1. Nantes et les Namnètes
Localisation et assiette territoriale de la cité des Namnètes
C’est Auguste, premier empereur romain, qui met en place, dans la Gaule conquise par César entre 58 et 51 avant notre ère, une organisation administrative susceptible d’assurer le contrôle des territoires nouvellement intégrés à l’Empire, tout en laissant une relative autonomie aux populations locales et en s’appuyant sur l’adhésion rapide des élites gauloises aux modes de vie « à la romaine ». C’est sans doute à compter des années 16-15 avant notre ère que les anciens territoires gaulois ont ainsi été rassemblés au sein de trois provinces de dimensions équivalentes, chacune étant gouvernée depuis une capitale provinciale par un représentant de Rome et son équipe. À ces trois provinces (Lyonnaise, Aquitaine et Belgique), dont les limites relèvent d’un découpage fondé sur les connaissances géographiques de l’époque (Goudineau, 1998 : 310-324), s’ajoutait celle de Narbonnaise au sud, conquise quant à elle dès les années 125-118 avant notre ère (fig. 1).
Chacune de ces vastes circonscriptions a été ensuite subdivisée en cellules administratives, politiques et religieuses de base (les cités), suivant le modèle méditerranéen de la ville capitale placée à la tête d’un territoire. Au sein de cette dernière, des magistrats et un sénat local (ou ordre des décurions), composé d’un nombre variable de représentants de l’élite, contrôlent et administrent la cité (Ferdière, 2005 ; Monteil et Tranoy, 2008 ; Ouzoulias et Tranoy dir., 2010).
Parmi les quelques soixante-quatre cités des Trois Gaules, celle des Namnètes est ainsi localisée dans la partie occidentale de la province Lyonnaise, dont le gouverneur siège à Lyon. Le nom du peuple, hérité de celui de la fin de la Protohistoire, est cité pour la première fois par César (Bellum Gallicum, III, 9-10) ainsi que par quelques rares inscriptions et sources textuelles plus tardives (Santrot et al., 2008 : 205).
La question de la délimitation de ce territoire, qui ne coïncide pas exactement avec celle du département de la Loire-Atlantique, a été longuement débattue, ses grandes lignes étant fixées au milieu du XXe s. (Couffon, 1942 ; Merlet, 1951-1952) (fig. 2). L’approche s’est fondée, comme dans la grande majorité des autres cités et à défaut de sources antiques suffisamment précises, sur l’analyse régressive des contours des diocèses de l’Ancien régime, en considérant que ces derniers se sont en général calqués sur les limites des cités antiques. dans le détail, les frontières ont été corrigées par les sources écrites des premiers temps du Moyen Âge, par l’utilisation prudente de la toponymie et – dans une moindre mesure parce qu’ils sont plus rares dans la région considérée – par des documents épigraphiques ou littéraires.
La méthode n’est évidemment guère satisfaisante, d’autant que l’on ne peut exclure des remodelages ponctuels dans le courant de l’Antiquité, mais, pour la cité des Namnètes, elle reste la seule à même de définir un cadre général à valeur heuristique qui soit le plus proche possible de celui de l’époque romaine.
À vrai dire, seules deux limites de la cité des Namnètes sont assurées et ne peuvent guère être contestées. La première est matérialisée, à l’ouest, par l’océan atlantique. La seconde est définie par la Loire, qui sépare la cité des Namnètes de celle des Pictons au sud (chef-lieu Poitiers), et se maintient durant toute l’Antiquité, si l’on se fonde sur les sources textuelles (Strabon, Géographie, IV, 2, 1 ; Ptolémée, Géographie, II, 7, 5 ; Grégoire de Tours, Liber in gloria confessorum, 53). De fait, le sud de la Loire-Atlantique et donc l’agglomération antique de Rezé/Ratiatum, tout comme la Vendée, relevaient à l’époque romaine de la cité des Pictons.
Au nord, on admet généralement, en se fondant sur la limite entre les évêchés de Vannes et de Nantes, que le cours inférieur de la Vilaine séparait les Vénètes et les Coriosolites des Namnètes (Merlat, 1955-1982). Vers le nord-est et l’est, les travaux plus récents de Ph. Dain (1968), légèrement rectifiés par J.-P. Brunterc’h (1983 : 55-56) puis J.-Cl. Meuret (1993 : 250-260), restituent un tracé qui empiète légèrement sur les départements actuels de l’Ille-et-Vilaine, de la Mayenne et du Maine-et-Loire et qui dessine une excroissance englobant le Craonnais (Mayenne).
