La défense et l’illustration des reliefs de faible énergie tels que ceux du Massif armoricain, dans lequel s’inscrivent les Mauges et les aires limitrophes de Loire-Atlantique, passent souvent par des biais extérieurs qui permettent aux visiteurs de prendre conscience de l’intérêt de ces reliefs de prime abord peu décelables. Parmi ces biais, la mise en évidence d’une activité industrielle ou artisanale, voire d’un patrimoine matériel mettant à profit les argiles locales, est d’un grand intérêt tant les paysages associés y sont spécifiques, que ce soit les reliefs « en creux » des argilières ou les constructions dans lesquelles domine le rouge de la brique et de la tuile. Dans les Mauges coexistent les deux formes industrielle et artisanale d’utilisation de l’argile, avec l’industrie de la tuile du Choletais d’une part et le patrimoine potier au Fuilet d’autre part. Aux confins orientaux de Loire-Atlantique, la production de tuiles se poursuit à la Boissière-du-Doré, où se situe en outre le village (au sens régional du terme) des Tuileries à proximité d’argilières dont certaines sont encore exploitées. L’utilisation de cet ensemble d’activités nées de l’extraction des argiles permet ainsi d’introduire la géomorphologie en tant que composante d’un patrimoine naturel dont la promotion participe de l’attractivité de territoires ruraux.
Enfin, là où l’activité de poterie, de tuilerie ou de briqueterie a disparu des paysages et des mémoires, l’utilisation conjointe de la toponymie et de la géomorphologie semble un moyen d’illustrer un artisanat passé en tentant de l’ériger au rang de patrimoine local.
1. Des activités d’extraction et de travail de l’argile marquées dans le paysage visuel et culturel
L’abondance des toponymes Poterie et Tuilerie rappelle que l’extraction des argiles pour leur transformation a historiquement représenté une part significative de l’industrie rurale dans le Massif armoricain. La fabrication de pots et de tuiles répondait à des impératifs matériels immédiats, tout comme la production de briques, particulièrement là où faisait défaut la pierre de construction. Dans l’ouest de la France, les argiles utilisées sont le produit de l’altération du socle dans les domaines de massif ancien – ce qui est abordé ici – ou les témoins d’une transgression marine (argiles du Redonien de Saint-Jean-la-Poterie), encore une roche extraite sur les bordures sédimentaires du massif ancien, comme le sont les argiles exploitées à Saint-Martin-des-Fontaines à l’extrême sud de la Vendée (nord du bassin aquitain) et aux Rairies dans le nord-est du Maine-et-Loire (ouest du bassin parisien).
Le plateau des Mauges est une surface d’une grande régularité, ce qui explique la continuité du manteau argileux qui le recouvre, interrompu seulement au droit des vallées profondément encaissées (fig. 1, photo 1). Ce plateau, situé à 120-130 m d’altitude et duquel émergent quelques hauteurs isolées (Puy de la Garde, 210 m ; butte de Beausse, 175 m), s’abaisse progressivement vers l’ouest en direction de Nantes. Il se tient aux alentours de 100 m d’altitude dans le quadrilatère le Fuilet/le Puiset-Doré/Vallet/La Remaudière, qui recouvre la limite départementale entre Maine-et-Loire et Loire-Atlantique et dans lequel l’utilisation des argiles, dans un cadre patrimonial (Maison du Potier au Fuilet) ou pour la production de tuiles et de briques (la Boissière-du-Doré), marque le paysage par ses argilières en exploitation, ou abandonnées et gagnées par la forêt (photo 2).
