Depuis les années 1950, les trois communes de Plouharnel, Carnac et La Trinité-sur-Mer connaissent une urbanisation croissante. Leur population atteignait 7 965 habitants permanents en 2012. L’attractivité du littoral morbihannais y a attiré de nombreux touristes, en effet, les résidences secondaires représentent 68 % de l’ensemble des logements (INSEE, 2012). Dans ces conditions de tensions importantes sur le foncier, l’espace agricole et l’agriculture de façon plus générale se trouvent dans une situation complexe, devant faire face à plusieurs difficultés, amplifiées par le contexte littoral (Syndicat Mixte du Pays d’Auray, 2010) : la transmission des exploitations, l’enfrichement des terrains abandonnés, la rétention foncière (les baux agricoles peuvent ne pas être renouvelés, le propriétaire du terrain attendant le passage en terrains constructibles de ses parcelles agricoles), les difficultés pour acquérir de nouvelles terres, etc.
Ces communes ont récemment intégré la démarche opérationnelle de bassin versant du Syndicat Mixte du Loc’h et du Sal (SMLS), dont l’objectif est d’accompagner les collectivités locales dans la mise en œuvre d’actions de préservation de la qualité des eaux et des milieux aquatiques. Suite à cette extension de périmètre, le SMLS a sollicité l’IGARUN afin de mener un diagnostic permettant de mieux cerner le contexte agricole et la vision des agriculteurs au regard des évolutions précitées (Chaban et al., 2015). Dans ce contexte, plusieurs éléments ont guidé la réalisation de ce travail, avec comme objectif final de proposer des scénarios d’évolution du territoire : dans quelles mesures le milieu littoral influence-t-il l’activité agricole ? Comment l’agriculture fait-elle face à la pression urbaine littorale ? Est-il possible de mettre en place une conciliation entre les activités agricole et touristique ? Y-a-t-il une disparition progressive et inéluctable de l’agriculture en zone littorale ? Les réponses à ces questions visent à analyser l’évolution de l’agriculture, son empreinte économique, sociale et environnementale sur le territoire, les enjeux relatifs à ce contexte singulier afin d’intégrer l’ensemble des dynamiques de cette activité à une réflexion prospective sur une dizaine d’années.
Sur le plan méthodologique, le travail a consisté à dresser un bilan des documents d’urbanisme et d’aménagement relatifs au territoire ; puis les données statistiques du Recensement Général Agricole (RGA) 2010 et du Registre Parcellaire Graphique (PAC Graphique) ont été utilisées pour mieux cerner la situation de l’agriculture. En parallèle, une enquête a été réalisée auprès d’exploitants agricoles pour saisir leur ressenti, à la fois sur leur propre activité mais aussi sur leur vision du contexte général dans lequel ils évoluent. Cinq agriculteurs sur les trente-huit que comptent les trois communes ont été rencontrés individuellement. Bien que ce ratio puisse paraître faible, la teneur de ces entretiens a toutefois permis de comprendre les enjeux agricoles en contexte littoral. Enfin, des fiches Atouts-Faiblesses-Opportunités-Menaces (AFOM) ont été réalisées afin de dégager les principaux enjeux des scénarios proposés et constituer des outils pour aider les commanditaires dans leurs décisions.
À quels enjeux la profession agricole de ces communes fait-elle face ?
Perceptions des exploitants agricoles
La situation littorale est le fil conducteur de l’enquête et les agriculteurs rencontrés l’envisagent presque tous comme un avantage, même s’ils doivent s’adapter à cet espace singulier : les conditions pédo-climatiques mais aussi morphologiques sont autant d’obstacles avec lesquels les exploitants doivent cohabiter afin de pouvoir exploiter toutes les possibilités de leurs terres.
Face au tourisme littoral, les enquêtés reconnaissent volontiers que les estivants participent à l’économie du territoire et donc à l’agriculture. D’ailleurs, certains s’adaptent à cet afflux estival en proposant des ventes directes, diversifiant ainsi leurs débouchés.