Ainsi définie, cette cité couvrait 6 138 km2, surface obtenue par calcul précis après report des limites sur système d’information géographique, soit une taille relativement modeste, toutefois comparable à celles de ses voisines immédiates, exception faite des Pictons au sud dont le territoire couvre plus de 25 000 km2.
Un territoire encore mal connu
Au sein de ce cadre territorial, les données archéologiques rassemblées pour le haut-Empire, période qui correspond à l’apogée du système de peuplement et qui est la mieux renseignée, sont encore lacunaires et reposent pour une large part, sur les informations fournies au XIXe s. par les érudits locaux (Provost, 1988a pour la Loire-Atlantique ; Provost, 1988b pour le nord-est du Maine-et-Loire ; Naveau, 1992 pour le sud de la Mayenne), tandis que les synthèses sont peu nombreuses et en partie datées (Chédeville, 1956-1978 ; Galliou, 1983 ; Aubin, 1984 ; Pape, 1995). La recherche actuelle, tout au moins sous sa forme programmée, est en effet peu étoffée faute d’un nombre suffisant de chercheurs institutionnels. Ainsi, aucune fouille programmée – c’est-à-dire mise en œuvre sur un site non menacé de destruction et avec une problématique scientifique précise – n’a été menée ces dix dernières années sur cet espace géographique, en dehors du cas particulier de l’agglomération antique de Rezé, mais qui relève du territoire voisin des Pictons (Arthuis et al., 2007). L’autre méthode de révélation des sites archéologiques, celle de la prospection aérienne ou pédestre, n’est en outre que peu développée. Seule la partie nord-est de la cité a ainsi été partiellement couverte par les prospections aériennes, tandis que la prospection pédestre n’a été mise en œuvre que sur quelques secteurs très ponctuels, correspondant principalement aux agglomérations antiques non masquées par les bourgs actuels. Il est vrai que les conditions de prospection au sol, qui permettent de reconnaître des sites archéologiques par la présence de mobilier remonté par les labours, ne sont pas idéales ici en raison d’un fort pourcentage de pâturages, prairies, terrains maraîchers et aussi d’une érosion des mobiliers liés à une forte mécanisation des pratiques agricoles et au caractère souvent acide des sols. Par ailleurs, un seul programme de recherche collectif concerne ce territoire et porte sur la question des agglomérations secondaires à l’échelle d’un ensemble plus vaste qui englobe la Bretagne et les Pays de la Loire (Monteil, 2007).
Enfin, l’archéologie préventive – qui vise à mettre en œuvre des fouilles en amont d’un projet de construction entraînant la destruction de vestiges – ne compense que partiellement ces lacunes dans la mesure où elle concerne principalement les zones d’aménagement à forte densité de population et/ou de développement économique que sont la vallée de la Loire et la presqu’île guérandaise et qu’elle souffre d’un relatif déficit en matière de publications.
La base de données dont on dispose à ce jour est donc disparate, d’autant que certains secteurs n’ont pas été documentés depuis plus d’un siècle. Il est donc impossible de développer ici une véritable approche systémique, alliant facteurs environnementaux, systèmes de peuplement, réseaux de communication et exploitation des ressources, et combinant approches archéologique et géographique, à l’exemple de celles qui ont été conduites dans la vallée du Rhône (Durand-Dastès et al., 1998 ; Favory et Van der Leeuw coord., 1998) ou encore dans le Berry (Batardy et al., 2000 ; Gandini, 2008).
Tout au plus peut-on tenter une approche générale prenant appui sur une carte qui réunit, sur un fond oro-hydrographique, les voies de communication antiques les plus assurées, les zones d’exploitation potentielle des ressources en minerais et les établissements les plus importants datables du haut-Empire (fig. 3)1. Au sein de ces derniers, quatre classes ont été retenues qui correspondent aux niveaux supérieurs de la hiérarchie du réseau d’habitats, la typologie s’appuyant sur quelques descripteurs archéologiques considérés comme pertinents (superficie, plan éventuel, qualité des matériaux de construction, types d’activités, durée d’occupation, etc.). Les deux premières classes correspondent au réseau urbain : la ville capitale (Nantes) et les agglomérations secondaires avérées ou potentielles. La troisième recouvre une partie de l’habitat dispersé que les archéologues qualifient de villae, c’est-à-dire des centres d’exploitation d’un domaine agricole, propriétés de l’élite, qui réunissent des bâtiments destinés aux activités agricoles et des espaces résidentiels, plus ou moins développés et luxueux. La quatrième catégorie, très hétérogène, réunit des sites importants, mais mal caractérisés et qui peuvent correspondre à des villae, à de grandes fermes, à des lieux de culte, à des stations routières ou même à de petites agglomérations. Enfin, on a ajouté à ces quatre classes les sanctuaires – lieux d’exercice public ou privé de la religion – et donc exclus de l’enquête, faute de mieux, les sites insuffisamment caractérisés et de petites dimensions qui peuvent recouvrir là encore des réalités très diverses (hameaux, fermes, petits habitats temporaires, annexes agro-pastorales, établissements artisanaux modestes, etc.).
