Les origines de CoastSnap
Les sciences participatives désignent l’ensemble des procédés associant la population au processus de collecte de données et, selon le niveau d’implication, à la production de connaissances scientifiques. Elles sont développées dans de nombreux domaines, comme en astronomie (programme Exoclock1), en botanique (programme Phenoclim2) ou en écologie (Observatoire Agricole de la Biodiversité3). Elles sont également mises à contribution dans le cadre des problématiques littorales, plusieurs applications ayant été mises en place en France ces dernières années. C’est le cas de l’application Rivages4, développée par le CEREMA (Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement), qui propose au public de contribuer au suivi du trait de côte à l’aide d’un smartphone ou encore de l’application CoastAppli5 développée dans le Finistère par une équipe d’universitaires, en lien avec une collectivité et un établissement d’enseignement secondaire (Letortu et al., 2023). L’usage du smartphone est également de mise avec l’application CoastSnap6, développée en 2017 par le chercheur Mitchell Harley à l’Université de Nouvelle Galles du sud (UNSW) et dont l’objectif initial est de suivre la mobilité du trait de côte à l’aide d’une chaîne d’algorithmes de traitement d’images.
Le système CoastSnap, désormais installé dans une vingtaine de pays, compte actuellement environ 200 stations fonctionnelles dans le monde, principalement en Amérique (Canada, USA, Chili, Brésil) et en Europe (France, Royaume-Uni, Pays Bas, Espagne, Portugal, Allemagne) mais aussi en Nouvelle-Zélande et au Mozambique. L’Observatoire citoyen du littoral morbihannais (OCLM) a été la première structure d’observation du littoral à l’utiliser en France et dispose aujourd’hui de quatorze sites équipés sur le littoral morbihannais. Le littoral de la côte d’Opale (deux sites fonctionnels), de la Nouvelle-Aquitaine (quatre sites) et des Pays de la Loire (cinq sites) comptent également parmi les secteurs équipés en métropole.
En Pays de la Loire, l’installation du système s’est faite dans le cadre des actions de l’Observatoire régional des Risques Côtiers (OR2C) avec le soutien financier de la DREAL Pays de la Loire. L’initiative s’appuie sur un partenariat entre Nantes Université, pilote de l’observatoire régional, et Saint-Nazaire agglomération (site de Pornichet), la communauté de communes de l’île de Noirmoutier (trois sites) et la communauté de communes Océan-Marais-de-Monts (site de l’estacade de Saint-Jean-de-Monts). L’OR2C planifiant chaque année des campagnes LiDAR aéroportées pour mettre à disposition des données LiDAR topo-bathymétriques haute résolution, l’objectif était de compléter ces acquisitions avec un monitoring haute fréquence basé sur des photographies comparables mais aussi d’engager l’observatoire dans les sciences participatives, en réponse à une attente de plus en plus forte de la population et des collectivités pour ce type de démarche.
Les sites instrumentés en Pays de la Loire et leur fonctionnement
Les cinq sites instrumentés depuis 2021 sur le littoral ligérien sont situés sur l’île de Noirmoutier, à Saint-Jean-de-Monts et à Pornichet. Ils correspondent à des problématiques de suivi différentes (fig. 1). La plage des Homardiers, située sur la côte sud-ouest de Noirmoutier, connaît des variations de cubatures fréquentes et jouxte de surcroît un quartier résidentiel situé en zone basse ; le site de la plage de la Clère, au nord de l’île, fait l’objet d’une action de renaturation d’un enrochement pilotée par l’ONF (Office national des forêts). L’objectif du dispositif CoastSnap consiste à suivre l’évolution du recouvrement de l’ouvrage par le sable. La plage de la Linière, située à l’est du port de l’Herbaudière au nord de l’île, connaît une érosion chronique affectant la base des ouvrages construits en front de mer. Le site de l’estacade de Saint-Jean-de-Monts offre l’intérêt de suivre l’évolution d’un espace en limite d’urbanisation. La plage de Bonne Source, située immédiatement au sud-ouest du port de Pornichet, connaît des mouvements de sédiments très fréquents sinon quotidiens, ainsi qu’un déficit sédimentaire chronique impliquant des interventions régulières.
