Introduction
Le Conseil général possède un champ d’intervention très large : action sociale, éducation, infrastructures routières, transport, environnement, économie, tourisme, etc. Une grande partie de ces domaines d’action touche peu ou prou à l’aménagement du territoire.
En Loire-Atlantique, le contexte d’étalement urbain et de croissance démographique soutenue est un facteur de coûts supplémentaires à prendre en charge pour le Département. La connaissance fine du territoire, de son occupation, des populations qui y vivent et la maîtrise des évolutions sont donc essentielles. La production d’une vision synoptique et actuelle du territoire à partir de l’occupation du sol est devenue un élément incontournable dans la mise en œuvre des politiques publiques de la collectivité : habitat, mobilité, action foncière sont par exemple concernés.
La constitution et l’entretien de couches d’occupation du sol sont aujourd’hui des axes forts des initiatives lancées en matière d’observation et de connaissance du territoire. En France, les expériences pionnières d’inventaire cartographique de l’occupation du sol ont été lancées respectivement en 1975 par l’Institut d’aménagement et d’urbanisme (IAU) en Île-de-France, et en 1977 par l’État sur le littoral, avec l’Inventaire permanent du littoral (IPLI). C’est pourtant véritablement depuis le milieu des années 2000 que ces opérations se sont développées, plutôt sur le périmètre des agglomérations et des petits territoires (parcs naturels, SCOT notamment).
Ce texte s’attache à rendre compte de la démarche originale engagée par le Conseil général de Loire-Atlantique en matière de connaissance de l’occupation du sol et des premiers résultats qui en découlent, à l’échelle d’un département.
1. Cadrage méthodologique
La démarche du Conseil général
Dans le cadre de son besoin d’observation du territoire départemental et des dynamiques qui l’animent, le Conseil général a fait produire un inventaire cartographique des modes d’occupation du sol en Loire-Atlantique, dénommé BD MOS44. La réalisation de cette base de données géographiques était l’un des chantiers initiaux retenus au titre des travaux du Club SIG 44, une instance départementale rassemblant les acteurs de l’information géographique dans le but de mieux coordonner la production, l’entretien et la diffusion de l’information géographique. Dans ce cadre, un groupe de travail spécifique a réfléchi à la production d’une base de données commune inventoriant les modes d’occupation réels du sol en Loire-Atlantique. Une nomenclature et une méthodologie de réalisation y ont été prescrites au cours d’un cycle de 5 réunions de travail, entre mai et novembre 2006. Cette démarche fédératrice a permis d’associer 38 participants, représentant 29 organisations différentes. La mise en œuvre du projet s’est appuyée sur une consultation externe, sous la forme de marché public en 2007. La BD MOS44 décrit l’occupation réelle du sol1 à partir d’une nomenclature hiérarchisée en 3 niveaux, de plus en plus détaillés. Le premier niveau, correspondant à la nomenclature simplifiée, classe l’occupation du sol en 5 grandes catégories ; le niveau suivant en 14 catégories, et le dernier, le plus détaillé, en 38 postes de légende.
Les choix méthodologiques
Dès le départ de la démarche, le choix méthodologique d’un travail s’appuyant sur le Plan cadastral informatisé a été écarté, en raison d’une part du trop grand niveau de détail offert par la couche bâti, et, d’autre part, du domaine particulier de cette donnée portant sur la propriété foncière qui ne se calque pas systématiquement sur l’occupation du sol. Les différentes emprises d’occupation des sols ont donc été identifiées à l’écran à partir des images aériennes de l’Institut géographique national disponibles dans le SIG. Aucun traitement automatique n’a été réalisé. L’interprétation repose exclusivement sur l’observation visuelle du photo-interprète qui analyse l’image prise depuis le ciel. Son travail consiste à transformer une donnée présentée sous forme de pixels en une donnée vectorielle, c’est-à-dire une partition du territoire en polygones ayant une taille égale ou supérieure à 2 000 m2 et attribués d’un code d’occupation du sol.
