Notion récente, l'habitat inclusif est défini comme « un arrangement de fonctions et de dispositifs de droit commun, mis en œuvre pour créer les conditions d'un habitat qui favorise la vie chez soi et dans la cité » (Charlot, 2016). Le Comité interministériel du handicap (CIH) du 2 décembre 2016 proposait de développer l'habitat inclusif en réponse à la demande des personnes handicapées de choisir leur lieu de vie. Il s'agit de construire une alternative au maintien à domicile et à la vie en établissement. Positionnée comme chef de file de la démarche nationale en faveur de l'habitat inclusif par le secrétariat d'État aux personnes handicapées, la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) s'associe avec la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) et la Caisse nationale solidarité et autonomie (CNSA) pour co-présider l'observatoire de l'habitat inclusif, installé le 10 mai 2017.
Ainsi, le gouvernement français, à travers l'observatoire de l'habitat inclusif, met en œuvre une politique publique de l'habitat inclusif pour les personnes âgées et/ou handicapées. Cette politique associe projets urbain et social. Les textes d'applications de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi ELAN, faisant entrer l'habitat inclusif dans le droit commun, sont parus en juin 2019. Un décret précise les modalités d'application de l'article 129, notamment les conditions de versement du forfait habitat inclusif et un arrêté définit le cahier des charges national autour de la question de la vie sociale et partagée de l'habitat. En ce sens, l'habitat inclusif associe une offre de services partagés en adéquation avec les besoins des personnes âgées ou en situation de handicap et un environnement urbain adapté et sécurisé. L'ambition ici est de garantir l'inclusion sociale et spatiale des habitants du quartier en leur permettant d'être autonome à domicile.
Les départements soutiennent des projets « expérimentaux » d'habitats inclusifs. Par exemple, un appel à projets conjoint entre l'Agence régionale de santé des Pays de la Loire, le département de la Loire-Atlantique et Nantes Métropole, est lancé dès 2018. Dans ce contexte, un cahier des charges est élaboré à destination des acteurs qui souhaitent « participer à la démarche d'habitat inclusif du “vivre autonome sans être seul” sur le territoire départemental ». L'observatoire du département de la Loire-Atlantique publie, en mars 2019, une première cartographie des projets d'habitats inclusifs à destination des personnes en situation de handicap. 36 projets sont recensés à l'échelle du département. 11 sont localisés à Nantes, dont le projet porté par l'Association pour adultes et jeunes handicapés de Loire-Atlantique (APAJH 44).
Le projet de l'APAJH 44 propose de mettre en place de l'habitat inclusif autour de l'internat Anne de Bretagne, dans le quartier Chantenay/Sainte-Anne à Nantes. Gestionnaire de cet internat, qui accueille actuellement des jeunes en situation de handicap et en formation continue, l'APAJH 44 souhaite faire de l'internat un espace de vie sociale et partagée au cœur du quartier. Ce projet d'habitat inclusif de l'association répond au souhait des jeunes adultes en situation de handicap de choisir leur lieu de vie. Pour appréhender les conditions de logement, le cadre de vie, la sociabilité et l'accessibilité du quartier Chantenay/Sainte-Anne pour les personnes handicapées, l'APAJH 441 a passé commande d'un diagnostic territorial auprès de l'Institut de Géographie et d'Aménagement Régional de l'Université de Nantes (IGARUN)2.
L'article s'articule autour de deux parties. La première porte sur la démarche méthodologique adoptée et la définition du périmètre d'études. La seconde se concentre sur les résultats de l'enquête menée au printemps 2019. Enfin, des pistes de recherche théoriques et méthodologiques seront présentées en conclusion.
Méthodologie
Définir le périmètre d'étude
À l'échelle des quartiers nantais, la localisation des projets d'habitats inclusifs est soumise à plusieurs contraintes : la disponibilité du foncier permettant de construire un ensemble résidentiel comprenant des logements adaptés aux besoins des personnes handicapées et/ou âgées, la présence de logements adaptés déjà existants et enfin l'accessibilité et la qualité de l'environnement du quartier. Dans ce contexte, la présence de commerces, services et équipements de proximité, les solidarités et le sentiment de sécurité dans le quartier sont autant de critères auxquels les personnes handicapées portent leur attention. Pour ces raisons, la première étape de cette recherche pose les bases d'un diagnostic de territoire appliqué à la qualité de l'environnement urbain et social autour de l'internat Anne de Bretagne.