Photo 1 – Le plateau des Mauges aux environs du Pin-en-Mauges. Le plateau, à 130 m d’altitude, constitue une plate-forme d’une remarquable régularité. Ici dans sa partie nord, il domine d’une centaine de mètres la Loire, en fonction de laquelle s’incisent vigoureusement les « coulées » affluentes du fleuve
(cliché B. COMENTALE, 2010)
Photo 2 – Argilière au Fuilet dans les Mauges. Les argilières abandonnées sont aujourd’hui ennoyées ; situées pour partie en lisière de forêt, elles sont fréquemment végétalisées, et constituent des lieux reconnus d’intérêt écologique, participant ainsi du patrimoine naturel lato sensu
(cliché B. COMENTALE, 2010)
La production tuilière/briquetière à la Boissière-du-Doré est le prolongement d’une activité jadis généralisée sur le plateau des Mauges. Elle est actuellement pratiquée par la société Imerys, qui reprend l’activité de la briqueterie Marcel Rivereau et extrait la matière première d’une nouvelle argilière au lieu-dit La Maison Neuve, mais divers vestiges d’une production encore active au XXe s. lui sont associés comme l’attestent la toponymie, les anciens sites d’extraction, la large utilisation de la brique dans l’habitat ancien, voire de rares vestiges industriels. L’ensemble se développe sur d’anciennes landes occupées et utilisées tardivement, au cours du XIXe s., en raison de leur caractère longtemps répulsif lié au substratum argileux qui détermine des terres froides et humides. La tuilerie abandonnée du village des Roseaux, au nord de la commune de Vallet, jouxte une ancienne aire d’extraction, reconnaissable à ses argilières ennoyées aux formes géométriques. Cette aire voisine d’environ 500 m le village des Tuileries situé sur le territoire communal de la Remaudière et se trouve en limite de celui de Vallet ; une tuilerie en ruines y est visible. Vers l’ouest, à 1 km, toujours à la Remaudière, les étangs attenants aux fermes de la Petite Burlasserie, du Moulin Cassé et des Landes présentent des formes identiques, sans pour autant qu’il soit possible de les identifier formellement comme d’anciennes argilières ; il reste que la Remaudière était connue comme centre de briqueterie, ce qu’atteste l’estampille apposée sur des briques de production locale (comm. pers. V. Jousseaume). Enfin, on mentionnera le village des Tuileries de la Boissière-du-Doré, 2 km au nord-est du bourg, sans trace évidente de vestige industriel aisément identifiable, ni d’argilière reconvertie en étang, mais présentant un agencement du bâti similaire à celui de son analogue de la Remaudière, et où un four était encore visible au siècle dernier selon une ancienne habitante du lieu (comm. pers. V. Jousseaume). En l’état actuel de nos recherches, pour l’instant uniquement menées sur le terrain, nous ne pouvons placer avec précision l’époque d’exploitation et de transformation des argiles. Toutefois, le village des Tuileries de la Remaudière était nommé Tuileries « Neuves » en 1850, d’après un atlas départemental de l’époque1, ce qui corrobore le caractère tardif de la mise en valeur de ces espaces ingrats.
Au total, c’est un véritable paysage de l’argile, façonné par l’homme et aux implications territoriales plus vastes que dans le cas de la pierre de construction – où seules les carrières, susceptibles d’être rebouchées ensuite, sont visibles, ne nécessitant pas de structures de transformation comme l’argile et ne livrant pas des produits, comme la brique ou la tuile, à forte connotation ornementale – qui se dessine. Bénéficiant des directives architecturales qui entérinent la généralisation des toits de tuile dans les secteurs situés en rive sud de la Loire, cette industrie est active dans les Mauges (la Séguinière près de Cholet où sont ouvertes de vastes argilières, Vihiers et ses environs, Tillières notamment), où les fabriques sont souvent installées à proximité de lieux-dits la Tuilerie ou la Poterie, signe d’une continuité fonctionnelle. Cette continuité se retrouve au village des Poteries, en bordure de la forêt de Nuaillé à l’est de Cholet, bien que la fabrication ait cessé : une briqueterie, mentionnée comme telle dans l’édition de 1985 de la carte topographique (feuille IGN Cholet à 1:50 000) est aujourd’hui reconvertie en lieu de vente de poteries (B. Comentale, soumis).