Figure 1 - Le dispositif CoastSnap, les sites instrumentés sur le littoral des Pays de la Loire et leurs caractéristiques
Le dispositif CoastSnap s’appuie sur la prise de photographies par smartphone à partir d’un point fixe matérialisé par un support inox (figure 1), ce qui permet le contrôle de la localisation, de la hauteur, du zoom et de l’angle de la prise de vue de manière à recueillir des clichés comparables. L’installation du dispositif obéit à un certain nombre de paramètres, tels que le degré de fréquentation du site, sa sécurisation, l’angle de la prise de vue et la domination par rapport à la plage, mais aussi l’orientation de la prise de vue de manière à limiter les reflets du soleil sur les clichés ou encore la présence de points remarquables en nombre suffisant afin de faciliter le traitement des clichés (calage des photographies).
La chaîne d’acquisition puis de traitement de données comprend plusieurs étapes. L’utilisateur prend une photographie en insérant son smartphone dans le dispositif, puis transmet le cliché à l’OR2C au moyen d’une interface dédiée, d’un réseau social ou par email. La photographie est ensuite stockée afin d’être calée avec d’autres clichés pour permettre des comparaisons multidates. Il est ainsi possible de restituer le comportement mensuel d’une plage, mais aussi de produire des comparaisons interannuelles ou intersaisonnières. D’autres traitements sont possibles au moyen d’algorithmes disponibles en libre accès au sein de la communauté CoastSnap (ex : extraction de la ligne de rivage instantanée).
Le suivi post-tempête : un exemple de l’intérêt de CoastSnap
Les trois tempêtes significatives qui ont touché la façade atlantique française à la fin du mois d'octobre/début novembre 2023 ont permis d’évaluer la capacité de CoastSnap à fournir des suivis post-tempêtes, confirmant l’intérêt de l’observation haute fréquence (fig. 2a, b, c, d).
Figure 2a - Situation pré-tempête Céline, le 26 octobre à 11h54
Le niveau de sable sur la plage des Homardiers est important, recouvrant la base du perré (1er plan et second plan, à gauche) et atteignant quasiment le sommet de l’épi (second plan au centre).
Figure 2b - Situation post-tempête Céline, le 29 octobre à 11h15
La tempête a provoqué le démaigrissement le plus important depuis l’instrumentation du site avec le système CoastSnap, atteignant approximativement entre 0,5 et 1 m en haut de plage au niveau de l’enrochement (second plan à gauche). La base du perré a été affouillée (flèches). L’ouvrage a été partiellement détruit à proximité de la station CoastSnap (non visible ici).
Figure 2c - Situation post-tempête Ciaran, le 2 novembre à 15h00
La tempête Ciaran semble ne pas avoir eu de conséquences morphogéniques notables sur le site, le niveau de sable étant quasiment équivalent au niveau post-tempête Céline (trait de côte du 29 octobre en pointillés blancs).
Figure 2d - Situation post-tempête Domingos, le 19 novembre à 11h38
L’intérêt de l’épisode Domingos est de démontrer la grande mobilité du sédiment sur le site et la capacité de résilience de la plage, celle-ci ayant retrouvé son niveau de sable pré-tempête Céline (trait de côte du 26 octobre en trait blanc continu).
Crédit photos : CoastSnap
L’analyse des clichés pris par la population renseigne sur les effets morphologiques de ces épisodes tempétueux. Les fortes houles générées lors de la tempête Céline, associées à des niveaux d’eau importants, ont eu des conséquences morphogéniques remarquables sur les côtes ligériennes et sur les sites CoastSnap (recul du trait de côte, démaigrissement des plages et dégâts divers notamment sur les ouvrages). En comparaison, la résultante à la côte des tempêtes Ciaran et Domingos a été faible voire nulle, car elles ont atteint les côtes à marée basse ou lors du jusant (tab. 1). CoastSnap a même révélé la rapidité de cicatrisation (résilience) du site des Homardiers (Noirmoutier).
Tableau 1 - Paramètres météorologiques des 3 tempêtes qui ont touché la façade atlantique à la fin des mois d'octobre-début novembre 2023
Sources : candhis.cerema.fr, marée.info, meteociel.fr
Conclusion
Avec plus de 2 500 clichés recueillis depuis mai 2022, l’engouement de la population pour le système CoastSnap est largement confirmé. Après avoir testé la capacité de l’outil à produire des informations qualitatives, l’OR2C envisage en 2024 d’approfondir l’extraction automatique de métriques au moyen d’algorithmes, mais aussi de renforcer la sensibilisation de la population aux processus littoraux et aux risques côtiers grâce à cet outil.