Figure 3 – La cité des Namnètes au Haut-Empire : état des connaissances. Les cercles, centrés sur les agglomérations certaines ou potentielles, dessinent des territoires théoriques d’un diamètre de 25 km.
2. L’exploitation des ressources naturelles
Agriculture et élevage
Sans guère d’originalité par rapport à ce qui est perçu dans les cités voisines, les activités agro-pastorales, qui forment la base de l’économie des sociétés antiques, sont régulièrement attestées par les fouilles ou les études paléoenvironnementales réalisées sur le territoire namnète. Elles paraissent majoritairement orientées vers l’élevage de la triade domestique (bœuf, caprinés, porc) (voir, par exemple, Borvon, 2010), la culture des céréales et, dans certains secteurs, du chanvre textile et du lin ou encore du châtaignier et du noyer (voir, par exemple, Cyprien, 2002). Il est difficile cependant de distinguer d’éventuelles zones de spécialisation ou de traiter de la question du commerce de ces produits de l’agriculture et de l’élevage. on notera toutefois la découverte toute récente, au sein d’un vaste établissement rural situé à Piriac-sur-Mer (Loire-Atlantique) et dans un contexte des IIe-IIIe avant notre ère, d’un imposant pressoir à vin entièrement bâti en bois qui constitue la preuve la plus ancienne d’une pratique de la viticulture en Loire-Atlantique. Le vignoble lié à cette installation devait être localisé, comme à l’époque médiévale et moderne, sur le coteau bien exposé que forme l’escarpement rectiligne du Sillon de Guérande entre Saint-Nazaire et Piriac-sur-Mer (Hervé dir., 2010 : p. 30-37).
Les ressources maritimes
La façade maritime qui borde la cité à l’ouest, entre Loire et Vilaine, a évidemment été exploitée pour la pêche ou la collecte à pied de coquillages, mais aucun vestige de cuves destinées à la production quasi industrielle de sauces et de salaisons de poissons n’apparaît ici, alors qu’elles sont pourtant nombreuses dans la baie de Douarnenez et plus largement sur le littoral des Osismes entre Saint-Brieuc et l’Éllé (Sanquer, Galliou 1972 ; Leroy 2003 ; Galliou 1983 : 125-135). Mais de telles installations, liées à un commerce fructueux, sont pour l’heure également absentes du littoral vendéen et attestées en un unique exemplaire assuré sur le littoral morbihannais, à Lanester (Galliou et al., 2009 : 168-169). De même, la production du sel, pourtant bien attestée jusqu’au changement d’ère (Rouzeau, 2002 ; Daire, 2003), est mal renseignée pour l’époque romaine. On ne peut exclure, tout au moins pour le courant du Ier siècle, une possible continuité des pratiques gauloises caractérisées par des techniques d’évaporation de la saumure sur des fours, mais la mise en place de marais salants pour cette période, en bordure de littoral ou dans les marais, n’est pas exclue, même si aucune preuve n’en existe. Il est vrai que ce type de dispositif, semblable dans les grandes lignes à celui encore employé aujourd’hui, laisse peu de traces au sol. dans un autre registre, au sein de l’établissement de Piriac-sur-Mer déjà évoqué, c’est une production originale de teinture pourpre qui a été mise en évidence pour La Tène finale et le Haut-Empire par l’exploitation des propriétés tinctoriales des glandes de pourpres et de murex (Dupont, 2010).
L’exploitation de la pierre et des minerais
Aucune grande carrière de pierre de construction n’est sûrement attestée, tandis que les indices d’une activité importante d’extraction de minerais à l’époque romaine restent minces, faute d’une enquête récente et parce que, particulièrement pour le fer, les gîtes minéraux ont souvent fait l’objet d’une exploitation sur la longue durée, dont les résidus – notamment les ferriers – sont difficiles à dater (Provost, 1993 : 243-250).