À côté de cette industrie, la promotion d’un patrimoine potier au village des Recoins, dans la commune du Fuilet à 8 km au nord-est de la Boissière-du-Doré, a permis de préserver ce paysage tout en tirant de l’oubli une activité condamnée au déclin. Dans son ouvrage consacré aux Potiers et poteries populaires en France, M. Pillet (1982) décrit au Fuilet une activité en régression, cantonnée aux productions à usage alimentaire et horticole, alors que cette dernière spécialisation représentait l’essentiel de la vie économique de la commune en 1955. Avec la Maison du Potier, musée ouvert en 1988, dédié à la mise en valeur des pratiques et des techniques relatives à la production de poteries, et adossé à des ateliers de potiers d’art qui exposent leur production et leur savoir-faire aux touristes, le choix de la patrimonialisation a été effectué. Celle-ci perpétue la mémoire d’une activité qui a fortement marqué les lieux : dans les villages, de vastes séchoirs « construits en brique, dont l’étage est fait de piliers reposant, dans la partie inférieure, sur des murets et soutenant, vers le haut, les charpentes et les toitures couvertes de tuiles rondes » (Pillet, op.cit.) ; le long des routes, des calvaires à base de brique rouge, ce qui tranche avec les usages dans le Massif armoricain où l’utilisation du granite ou de roches métamorphiques prévaut. Enfin, ce choix est affiché dès l’entrée occidentale du village, où une énorme poterie placée au milieu d’un rond-point routier donne la tonalité d’ensemble.
L’activité argilière comme introduction à la géomorphologie.
Le plateau des Mauges offre un double intérêt du point de vue de la valorisation d’un patrimoine naturaliste centré sur le relief et sur le soubassement géologique qui lui est associé. Il est en premier lieu reconnu dans le cadre du patrimoine géologique armoricain, au sens où la littérature géologique y reconnaît plusieurs épisodes orogéniques au cours de l’ère primaire, ce qui constitue une singularité dans la partie méridionale du Massif armoricain et suscite un tourisme spécifique tourné vers la découverte d’un soubassement géologique varié, constitué de granite et de roches métamorphiques – micaschistes et gneiss notamment.
Mais au-delà de cet intérêt purement géologique, le plateau des Mauges possède la propriété géomorphologique fondamentale d’un massif ancien qui est d’être aplani, ce qui fait apparaître ce soubassement géologique (par ailleurs profondément altéré sous forme d’argiles) sur un même plan d’affleurement, position favorable à l’exploitation des contrastes de résistance entre les roches par l’érosion différentielle qui détermine une partie des variations du relief actuel (cf. infra). Cette formation géologique, les argiles d’altération, présente donc un intérêt qui dépasse le strict cadre géologique puisqu’elle est associée à des formes de relief, et constitue de ce fait un jalon de la géomorphologie des Mauges. Cela concerne, de manière générale, les Mauges stricto sensu, dans le département du Maine-et-Loire, mais aussi particulièrement les communes adjacentes situées en Loire-Atlantique où l’intérêt géomorphologique réside dans leur situation sur la retombée occidentale du plateau, plus vallonnée et disséquée par les rivières.
Les argiles d’altération des Mauges se présentent sous la forme d’un épais manteau, 5 m dans le secteur du Fuilet (Marchand et al., 1969), 15 à 35 m aux environs de Chemillé plus à l’est (Wyns et al., 1998). Tantôt bariolées, tantôt rouges (coloration par oxydes de fer) selon la composition minéralogique de la roche d’origine, parfois blanches disposées en poches (kaolinite), elles résultent « de l’altération des roches du socle par hydrolyse météorique sous climat tropical humide » (Wyns et al., cité), et constituent de ce fait une clé d’explication de la planéité d’ensemble des paysages.
Du point de vue de la vulgarisation de la géomorphologie, il est possible, à partir de croquis schématiques insérés dans un dépliant à but didactique2, de retracer les étapes successives de la réalisation d’un aplanissement, qui est en soi facile à observer (plateau) mais difficile à concevoir, surtout s’agissant d’un socle rocheux supposé mécaniquement résistant en première approche, mais en réalité chimiquement vulnérable : préparation du matériel par ameublissement (hydrolyse), puis décapage du matériel ameubli par des processus de type pédimentaire (écoulements en nappe sous climat tropical à saisons pluviométriques contrastées) découvrant le front d’altération et mettant à jour les chirons, pointements granitiques régionalement connus. La surface topographique du plateau coïncide donc à la fois avec l’ancien front d’altération là où celui-ci a été dégagé du manteau argileux, et avec ce dernier là où il n’a pas été entièrement décapé.
