Les voies privées à Nantes

Résumé

À ce jour, peu de travaux ont été réalisés sur les voies privées urbaines, d’où la nécessité de mieux connaître ce phénomène, surtout dans une ville comme Nantes, où 29 % des voies (840 sur 2 913) sont privées selon le fichier constitué par Nantes Métropole. Notre approche vise avant tout à mesurer et à décrire cet objet géographique, grâce à la mise au point d’une grille de renseignements complétée par la prise de vues photographiques et couplée à un support cartographique, de façon à élaborer un système d’information géographique. L’analyse montre ainsi que les voies privées nantaises sont présentes dans tous les secteurs de la commune, du centre ville aux quartiers périphériques. La voie en forme d’impasse est de loin la plus répandue, avec 84 % du total. Toutefois, le statut privé de ces rues ne signifie pas, pour la plupart d’entre elles, la fermeture, car seulement 11 % sont fermées physiquement. La présence de 83 barrières ou portails rend néanmoins cette fermeture particulièrement visible dans le paysage de la ville, en matérialisant de véritables frontières entre le tout public et le tout privé. à la privatisation de droit se surimpose en effet une privatisation d’usage dans une petite centaine de rues, ce qui favorise la multiplication d’enclaves résidentielles à l’accès réservé.

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Mots-clés

voies privées, fermeture résidentielle, Nantes, France

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La voie privée, surtout si elle est fermée physiquement par une barrière ou un portail automatique, constitue l’une des figures de la ville privée ou privatisée, au même titre que les enclaves résidentielles fermées. Ce thème de recherche récent est particulièrement en vogue (Billard, Chevalier, Madoré, 2005 ; Glasze, Webster, Frantz, 2006), comme en témoigne la mise en place, à la fin de la décennie quatre-vingt-dix, d’un réseau de recherche internationale sur les gated communities1 par G. Glasze, de l’Institut de géographie de Mayence (Allemagne). Certes, toutes les voies privées ne sont pas fermées, loin s’en faut. Cependant, la présence de barrières à l’entrée de certaines voies tend à rendre le phénomène de fermeture particulièrement visible dans le paysage urbain, tout particulièrement à Nantes, où la présence quasiment d’une centaine de barrières à l’entrée de rues privées frappe immédiatement les esprits.

À ce jour, peu de travaux ont été réalisés sur les voies privées urbaines. De fait, la nécessité de mieux connaître l’ampleur du phénomène à Nantes nous conduit à privilégier une triple approche, portant à la fois sur les aspects juridiques, spatiaux et morphologiques des voies privées, mais excluant toute démarche visant à mieux comprendre les déterminants de ce phénomène. Il s’agit donc avant tout de mesurer et de décrire cet objet géographique, préalable incontournable avant toute tentative d’explicitation des ressorts qui le sous-tendent.

1. Qu’est ce qu’une voie privée ?

Au niveau juridique, la voie privée est un cas emblématique où règne, bien souvent, une confusion permanente. Les voies privées cristallisent à elles seules les multiples conflits juridico-administratifs qui peuvent exister à l’échelle d’une ville entière. Ces problèmes concernent les riverains des voies en premier lieu, mais pas seulement. Les pouvoirs publics sont aussi amenés à se poser de nombreuses questions sur la façon de gérer ces voies. Quant aux non riverains, soit ils ignorent le statut privé des voies, soit ils le connaissent et hésitent à les emprunter. Tous ces problèmes sont principalement dus au fait que la voie privée se situe à une charnière entre le droit privé et le droit public et qu’elle n’est pas toujours physiquement distincte du reste de la voirie publique. Autrement dit, elle constitue une forme de transition entre le tout public et le tout privé, entre le dehors et le dedans.