Le minerai de fer est surtout présent au nord d’une ligne ouest-est allant de Guenrouët (Loire-Atlantique) à Candé (Maine-et-Loire), mais les preuves de son exploitation intensive au haut-Empire manquent, sauf dans le sud de la Mayenne (Sarreste, 2008). Le plomb a pu être produit par le biais d’un filon de galène situé à Cros-sac (Loire-Atlantique), mais sans certitude et, quoi qu’il en soit, de manière ponctuelle. L’étain a sans doute fait l’objet d’une exploitation plus importante dans le secteur d’Abbaretz et Nozay (Loire-Atlantique) et, moins sûrement, par le biais de sables stannifères présents entre Piriac-sur-Mer et La Turballe (Loire-Atlantique). L’or alluvionnaire a pu être extrait de certains cours d’eau, mais ce mode de collecte par battage ne laisse pas de trace matérielle. En revanche, au nord-est de la cité, l’important filon de minerai d’or du secteur des Miaules, qui va de la Selle-Guerchaise (Ille-et-Vilaine) à Château-Gontier (Mayenne), a livré des traces vraisemblables d’exploitation pour l’époque romaine (Meuret, 1993 : 229-249).
Une autre ligne aurifère, de même orientation, s’inscrit sur une quarantaine de kilomètres entre La Pouëze (Maine-et-Loire), au nord-ouest d’Angers, à Moisdon-la-Rivière (Loire-Atlantique). Elle se prolonge même peut-être en direction de l’ouest jusqu’à Beslé (commune de Guémené-Penfao). Des travaux d’extraction anciens y ont été reconnus, mais non datés (renseignement G. Aubin).
3. Les voies de communication
Routes maritimes et fluviales
La route maritime constituait évidemment un vecteur commercial important, dans l’Antiquité comme de nos jours, même si aucune épave romaine n’est connue en raison des mouvements de fond importants et de la richesse de l’herbier sous-marin. on peut toutefois douter que la partie du littoral comprise entre Loire et Vilaine ait accueilli un port important, même s’il existe de sérieuses difficultés à restituer avec justesse les contours du trait de côte ou des embouchures des deux fleuves (Monteil, 2010). De possibles petites infrastructures portuaires, simples zones d’échouage ou points de mouillage, sont toutefois envisageables, à l’exemple de ce que l’on observe aux XIVe-XVe s., au Croisic, à Saillé, au Pouliguen, à Pornichet, à Piriac-sur-Mer, à La Turballe, etc. (Gallicé, 2003 : 315-326).
En revanche, les grands ports commerciaux sont à localiser en fond d’estuaire, sur des sites de premier gué et en limite de l’influence des marais. Il en est ainsi, pour la Loire, du couple formé par Ratiatum (Rezé) et Condevicnum (Nantes) (Pirault 2004 ; Arthuis et al. 2007). Sur la Vilaine, plusieurs indices militent pour restituer un doublet semblable au niveau de Fégréac (Loire-Atlantique) et de Rieux (Morbihan), soit à la frontière entre Namnètes et Vénètes et à l’emplacement d’une station routière (Duretie) indiquée sur l’itinéraire routier de la table de Peutinger2. Ces deux fleuves – la Loire et, dans une moindre mesure, la Vilaine – constituaient également de sérieux atouts pour la pratique du commerce, le reste du territoire étant irrigué par un chevelu de rivières, dont certaines furent sans doute navigables dans l’Antiquité, tout au moins avec des embarcations légères (Brivet, Erdre, etc.)
Routes terrestres
Notre connaissance du réseau routier à l’époque romaine est largement tributaire des recherches conduites au XIXe et au début du XXe (par exemple, Maître 1908) et concerne principalement les grands itinéraires interrégionaux, dont seuls les plus assurés ont été figurés sur la carte (fig. 3). Le tracé des routes répond logiquement aux contraintes de la topographie, à la nécessité de relier Nantes aux capitales voisines de Vannes, rennes, Angers et Poitiers ou d’offrir des possibilités de pénétration plus rapide vers la péninsule armoricaine et le centre de la Gaule, et, enfin, de contribuer à organiser le territoire namnète. Certaines de ces voies sont vraisemblablement d’origine gauloise, comme celles qui se dirigent vers le littoral ou qui longent la Loire, mais la rareté des fouilles empêche de dresser un bilan assuré de la chronologie de ce réseau.