Aller plus loin que la BD CORINE Land Cover
Comparativement à CORINE Land Cover, la base de données européenne d’occupation des sols de l’Agence Européenne pour l’Environnement (Pageaud et Carré, 2009), la BD MOS44 avec sa maille de 2 000 m2 offre une résolution 125 fois supérieure. Ce niveau de précision fait clairement apparaître la dispersion de l’habitat dans l’espace départemental et la logique d’étalement urbain qui caractérise les 221 communes de Loire-Atlantique ; ce que ne montre pas la cartographie réalisée à partir de CORINE Land Cover (voir fig. 2).
Pour autant, comme toute base de données, la BD MOS44 n’est pas exempte de limites. Les premières tiennent évidemment à l’étape de photo-interprétation et à sa qualité. À l’œil, la reconnaissance d’une occupation n’est pas toujours aisée et peut surtout différer d’une personne à une autre. La tentation est parfois de préférer l’usage (l’utilisation fonctionnelle) à l’occupation (l’utilisation physique). Malgré sa résolution importante, les processus d’urbanisation inférieurs à 2 000 m2 sont ignorés, et la reconstruction de la ville sur elle-même n’est dans ce cadre que très rarement observée. Malgré ces biais méthodologiques, la BD MOS reste une base de données robuste, qui, à l’échelle départementale, contient des erreurs moindres que celles générées par une méthode de classification assistée à partir d’images satellitaires.
S’inscrire dans la durée et dans la comparaison
Chaque situation à un temps « t » repose sur la photo-interprétation d’une nouvelle série d’images aériennes. Ces opérations successives, conduites en 2007 pour l’état 2004, en 2009 pour l’état 1999 (pour disposer d’un état de référence plus ancien) et en 2011 pour l’état de l’occupation du sol 2009, permettent de disposer de trois bases de données MOS44 successives. Au-delà de ces 3 instantanés, la plus-value vient surtout de la base de données mêlant les objets géométriques de chacune des trois bases. La géométrie de la BD MOS 2004 a en effet été réutilisée pour produire les états 1999 et 2009. En comparant la nouvelle orthophotographie avec la BD MOS44 antérieure, les évolutions y sont pointées et les polygones découpés en fonction des évolutions constatées. Ce principe méthodologique permet des comparaisons aisées d’une date à une autre, notamment par l’obtention de statistiques d’occupation du sol précises. Il est notamment possible de savoir comment évolue un type d’espace particulier, comment il se transforme et au profit de quoi (voir tab. 2).
Ces observations à intervalles réguliers permettent ainsi de nourrir la réflexion sur le développement et l’aménagement de la Loire-Atlantique, en apportant des éléments de connaissance tangibles aux responsables politiques de plus en plus soucieux de la gestion de l’espace départemental2. Une comparaison des modes d’occupation du sol successifs permet ainsi de quantifier et de localiser les transformations des espaces en Loire-Atlantique, en particulier s’agissant de la consommation des espaces agricoles et naturels (voir fig. 3).
2. Analyse
La Loire-Atlantique aujourd’hui
En 2009, les 694 218 hectares du département de Loire-Atlantique se caractérisent par l’importance des surfaces agricoles qui occupent encore 484 545 hectares, soit plus des deux tiers de l’espace départemental avec 69,8 % de sa surface totale. En comparaison avec d’autres territoires disposant d’un MOS, tels que l’Alsace3, cette caractéristique forte confirme un trait majeur de la Loire-Atlantique, département peu forestier, mais très agricole. Les surfaces en terres arables (249 640 ha) et en prairies naturelles (198 307 ha) y représentent 92,4 % de la totalité des surfaces agricoles et 64,5 % de l’ensemble du département. S’y ajoutent les cultures spéciales telles que le maraîchage et l’horticulture (6 610 ha) et surtout la vigne (15 740 ha, 3,5 % de la totalité des surfaces agricoles).