Une voie privée peut être créée librement par un particulier, sous réserve des dispositions relatives à la construction et à l’urbanisme, et celles des articles L.1 et L.2 du Code de la santé publique. Ainsi, un anneau circulaire construit dans une parcelle et sans aucun débouché sur la voie publique peut tout à fait être considéré comme une voie privée. Sa construction constitue un acte de libre jouissance de la propriété et ne nécessite aucune autorisation. Néanmoins, ce type de voie n’a que peu d’intérêt en matière d’étude et il n’implique pas de problématique public/privé. Nous nous intéresserons ici uniquement aux voies ayant un débouché sur la voie publique. Pour une meilleure approche du sujet, il est nécessaire de répondre à quatre questions : comment se sont constituées les voies privées ? À qui appartiennent-elles ? Comment sont-elles gérées ? Sont-elles ouvertes à la circulation publique ou non ?

Bien que certaines voies privées soient relativement récentes, elles sont souvent des situations héritées, étant liées « historiquement à des opérations spéculatives de promoteurs créant des lotissements au sein de parcelles profondes et à un mode d’urbanisation où la puissance publique ne se souciait guère de la desserte des nouveaux îlots » (Joinet, 2000). Du fait de cette ancienneté, le statut juridique des voies n’est pas toujours connu. Ainsi, sur la commune de Nantes, en particulier dans les quartiers anciens, la communauté urbaine recense 230 voies au statut « inconnu ». La question est particulièrement délicate et pose notamment des problèmes en matière de gestion et d’entretien.

Les voies privées peuvent appartenir à un ou plusieurs propriétaires, personnes physiques ou morales. Elles sont régies par les règles de droit commun en matière de propriété et sont donc aliénables et prescriptibles. Généralement, elles appartiennent à plusieurs propriétaires. Dans le cas de propriété unique, il s’agit le plus souvent d’un héritage épargné par les démantèlements successoraux, et quelquefois de la propriété d’un bailleur social qui possède et gère un ou plusieurs immeubles riverains. Les voies privées sont bien souvent gérées par une structure de type copropriété. Celle-ci réunit les copropriétaires autour d’un objectif commun : la gestion et l’entretien de la voie. Les choses ne sont pourtant pas si simples, surtout en milieu urbain, car au sein d’une même voie privée peut se trouver un grand nombre de propriétaires et même de copropriétaires (dans le cas d’immeubles) aux intérêts parfois divergents.

En termes de gestion des voies privées, la diversité prime : association syndicale autorisée, association syndicale libre, syndic de copropriété, association loi 1901, gérant de propriété unique, voire même (parfois) absence de gestion. L’association syndicale autorisée (ASA) est la forme la plus courante à Nantes, même si elle reste rare à l’échelon national (Joinet, 2000). Il en existe 172 sur la commune. Elle est considérée comme un établissement public, les propriétaires étant alors soumis à un certain nombre d’obligations légales. La constitution de l’association peut être autorisée par l’autorité administrative (dans le cas nantais : la communauté urbaine), lorsque la majorité des propriétaires représentant au moins les deux tiers de la superficie des propriétés ou les deux tiers des propriétaires représentant plus de la moitié de la superficie des propriétés s’est prononcée favorablement. L’originalité nantaise réside dans le fait que le secrétaire de l’ASA est un employé de la communauté urbaine Nantes Métropole (au total, il en existe trois, répartis sur différents secteurs de la commune). La trésorerie est quant à elle gérée par la mairie, le tout réglementé par la préfecture et contrôlé par la cour générale des comptes. Le fait que l’ASA soit un établissement public lui confère une certaine cohérence et de surcroît elle est soumise à des contrôles rigoureux. Enfin, l’absence de structure n’est pas rare. À Nantes, les nombreuses rues de l’ouest de la ville (notamment dans le quartier Zola), non goudronnées et très mal entretenues, ne disposent souvent d’aucun mode de gestion en commun.

Le statut privé d’une voie ne prédétermine en aucune façon l’usage qu’en font les non riverains. Certaines voies ne se distinguent ainsi nullement des rues publiques, car elles sont entièrement ouvertes à la circulation piétonne et automobile. Cette ouverture d’une voie privée à la circulation publique n’affecte en aucun cas le caractère privé de la voie (celle-ci n’est pas versée dans le domaine public) : les propriétaires peuvent à tout moment en interdire l’usage, en usant alors de leur droit de propriété. À l’inverse, d’autres voies privées sont fermées par la pose d’une grille, d’une borne, d’une chaîne, d’un portail, voire symboliquement par un panneau en interdisant l’accès, en particulier lorsque les riverains souhaitent garder à la voie son caractère privé et éviter en particulier la circulation et le stationnement des automobiles.