L’examen de la carte permet d’identifier six carrefours remarquables. Le premier, au sud, correspond au doublet que forment les agglomérations de Rezé et de Nantes au premier point de passage sur la Loire, facilité par la division du fleuve en plusieurs bras séparés par un chapelet d’îles (actuelle île de Beaulieu) et permettant un franchissement aisé depuis Pirmil, suivant l’actuelle ligne de ponts. Le deuxième s’explique par les mêmes facteurs, cette fois au droit de la Vilaine et du doublet de rieux et Fégréac. Le troisième est localisé au niveau de l’agglomération antique de Blain, qui occupe une position assez centrale au sein de la cité. Enfin, trois autres carrefours de moindre ampleur peuvent être restitués au niveau de Guérande, de Mauves-sur-Loire et de Châtelais (Maine-et-Loire), ici à la frontière entre Andécaves et Namnètes.
4. Le réseau urbain et les domaines agricoles
Le réseau urbain avant l’époque romaine
L’armature urbaine des Gaules avant la conquête de César est plus ou moins importante selon les secteurs et constituée, sans entrer dans le détail, d’agglomérations fortifiées que les archéologues qualifient communément d’oppida et qui sont créées à compter des années 120-100 avant notre ère. Dans de très nombreux cas, le réseau de villes mis en place à l’époque augustéenne s’est appuyé sur ce réseau préexistant en en conservant une partie et en le complétant (Fichtl, 2000).
Pour la fin de la période gauloise et dans le cadre territorial défini pour la cité romaine des Namnètes, l’habitat dispersé domine très largement sous la forme de fermes délimitées par de vastes enclos marqués par des fossés, souvent bordés de talus, et au sein desquels se répartissent diverses constructions. Ces dernières, édifiées en terre et bois, sont destinées à l’habitation ou sont réservées au stockage des céréales (greniers), au traitement des récoltes, au parcage du bétail, voire à des activités artisanales (Leroux et al., 1999).
En revanche, le réseau urbain apparaît peu étoffé et soumis en outre à de nombreuses incertitudes en matière de datation. Ainsi, à l’ouest, l’oppidum de Penchâteau au Pouliguen occupe un éperon rocheux sur 7 ha, mais est occupé principalement aux VIe-Ve s avant notre ère : des mobiliers de La Tène finale et de l’époque romaine y ont également été recueillis, mais en quantité modeste et sans être associés à des vestiges bâtis qui permettraient de qualifier avec exactitude la nature et l’étendue de l’occupation (Gaiffe et al. 1995 ; Rémy 2010). Les autres sites fortifiés potentiellement occupés à La Tène finale sont d’étendue variable et concentrés au nord-est du territoire (Meuret 1993 : 163-174, 210-212 ; Rémy 2010) : Le Châtelier à Saint-Michel-et-Chanveaux (Maine-et-Loire) couvre ainsi 4 ha ; Saint-Julien à Châtelais (Maine-et-Loire), 25 ha ; La Guérivais en Eancé (Ille-et-Vilaine), 3,5 ha et enfin la Petite-Frézelière à Loigné-sur-Mayenne (Mayenne), 12 ha. Pour ces quatre cas, la situation au droit de la frontière, si le tracé de celle-ci est identique à celle de l’époque romaine, pose toutefois question car ils pourraient être attribués tout autant aux Namnètes qu’aux peuples voisins des Riedones, des Diablintes ou des Andécaves.
En tout état de cause, aucun de ces éléments du possible réseau urbain préromain n’a été retenu comme assiette d’une agglomération d’époque romaine.
Le réseau urbain au Haut-Empire
Le réseau urbain établi au Haut-Empire paraît donc n’entretenir aucun lien avec celui de la fin de l’époque gauloise, bien qu’il convienne de rester prudent dans la mesure où les fouilles le concernant restent rares, particulièrement et malheureusement à Nantes. En revanche, les nœuds de ce réseau occupent tous des espaces fortement occupés avant leur création ; créations qu’il convient sans doute d’imputer principalement aux initiatives locales, avec l’assentiment du pouvoir impérial, et qui s’inscrivent dans un mouvement d’urbanisation sans précédent des Gaules à l’époque augustéenne.
À la tête de ce réseau se trouve le chef-lieu de cité, Nantes, identifié, d’après les sources antiques, tout d’abord, bien qu’il subsiste un doute, à Condevicnum – terme forgé sur le radical gaulois condate signifiant confluent suivi d’une finale non traduisible – (Ptolémée, Guide géographique, II, 8) puis, vraisemblablement à compter du IIIe s., d’après la table de Peutinger, à Portus Namnetum – le port des Namnètes (Aubin, 1982 : 73-82).