Le tiers restant se partage entre la forêt et les milieux semi-naturels (67 064 ha, soit 32 % des zones non-agricoles mais seulement 9,7 % du total du département), les zones humides (35 015 ha), les surfaces en eau (16 549 ha), et les espaces artificialisés (91 046 ha, soit 43,4 % des zones non-agricoles, 13,1 % du département). Les espaces artificialisés sont dévolus en premier lieu à l’habitat qui en occupe 66,7 % avec 60 708 hectares. Les zones d’habitat pavillonnaire composées de maisons individuelles et les hameaux ruraux, définis comme un noyau dense d’habitat rural composé d’au moins 5 bâtiments, forment 57 087 ha. Le centre historique des villes et la zone d’urbanisation ancienne, généralement implantée autour des églises, ne représentent que 1 733 hectares dans cet ensemble. De leur côté, les zones dédiées à l’accueil d’activités économiques occupent 10 309 ha dans le département (11,3 % des espaces artificialisés). Ces espaces artificialisés apparaissent aujourd’hui extrêmement dispersés sur l’ensemble du territoire départemental (fig. 4).
Dynamique des espaces
Les surfaces urbanisées ont triplé en seulement quarante années (entre 1960 et les années 2000), alors que dans le même temps, la population départementale n’a augmenté que de moitié, passant de 803 000 habitants en 1962 à 1 255 000 habitants en 2008 (AURAN, 2008). L’analyse de l’occupation du sol à partir de la BD MOS44 permet de prendre la mesure de l’étalement urbain dans la période récente. Elle met en lumière les mutations importantes enregistrées par les territoires de Loire-Atlantique durant la dernière décennie (fig. 5).
Les espaces agricoles en recul depuis 1999
Les espaces agricoles sont très concernés par les mutations. Tout d’abord pour l’ampleur des dynamiques internes, marquées par les transferts entre prairies et terres arables qui s’opèrent dans les deux sens (91 481 ha sont passés de l’une à l’autre classe en 10 ans, pendant que 40 563 ha présentaient l’évolution inverse (voir tab. 2). Ensuite, par les pertes de surfaces de 8 557 ha enregistrées entre 1999 et 2009. En 10 ans, du fait de la crise du muscadet, des différentes campagnes d’arrachage et de la pression urbaine, le vignoble nantais a vu 2 533 ha de terres disparaître, soit 16 % des surfaces qu’il occupait en 1999. Sur la même période, les surfaces consacrées à l’horticulture et au maraîchage, l’autre culture spéciale attachée à la région nantaise, ont progressé de 5,5 %, passant de 6 245 ha à 6 610 ha.
Lecture du tableau 2 : l’abscisse correspond à l’année 1999, l’ordonnée à celle de 2009. La case grisée permet de mesurer ce qui est resté stable entre 1999 et 2009. Exemple d’analyse : en 1999, les zones urbanisées liées à l’habitat représentaient 55 080 ha. En 2004, elles forment 60 708 ha. Depuis 10 ans, les nouvelles surfaces ont principalement été prélevées sur les territoires agricoles (4 428 ha, dont 3 157 ha de prairies naturelles et 985 ha de terres arables). 54 950 ha avaient déjà cette nature en 1999. 133 ha classés en zones urbanisées liées à l’habitat en 1999 ont changé d’occupation du sol : en 2009, 72 ha appartiennent désormais à un autre type d’espace artificialisé, 53 ha sont retournés aux territoires agricoles (dont 34 ha en terres arables), et 8 ha à la forêt et aux milieux semi-naturels.
Sans surprise, les espaces agricoles sont les plus touchés par l’extension et le développement des espaces artificialisés avec 8 961 ha des 10 230 ha concernés (voir fig. 6).
Près de 4 terrains de football consommés quotidiennement par l’urbanisation depuis 10 ans
Les surfaces occupées par les espaces artificialisés ont progressé de 10,7 % en 10 ans, soit 9 768 hectares. Durant cette période, c’est ainsi l’équivalent de 3,8 terrains de football (2,7 ha) qui ont été consommés chaque jour dans le département.
C’est l’habitat qui est le plus gros consommateur de ces surfaces foncières (voir fig. 6 : graphique). Depuis 1999, sous l’effet de l’attractivité démographique de la Loire-Atlantique, ces zones ont progressé de 10,2 %, soit 5 628 ha en une décennie : 4 278 ha pour l’habitat individuel de type pavillonnaire et 1 259 ha pour les espaces classés en hameaux ruraux.