2. Gestion des voies privées par les pouvoirs publics

Les voies privées font partie intégrante de la voirie urbaine. Il existe bien souvent des services « voies privées » au sein des mairies des plus grandes villes. À Nantes, c’est la communauté urbaine (Nantes Métropole) qui prend en charge la question des voies privées depuis le 1er Janvier 2001. Ce transfert de compétence à Nantes Métropole s’est traduit par la rédaction d’un règlement commun aux vingt-quatre communes.

Même ouverte à la circulation publique, une voie privée reste propriété privée tant qu’une décision du conseil municipal ou de l’autorité compétente la classant en voie publique n’est pas intervenue. Il est nécessaire de revenir sur l’aspect juridique de ces classements au travers de l’article L. 318-3 du Code de l’urbanisme relatif aux classements d’office des voies privées dans le domaine public. Cette mesure ne s’applique qu’aux voies privées ouvertes à la circulation dans un ensemble d’habitations. Ce n’est qu’après enquête publique que la voie pourra être transférée dans le domaine public, sans paiement aux propriétaires d’une indemnité de dépossession. Cette décision de l’autorité administrative éteint par elle même et à sa date tous droits réels et personnels qui existent sur les biens transférés.

En règle générale, chaque commune dispose de ses propres critères en matière de classement des voies privées dans le domaine public. La plupart du temps, deux critères sont exigés par les municipalités pour donner une suite favorable à une demande de changement de statut : « un état correct de la voie et son ouverture au public » (Joinet, 2000). Au sein de la communauté urbaine de Nantes, jusqu’en 2003, il existait 24 règlements différents, soit autant que de communes. Nantes a pendant longtemps demandé des critères très (trop) durs aux riverains des voies privées (bon état de la voie et des réseaux), à tel point qu’il devenait difficilement envisageable pour une voie privée ancienne de devenir publique. La communauté urbaine ayant en charge le dossier « voies privées » depuis 2001, la création d’une charte unique aux 24 communes a été nécessaire par souci d’harmonisation, aboutissant à l’élaboration d’une procédure de classement des voies privées dans le domaine public communautaire de Nantes Métropole (fig. 1). Globalement, les critères de classement sont désormais « modérés » et il est aujourd’hui plus facile pour une voie privée nantaise d’intégrer le domaine public.

Figure 1 : Procédure de classement des voies privées dans le domaine public communautaire de Nantes Métropole

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À défaut de classement d’une voie privée dans le domaine public, les pouvoirs publics peuvent négocier avec les propriétaires d’une rue son ouverture à la circulation publique. Cette solution, tout en maintenant le caractère privé de la voie, permet aux propriétaires de recevoir éventuellement l’aide des pouvoirs publics en matière d’entretien, donc de mutualiser une partie des charges, même si rien n’oblige la mairie à les effectuer.

3. Modalités de recensement des voies privées sur la commune de Nantes

Quelle est l’ampleur du phénomène « voies privées » sur le territoire de la commune de Nantes ? Selon le fichier constitué par Nantes Métropole, 2 913 voies, quel que soit le statut, ont été recensées en 2006, pour un linéaire de 724 kilomètres. Sur ce total, 840 voies sont privées, soit une proportion de 29 % (tab. 1), pour un linéaire de 112 kilomètres, soit 15 % du total (tab. 2). Le différentiel, du simple au double, entre le nombre de voies privées et leur longueur, s’explique par le fait qu’une voie publique est en moyenne un peu plus de deux fois plus longue qu’une rue privée, avec respectivement 304 et 133 mètres. Quant au reliquat, soit un peu moins d’un dixième tant en nombre qu’en linéaire, il est constitué des voies ayant un statut inconnu. À titre de comparaison, la ville de Paris dispose de 900 voies privées (Joinet, 2000), soit un chiffre quasiment semblable à celui de Nantes, pour une population huit fois plus élevée et une superficie presque deux fois supérieure. C’est dire si l’ampleur du phénomène à Nantes est marqué.