Le maillage urbain est complété ici par plusieurs agglomérations secondaires dont certaines sont assurées :
- Mauves-sur-Loire (Loire-Atlantique), à faible distance à l’est du bourg actuel (Monteil et al. 2009) ; Blain (Loire-Atlantique), sous le village actuel
- Les Provenchères situées à Athée-Craon (Mayenne), aujourd’hui en pleine campagne ;
- Fégréac (Loire-Atlantique), doublet de rieux (Morbihan), et identifié d’après la table de Peutinger à Duretie.
Trois autres sont plus incertaines :
- Petit-Mars (Loire-Atlantique), connu principalement par un théâtre et un autre édifice mal caractérisé ;
- Châtelais (Maine-et-Loire), où des vestiges antiques découverts sous le bourg actuel peuvent être associés à une agglomération ou à une petite station routière assimilable au Combaristum de la table de Peutinger ;
- Le quartier de Beaulieu au nord-est de la ville médiévale de Guérande où plusieurs fouilles préventives attestent d’une forte densité de vestiges, mais dont l’interprétation globale reste encore incertaine (Devals, 2009).
La documentation disponible pour ces sites est disparate et ne permet pas encore de les comparer avec toute l’exactitude souhaitable. Un examen global permet toutefois de noter que la ville capitale de Nantes couvrait sans doute une surface assez modeste. Celle-ci a été estimée à 18 ha, à l’égal de l’emprise de l’enceinte de la fin du IIIe s. (Aubin, 1982 : 76), mais on peut sans doute lui attribuer une étendue plus importante, comprise entre 20 et 30 ha, en prenant en compte les quartiers dont on pressent l’existence sur la rive droite de l’Erdre. En tout état de cause, ce chef-lieu de cité peut être comparé à Jublains avec ses 20 à 25 ha, mais apparaît moins vaste que les autres capitales voisines – Vannes (40 ha), Le Mans (50 ha), Angers (80 ha) ou rennes (90 ha). Faute de fouilles en nombre suffisant, nos connaissances sur cette ville sont singulièrement minces : on y connaît des thermes publics, au moins un sanctuaire, mais le port n’est pas sûrement localisé.
Certains chercheurs ont récemment proposé de faire de l’agglomération antique de Rezé, qui couvre au minimum une cinquantaine d’hectares, un quartier portuaire dépendant de Nantes (Santrot, 2008), mais cette proposition ne paraît pas recevable (Maligorne, 2007 : 57-59). Il convient plutôt de reconnaître ici un doublet de ville induit par une frontière administrative – Rezé3 étant le port principal des Pictons sur la Loire, Nantes celui des Namnètes –, comme en témoignent les sources textuelles (cf. supra, 1.2.).
Une partie des autres agglomérations namnètes couvrent entre 20 et 30 ha environ, soit une surface équivalente à celle du chef-lieu : il en est ainsi de Mauves-sur-Loire, d’Athée-Craon, de Fégréac et de Blain. Les deux premières se distinguent par une parure monumentale développée, associant théâtre et sanctuaire publics, qui servent à la diffusion des valeurs religieuses romaines. Les autres correspondent à des sites de dimensions apparemment plus réduites, même s’il faut pondérer l’analyse par les lacunes documentaires qui les affectent, comme Beaulieu-Guérande, Petit-Mars ou Châtelais.
Domaines agricoles et sanctuaires
Les domaines agricoles de l’élite namnète (villae) sûrement identifiés ne peuvent être soumis à une analyse détaillée qui permettrait de les hiérarchiser en se fondant sur leur surface, leur plan ou le luxe plus ou moins grand du décor de leurs parties résidentielles. Si l’on en juge par les exemples les mieux connus (Saint-Herblain, Nort-sur-Erdre, Piriac-sur-Mer), ils paraissent toutefois correspondre à une gamme assez étendue qui va de la petite unité au confort réduit jusqu’à de plus grandes exploitations qui disposent, pour leurs parties résidentielles, de sols intérieurs en béton, voire plus rarement en mosaïque, et de thermes privés. Une enquête détaillée manque toutefois ici pour avancer davantage dans l’analyse. Quant aux sanctuaires, ils sont soit de caractère public et associés à des sites importants ou à des agglomérations (Nantes, Mauves-sur-Loire, Petit-Mars, Athée/Craon), soit de dimensions plus réduites, sous la forme de temples à cella centrale et galerie périphérique, et alors associables à des villae ou à des agglomérations potentielles (Beaulieu-Guérande et Saint-André-des-Eaux).