L’un des éléments les plus récurrents de ces entretiens concerne la question de la reprise des exploitations. Celle-ci devient très difficile, que ce soit par un membre de leur famille ou une autre personne. Les contraintes de la profession, en termes d’activités à proprement parler mais aussi celles liées aux difficultés d’installation sur le territoire en sont, d’après eux, les responsables. De plus, depuis quelques années, le contexte économique est moins favorable à cette activité : les agriculteurs rencontrés parlent d’un contexte de crise, que les événements récents ont pu mettre en lumière. Cela peut expliquer pour partie les difficultés évoquées et les raisons pour lesquelles les repreneurs se font rares.
Le point de vue des acteurs permet de saisir le contexte agricole des trois communes. Il s’agit maintenant de s’intéresser aux spécificités de leur activité en situation littorale.
L’influence de la situation littorale sur le statut des exploitations et le choix des productions
D’après la Chambre d’agriculture du Morbihan, les communes de Plouharnel, Carnac et La Trinité-sur-Mer comptaient 38 exploitations agricoles en 2012. Les trois quarts de ces entreprises sont des exploitations individuelles. Ce statut individuel des chefs d’exploitation est favorisé par les conditions particulières présentes sur le littoral étudié : la forte pression foncière, la concurrence des activités et le développement de l’urbanisme, constituent des facteurs de morcellement des îlots d’exploitation et rendent peu propice le regroupement de plusieurs exploitants. On compte ainsi seulement trois GAEC (Groupements agricoles d’exploitation en commun) sur les communes étudiées.
Les sièges d’exploitation sont majoritairement situés sur la partie rétro-littorale des communes, soumise à une pression foncière moindre et soustraite à la loi Littoral (fig. 1). Cela est particulièrement visible sur la commune de Carnac. Cette organisation de l’exploitation agricole se comprend par les réglementations spécifiques au littoral (coupures d’urbanisation, préservation de la bande des 100 m,…) qui contraignent les pratiques agricoles, puisque celles-ci doivent être en accord avec la loi Littoral. Les plus grandes exploitations sont ainsi les plus éloignées du trait de côte.
Figure 1 – localisation des sièges d’exploitation et activité principale en 2012 sur les communes de Plouharnel, Carnac et La Trinité-sur-Mer
Les choix de production des exploitations sont eux aussi influencés par la position littorale, plus favorable à certains types de productions, comme le maraîchage, qui requiert de moins grandes surfaces et nécessite un marché de plus grande proximité. Par ailleurs, près de la moitié des exploitations de la zone d’étude sont des exploitations laitières, conformément à l’activité dominante présente dans le Grand Ouest de la France.
La question de la non-reprise des exploitations
Le départ à la retraite des agriculteurs peut être un moyen de renouvellement professionnel. Cependant, dans une grande majorité des cas, les exploitations ne sont pas reprises. Globalement, on recense une diminution de 36 exploitations entre 2000 et 2010 (Agreste – DRAAF Bretagne, 2010). La commune de Carnac enregistre la baisse la plus importante avec un déficit de 20 exploitations en dix ans. La Trinité-sur-Mer a, quant à elle, perdu la totalité de ses exploitations depuis 2012, vraisemblablement du fait de la configuration de la commune, plus petite et à la vocation touristique plus affirmée. Enfin, la commune de Plouharnel constitue un cas particulier puisque, l’agriculture y est en difficulté depuis une vingtaine d’années. En effet, selon le rapport de présentation de son PLU, les exploitations ont diminué de près de 77 % passant de 44 en 1988 à environ 10 en 2010.
D’après le RGA, la moyenne d’âge des agriculteurs était de 50 ans sur le territoire d’étude en 2010. La question de la reprise est donc un enjeu essentiel pour ce territoire. Aussi, au cours des entretiens, l’intérêt des agriculteurs s’est rapidement porté sur cette question. Sur les cinq agriculteurs interrogés, quatre confient ne pas avoir de repreneur connu. Dans ces différents cas, aucune reprise familiale des exploitations n’est envisagée. Deux exploitants ont souhaité diriger leurs enfants vers d’autres filières non agricoles avec l’idée de leur assurer un avenir.
