Introduction
Le nautisme englobe « toutes les activités se pratiquant sur l’eau ou dans l’eau dans un but sportif et/ou de loisirs » et est lié à l’utilisation d’une embarcation et de matériels, excluant donc la natation mais aussi l’industrie nautique (Bernard, 2000). Il se subdivise en deux composantes : (i) la plaisance, impliquant l’usage d’un navire et excluant les sports de glisse comme la planche à voile, (ii) le nautisme léger, caractérisé par des formes, des lieux de pratique et des infrastructures différentes de celle de la plaisance (ibid.). Alors que le tourisme fluvial professionnel (RNOTF, 2009), la plaisance fluviale privée (ODIT France, VNF, 2007), les pratiques d’eau vive (Pigeassou, Chaze, 2005) et le nautisme maritime, étudié depuis le début des années 1980 avec la plaisance et les ports comme angles d’approche privilégiés (Bernard, 2005, 1995), sont relativement connus, le nautisme en domaine fluvial demeure peu étudié au point de constituer une sorte de « boîte noire ». Dans ce contexte, synthétisant les résultats d’un diagnostic commandé par la Société d’Aménagement de la Métropole Ouest-Atlantique (Alexandre et al., 2009), cet article a pour double objectif de dresser un état des lieux et de dégager des perspectives de développement du nautisme dans l’estuaire de la Loire, espace de transition fluvio-maritime ici défini entre Ancenis en amont et Saint-Brévin/Le Pouliguen en aval, en prenant en compte les plans d’eau situés aux confluences dans l’agglomération nantaise (fig. 1), où une seule étude confiée à un bureau d’études avait été effectuée sur ce thème (Créocéan, 2007) mais centrée sur la plaisance.
1. État des lieux du nautisme dans l’estuaire de la Loire
La plaisance
Selon les données des Affaires maritimes (2009), la flotte de plaisance immatriculée dans les quartiers maritimes ligériens (près de 77 000 navires) représente environ 9 % de la flotte nationale, et présente le même visage qu’à l’échelle nationale avec une nette surreprésentation des petites unités (les trois-quarts font moins de 6 m) et des navires à moteur (près des trois-quarts). Ces chiffres ne fournissent néanmoins qu’un ordre de grandeur tant il peut y avoir un décalage entre le quartier d’immatriculation et le lieu de pratique d’une part, entre le nombre de navires immatriculés et le nombre de navires exploités d’autre part. Concernant la flotte fluviale, la flotte déclarée par les professionnels eux-mêmes est caractérisée par différentes activités : la location de coches de plaisance, la croisière fluviale et la plaisance privée. Selon VNF et ODIT France (2006), cette flotte déclarée régionale correspond à 114 unités, représentant 6 % du total national en 2006, dont 23 coches de plaisance et 18 bateaux-promenade (1 816 places à bord). Dans cet espace, on compte aussi plusieurs entreprises spécialisées dans la location de matériel fluvial comme « Le Ruban Vert » disposant de 50 bateaux de promenade électriques de différentes tailles, basés sur les sites de Nantes, Sucé-sur-Erdre et Vertou ou encore les « Bateaux Nantais » proposent des promenades, avec ou sans restauration, sur l’Erdre et la Loire.
Éléments structurant fortement les pratiques, les équipements portuaires sont essentiellement présents dans deux espaces (fig. 2, tab. 1) : à la sortie de l’estuaire (Pornichet, La Baule) et à Nantes (port de l’Erdre, Ile de Nantes), avec deux orientations claires : maritime dans le premier cas et fluvial dans le second. Il existe également d’autres équipements situés le long de l’estuaire pouvant servir au nautisme (fig. 3), sans que l’on ne dispose d’informations sur l’état des ouvrages (fonctionnels, envasés…), ni sur les projets comme par exemple la possible installation d’un ponton pouvant être utilisé pour l’escale au Pellerin. Mais ces équipements peuvent servir de base au développement de futurs projets d’aménagements ou venir compléter l’offre d’équipements nautiques. Par ailleurs, une partie très réduite de cette activité de plaisance n’est matérialisée que par des mouillages sans équipements, notamment en amont de l’agglomération nantaise ; celle-ci n’a pas été répertoriée.
Figure 2 – Localisation des équipements portuaires
Sources : Bloc Marine 2009, Instructions Nautiques 2000, site internet NGE.
Tableau 1 – Types d’équipements portuaires.