5. Réflexions préliminaires sur l’organisation du réseau de peuplement
Méthode d’approche
La base documentaire qui a été présentée à grands traits ci-dessus, aussi disparate soit-elle, permet toutefois de poser les bases d’une réflexion plus approfondie sur l’organisation des composantes majeures du réseau de peuplement, réparties en quatre grandes classes. Cette méthode permet de dépasser le stade simpliste, où tous les sites, quelle que soit leur nature, sont représentés par des points uniformes, et permet de proposer une image plus réaliste d’une partie du système de peuplement de la cité Namnète au Haut-Empire ainsi que des liens qu’il entretient avec le réseau de communication et, dans une moindre mesure, avec le potentiel d’exploitation des minerais. L’image ainsi composée est certes encore insatisfaisante. Ainsi, seuls les sites majeurs connus sont représentés et les lacunes sont évidentes, mais on peut penser, tout au moins pour ce qui concerne les agglomérations, que la grande majorité est désormais recensée. Dans un autre registre, celui de la chronologie, on doit aussi noter que les évolutions vraisemblables du système durant les deux siècles et demi que comptent le Haut-Empire ne sont pas perceptibles, faute de datations précises au demi-siècle près, mais on peut toutefois considérer comme vraisemblable qu’à un moment au moins, tous les sites cartographiés ont existé de manière concomitante.
Par ailleurs, la documentation disponible ne permet pas d’entrer dans le détail de la hiérarchie de l’ensemble du système, en se fondant sur des critères de différenciation par la taille et par le nombre et la diversité des fonctions des différents nœuds du réseau : ainsi, les villae et les sites importants sont-ils à ranger, faute de mieux, au même niveau hiérarchique. En revanche, concernant le réseau urbain, il serait possible d’aller un peu plus loin en se fondant sur quelques critères qualitatifs et quantitatifs, tels que la surface ou encore la présence ou non d’une parure monumentale développée.
Quelques considérations sur la localisation géographique des sites
La localisation de Nantes, tête du réseau urbain, ne répond pas au modèle le plus fréquent et aussi le plus rationnel dans l’organisation des cités antiques où la capitale occupe souvent une position centrale. Sa position excentrée, en limite sud du territoire, s’explique toutefois aisément par le caractère attractif de la Loire, par la première possibilité de franchissement de son estuaire et par un point de rupture de charge naturel dans la navigation fluvio-maritime, critères qu’elle partage avec la ville voisine de Rezé. À une quinzaine de kilomètres à peine vers l’est, l’agglomération de Mauves-sur-Loire paraît devoir son développement à un autre point de passage sur la Loire, facilité par la présence de hauts fonds rocheux. Elle est en outre traversée par une voie interrégionale majeure qui relie la cité des Pictons à Vannes et qui sert d’appui à deux autres sites urbains : Blain, véritable nœud routier compte tenu de sa position centrale, dont une partie des activités a pu reposer sur l’exploitation du fer et de l’étain, et le doublet Rieux/Fégrac au droit du passage de la Vilaine. Sur cette même route, le site de Petit-Mars, caractérisé par la présence d’un théâtre sans doute associé à un sanctuaire, interroge, sans réponse, du fait de sa proximité avec Nantes et Mauves-sur-Loire, qui disposent également d’une parure monumentale développée. Vers l’ouest, l’hypothèse d’une agglomération à Beaulieu-Guérande gagne en épaisseur par une situation au cœur de la riche presqu’île guérandaise, isolée du reste du territoire namnète par les marais de la Brière. Enfin, au nord-est et aux confins de la cité, l’agglomération d’Athée/Craon a dû jouer le rôle de relais du chef-lieu dans l’organisation religieuse et administrative d’un petit territoire environné de plateaux, aux sols propices à l’agriculture et riches en or. Compte tenu de sa grande proximité avec le précédent, le site de Châtelais pourrait en revanche ne correspondre qu’à une station routière utile aux voyageurs transitant entre Angers et rennes, à l’exemple de celle de Visseiche (Ille-et-Vilaine) située sur le même axe plus au nord-ouest.