La principale conséquence de la déprise agricole sur ce secteur est donc la baisse rapide du nombre d’exploitations. La non reprise des exploitations est également largement influencée par différents facteurs externes, d’ordre politique ou économique.
Facteurs politiques et économiques
La profession agricole est fortement influencée par le contexte politique et économique, aussi bien à l’échelle nationale, qu’à l’échelle des communes étudiées. Ainsi, elle doit faire face à de nombreux défis comme les réformes programmées (2015-2020) de la Politique Agricole Commune (PAC), la crise économique et agricole actuelle et les fluctuations des cours. La réforme en cours modifie en effet considérablement les modes de subventionnement accordés aux exploitants. Cette réforme va d’une certaine manière beaucoup plus exposer les chefs d’exploitation à la variation des cours des marchés. Suite aux entretiens réalisés, certains agriculteurs évoquent quelques modifications comme un rééquilibrage entre les grandes et les petites exploitations : les grosses exploitations devraient à terme recevoir moins d’aides et les plus petites en recevoir plus. Cependant, certains aspects concernant les pratiques agricoles sont vus comme contraignants par la profession. De fait, la nouvelle PAC laisse également une place importante aux préoccupations environnementales. Ce « verdissement » a pour but d’encourager les agriculteurs à adopter des modes de production respectueux de l’environnement à travers la mise en place de mesures financières incitatives. Ces nouvelles préoccupations, servant la cause du développement durable, se manifestent par une obligation d’adaptation du monde agricole afin de répondre aux exigences environnementales. Par ailleurs, les démarches administratives sont de plus en plus lourdes aux yeux des agriculteurs pour recevoir les aides de la PAC. De plus, la baisse des prix de vente des produits agricoles en-deçà des coûts de production met de plus en plus en péril certaines exploitations. L’évocation de ce climat économique tendu amène directement à évoquer la difficulté d’adaptation à la volatilité des cours sur les marchés mondiaux. L’agriculture locale, et notamment le secteur laitier, doit s’intégrer à cette échelle de réflexion plus large sans détenir la maîtrise des cours.
Cette première partie a permis de mettre en avant l’opinion des agriculteurs au travers des différentes thématiques qui avaient été abordées au cours des entretiens. Selon eux, le contexte littoral est un facteur déterminant de leur profession. Associée à lui, la question de la reprise agricole l’est également. Si ces dernières années montrent un déclin du nombre d’exploitations agricoles, cela tend à se confirmer par les propos des agriculteurs. Le ressenti des agriculteurs était donc essentiel pour réaliser au mieux l’état des lieux de l’agriculture sur les communes de Plouharnel, Carnac et La Trinité-sur-Mer. Il s’agit désormais d’analyser comment se traduit l’activité agricole et son évolution dans l’espace.
Évolution du foncier agricole : vers un enfrichement et une déprise inéluctables ?
Après avoir abordé la question du monde agricole de façon générale, il convient d’étudier l’évolution du foncier. Un premier point traitera de l’organisation du parcellaire agricole, des différentes pressions le menaçant, et de leurs conséquences sur ces 30 dernières années. Un deuxième point analysera la question spécifique de la non reprise des exploitations et de l’enfrichement. Enfin dans un troisième temps, la question des zones humides sera présentée.
Quelle organisation pour le parcellaire agricole ?
La surface agricole utile définie comme « une notion normalisée de la statistique agricole européenne comprenant les terres arables, les surfaces toujours en herbe et les cultures permanentes » (INSEE, 2015) est l’outil utilisé pour prendre en compte l’évolution du parcellaire agricole. Au sein des communes étudiées , comme dans le reste du Morbihan, l’agriculture connaît une évolution très importante de son parcellaire depuis les années 1970 (Chambre d’agriculture du Morbihan et al., 2008). En effet, ce territoire est caractérisé par une perte de près de 20 % de sa SAU entre 1977 et 2000 (Agreste -DRAAF Bretagne 2010). Cette tendance se poursuit, voire s’est accentuée, durant la première décennie des années 2000.