Le projet d'habitat inclusif autour de l'internat Anne de Bretagne, porté par l'APAJH 44, est situé dans le quartier Bellevue/Chantenay/Sainte-Anne (photo 1). Ce quartier défini par la ville renvoie à un échelon administratif pour sa structuration et sa gestion. D'une superficie de 7,3 km² et comptabilisant près de 25 000 habitants, le quartier Bellevue/Chantenay/Sainte-Anne est caractérisé par sa proximité avec le centre-ville de Nantes. Sa fonction résidentielle est composée de trois secteurs, l'un à dominante pavillonnaire autour de Chantenay et Sainte-Anne, l'autre composé de grands ensembles à Bellevue et un troisième structuré autour des zones industrielles sur les rives de Loire. In fine, le périmètre d'étude est défini en fonction de la localisation de l'internat Anne de Bretagne et du territoire de vie de ses riverains.
Photo 1 - Vue sur Nantes depuis l'esplanade Jean Bruneau, rue de l'Hermitage, quartier Bellevue/Chantenay/Sainte-Anne
Crédit photo : H. BIZON, M. DÉJARDINS, 2019
Patrick Fougeyrollas identifie plusieurs variables à prendre en compte dans le Processus de production du handicap (PPH), notamment l'interaction entre les facteurs personnels et environnementaux (Fougeyrollas, 2002). Ce cadre conceptuel permet de considérer le milieu de vie dans lequel la personne évolue. Cette approche reconnaît que la participation sociale ou la situation de handicap est le résultat d'une interaction entre les facteurs personnels et environnementaux dans une situation donnée. Que les populations soient handicapées ou non, leurs points communs résident dans le souhait de vivre en autonomie « chez soi », dans un environnement accessible et de qualité. Or, la qualité de l'environnement résidentiel dans l'espace urbain peut varier selon la composition de la population du quartier, la morphologie fonctionnelle et la présence de services et d'équipements à proximité des logements (Cliché et al., 2012). Le choix résidentiel des jeunes adultes handicapés est souvent contraint, entre le maintien à domicile et l'établissement ; dès lors la perspective d'un logement adapté et équipé de services dans un environnement résidentiel de qualité apparaît comme une alternative à considérer.
Les travaux menés par Paula Négron Poblète et Sébastien Lord (2014), Brigitte Nader (2012), Béatrice Chaudet et Pierre-Marie Chapon (2014) s'accordent à définir le territoire de vie autour du domicile de la personne âgée et/ou handicapée entre 0,5 km² et 1,6 km². La morphologie fonctionnelle de l'espace urbain, la proximité géographique des services et équipements les plus courants et les pratiques spatiales des habitants constituent les éléments clés de la délimitation du périmètre retenu : ce dernier s'étend à 750 mètres autour de l'internat Anne de Bretagne (fig.1).
dans le quartier Chantenay/Sainte-Anne à Nantes
L'analyse de la qualité de l'environnement urbain à cette échelle permet une caractérisation plus fine des pratiques sociales et spatiales des habitants au sein du quartier. Il est essentiel de rappeler ici que le caractère inclusif du projet de l'association APAJH 44 repose sur la création d'un espace de vie sociale et partagée avec les habitants du quartier qui résident à proximité de l'internat. Dans ce contexte, le diagnostic de la qualité de l'environnement urbain de l'internat est proposé à partir d'une série d'entretiens exploratoires suivie d'une enquête par questionnaires intitulée « L'Habitat, le voisinage et la vie de quartier des habitants du quartier Chantenay/Sainte-Anne ».