Port | Accès | Type et nombre de places |
La Baule / Le Pouliguen | port en eau avec seuil | 830 places sur ponton dont 30 visiteurs |
Pornichet (port d’échouage) | port d’échouage non balisé la nuit | 450 places sur bouée dont 21 visiteurs |
Pornichet / La Baule | accès permanent | 1 150 places sur ponton dont 150 visiteurs |
Saint-Nazaire | écluse | pas d’accueil d’escale de plaisance |
Paimboeuf | port découvrant | bouée |
Cordemais | port découvrant | 60 places + 120 places en port à sec privé |
Couëron | port découvrant | 36 places sur pontons dont 3 visiteurs |
Basse-Indre | port découvrant | petit ponton |
Haute-Indre | port découvrant | 4 pontons avec catways |
Trentemoult | port découvrant | 24 places sur ponton |
ponton des chantiers | de mi-septembre à début mai, toujours en eau | 6 places |
ponton de l’aiguillon | de mi-mai à mi-septembre, toujours en eau | ponton de 144 m de long |
Port de l’Erdre | écluse Saint-Félix | 40 places sur pontons |
Bras de Pirmil | accès permanent | bouées |
Le nautisme léger
Le nautisme léger recouvre plusieurs activités : la voile légère (catamaran, optimist et dériveur), la planche à voile, la voile habitable, le char à voile, le kitesurf, les activités de pagaie (canoë-kayak, kayak de mer et aviron) et le motonautisme (jet-ski et ski-nautique). Un recensement effectué a permis d’identifier 51 structures de pratique encadrée et de faire apparaître trois activités dominantes, sans prendre en compte ni le nombre d’adhérents ni l’état des structures : la voile légère, la planche à voile et les activités de pagaie (tab. 2).
Tableau 2 – Les structures du nautisme léger par types
Types de structures | Nombre de structures |
Voile légère | 27 (17 optimist, 16 dériveur et 19 catamaran) |
Planche à voile | 25 |
Voile habitable | 11 |
Char à voile | 2 |
Kitesurf | 5 |
Activités de pagaie | 31 (24 canoë-kayac, 3 kayac de mer et 6 aviron) |
Motonautisme | 7 |
Sources : différentes fédérations françaises, 2009.
Les figures 4 et 5 illustrent la répartition des activités nautiques, avec une forte concentration autour et sur le littoral (19 structures de voile légère, 20 structures de planche à voile et 14 structures de pagaie) et l’agglomération nantaise (respectivement : 6, 3 et 11).
Les structures proposent plusieurs ou une seule activité (tab. 3), les premières touchant un plus large public. La combinaison la plus fréquente est l’offre voile légère et planche à voile (26 structures), suivi de voile légère et activités de pagaie (16 entités). Ainsi, les structures multi-activités sont dominantes et se localisent majoritairement sur le littoral (fig. 6). Mais il existe des structures spécialisées dans un seul type d’activité comme pour la voile habitable et le char à voile.
Tableau 3 – Combinaisons d’activités dans les structures multi-activités
Activités | Voile légère | Planche à voile | Voile habitable | Char à voile | Kitesurf | Activités de pagaie | Motonautisme |
Voile légère | 26 | 4 | 2 | 1 | 16 | 4 | |
Planche à voile | 26 | 3 | 2 | 1 | 14 | 4 | |
Voile habitable | 4 | 3 | 0 | 1 | 2 | 1 | |
Char à voile | 2 | 2 | 0 | 0 | 2 | 1 | |
Kitesurf | 1 | 1 | 1 | 0 | 0 | 0 | |
Activités de pagaie | 16 | 14 | 2 | 2 | 0 | 4 | |
Motonautisme | 4 | 4 | 1 | 1 | 0 | 4 |
Sources : différentes fédérations françaises, 2009.
Figure 6 – Localisation des structures de nautisme léger selon leur caractère mono ou multi-activités
Sur la base de ce premier état des lieux, un territoire hétérogène se dessine où l’on voit apparaître deux pôles, le littoral et l’agglomération nantaise, entre lesquels se forme un espace de transition dans lequel les activités nautiques sont diffuses (fig 7).