Les emprises liées aux activités et aux équipements ont gagné 3 010 ha. En comparaison avec les zones urbanisées liées à l’habitat, leur croissance est plus de deux fois supérieure : + 23,7 % pour les zones d’activités, correspondant à un gain de 2 440 ha ; + 25,8 % pour les surfaces commerciales, soit 197 ha supplémentaires. Par ailleurs, l’exploitation de la BD MOS44 montre que depuis 2004, si la consommation de foncier à usage résidentiel s’infléchit (- 0,5 point), la consommation du foncier à usage économique et commercial augmente sur la même période (respectivement + 1,5 et + 1,3 points).
La dynamique est remarquable et peut inquiéter. En prolongeant la tendance des 10 dernières années, la consommation d’espaces porterait, à l’horizon 2030, sur 20 600 ha supplémentaires, dont 11 800 ha d’urbanisation résidentielle nouvelle. D’où les appels à « changer l’ordre des rêves » (Institut Kervégan, 2010), et à « développer dès à présent les moyens à mettre en œuvre en faveur de l’économie de l’espace » (Conseil général de Loire-Atlantique, 2008).
Conclusion
Le cadre législatif a connu ces dernières années des évolutions réaffirmant la nécessité de promouvoir une gestion économe de l’espace, et renforçant, à cet effet, le rôle des documents d’urbanisme : lois Grenelle 1 et 2, loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche du 13 juillet 2010. Des objectifs de limitation de la consommation d’espace sont assignés au PLU et au SCOT, dont le caractère prescriptif est renforcé.
Le rapport de présentation du SCOT doit désormais présenter « une analyse de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers au cours des 10 années précédant l’approbation du schéma » (Art. L. 122-1-2). Il doit également justifier « les objectifs chiffrés de limitation de cette consommation compris dans le document d’orientation et d’objectifs » (Art. L. 122-1-2). Le Projet d’aménagement et développement durables (PADD) doit fixer des objectifs de lutte contre l’étalement urbain. Le poids réglementaire du SCOT a été consolidé de manière importante. Nouvelle pièce, le Document d’orientation et d’objectifs (DOO) se voit ainsi fixer des obligations en termes de définition « des conditions d’un développement urbain maîtrisé et des principes de restructuration des espaces urbanisés » (Art. L. 122-1-4) et doit arrêter « des objectifs chiffrés de consommation économe de l’espace et de lutte contre l’étalement urbain, qui peuvent être ventilés par secteur géographique » (Art. L. 122-1-5).
Face à ces obligations d’évaluation environnementale et de la mise en œuvre du projet, ramenées de 10 à 6 ans par la loi ENE, la BD MOS44 constitue un support d’études pertinent pour mesurer la satisfaction de ces objectifs. En Loire-Atlantique, avec la disponibilité de 3 états successifs de la BD MOS44, cet exercice va poser sans doute moins de difficultés qu’ailleurs4. Conformément à sa volonté de favoriser le partage et la mutualisation de l’information géographique départementale, le Conseil général diffuse en effet largement cette base de données qui permet d’appuyer l’action des élus au travers de nombreux usages SIG dans des domaines tels que l’observation de la consommation d’espace, le suivi des changements d’usage du sol, la planification spatiale, la production de diagnostics de territoire, d’études d’impact, l’alimentation de modèles de simulation (érosion des sols, dénombrement de population par exemple). Sa mise à disposition est proposée gratuitement aux partenaires du Conseil général moyennant la signature d’une simple convention de mise à disposition. Plus d’une soixantaine d’organismes publics, dont les EPCI, les services de l’État, les centres de formation et de recherche, etc. en bénéficient ainsi aujourd’hui pour la mobiliser dans leurs différents contextes opérationnels. La version 2009 a fait l’objet d’un soutien financier du programme régional GéoPAL. En mars 2012, cette diffusion sera même élargie puisque la BD MOS44 fait partie des données qui seront ouvertes au public sur la plateforme Open Data de Loire-Atlantique.
La richesse de la BD MOS44 nous permettra de renforcer son analyse dans une prochaine contribution à ces mêmes Cahiers nantais. Il s’agira alors d’apporter un éclairage sur les grandes évolutions dans les différents territoires composant le département de Loire-Atlantique, et notamment au regard de la progression des espaces urbanisés et des questions de densités qui l’accompagnent.