L'enquête par entretien et questionnaire
Le questionnaire utilisé pour cette étude s'appuie sur les réponses fournies par les acteurs locaux rencontrés lors d'une série d'entretiens exploratoires. Ces derniers s'inscrivent dans le cadre d'une démarche qualitative « mobilisée pour obtenir des informations quand les sources manquent » (Morange et Schmoll, 2016). Trois types d'acteurs ont été rencontrés : les professionnels du secteur médico-social pour adultes handicapés (SAMSAH), les membres d'associations engagées dans l'inclusion auprès des habitants du quartier (APAJH 44, Utopiafs) et les acteurs impliqués dans la vie du quartier (chargée de quartier, gestionnaire de la maison de quartier, l'association des commerçants, membre du Conseil nantais d'accessibilité universelle (CNAU)). Au-delà des acteurs du quartier Chantenay/Sainte-Anne à Nantes, le projet d'habitat inclusif envisagé pour l'internat Anne de Bretagne a été comparé aux deux modèles d'habitats inclusifs suivants (tab. 1) : la maison des Quatre (Le Mans) et la résidence Saint-Cyr (Rennes). La localisation de ces structures à proximité de pôle de commerces et services courants présente un atout essentiel pour l'inclusion des personnes handicapées dans le quartier.
Tableau 1 - Comparaison de modèles d'habitats inclusifs : l'internat Anne de Bretagne (Nantes), la résidence St-Cyr (Rennes) et la maison des Quatre (Le Mans)
À cette démarche qualitative, s'ajoute une approche plus quantitative avec une enquête par questionnaire. Les questionnaires ont été administrés en face-à-face au domicile des habitants (61,2 %), dans l'espace public comme les parcs et marchés du quartier (22,3 %), dans des lieux associatifs (15,6 %) et pour 2 d'entre eux par téléphone. La durée moyenne du questionnaire était de 20 minutes. Un panel de 217 personnes a été interrogé dans le quartier Chantenay/Sainte-Anne, soit 2,5 % de la population totale du quartier (tab. 2). L'enquête ne déroge pas à l'écueil de la collecte de données en sciences sociales : la surreprésentation parmi les répondants des femmes et des retraités. En termes de PCS, les professions intermédiaires sont sous-représentées (5 %), tandis que la part des employés et celle des retraités sont surreprésentées (respectivement 3 % et 15 %). Les 18-29 ans des deux sexes sont, quant à eux, sous-représentés, contrairement aux 45 ans et plus (particulièrement les femmes de 60 ans et plus).
Cette enquête s'intéresse aux conditions de logement, au cadre de vie, à la sociabilité dans le quartier Chantenay/Sainte-Anne ainsi qu'à l'accessibilité des personnes handicapées et/ou âgées dans ce quartier. Cinq thèmes ont été abordés dans le questionnaire : la qualité de vie dans le quartier (thème 1), la satisfaction des habitants à l'égard de l'offre de mobilités, de commerces et d'équipements (thème 2), la fréquentation des lieux structurants du quartier (thème 3), la facilité des déplacements (thème 4), enfin les relations de voisinage (thème 5).
L'enquête par questionnaire, par son analyse fine de l'environnement social et spatial de l'internat Anne de Bretagne, est un préalable incontournable au lancement du projet d'habitat inclusif. Les résultats de l'enquête offrent des indications précieuses pour étudier de quelle manière un habitat inclusif et des personnes en situation de handicap peuvent s'intégrer dans ce quartier.
Résultats et analyse de l'enquête
Cette enquête rend compte de l'attractivité du quartier selon ses habitants. Elle analyse les perceptions des habitants en lien avec l'accessibilité de leur quartier à travers des questions sur la facilité des déplacements piétonniers, la praticabilité des trottoirs, l'adaptabilité du quartier pour les personnes en situation de handicap, etc. Elle qualifie les relations sociales au sein du quartier à travers des questions sur les relations de voisinage, notamment sur la fréquence des rencontres, les échanges entre voisins, le type de relation entretenue, etc.