Une telle présentation à but vulgarisateur met l’accent à la fois sur les variations du climat ayant permis l’aplanissement, et sur la longue durée qui en autorise le perfectionnement ; l’analogie peut être faite avec certains domaines tropicaux actuels, où alternent périodes chaudes et humides favorables à l’altération argileuse, puis chaudes et plus sèches où les pluies, concentrées dans le temps, sont violentes et engendrent un écoulement en nappe qui balaie une partie des argiles, et enfin chaudes à sécheresse prolongée durant lesquelles se forme une cuirasse latéritique. Des fragments d’une telle cuirasse se trouvent en de nombreux endroits du Massif armoricain : connus sous l’expression « chapeau de fer », ils sont riches en minerai dont l’exploitation ponctuelle a donné naissance aux toponymes Ferrière ou Forge. Sur le plateau des Mauges et ses bordures on retrouve parfois ces fragments dans les champs, sous la forme de blocs épars à la couleur caractéristique rouge à brunâtre, ce qui a aussi alimenté une toponymie particulière, ainsi à la ferme de la Roussière située 400 m au sud du château du Doré.
Une incursion aux marges du présent secteur d’étude permet d’en accroître la portée géomorphologique : à la sortie sud de Nantes, sur l’ultime prolongement du plateau des Mauges, nous avons observé, à l’occasion de travaux de terrassement, le socle très altéré sous forme d’argiles au carrefour du Butay, 2 km au sud-ouest d’un lieu-dit La Poterie, en limite de la commune de Château-Thébaud (photo 3). De surcroît, le socle y est recouvert de blocs de grès ladères épars, « attribués au Bartonien » [i.e. à l’ère tertiaire, alors que la topographie de plateau était acquise] et « provenant de la silicification d’une étendue sableuse littorale » (Bambier et al., 1983). Ainsi cette partie du plateau, ici à 45 m d’altitude, était balayée par les transgressions marines – dont le sable associé était ultérieurement, lors du retrait de la mer ou après celui-ci, l’objet d’une silicification par cimentation – au moment où le plateau des Mauges et de la Boissière, à 100 m et plus, restait émergé. Cela illustre à la fois la faible énergie des reliefs régionaux qui en rend malaisée la lecture à des publics sensibilisés à des reliefs plus spectaculaires, et les disparités altitudinales qui conditionnent la plus ou moins grande proximité au niveau de la mer et, partant, la plus ou moins forte ampleur de l’encaissement du réseau hydrographique. Ce dernier trait permet d’individualiser le secteur de la Boissière du plateau des Mauges stricto sensu, plus tabulaire car moins disséqué par le réseau hydrographique.
Photo 3 – Le plateau des Mauges, à 130 m d’altitude, se prolonge vers l’ouest par une surface inclinée qui atteint 45 m aux portes de Nantes. Au lieu-dit La Poterie (Château-Thébaud), aujourd’hui englobé dans la couronne périurbaine, le socle granitique est profondément altéré et livre les argiles de l’ancienne exploitation desquelles témoigne la toponymie
(cliché B. COMENTALE, 2010)
En poussant plus loin l’analyse géomorphologique à l’échelle du plateau des Mauges dans son entier, on soulignera le paradoxe entre la partie nord et nord-ouest du plateau, où les argiles se présentent sous la forme d’affleurements importants mais limités aux interfluves en raison de l’intense dissection, et la partie sud et sud-est où la dissection apparaît moins poussée du fait d’une moindre densité du réseau hydrographique, ce qui devrait assurer la meilleure conservation d’un éventuel manteau argileux alors que, précisément, celui-ci fait défaut. Cela illustre une question désormais classique de géomorphologie des massifs anciens abordée par maints auteurs, qui traite de la combinaison entre l’épaisseur de l’altération du socle et le degré d’accomplissement de cette altération (comm. pers. D. Sellier) – celle-ci se présentant sous forme d’argile ou bien sous forme d’arène sableuse –, et qui peut être synthétisée selon le schéma suivant (fig. 2).