Une analyse diachronique réalisée à partir d’une photo-interprétation permet d’étudier les évolutions des surfaces agricoles, particulièrement marquées sur la commune de Carnac. Comme le montre la figure 2, deux zones différentes ont été sélectionnées de manière à comparer les évolutions des parcellaires en zone littorale et rétro-littorale : la zone A se situe au nord de Carnac moins influencée par le littoral, à l’inverse de la zone B située plus au sud. Cette dernière comprend également le centre-bourg de la commune, ce qui permet de prendre en compte l’extension de l’urbanisation.
Ce travail permet d’observer une déprise agricole plus importante à proximité immédiate du littoral. On y retrouve principalement l’urbanisation en lien avec le tourisme. Ce secteur est aussi le centre de la commune, il est donc plus propice à l’extension urbaine que la zone rétro-littorale. Ces évolutions montrent également un changement au niveau de la taille des parcelles, devenues plus étendues au fil des années, probablement du fait d’opérations de remembrement. Enfin, le développement des zones urbanisées et forestières s’est principalement fait au détriment des surfaces agricoles, entraînant un mitage significatif des terres.
En effet, la situation littorale est propice à ce phénomène de mitage. Le développement ou la création de hameaux peut conduire à fragmenter les espaces agricoles et donc, à terme, à fortement les impacter. La figure 3 montre bien ce phénomène notamment au nord de Carnac. Aux vues des zones à urbaniser (AU) des Plans d’Occupation des Sols (POS), un accroissement du mitage au cours des prochaines années semble inéluctable. Au sein des trois communes, le nombre de logements a augmenté de près de 89,4 % entre 1999 et 2008 (PLU de Plouharnel, 2013) Cette croissance est peu économe en espace dans la mesure où il s’agit majoritairement de maisons individuelles avec des formes architecturales accentuant la consommation de l’espace. Selon les agriculteurs du territoire, ce mitage devient un obstacle au bon fonctionnement de leur activité. Certaines exploitations comprennent plusieurs dizaines d’îlots ce qui entraîne une augmentation des temps de circulation entre les parcelles. Ce phénomène peut aussi être une source de conflits entre agriculteurs et riverains puisqu’il multiplie les interfaces et donc certaines nuisances (sonores, paysagères, écologiques, …).
Un enfrichement en progression
Le phénomène d’enfrichement caractérisé par la présence de friches, « terrain non cultivé et abandonné » (Larousse, 2007), est une des caractéristiques fortes du territoire d’étude. En effet, les surfaces en friches ont progressé de 7,5 % entre 1999 et 2008 sur la commune de Carnac. Ces espaces, de plus en plus nombreux, peuvent s’expliquer par la rétention foncière au profit de l’urbanisation, le non-entretien des parcelles notamment dû à leur accès difficile, mais aussi à la mauvaise qualité des sols. Ces friches entraînent alors l’apparition d’espèces invasives et favorisent les départs d’incendies.
Les collectivités tentent alors d’endiguer ce phénomène qu’elles ont bien identifié par la mise en place de politiques de gestion de ces espaces. Le but est de leur redonner une vocation (par exemple agricole) mais aussi de sensibiliser les agriculteurs sur les problèmes que peuvent causer les friches (photo 1). Ces mesures passent notamment par plusieurs aménagements comme la création de cheminements, dans le but d’éviter les risques d’incendies ou de favoriser la chasse.
Des zones humides bien présentes, réparties sur l’ensemble du territoire
Selon la convention de Ramsar (1971), les zones humides sont des « étendues de marais, de fagnes, de tourbières ou d’eaux naturelles ou artificielles, permanentes ou temporaires, où l’eau est stagnante ou courante, douce, saumâtre ou salée, y compris des étendues d’eau marine dont la profondeur à marée basse n’excède pas six mètres ».