Un quartier attractif où il fait bon vivre
L'attractivité du quartier renvoie à la qualité du cadre vie et à sa composition résidentielle. Les personnes interrogées vivent en moyenne depuis 19 ans dans le quartier et 14 ans dans leur logement actuel. Les propriétaires sont en moyenne dans le quartier depuis 25,5 ans, quand les locataires ne le sont que depuis un peu plus de 9 ans. 80 % (102 personnes) des propriétaires interrogés habitent dans une maison individuelle et 80 % (72 personnes) des locataires vivent dans un immeuble collectif. On observe donc un faible mouvement résidentiel des habitants enquêtés, qu'il convient de relativiser compte tenu d'un plus fort taux de réponse enregistré dans des maisons individuelles (59 %) que dans des immeubles (41 %).
Pour ce territoire, la question du déménagement ne semble pas être une priorité, 70 % des habitants interrogés n'envisageant pas de déménager dans les deux ans à venir. Parmi les 30 % ayant répondu « Oui » ou « Je ne sais pas » à la question d'un possible déménagement dans les deux ans, seuls 48 % (24 individus) d'entre eux envisagent de changer de quartier pour des raisons telles un changement de commune de résidence, le prix du loyer, une mutation professionnelle.
Avec la question « De manière générale, si vous aviez à qualifier votre quartier, vous diriez qu'il est plutôt...? », le quartier est perçu par ses habitants comme agréable, calme et sûr pour plus de 80 % d'entre eux (fig. 2). La sensation d'un quartier agréable se confirme avec une note moyenne attribuée au quartier de 8/10 en tant qu'endroit pour vivre, et 26 enquêtés lui donnent la note de 10/10.
Les personnes interrogées ont insisté sur le cadre et la qualité de vie comme raison principale d'installation dans le quartier (36 %). Environ 28 % des résidents s'y installent pour des raisons familiales ou amicales. Le quartier est qualifié « de tout âge » par 90 % des répondants avec la remarque récurrente d'un rajeunissement de la population d'après les plus anciens résidents du quartier. Caractérisé par la stabilité résidentielle de ses habitants, il est aussi perçu comme un territoire intergénérationnel accueillant.
Les habitants considèrent ce quartier comme bien pourvu en commerces de premier ordre (commerces d'alimentation, de bien-être, restaurant, tabac, presse) : 80 % des enquêtés ont dit être satisfaits de l'offre proposée. 37 % des enquêtés ont d'ailleurs qualifié le quartier de « commerçant ». Le quartier dispose également des équipements nécessaires aux attentes des habitants dans les domaines administratifs, associatifs, culturels, d'éducation, de santé... et le taux de satisfaction en matière d'équipements atteint 90 % pour les parcs, squares, jardins... Enfin, la quasi-totalité des personnes interrogées est satisfaite de l'offre de transports publics (tramway, bus). Ces résultats reflètent une satisfaction quasiment unanime des habitants pour l'offre de commerces et d'équipements présents dans le quartier. Disposer d'un ensemble de commodités facilement accessibles au quotidien est un atout majeur pour la mise en place d'un habitat inclusif dans le quartier.
Outre la présence des équipements et services, le questionnaire interroge la fréquentation des lieux structurants du quartier par ses habitants. Parmi les équipements présents, le commerce de proximité Intermarché est amplement fréquenté par les personnes enquêtées (94 %) suivi des espaces verts : parc des Oblates et square Maurice Schwob (photo 2) respectivement pratiqué par 82 % et 77 % des enquêtés. Les bibliothèques connaissent en revanche des taux plus modestes de fréquentation : 38 % des habitants se rendent à la bibliothèque de Chantenay et la fréquentation de la médiathèque Lisa Bresner à quelques arrêts de tramways n'est guère plus favorable. Par ailleurs, seules 30 % des personnes interrogées déclarent fréquenter les jardins collectifs du quartier et 16 % utilisent un composteur collectif. L'Association pour le maintien d'une agriculture paysanne (AMAP), quant à elle, est encore moins fréquentée (9 %). C'est toutefois un taux relativement élevé, qui pourrait croître compte-tenu de la forte demande des habitants pour accéder à des produits en circuit court ; l'association, comme beaucoup d'autres à Nantes, dispose d'une longue liste d'attente pour pouvoir y adhérer. Ces données s'expliquent par la part des personnes interrogées en maison individuelle avec jardin.