Figure 2 – Combinaison entre épaisseur et degré d’accomplissement de l’altération du socle, et illustration sur le terrain d’étude
Tout se passe in fine comme si le manteau d’altération, par sa nature et son épaisseur, déterminait les conditions de sa propre conservation, la présence d’un épais manteau argileux comme au Fuilet induisant par sa relative imperméabilité une forte densité du réseau hydrographique qui à la fois compromet la continuité de ce manteau du fait de l’intense dissection, et en assure la conservation sous forme de lanières résiduelles en position d’interfluve ; alors que l’arénisation plus poussée dans le Choletais abaisse la densité du drainage du fait de la plus grande porosité du matériel sableux. Cette opposition est en outre renforcée par la nature du soubassement géologique, le socle de schistes et micaschistes du nord et du nord-ouest des Mauges, riche en feldspaths et en micas, étant plus favorable à l’altération argileuse que le socle pro parte granitique du Choletais dont l’altération se fait tantôt sous forme argileuse (poches de kaolinite au lieu-dit la Terre Blanche au Longeron, au nord de la Sèvre, sur le massif granitique de Mortagne), tantôt sous forme d’arènes (massif granodioritique de Roussay, où les sables ont été exploités lorsqu’ils étaient préservés de l’érosion : lieu-dit La Verrerie ; ou bien ont été entraînés par le ruissellement qui n’a laissé subsister que des boules issues de l’altération : lieu-dit La Pierre-qui-branle à La Séguinière).
3. L’argument de la présence des argiles : un intérêt à nuancer
Le plateau de la Boissière apparaît nettement disséqué par le réseau hydrographique, alors que ses altitudes décroissent rapidement vers l’ouest : 100 m au sud-ouest du village des Tuileries (la Boissière), 87 m à la sortie nord du bourg de la Boissière, 79 m au bourg de la Remaudière. Afin d’en rendre compte, il faut dépasser le constat de la présence des argiles qui n’explique que la genèse d’ensemble du plateau et non la dissection plus récente, opérée par un réseau hydrographique sous dépendance du niveau de la Loire.
Le réseau hydrographique diverge à partir de la coupole sommitale de la forêt de la Foucaudière (104 m) : vers le nord les « coulées », affluentes directes de la Loire (coulée des Robinets qui prend naissance à la bordure nord de la forêt de la Foucaudière ; coulée de Liré) ; vers le sud-ouest une série de ruisseaux s’écoulant vers le marais de Goulaine (3 m), lui-même connecté au niveau de base ligérien ; vers le sud-sud-ouest la Divatte qui, après 5 km de cours, opère un brutal changement à angle droit vers l’ouest-nord-ouest en direction de la Loire. En pareil cas, fréquent dans le Massif armoricain lorsque les données de terrain font défaut du fait de la rareté des affleurements et de la densité du couvert végétal, ce dispositif peut s’analyser en termes d’interférences entre érosion et tectonique.
En effet, la plus forte dissection à la marge occidentale des Mauges s’explique par la proximité de la Loire, dont les variations du niveau de base conditionnent l’encaissement : variations eustatiques sur un pas de temps court (échelle du Quaternaire), variations liées à l’évolution tectonique régionale tardive sur un pas de temps plus long (échelle du Tertiaire). En particulier, en Basse-Loire, la tectonique de blocs basculés qui a, au cours de l’ère tertiaire, affecté la surface post-hercynienne nivelant le socle (Sellier, 1985), s’est traduite par des mouvements différentiels entre blocs effondrés (bassins de Grand-Lieu et de Goulaine), et blocs soulevés où les cours d’eau, rapidement déconnectés du niveau de base ligérien, se sont nettement encaissés. C’est un dispositif fréquent en Loire-Atlantique où nombre d’affluents de la Loire, notamment les « coulées » incapables par elles-mêmes d’inciser vigoureusement leur lit, se trouvent encaissés de plusieurs dizaines de mètres : le Brivet au franchissement du sillon de Bretagne à l’amont de la Brière, le Hâvre à quelques kilomètres de sa confluence avec la Loire. Ce jeu de blocs basculés suffirait à expliquer le changement du cours de la Divatte, d’abord dépendant d’une surface basculée vers le bassin effondré de Goulaine puis, à la suite d’un réajustement tectonique mineur, d’un nouveau système de pente directement vers la Loire. On ne peut toutefois écarter l’exploitation, par l’érosion différentielle, d’alignements tectoniques N 160° le long desquels la roche est fragilisée : il s’agit de fractures secondaires, par rapport à une faille majeure sur laquelle est aligné le coteau du Landreau en bordure des marais de Goulaine (Maillard, 2001), les deux interprétations n’étant pas exclusives l’une de l’autre.
