagées par plus de deux ayant-droits.
Les acquisitions les plus anciennes (40 ans au moins) caractérisent les propriétés indéterminées ou collectives (BND, DPI et syndicats de marais). Les plus grandes parcelles bâties sont surreprésentées parmi le patrimoine des institutions publiques nationales (État, ODAC et EPIC à l’exception des OPH) et du secteur primaire (groupements forestiers, GFA, entreprises du domaine agricole). Comme il se doit, les plus vastes parcelles non bâties distinguent les « syndicats de marais » et les groupements forestiers.
De la même manière, de fortes relations statistiques s’observent entre : les appartements, les dépendances et les syndicats de copropriété ; les locaux industriels ou commerciaux et les entreprises ; les terres labourables, les vignes et les GFA ; les bois et les groupements forestiers ; ou encore les landes, les prés et les « syndicats de marais », le DPI et le Conservatoire du Littoral.
Parce que chaque type de propriété morale correspond à un type de bien-fonds, leur spatialisation devrait répondre à celle de l’occupation des sols.
Urbanité, politique, économie : facteurs de spatialisation des propriétés morales
Les propriétés morales recouvrent environ un cinquième du département, mais se révèlent majoritaires dans 22 communes (fig. 2). Si la répartition du foncier public témoigne de choix politiques, la spatialisation des propriétés morales privées répond à celles des mécanismes sociaux et de l’organisation économique (fig. 3). Certains types de biens-fonds appellent néanmoins d’autres échelles et registres d’analyse.
Héritages et ambitions politiques
La géographie des propriétés morales est d’abord le reflet d’héritages, de projets et de volontés politiques (fig. 3).
Le foncier étatique est ainsi lié aux héritages nationaux (forêt domaniale du Gâvre, domaines portuaires et maritimes) et à la volonté de protéger des espaces semi-naturels d’emprises importantes, ou du moins de les « gérer ». Le Ministère chargé de l’environnement possède 2 700 ha à l’endroit du vaste lac de Grand-Lieu, installé au creux d’une dépression géomorphologique. Les propriétés de l’État sont également importantes le long de l’estuaire, et le Conservatoire de l’espace littoral détient plus d’un millier d’hectares sur les rives de la Loire. La Commission Syndicale de la Grande Brière-Mottière hérite d’une propriété indivise de plus de 6 700 ha, se réclamant d’une lettre patente du XVe siècle (Gallicé, 2011). Cette instance de gestion est composée de syndics représentant « toutes les communes dont les habitants ont le droit de tourber dans le marais de Grande Brière » (article 1 de l’ordonnance royale du 3 octobre 1838) et dispose de « l’administration des biens et droits indivis » (art. 10).
Les ambitions des métropoles et les projets d’aménagement (comme l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes convoitant les réserves foncières du Département) influent également la répartition des terres entre les différents propriétaires. La surreprésentation des propriétés des communes, des intercommunalités, des sociétés d’économie mixte et des sociétés publiques locales caractérisent ainsi les territoires métropolitains.
De nombreux et divers biens-fonds publics de faible ampleur recouvrent enfin le littoral. Les propriétés du Département, des communes, du Conservatoire de l’espace littoral et des EPL singularisent des territoires côtiers peu étendus. Elles peuvent alors témoigner d’une demande sociétale désirant disposer des aménités littorales comme d’un service public.
Maillage territorial et organisation socio-économique
L’histoire sociale et économique du département, ainsi que les spécialisations agricoles de certains territoires, concourent également à l’agencement spatial des attributs de la propriété morale privée ou parapublique (fig. 3).
L’armature urbaine régionale, mais aussi les réseaux de transport, structurent la propriété foncière. La concentration des activités productives dans la métropole s’accompagne d’une appropriation des terres par les entreprises ; la surreprésentation d’immeubles collectifs est associée à celle des biens-fonds de syndicats de copropriété ; et la trame des emprises ferroviaires rejoint celle des propriétés de la SNCF.
Le fleuve et l’estuaire ont toujours constitué des liens privilégiés avec l’extérieur : ils sont aujourd’hui investis par des activités maritimes et portuaires à caractère industriel, dont le Grand port maritime de Nantes – Saint-Nazaire se porte en partie gestionnaire.
Le vignoble, relativement urbanisé, aux marges du choletais industriel, connaît une surreprésentation de propriétés morales entrepreneuriales et de groupements fonciers agricoles.
Le plateau nantais, surface tabulaire peu disséquée, aux terres naturellement lourdes et argileuses, a connu les formes de conquête les plus récentes et les types d’exploitation les plus homogènes – ce dont témoigne un parcellaire lâche à vocation agricole (Sellier, 1986, Roux et Jousseaume, 2013b). D’importants groupements forestiers y détiennent les reliquats de vastes zones de forêts qui – en plus des landes et des mauvais pâturages – occupaient un territoire peu attractif jusqu’à la révolution agricole du XIXème.