Ces espaces, aujourd’hui essentiels, rendent des services écosystémiques importants. Tout d’abord, ils ont une fonction de régulation hydrologique, ils servent de zone tampon en cas de crue trop importante puisqu’ils permettent la rétention d’eau en favorisant son infiltration plutôt que le ruissellement. De plus, les zones humides ont aussi une fonction épuratrice : elles absorbent ou décomposent des substances nocives ou toxiques. Elles sont également de réels réservoirs de biodiversité, notamment pour l’avifaune. Enfin, on peut dire qu’elles ont une fonction économique car elles sont le support de productions agricoles.
Ces zones humides peuvent être classées selon trois niveaux : les zones humides potentielles, effectives et efficaces (Mérot, 2000). Dans la cadre des documents d’urbanisme, lorsqu’elles ont fait l’objet d’un inventaire, les secondes apparaissent sous la forme d’un zonage spécifique (Zh), parfois décliné en NZh, concerné par une richesse de biodiversité, et en AZh pour les espaces agricoles. Les trois communes de Plouharnel, Carnac et La Trinité-sur-Mer ont réalisé de tels inventaires lors de l’élaboration de leur PLU, toujours en cours sur Carnac (fig. 4). Ceux de Plouharnel et de La Trinité-sur-Mer ont recensé plus de 356 ha de zones humides soit près de 30 % des deux communes. Le territoire d’étude apparaît ainsi particulièrement concerné par ces zones hydromorphes, nombreuses et dispersées, dont l’extension s’explique pour partie par une topographie peu accentuée. Le fait de mieux connaître ces espaces permettra ainsi à terme de mieux les préserver.
Depuis la loi DTR (Développement des Territoires Ruraux) du 23 février 2005, ces zones font l’objet d’exonération pour les propriétaires qui s’engagent à protéger ces espaces notamment pour l’avifaune. Parmi les agriculteurs rencontrés, certains étaient concernés par la question des zones humides. Ils les utilisent notamment pour y faire paître leurs bêtes ou pour produire du foin. Mais ce sont aussi des espaces contraignants notamment pour les élevages qui doivent laisser les animaux dans l’étable jusqu’à mi-avril, ou pour les pratiques d’épandage à respecter. Néanmoins, dans la majorité des cas, les agriculteurs arrivent à tirer parti de la nature humide de ces espaces.
De nombreuses questions pèsent donc sur la pérennité de la sphère agricole du secteur. En effet, la pression foncière sur le parcellaire agricole, les problèmes posés par l’enfrichement ainsi que la réflexion faite concernant les zones humides sont autant d’éléments directement liés à l’agriculture. La partie suivante permettra d’évoquer certaines solutions pouvant ainsi pérenniser l’activité agricole. Une analyse prospective identifiera sur dix ans les grands changements qui pourront s’opérer sur le monde agricole des communes de Plouharnel, Carnac et La Trinité-sur-Mer.
Quel avenir pour l’agriculture sur ces trois communes ?
Les deux premières parties ont permis de dresser un tableau économique, social et environnemental de l’agriculture et des acteurs concernés et de dégager les atouts et faiblesses de l’activité agricole (tab. 1).
Tableau 1 – analyse AFOM (Atouts, Faiblesses, Opportunités et Menaces) de l’agriculture sur les communes de Plouharnel, Carnac et La Trinité-sur-Mer
Dans le cadre de la commande, il s’agissait également d’envisager l’avenir de l’agriculture sur les trois communes étudiées.