À cette trame se superposent les variations de lithologie entre roches différentes mises sur un même plan topographique : si elles ne jouent pas à l’échelle du plateau, elles s’expriment à l’échelle de détail des modelés, dès lors que se produit l’incision des cours d’eau, qui s’opère à des vitesses différentes selon la nature et les caractères de ces roches à l’affleurement, fissuration et altération conditionnant leur fragilité mécanique. Au nord de la forêt de la Foucaudière, L. Ecault (2008) a montré que le tracé de détail des « coulées » s’explique par ces variations au sein d’un socle métamorphique supposé homogène et peu sensible à l’érosion différentielle :
les roches acides [sont] moins légèrement altérables que les roches basiques plus riches en minéraux sombres comme l’amphibole ou la tourmaline. Le gneiss [riche en quartz] présente ainsi une résistance plus élevée face aux processus d’altération chimique. Les leptynites plus acides que les amphibolites plus basiques peuvent également se retrouver en relief (Ecault, cité, p. 25).
Il en est de même le long du tracé de la Divatte à l’aval de la Boissière : elle traverse par une vallée étroite, encaissée de 50 m entre des versants raides, la lanière du plateau de Landémont armée de leptynites et de gneiss et dominant, vers le sud, une bande d’amphibolites dans laquelle la rivière est moins fortement encaissée. Superposées à la lithologie, dans le même secteur, les courtes failles subméridiennes sur lesquelles sont calqués les coudes de la rivière sont autant de lignes de fragilité qui guident l’érosion par exploitation de plans de broyage (ibid., p. 24).
Conclusion
Ainsi, l’argumentation concernant les argiles d’altération ne permet pas d’exposer en totalité la configuration géomorphologique des lieux. Cependant, dans la mesure où un tel exposé passe par la fréquentation de ces lieux, à la fois par leurs habitants et par des visiteurs extérieurs, il constitue une introduction précieuse au relief en tant que composante d’un patrimoine naturel, mais aussi s’articulant avec le patrimoine culturel (concept de geomorfologia culturale énoncé par M. Panizza). Ce que l’écologie, largement popularisée auprès de publics variés, a pu faire en promouvant le patrimoine biotique, la géomorphologie pourrait le faire en démontrant à ces publics, dont l’usage habituel des lieux est diversifié, qu’il existe un relief digne d’intérêt et d’illustration : dans les Mauges, les argilières abandonnées du Fuilet, étangs gagnés par la forêt et occupés par une faune ad hoc, ont fait l’objet de classements divers, au titre de milieux « naturels » à préserver (CPIE Loire et Mauges, 2006). La question du patrimoine culturel apparaît plus délicate : si la patrimonialisation est effective au Fuilet, en réaction à la disparition d’un artisanat rural in fine réhabilité sur un mode touristique et identitaire, elle ne l’est pas dans les aires de Loire-Atlantique limitrophes des Mauges, entre autres parce que l’utilisation de l’argile est encore une activité de travail. Et dans un tel cadre, la priorité n’est sans doute pas à la perpétuation d’une mémoire des communautés de potiers et de tuiliers/briquetiers des XIXe et XXe siècles. Pourtant, le succès enregistré sur les sites argiliers de la Boissière, la Remaudière et Vallet lors des Journées du patrimoine en septembre 2011 (environ 250 visiteurs, d’après le bulletin municipal de la Boissière d’octobre 2011) inciterait à penser que l’intérêt et la curiosité, pour les témoignages matériels d’un passé rural relativement récent, vont croissant. C’est dire combien ces territoires de l’argile, aux toponymes caractéristiques et aux villages de configuration singulière, disséminés dans des landes trouées d’argilières à l’abandon, pour l’instant cachées à la vue des visiteurs, constituent les objets d’un patrimoine culturel et naturel en devenir.