Tableau 1 : Le nombre de voies sur le territoire de la commune de Nantes en 2006 selon leur statut juridique

Statut Nombre en pourcentage
public 1 843 63
privé 840 29
inconnu 230 8
Total 2 913 100

source : Nantes métropole

Tableau 2 : La longueur des voies sur le territoire de la commune de Nantes en 2006 selon leur statut juridique

Statut longueur en km en % longueur moyenne en km
public 561 77 0,304
privé 112 15 0,133
inconnu 51 7 0,222
Total 724 100 0,249

source : Nantes métropole

Les données du fichier de Nantes Métropole ne fournissant pas d’autres informations que le nombre et la localisation des voies privées, il a été nécessaire de mettre au point une grille de renseignements pour enrichir cette base de données. Les 840 voies privées nantaises ont donc été analysées à l’aune de cette grille, celle-ci étant complétée par la prise de vues photographiques. Par ailleurs, la grille de renseignement a été couplée à un support cartographique et statistique, par l’élaboration d’un système d’information géographique. Enfin, une série d’entretiens réalisés auprès de responsables administratifs et politiques, ainsi que la participation à plusieurs assemblées générales de copropriété et quelques rencontres avec des habitants de ces voies, ont complété cette approche, qui demeure malgré tout essentiellement descriptive.

La grille de renseignements des voies privées se décompose en deux parties distinctes, la voirie et l’habitat. Elle est composée de neuf champs censés représenter au mieux les caractéristiques physiques et morphologiques d’une voie (fig. 2 pour illustration à partir d’un exemple) :

  1. Le type de voie, avec une distinction entre les impasses et les voies « ouvertes » aux deux extrémités.
  2. La destination de la voie, en distinguant l’accessibilité automobile et piétonne.
  3. Le type de revêtement, avec l’opposition entre les voies goudronnées, non goudronnées et pavées.
  4. L’existence d’une bordure séparatrice entre voie privée et voie publique.
  5. Les trottoirs, sachant que certaines voies disposent de très beaux trottoirs (bon état), d’autres de portions dégradées ou enherbées (mauvais état), voire pas de trottoirs du tout.
  6. L’existence éventuelle d’une fermeture et ses modalités, depuis la pose d’un panneau jusqu’à l’installation d’une barrière ou d’un portail.
  7. La gestion de la fermeture dans le temps : les systèmes de restriction d’accès ne fonctionnent pas toujours en permanence, ils peuvent être ouverts le jour et fermés la nuit, fermés exceptionnellement, ou fermés en permanence.
  8. Le type d’habitat : par volonté de simplification, trois types d’habitat ont été identifiés, l’habitat pavillonnaire non mitoyen, l’habitat pavillonnaire mitoyen et l’habitat collectif.
  9. L’époque de construction, avec là aussi l’adoption de deux modalités : constructions antérieures à 1950, postérieures à 1950.

Figure 2 : La grille de renseignement des voies privées, exemple de l’avenue Walter Denahyn

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4. Répartition et caractéristiques des voies privées sur la commune de Nantes

L’analyse de la répartition des voies privées sur la commune de Nantes a été observée grâce à un système d’information géographique, qui a permis de mettre au point une cartographie très fine de ces voies. Pour des raisons de lisibilité, cette cartographie est adossée au découpage, par Nantes Métropole, de la ville de Nantes en sept pôles communautaires (fig. 3). Elle montre le caractère littéralement ubiquiste du phénomène. Les voies privées sont présentes dans tous les secteurs de la commune, du centre ville aux quartiers périphériques. Il n’existe pas un seul quartier de Nantes qui ne dispose pas, au moins, de sa voie privée. Certains micro-secteurs de la ville, répartis un peu partout sur le territoire communal, peuvent même être considérés comme des « quartiers privés », du fait de leur forte concentration de voies privées.