Afin de déterminer les tendances d’évolution de l’activité agricole des communes de Plouharnel, Carnac et La Trinité-sur-Mer, il est apparu opportun de mettre en place une démarche prospectiviste à l’horizon 2025, avec l’élaboration de scénarios, sortes de « fils directeurs » permettant de guider étape par étape la réflexion des acteurs (HATEM, 1993). Le but a été de décrire une situation future et les différents cheminements qui permettent de passer de la situation d’origine à la situation envisagée. La démarche générale de l’étude s’est déroulée en deux temps : la construction de la « base » du système agricole étudié, puis l’élaboration de scénarios à proprement parler. Trois scénarios différents ont ainsi été proposés (tab. 2).
Le système agricole peut se définir par l’occupation du sol, l’organisation du parcellaire, le contexte socio-économique et les variables environnementales. La position littorale influe déjà sur les types de production, que ce soit par le climat et la pédologie ou bien par les normes environnementales et notamment par la limitation des épandages à proximité du rivage. De plus, il s’agit d’un paysage de « bocage » qui se caractérise par le développement d’enclos et de haies qui délimitent les parcelles, notamment celles destinées à l’élevage. Il est également important de noter que les politiques de remembrement et les initiatives personnelles des exploitants ont déjà restructuré une partie des exploitations, même si on dénote une certaine absence de planification concertée à l’échelle des trois communes. L’évolution des SAU et la tendance actuelle qui est à la diminution doivent également être prises en compte. En effet, cette baisse est respectivement de 38 % et 41 % pour Plouharnel et Carnac entre 1979 et 2000, alors qu’elle est de 16 % pour les communes littorales bretonnes et de 9 % pour l’ensemble de la Bretagne (Direction Régionale de l’Équipement de la Bretagne, 2008). La pression foncière est importante du fait de l’étalement urbain. Concernant les variables sociales, les exploitations sont restées majoritairement de type familial. La moyenne d’âge des exploitants, est ici un élément important car elle est relativement élevée ; ceux-ci sont proches de la retraite ou envisagent une reconversion, mais la succession n’est pas assurée. Enfin, le système agricole des trois communes est tourné vers les productions suivantes : le lait, les céréales et le maraîchage.
On note également que les parcelles situées à moins de 200 mètres du trait de côte sont soumises à une interdiction stricte d’épandage afin de préserver la qualité des eaux conchylicoles. D’un point de vue économique, l’agriculture y est majoritairement extensive et le rendement plutôt faible. Le contexte économique est actuellement difficile pour les agriculteurs et certains d’entre eux estiment qu’ils travaillent beaucoup pour un revenu jugé trop faible. La conjoncture actuelle et la mondialisation des échanges déstabilisent le rapport entre l’offre et la demande et engendre des fluctuations de cours sur lesquels les exploitants n’ont pas la maîtrise. Les agriculteurs doivent être de plus en plus compétitifs au niveau des prix proposés tout en assurant un cahier des charges environnemental strict.
Les acteurs concernés sont principalement les exploitants agricoles auxquels s’ajoutent les élus locaux, les professionnels du tourisme, et plus globalement, les usagers du territoire qu’ils soient habitants permanents, temporaires ou encore consommateurs extérieurs. Les établissements publics et privés jouent également un rôle de premier plan. À l’échelle locale, on trouve le Syndicat Mixte du Pays d’Auray, la communauté de communes Auray Quiberon Terre Atlantique, le SMLS, la Chambre d’agriculture, etc. À l’échelle nationale et internationale figurent notamment l’État et l’Union européenne. Le système agricole dépend donc à la fois de variables économiques, sociales et environnementales, qu’elles soient locales ou internationales.
Trois scénarios peuvent ainsi être proposés (tab. 2) :
- le scénario 1 est appelé « tendanciel » : il illustre la continuité des tendances observées et globalement perçues par les agriculteurs interrogés ;
- le scénario 2 est un scénario « normatif » : le retour au local et l’agriculture raisonnée sont les deux principales composantes de ce scénario ;
- enfin, le scénario 3 est dit « contrasté » : l’agriculture traditionnelle y est en perdition, le territoire est globalement en forte recomposition et composé d’espaces mono-spécialisés.