La Brière se distingue par ses propriétés indéterminées (ou DPI, Domaine des propriétaires inconnus) héritées des territoires de marais traditionnellement indivis. Les Biens Non Délimités (BND) prennent place à l’endroit des anciens « communs » de Guérande et des rives de l’estuaire. Leurs propriétaires sont identifiés, mais l’incertitude sur les droits et le patrimoine de chacun d’eux rappelle l’influence d’une gestion territoriale spécifique sur la propriété locale actuelle.
Spécificités micro-locales
Si les SCI, les entreprises non agricoles, les associations loi 1901 et assimilés se localisent principalement au cœur des métropoles (près de 40 % de leurs effectifs y sont localisés selon l’adresse postale d’imposition), les surfaces qu’elles possèdent se répartissent dans des proportions éparses sur le département (fig. 3).
Bien que les biens-fonds des entreprises non agricoles se concentrent dans les agglomérations nantaise et nazairienne, ils peuvent recouvrir de vastes étendues foncières dans des communes au moindre degré d’urbanité. A titre d’exemple, une société détient 200 ha à Bourgneuf-en-Retz, une autre près de 140 ha au Cellier.
Par la diversité et l’ampleur relative de leurs propriétés, les associations de loi 1901 caractérisent la ville mais aussi le littoral – détenu par des associations de chasses, sportives, ludiques, des organismes professionnels et des associations syndicales libres dédiées à la création et gestion d’équipements collectifs entre plusieurs immeubles ou dans un lotissement. Néanmoins, les plus vastes propriétés associatives singularisent des communes rurales faiblement urbanisées (Meilleraye-de-Bretagne, Plessé, Joué-sur-Erdre).
La localisation du patrimoine des SCI peut, dans une certaine mesure, rappeler l’étude des grandes propriétés héritées d’une structure foncière singulièrement duale (Renard, 1976 ; Croix, 1999). Historiquement ancrées dans le Castelbriantais et le Pays de Retz, ces grandes propriétés particulières ont quelquefois changé de statut juridique (comme à Chéméré ou Saint-Philbert-de-Grand-Lieu).
De nombreuses propriétés foncières – telles les SCI, les associations de loi 1901 et les entreprises – restent du ressort des initiatives individuelles et des attributs historiques et sociaux d’un espace local, non perceptibles à l’échelle départementale.
Les conclusions de notre étude sur les biens-fonds des particuliers (Roux et Jousseaume, 2013a) peuvent être renouvelées : la propriété départementale répond aux grands « objets géographiques » du département (fig. 4). Les contours de la métropole, de l’estuaire, du vignoble ou ceux des emprises forestières sont soulignés par l’étude des propriétés foncières. Cependant, le département se présente également comme un ensemble de lieux particuliers : des changements d’échelle et de registre restent nécessaires pour étudier la spatialisation des biens-fonds au-delà de leurs relations à la ville, au littoral ou aux espaces boisés.
Conclusion : des terres à ceux qui les occupent
Les propriétés foncières morales peuvent faire l’objet de préjugés ou de « théories lourdes de sens » : J.L Guigou (in Moncan, 2002) rejoignait ainsi la thèse de L. Walras, économiste libéral du XIXème, selon laquelle le capitalisme privilégierait le profit sur la rente, l’entreprise sur la propriété ; et selon laquelle « la recherche de la compétitivité entraînerait la suppression de la propriété privée des sols et donc le rachat des terres par l’État ou par les collectivités ».
Aujourd’hui, la propriété foncière morale de Loire-Atlantique – comme la propriété privative – pourrait difficilement fait l’objet de communications sensationnelles. Non seulement les propriétés morales de Loire-Atlantique se révèlent minoritaires sur le département, mais elles correspondent essentiellement aux lieux d’exercice ou espaces de compétences de leurs possesseurs. Aussi, 66 % de la surface recouverte par les biens-fonds moraux privés – soit 38 % de la propriété morale – est détenue par l’association de propriétaires fonciers privatifs entendant défendre ou gérer leurs biens-fonds (SCI, GFA, groupements forestiers). Une grande partie des propriétés morales reflète des logiques de particuliers aux attributs dissimulés. Enfin, la spatialisation des possessions morales sur le département dessine une géographie écrite par le peuplement, l’urbanisation, l’histoire et les rapports socio-économiques régionaux. Elle souligne les contours des métropoles, de pays et d’espaces naturels. Elle relie des propriétaires à des territoires, à l’usage des sols.
Cette géographie rappelle que le foncier est « une combinaison dynamique, qui concerne à la fois la propriété des sols, leur gestion, leur utilisation » (Croix, 2009). Les différents acteurs fonciers, dont les propriétaires, participent de fait « à la construction et à l’organisation des territoires à différentes échelles ».