Figure 3 : La répartition des voies privées sur la commune de Nantes par pôle communautaire

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La voie privée en forme d’impasse est de loin la plus répandue à Nantes, avec 84 % du total. Cette proportion n’est guère surprenante, car l’impasse est plus difficilement intégrable au domaine public, d’autant plus que la volonté des riverains n’est pas toujours, loin s’en faut, de favoriser cette intégration. À l’inverse, les voies privées non en cul-de-sac, c’est-à-dire disposant de deux issues, sont plus facilement reclassées dans le domaine public, car elles répondent à la notion d’intérêt général en étant susceptibles d’être intégrées au réseau de voirie urbaine. Enfin, de façon générale, l’impasse est étroite et sa longueur limitée, alors que la voie ouverte est plus large et plus longue.

En termes strictement morphologiques, le type d’habitat qui domine le long des voies privées nantaises est l’habitat pavillonnaire mitoyen (deux tiers des voies), résultat pour partie d’opérations de lotissement conduites par des opérateurs privés. Le tiers restant se partage entre l’habitat pavillonnaire non mitoyen, dans les voies privées plus récentes généralement situées dans les quartiers périphériques de la commune de Nantes, et l’habitat collectif.

La quasi-totalité des voies privées nantaises peut accueillir les automobiles. Celles où les véhicules ne peuvent passer sont plutôt des chemins, parfois en prolongement de certaines voies privées, parfois totalement indépendants. Ces chemins, dont certains sont goudronnés, alors que d’autres sont enherbés, renferment des endroits restés plus ou moins secrets. Globalement, les voies privées nantaises sont dans un état correct. Le fait que 83 % d’entre elles soient goudronnées ne veut cependant pas dire qu’elles soient toutes en bon état. De même, une voie non goudronnée n’est pas forcément en mauvais état. En termes de type de revêtement, quelques particularités méritent d’être notées, comme la présence de voies pavées dans le centre ville et les quartiers péricentraux nord-ouest, ou encore de rues non goudronnées dans les quartiers péricentraux de Chantenay à l’ouest ou de Doulon à l’est.

Le fait que les voies privées ouvertes puissent devenir de vrais raccourcis pour les non-riverains peut amener les propriétaires à transformer leur voie en impasse ou à la fermer, par la pose d’une borne, d’un plot ou d’une barrière, voire par l’installation d’un panneau qui « interdit » l’accès aux non résidants (fig. 4). Juridiquement, une voie privée ne peut néanmoins être fermée que si la circulation publique y est interdite par arrêté du maire. Cependant, à Nantes, il n’est pas rare que des propriétaires décident de poser un panneau à l’entrée de leur voie, même si la circulation publique y est autorisée. L’enquête de terrain a révélé que 83 voies privées, soit 11 % du total, sont fermées physiquement sur la commune de Nantes, dont 52 par une barrière et 31 par un portail. Par ailleurs, en matière de gestion de la fermeture, les propriétaires ont le choix entre fermer leur rue en permanence, laisser l’accès libre la journée ou encore fermer de manière exceptionnelle. En fait, la quasi-totalité des barrières et autres portails est fermée en permanence, soit 75 sur 83. Enfin, certaines concentrations géographiques de voies privées fermées apparaissent, en particulier aux abords du centre ville ou le long de l’Erdre. Aux 83 voies privées fermées par la pose d’une barrière ou d’un portail, se surimposent 169 voies ayant une fermeture suggérée par la pose d’un panneau marquant une interdiction d’entrée. Ces panneaux sont de deux types : dans certains cas, il s’agit d’un « sens interdit », dans d’autres cas c’est un panneau du type « accès strictement réservé aux riverains ». Au total, 252 voies privées sur 840, soit 30 %, sont donc caractérisées par un système de restriction d’accès. Par comparaison, à Paris, la proportion est nettement plus élevée, car sur environ 900 voies privées recensées, 700 sont fermées à la circulation (Joinet, 2000).