Aux vues des différents scénarios présentés, l’agriculture semble menacée. En effet, deux scénarios sur trois annoncent une diminution du nombre d’exploitations sur les trois communes.
L’avenir, même s’il est incertain concernant l’activité agricole, n’est pas limité à sa simple disparition. En effet, il existe plusieurs facteurs externes et internes au territoire ainsi que des initiatives déjà en cours qui pourront favoriser son maintien comme le marché de producteurs à Carnac par exemple.
Conclusion
Un attachement certain des agriculteurs à leur territoire et à leur profession a pu être mis en évidence. Ils reconnaissent volontiers l’importance de leur travail comme activité traditionnelle du territoire. Les espaces agricoles littoraux sont à la fois perçus comme un cadre de vie idéal tout en demeurant une terre peu fertile et difficile à travailler. Les interfaces nombreuses avec le voisinage peuvent également devenir une source de tension supplémentaire. Cet aspect conflictuel est notamment lié à l’urbanisation importante et au tourisme sur les trois communes. Pour autant, ces deux phénomènes sont également considérés comme un potentiel non négligeable en matière de débouchés commerciaux. Aussi, les alternatives permettant de faire face à une situation économique difficile sont mises en place : circuit court, vente directe, agriculture biologique, etc. Un problème subsiste cependant : la diminution progressive du nombre d’exploitants et des surfaces agricoles utilisées. Ce processus s’inscrit dans un contexte général où la pression foncière et le désintérêt des jeunes actifs pour la profession tendent à l’abandon des terres agricoles. Cela se traduit spatialement par le mitage de l’espace agricole en cas d’artificialisation et par l’enfrichement des terres abandonnées.
Les politiques menées à différentes échelles tentent de résorber la disparition progressive de l’agriculture sur les trois communes. À l’échelle européenne, la nouvelle PAC devrait rééquilibrer les dotations entre grandes et petites exploitations et donc profiter à certains exploitants du territoire, en particulier les éleveurs de bovin lait. Les initiatives locales permettent aussi de supporter l’effort des agriculteurs, que ce soit au travers de politiques d’aménagement ou par la concertation impulsée par les collectivités. Les zones humides sont au cœur de ces politiques locales. À la fois support de l’élevage extensif et réserve de biodiversité, elles font le lien entre protection environnementale et support de l’agriculture. Pour autant, l’avenir de l’agriculture sur le territoire considéré est loin d’être garanti. Les tendances actuelles font même craindre une disparition totale de l’activité agricole sur le territoire. Il était ainsi intéressant de se soumettre à l’exercice de la prospective afin de pouvoir quantifier et imaginer l’évolution de l’espace agricole sur le territoire et ses incidences. Pour cela, l’élaboration de trois scénarios, tendanciel, normatif et de rupture, a permis d’illustrer les différentes options qui s’offrent aux acteurs concernés. Cela a également permis de faire un inventaire des divers leviers d’action dont ils disposent pour mieux appréhender l’avenir.
Cet article découle d’un diagnostic territorial intitulé « Évolution du contexte agricole et prospective ciblée sur les communes de Plouharnel, Carnac et La Trinité-sur-Mer » commandé par le SMLS suite à l’intégration des trois communes au sein de la démarche opérationnelle de bassin versant du Syndicat (Chaban et al., 2015). Deux autres diagnostics portant sur (i) la prise en compte de l’eau et des milieux aquatiques dans les documents d’urbanisme et (ii) la contamination micro-biologique des eaux littorales, ont également été menés parallèlement à cette étude. Dans ce cadre, nous tenons à remercier grandement Céline Chadenas qui a dirigé ce diagnostic. Nous tenons également à remercier l’équipe du Syndicat Mixte du Loc’h et du Sal, son président Michel Guernevé, sa directrice Catherine Quemener, ainsi que Nicolas Rollo qui ont co-encadré ce travail. Sans oublier, le comité de rédaction des Cahiers Nantais pour cette proposition de publication.