Perspectives de développement de l’estuaire de Loire par le nautisme
Dans les espaces où le nautisme est dynamique, notamment dans l’agglomération nantaise, les politiques de la ville actuellement en vigueur ont pour objectif d’ouvrir des perspectives sur l’estuaire de la Loire. Quel pourrait être le rôle du nautisme à cet égard ? Cet apport peut être double : immatériel au travers de l’image qu’il véhicule et matériel grâce à l’animation du plan d’eau et des berges qu’il favoriserait, induisant des retombées économiques. Parmi différentes pistes de réflexion (Alexandre et al., op. cit.), on se propose ici de présenter trois pistes pour exploiter le potentiel offert par le plan d’eau estuarien et en faire un levier de développement : l’éducation, l’évènementiel et la gestion/promotion de l’offre.
L’ouverture par l’éducation
L’Éducation Nationale et des centres nautiques s’allient pour proposer au public scolaire des activités nautiques. On qualifie souvent cela par le terme de « voile scolaire ». En effet, la pratique par des élèves d’une activité nautique sur des supports tels que l’optimist ou le kayak, leur permettent d’accumuler des connaissances (théoriques et techniques). Ces activités vont alors participer « à la construction des identités collectives par l’approbation de savoirs (connaissances du milieu marin, marées, nœuds, gréement, vocabulaire, sécurité…) » (Bernard, 2005). De plus, les enseignants peuvent relier leurs cours avec la pratique nautique scolaire, c’est le cas par exemple des sciences physiques et naturelles (connaissance des espèces animales et végétales, phénomène de marée, etc.).
La question de la « démocratisation » des activités nautiques et celle de la construction de la relation à une culture et à un espace (ici maritime et estuarien) est prédominante : « Comment créer des passerelles entre des cultures différentes, en l’occurrence la culture maritime (et estuarienne) et d’autres cultures sociales ? » (ibid.). Car le fait d’habiter à Nantes ou dans une autre ville maritime ne veut pas forcément dire que l’on est estuarien ou marin. Le monde nautique pourrait être une ouverture sur un milieu nouveau pour eux, l’estuaire ou la mer. Différents objectifs des activités nautiques peuvent être proposés aux élèves (tab. 4). Dans l’estuaire de la Loire il y a 15 structures qui proposent des activités nautiques scolaires sur les 51 recensées.
Tableau 4 – Les différents objectifs des activités nautiques scolaires
Objectifs | |
Sportif | Maîtriser son embarcation au niveau de la propulsion et de la direction (savoir-faire) |
Éducatif | Connaissance des règles de sécurité connaissance du milieu, connaissance du matelotage, de la préparation du bateau (savoirs et savoir-faire) |
Pédagogique | Autonomie, traitement de l’information, maîtrise du stress, apprentissage de la vie sociale, solidarité |
Social | Démocratisation du nautisme |
Source : Bernard, 2005.
Il y a sans doute une piste de réflexion pour développer la pratique nautique en domaine estuarien, permettant aussi, en maintenant une pratique sur l’ensemble de l’année, d’optimiser l’utilisation des équipements mis en place.
L’ouverture par l’événementiel
Il existe déjà un certain nombre d’évènements associant le monde nautique et l’estuaire de la Loire.
Par exemple, en septembre 2008, la fête du lancement du trimaran Banque Populaire V a été l’occasion pour la métropole nantaise et ses partenaires de jouer la carte de l’événementiel afin d’affirmer une véritable volonté d’ouverture sur les espace maritimes. Ce type d’événement, encore peu fréquent, est créateur d’une image forte pour la ville, une « image de marque » cristallisant les valeurs attribuées à la mer et aux bateaux et pouvant faire naître chez les spectateurs des sentiments de liberté, d’évasion, de dynamisme et de plaisir (Bernard, 1993). Il contribue à créer ou à entretenir un sentiment maritime qui s’appuie sur le passé naval de la ville.
On compte aussi les Rendez-vous de l’Erdre qui participent activement au développement de la pratique nautique. Depuis 2005, cette fête populaire propose de mixer culture et plaisance. Cette année, les organisateurs ont décidé de centrer le festival autour du jazz et de la « Belle plaisance », deux thèmes qui jouissent d’une bonne image et proposent des univers synonymes d’art de vivre et d’émotions. L’Erdre parait être un support idéal en termes d’image et d’aménagement. Pourtant, certains facteurs sont pénalisants : ponts aux tirants d’air limitant, absence de liaison entre le bassin des Cinquante-Otages et le canal Saint-Félix.