En outre, l'enquête par questionnaire a mis en avant la dynamique associative du quartier. Ainsi, la maison de quartier Le Dix est un lieu attractif dans le quartier, fréquentée par plus de la moitié des personnes interrogées (53 %). Et plus généralement, 32 % des habitants sont membres ou fréquentent une association au sein du quartier, démontrant une forte implication dans la dynamique associative du quartier.
Solidarités de voisinage : pilier de l'habitat inclusif
L'ancrage résidentiel des habitants du quartier et la proximité résidentielle imposent le partage des espaces communs, qu'il s'agisse du hall d'immeuble, des cheminements autour du domicile, de l'accès aux commerces et services. Les habitants apprennent à se connaître lors des rencontres dans la rue, dans les halls d'immeuble ou autour de chez eux (pour 77 % des enquêtés). En outre, il n'est pas rare que lors d'un emménagement, les voisins viennent se présenter. Toutefois, proximité résidentielle et solidarité de voisinage ne sont pas systématiques. Pour cette raison, l'enquête interroge plusieurs aspects des relations entre voisins. Près de 90 % de notre échantillon affirment connaître des personnes dans le quartier ; pour la moitié d'entre eux, le nombre de personnes connues est supérieur à dix. Les fêtes de quartier ou la présence de leurs enfants dans des associations ou à l'école, et l'ancienneté dans le quartier sont autant d'éléments susceptibles de justifier cette forte interconnaissance.
Au-delà de l'identification de ces voisins, les questions suivantes avaient pour but de qualifier la nature des relations entre voisins : 80 % des interrogés déclarent rencontrer en moyenne une fois par semaine leurs voisins et 90 % entretiennent avec ceux-ci des relations amicales ou cordiales. Les solidarités de voisinages dépassent la seule connaissance des habitants proches, lorsqu'elles s'étendent aux échanges de services, soutien entre voisins. 25 % des répondants ont fait connaissance avec leurs voisins par l'intermédiaire de l'organisation d'événements (fêtes de quartier, apéros, barbecues). L'enquête révèle que les habitants interrogés peuvent compter sur quatre voisins (équivaut à quatre logements) en cas de besoins prévu ou imprévu, ce qui confirme cette bonne relation entre voisins. De plus, 3/4 des personnes interrogées affirment se rendre régulièrement des services entre voisins. Ces services sont divers et variés, puisqu'ils peuvent être de l'ordre du dépannage quotidien, du bricolage, des courses, de la garde d'enfants ou d'animaux, du prêt alimentaire, ou encore de la réception des colis (fig. 3). Ces chiffres témoignent des sociabilités et de la volonté d'entraide entre les habitants.
Fort de l'interconnaissance entre voisins, des relations sociales et de solidarités évoquées par les habitants du quartier, le projet d'habitat inclusif et d'espace de vie sociale et partagée prend tout son sens autour de l'internat Anne de Bretagne. En plus des services à la personne dont les résidents de l'habitat inclusif bénéficient, l'entraide entre voisins pourrait aussi être un atout majeur du projet d'habitat inclusif. Toutefois, il importe d'aller plus loin dans l'analyse des formes de solidarités entre voisins : observe-t-on des particularités lorsqu'il s'agit de solidarités et d'entraide auprès de jeunes handicapés ? L'environnement social des personnes âgées ou handicapées est principalement composé de la famille, des proches, des relations de voisinage et des services professionnels (Druhle et al., 2008). Si les relations avec la famille et les proches sont documentées (CAF, 2004, Bonvalet et Ogg, 2005, Attias-Donfut et Segalen, 2007), celles qui explorent les relations de voisinage et les solidarités qui sont susceptibles de s'y développer sont moins connues.