Figure 4 : Les modalités d’accès aux voies privées sur la commune de Nantes

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Conclusion

Nantes est sans doute l’une des villes en France où le phénomène des voies privées a pris une ampleur particulièrement importante, sans doute parce que la mairie a refusé pendant longtemps le transfert des voies dans le domaine public, en imposant des conditions draconiennes à ce transfert, en termes notamment d’état de la voirie. Toutefois, le statut privé de ces rues ne signifie pas, pour la plupart d’entre elles, la fermeture, car seulement 11 % sont fermées physiquement. Toutefois, la présence de 83 barrières ou portails rend cette fermeture particulièrement visible dans le paysage de la ville, en matérialisant de véritables frontières entre le tout public et le tout privé. À la privatisation de droit se surimpose donc une privatisation d’usage dans une petite centaine de rues, ce qui favorise la multiplication d’enclaves résidentielles à l’accès réservé.

Les raisons qui amènent les propriétaires à fermer leur voie ont été analysées par quelques chercheurs (Charmes, 2004 et 2005 ; Le Goix, 2004). Globalement, elles renvoient prioritairement à un besoin de tranquillité et secondairement à un besoin de sécurité. Autrement dit, il s’agit en premier de limiter les inconvénients liés à l’usage (circulation et stationnement) de la voiture et, en second, de se prémunir contre d’éventuels vols ou dégradations de véhicules.

Néanmoins, satisfaire ce double besoin peut s’avérer coûteux. En effet, le coût d’installation d’une barrière automatique est compris entre 5 000 € et 10 000 €, alors que le prix d’une version standard d’un portail automatique avoisine les 15 000 €. Il faut ensuite compter avec les frais de fonctionnement : entretien, réparation, assurances, électricité. On comprend alors aisément pourquoi la pose d’une barrière ou d’un portail peut se révéler rédhibitoire pour certaines voies desservant un faible nombre de copropriétés.

1 Adresse Internet, http://www.gated-communities.de

Bibliographie

BILLARD G., CHEVALIER J., MADORÉ F., 2005. Ville fermée, ville surveillée. La sécurisation des espaces résidentiels en France et en Amérique du Nord, rennes, Presses universitaires de rennes, 230 p.

CHARMES É., 2004. Le développement des lotissements clos, Études foncières, no 109, pp. 16-19.

CHARMES É., 2005. La vie périurbaine face à la menace des gated communities, Paris, L’harmattan, 228 p.

GLASZE G., WEBSTER C., FRANTZ K. (dir.), 2006. Private Cities : Global and Local Perspectives, Londres et New York, Routledge, 312 p.

JOINET H., 2000. La délicate gestion des voies privées urbaines, Études foncières, no 88, pp. 24-28.

LE GOIX R., 2004. Quartiers fermés, intérêts particuliers. Urbanisme, no 337, pp. 42-43.

Notes

1 Adresse Internet, http://www.gated-communities.de

Illustrations

Figure 1 : Procédure de classement des voies privées dans le domaine public communautaire de Nantes Métropole

Figure 1 : Procédure de classement des voies privées dans le domaine public communautaire de Nantes Métropole

Figure 2 : La grille de renseignement des voies privées, exemple de l’avenue Walter Denahyn

Figure 2 : La grille de renseignement des voies privées, exemple de l’avenue Walter Denahyn

Figure 3 : La répartition des voies privées sur la commune de Nantes par pôle communautaire

Figure 3 : La répartition des voies privées sur la commune de Nantes par pôle communautaire

Figure 4 : Les modalités d’accès aux voies privées sur la commune de Nantes

Figure 4 : Les modalités d’accès aux voies privées sur la commune de Nantes

Citer cet article

Référence électronique

Yann Le Gallic et François Madoré, « Les voies privées à Nantes », Cahiers Nantais [En ligne], 2 | 2008, mis en ligne le 25 janvier 2021, consulté le 19 avril 2024. URL : http://cahiers-nantais.fr/index.php?id=648

Auteurs

Yann Le Gallic

Chargé d’opérations à la SEM Ville Renouvelée de Lille

François Madoré

Géographe, Université de Nantes, UMR 6590 CNRS ESO – CESTAN

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