Bien évidemment, il y a d’autres évènements comme les expositions Estuaire (2007, 2009 et 2011), intéressantes car faisant le lien sur l’ensemble de l’estuaire de la Loire, mais sans chercher à être exhaustif, aujourd’hui il paraît surtout important de souligner que très peu permettent au public de s’approprier le plan d’eau en tant que tel. Il y aurait sans doute matière à développer un événement fédérateur qui porte les habitants et les visiteurs au-delà des berges.
L’ouverture par la gestion et la promotion de l’offre
Les ports importants du littoral, en sortie d’estuaire, sont saturés et les espaces encore aménageables sur les littoraux sont devenus rares pour de multiples raisons (Bernard, 1999). Ainsi, l’estuaire pourrait être valorisé, au moyen d’une gestion innovante et dynamique des places. Cette démarche consiste à mieux gérer l’offre existante en poussant, par exemple, les utilisateurs à soit prévenir le gestionnaire quand ils libèrent leurs emplacements temporairement (le temps d’une croisière de quelques jours), soit déplacer leurs bateaux quand ils ne s’en servent pas pendant un certains temps, l’hiver par exemple, ce qui libère une place. Ainsi, l’estuaire, espace rétro-littoral et non utilisé de manière intensive par la plaisance, peut être le théâtre d’une valorisation qui se fera sentir surtout à contre saison. Cette dernière consiste lors de l’hivernage d’un bateau, à ne pas le laisser dans un port littoral mais à le déplacer dans cet espace rétro-littoral. Ces effets sont doubles. D’une part, en libérant des places, cela peut permettre à un propriétaire naviguant en contre-saison de disposer d’un emplacement. D’autre part, les espaces bénéficiant de ce déplacement se voient dotés de débouchés économiques non négligeables (création de ports, entretien des unités en hivernage…). Pourtant, les nouveaux modes de vie (fragmentation des congés), en plus du faible taux annuel d’utilisation des navires (le temps moyen de sortie annuel au niveau national est de 11 jours ou 70 heures) et du manque d’anneaux dans les ports, amènent à s’interroger sur le besoin de création de nouvelles places. Cette interrogation est d’autant plus prégnante lorsqu’on connaît les effets des ports de plaisance sur l’environnement. Plutôt que des créations ex-nihilo, coûteuses et ayant un fort impact environnemental, des extensions de ports ou des reconversions d’infrastructures existantes sont sans doute plus facilement envisageables.
Plusieurs analyses préalables sont nécessaires. Il faut évaluer les types d’utilisation que les plaisanciers ont de leur bateau et notamment les périodes d’utilisations (estival, RTT…). Il faut également quantifier les besoins de place. Enfin, il faut localiser des espaces aménageables disponibles à des coûts abordables (prix du foncier), bien desservis (accessibilité), à proximité de services et de magasins spécialisés (shipchandler, chantier naval…) et relativement proches du domicile des propriétaires. Ce dernier point est essentiel car les plaisanciers choisissent d’abord un port pour sa proximité, en sorte que si les infrastructures sont trop isolées, elles ne seront que peu utilisées. Cela doit donc s’accompagner d’une politique tarifaire adaptée et globalisée au sein d’un ensemble géographique présentant des complémentarités (littoral-estuaire dans ce cas), et surtout d’une activité de promotion qu’exigerait une telle initiative. Certaines expériences de ce type de gestion existent, comme le montre l’exemple développé dans le Morbihan par la Société d’Aménagement et de Gestion du Morbihan (SAGEMOR).
Conclusion
Le nautisme dispose de nombreux atouts qui peuvent contribuer au développement des espaces estuariens. Du fait de la saturation des équipements littoraux, la demande remonte vers l’intérieur de l’estuaire mais l’offre aujourd’hui peine encore à suivre. La gamme d’activités proposée est importante ce qui permet de toucher un large public, avec des activités « tremplins » comme la voile légère, permettant de populariser la pratique et de contribuer à l’appropriation de l’espace estuarien. L’intérêt du nautisme appliqué à ce type d’espace permettrait de créer une connexion entre les domaines maritime et fluvial, le littoral et Nantes dans le cas de l’estuaire de la Loire, si étaient mises en place des structures de qualité (service, cadre, connexion avec autre moyen de transport,…), permettant une pratique large, structurées par des évènements forts et une bonne gestion à l’échelle du territoire estuarien. Tout en le valorisant, le nautisme fluvial doit permettre, entre autres choses, d’offrir une cohérence à l’estuaire de la Loire, pensé comme un tout formé d’un littoral, d’un cœur d’estuaire et de l’agglomération nantaise.