Dans cette optique, la prochaine étape de la recherche consiste à explorer la perception de l'habitat, des relations de voisinage et de la vie de quartier des personnes handicapées du quartier Chantenay/Saint-Anne. Il s'agit d'appréhender avec les personnes handicapées leurs choix résidentiels, leurs habitudes de vie et leurs modes d'habiter afin d'identifier les pratiques et usages de l'espace de vie sociale et partagée de l'internat Anne de Bretagne. Comme le soulignent Jean-François Ravaud et Patrick Fougeyrollas (2005), la participation sociale de la personne handicapée est considérée comme optimale lorsque les habitudes de vie sont réalisées sans entraves.
Mobilité piétonne autour de l'internat Anne de Bretagne : une accessibilité différenciée
La qualité de l'environnement résidentiel conditionne les pratiques et usages des espaces proches du domicile des personnes en situation de handicap. Selon P. Mormiche (2000), 40 % de la population ressent parfois une gêne et des difficultés à se déplacer, à accéder aux transports, à évoluer dans leur quartier. L'accessibilité concerne donc chacun d'entre nous et pas seulement les personnes handicapées. Rappelons que la notion d'habitat inclusif lie indissociablement le logement à son environnement. Ici, la pratique de la marche autour de l'internat Anne de Bretagne et la perception des aménagements urbains ont été explorées au cours de cette enquête.
Précisons d'emblée que 85 % des enquêtés disent qu'il est facile de s'orienter dans le quartier. Ce résultat est le reflet de l'ancrage au quartier des personnes interrogées (installées depuis 19 ans en moyenne). À cela s'ajoute les perceptions des enquêtés au sujet de la circulation dans le quartier : 70 % des personnes interrogées pensent que la circulation dans les rues et les boulevards du quartier est facile, 75 % n'éprouvent pas de difficultés majeures pour traverser le boulevard René Coty et rejoindre la ligne 1 du tramway. Malgré une topographie marquée par un dénivelé important entre le quartier et les bords de Loire, 90 % des enquêtés estiment qu'il est facile de rejoindre les bords de Loire.
Même si la majorité des personnes interrogées estiment qu'il est facile, voire très facile de se déplacer à pied, seules 35 % d'entre elles déclarent qu'il est facile de se déplacer avec une poussette, une valise ou en fauteuil roulant dans le quartier. 35 personnes ont déclaré être en situation de handicap ou avoir un membre de leur entourage dans cette situation, soit près de 20 % de l'échantillon. À la question, « pensez-vous que le quartier de Chantenay/Sainte-Anne est adapté aux personnes avec un handicap visuel, auditif, intellectuel ou moteur ? », la réponse est négative pour 68 % des personnes. La qualité des trottoirs est l'obstacle principal aux cheminements des piétons en situation de handicap, âgés ou habitants du quartier. La topographie du quartier, le manque de dispositif pour les différents types de handicap (signaux sonores, visuels, rampe d'accès...) ainsi que l'absence d'accessibilité de certains Établissements recevant du public (ERP) peuvent être autant de freins à la pratique de la marche et usages des services et commerces de proximité.
Les observations menées dans les rues adjacentes de l'internat Anne de Bretagne confirment que la qualité des trottoirs est un facteur limitant les possibilités de déplacements piétons et la pratique de la marche. À partir de relevés de terrain, il est possible de distinguer trois types de segments de rues pour lesquels la qualité des cheminements sur le trottoir varie. Le premier concerne les rues où les trottoirs sont suffisamment larges pour permettre à un individu de marcher sans obstacle de chaque côté de la rue. Le deuxième correspond aux tronçons de rue dont l'un des trottoirs n'offre pas une circulation piétonne sécurisante. Enfin, le troisième type correspond aux rues pour lesquelles les trottoirs peuvent représenter un danger, comme imposer de descendre du trottoir trop étroit pour marcher sur la rue (fig. 4).
La figure 4 met en exergue une facette de l'accessibilité du quartier à travers l'observation de la continuité du cheminement sur les trottoirs. Les 3 photographies illustrent une accessibilité piétonne différenciée : à gauche une traversée du tramway rendue accessible, au centre une accessibilité partielle (un seul trottoir praticable à pied), à droite des trottoirs impraticables soulignant la difficulté d'aménager des rues d'un quartier ancien.