Les villae et les sites importants sont majoritairement localisés au sud et au sud-est du territoire namnète. Des concentrations remarquables et somme toute logiques se remarquent le long de la façade maritime et de la Loire ou encore au droit des plaines qui environnent le petit relief du sillon de Bretagne : les liens avec la qualité des sols pour l’agriculture, les ressources maritimes ou encore la proximité du réseau routier principal sont ici assez nets. En revanche, leur cartographie, associée à celle des villes, laisse apparaître, en négatif, une zone vide qui coïncide avec la vaste zone de plateaux s’étendant vers le nord-est et qui est en outre encadrée, mais à l’écart, des grandes voies de communication. Cette partie du territoire a certes été moins explorée, mais le vide qui la caractérise ne peut être mis uniquement au compte des lacunes de la recherche : il coïncide en effet avec un espace qui se caractérise encore aujourd’hui par une faible densité de la population et par des terres peu productives. L’ensemble relève en fait d’un « paysage de hautes terres » dont les sols nécessitent la mise en place de drainages pour être cultivés et dont l’exploitation paraît surtout perceptible à compter du XVIIIe s., tout au moins en pays Nantais (Sellier 1985 : 464-468). Sans vouloir être trop déterministe, les facteurs naturels semblent bien, dans ce cas, fournir une explication à la moindre occupation de ces secteurs. L’absence de sites importants interroge d’ailleurs aussi sur la réalité d’une exploitation importante du minerai de fer de ce secteur dans l’Antiquité.
Les territoires théoriques des villes
Un essai de définition des territoires théoriques de chaque agglomération certaine ou hypothétique peut être tenté en se basant uniquement sur les temps de parcours et en considérant que le potentiel d’attractivité de chaque nœud du réseau urbain peut se mesurer en fonction de la possibilité de s’y rendre depuis un autre point du territoire et d’en revenir en une journée (fig. 3). À une époque où les déplacements se font majoritairement à pied ou dans une charrette tirée par des bœufs, on peut considérer que la vitesse moyenne d’un voyageur est de l’ordre de 5 km/h. Cette vitesse est évidemment à pondérer par les contraintes de la topographie, mais, dans un espace territorial où le relief est peu prononcé, une estimation fondée sur les distances à vol d’oiseau paraît suffisante à ce stade de l’enquête. Dans l’avenir, un calcul plus précis en distances-temps de parcours, prenant en compte les variations de la vitesse en fonction des pentes et du réseau hydrographique mériterait toutefois d’être mis en œuvre.
Partant de ces principes, on peut grossièrement estimer qu’un voyageur peut parcourir dans une même journée, pour se rendre en ville, y passer un peu de temps et en revenir, une moyenne de 25 km pour un temps de parcours aller-retour de 5 heures, ce qui peut-être exprimé par un cercle d’un diamètre équivalent, centré sur chaque nœud du réseau urbain. Cette distance, qui correspond à une estimation basse, suffit à faire à nouveau ressortir la vaste zone vide des plateaux située au nord-est et à montrer que la majorité des sites importants et des villae sont placés à proximité des centres urbains. Quelques sites sont toutefois plus éloignés, comme à l’est du marais de Brière ou dans la partie aval de la Loire, mais, dans ces cas, la proximité de grandes voies interrégionales est susceptible d’avoir accéléré les temps de parcours.
Enfin, cet exercice théorique confirme que les sites urbains localisés en limites de la cité ont une aire d’influence qui dépasse le strict cadre du territoire des Namnètes et met également en exergue le triangle urbain, sorte de conurbation avant l’heure, que forment les sites majeurs de Nantes, Mauves-sur-Loire, Petit-Mars ainsi que Rezé sur la rive pictonne de la Loire.
Conclusion
Les quelques réflexions proposées ici s’inscrivent dans une approche désormais classique qui vise à tenter de reconstituer l’organisation et la dynamique des systèmes de peuplement anciens en alliant les acquis de l’archéologie à ceux de la géographie contemporaine. L’enquête amorcée à l’échelle du territoire des Namnètes, et pour la seule période du haut-Empire, montre un fort potentiel en matière de recherche dans ce domaine, mais aussi, si l’on souhaite y conduire une analyse plus précise, la nécessité qu’il y a désormais à abonder la base documentaire disponible. En effet, si les géographes et les archéologues se rencontrent sur un terrain commun qui est celui de l’observation des sociétés dans le milieu qu’elles se sont aménagé, il est évident que les premiers travaillent sur une réalité visible et facilement appréhendable, tandis que les seconds ne disposent que des traces partielles laissées par les sociétés des temps passés (Durand-Dastès et al., 1998).