D'après les habitants, à travers les entretiens, le questionnaire et les relevés de terrain, le premier élément cité par les enquêtés est la largeur et le revêtement des trottoirs ce qui renvoie aux besoins des populations à mobilité réduite au sens large (Bodin, 2003) ; l'accessibilité cognitive de l'habitat (Gardien, 2019) n'est quant à elle que peu évoquée par les enquêtés. Les travaux de F. Raulin, S. Lord et P. Negron Poblete (2016) soulignent que l'évaluation de la marchabilité ne se limite pas à la continuité des trottoirs, mais comporte un ensemble de critères tels que les caractéristiques de la chaussée, la continuité du trottoir, les traversées, le type d'espace public, de mobilier urbain, etc. En effet, la topographie et l'ancienneté du quartier influent fortement sur les aménagements de l'espace public et de son accessibilité.
L'enjeu est ici de considérer les besoins de l'ensemble des populations en situation de handicap visé par la loi n° 2005-102 en faveur de l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
En définitive, le diagnostic du territoire Chantenay/Sainte-Anne, proche du centre-ville de Nantes, met en lumière les atouts de ce quartier : une bonne desserte des transports en commun et des arrêts de tramway ou de bus accessibles, la présence des services et commerces de proximité et une dynamique associative soutenue. Les habitants de ce quartier résidentiel semblent satisfaits de leur cadre de vie, ils s'y sentent bien et n'aspirent pas à changer de quartier. Les solidarités et les bonnes relations de voisinage sont de véritables atouts dans la perspective de ce projet d'habitat inclusif. Pour autant, le quartier Chantenay/Sainte-Anne présente quelques faiblesses en termes de marchabilité et d'accessibilité.
Perspectives
Un projet d'habitat inclusif pour personnes handicapées et/ou âgées ne doit pas seulement se résumer à l'offre de logements adaptés. Le concept d'habitat, défini comme l'« organisation des espaces de vie des individus et des groupes » (Lussault, 2003), comprend le logement et l'environnement social et spatial du lieu de vie. Autrement dit, il ne peut y avoir d'habitat inclusif sans un environnement (social et/ou spatial) inclusif. Or les logiques institutionnelles et les appels à projets d'habitats inclusifs n'intègrent pas encore systématiquement la qualité de l'environnement résidentiel au même titre que la présence de logements adaptés. De fait, le lien entre le logement et l'environnement est encore largement sous-estimé, parfois impensé, lors de l'élaboration du projet qui est encore trop centré sur la conception du logement et va à l'encontre même des principes de la ville inclusive.
Pour répondre à l'un des principes de l'habitat inclusif, l'internat Anne de Bretagne projette d'adosser un espace de vie sociale et partagée aux logements groupés (les logements de l'immeuble dans lequel se trouve l'internat) et diffus (des logements dans un rayon de 750 m autour de l'internat). Il s'agit de permettre aux personnes accompagnées d'être titulaires de leur bail et de leur offrir une autonomie, en proposant des logements individuels adaptés dans un environnement résidentiel de qualité. Les logements se situeront dans les rues adjacentes à l'internat.
Les observations, entretiens et résultats de l'enquête par questionnaire ont fait émerger des propositions, parmi lesquelles on peut retenir : un partenariat avec des producteurs locaux permettrait aux habitants du quartier d'accéder à un panier de fruits, légumes, etc. (AMAP, dépôt de pain…) ; un accompagnement des commerçants, associations et habitants du quartier dans leur démarche d'autonomie, d'accès au numérique et de mise en accessibilité.
En conclusion, le défi de l'habitat inclusif consiste à prendre en compte les expériences d'habiter, les attentes des personnes en situation de handicap en termes d'offre de logements et de qualité de l'environnement résidentiel. C'est dans ce contexte que nous envisageons une recherche action participative permettant d'adapter l'offre d'habitat en direction des personnes handicapées. Fondée sur un protocole méthodologique participatif, cette recherche a pour ambition de prendre en considération les attentes des personnes handicapées elles-mêmes, ainsi que la qualité de l'environnement résidentiel ; celui-ci comprend le logement, l'immeuble et le quartier dans lequel il est situé.